Date : 20030204
Dossier : T-2288-01
Référence neutre : 2003 CFPI 119
Toronto (Ontario), le mardi 4 février 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
ENTRE :
APOTEX INC.
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
GLAXOSMITHKLINE INC.
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La Cour est saisie d'une requête présentée par la défenderesse GlaxoSmithKline Inc. (Glaxo) afin qu'il soit ordonné au Dr Bernard Sherman de se soumettre à nouveau au contre-interrogatoire dans les vingt jours qui suivront la présente ordonnance pour répondre aux questions auxquelles il a opposé un refus lors de son contre-interrogatoire le 19 septembre 2002 ou auxquelles il s'est engagé à répondre ultérieurement.
LES FAITS
La demande principale visant le ministre de la Santé a été présentée le 27 décembre 2001. La demanderesse y sollicite une ordonnance de mandamus et un certain nombre de jugements déclaratoires concernant la légitimité de l'inscription par le ministre de certains brevets au registre des brevets en application du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) et l'effet de cette inscription sur sa demande d'avis de conformité (AC). Glaxo a présenté, avec le consentement d'Apotex, une requête afin d'être constituée partie. La Cour y a fait droit le 18 février 2002. Comme le délai imparti à la défenderesse pour présenter des éléments de preuve avait alors expiré, l'ordonnance établissait également un calendrier pour le dépôt des éléments de preuve de Glaxo et la tenue subséquente des contre-interrogatoires, le tout devant être terminé au plus tard le 19 juin 2002.
[3] Au lieu de produire sa preuve, Glaxo a demandé par requête le rejet de la demande. Elle a été déboutée le 7 mai 2002. Elle a interjeté appel et a de nouveau été déboutée le 28 mai 2002. Elle a obtenu une ordonnance en date du 13 juin 2002 l'autorisant à produire sa preuve et prorogeant jusqu'au 11 septembre 2002 le délai accordé pour mener à bien les contre-interrogatoires. Dans une requête produite le 18 septembre 2002, Glaxo a également demandé à contre-interroger le témoin du ministre. Elle a de nouveau été déboutée le 30 septembre 2002. Elle a porté la décision en appel et le pourvoi est en instance devant la Cour d'appel fédérale.
[4] Le 19 septembre 2002, le Dr Sherman a été contre-interrogé à partir de son affidavit. Il a refusé de répondre à dix-sept des questions de la défenderesse et s'est engagé à répondre ultérieurement à quatre autres questions. L'avocate de Glaxo n'a pris aucune mesure concernant ces dix-sept refus ou ces quatre reports avant le dépôt de la présente requête le 13 janvier 2003, c'est-à-dire quatre mois plus tard. Normalement, l'avocate aurait dû transmettre à Apotex une lettre faisant état des dix-sept questions auxquelles le témoin avait refusé de répondre et des quatre questions auxquelles il s'était engagé à répondre ultérieurement et informant Apotex qu'une requête serait présentée pour contraindre le témoin à répondre à ces questions à moins qu'il n'y réponde avant l'expiration d'un délai précis, par exemple deux semaines.
[5] Le 22 novembre 2002, un avis d'examen de l'état de l'instance a été signifié à Apotex, lui enjoignant de donner les raisons pour lesquelles l'instance ne devait pas être rejetée pour cause de retard. Dans une ordonnance datée du 3 janvier 2003, la Cour a autorisé la poursuite de l'instance et a établi un calendrier pour le déroulement des étapes suivantes. Elle a exigé qu'Apotex dépose son dossier de la demande au plus tard le 13 janvier 2003 et que les défendeurs produisent les leurs au plus tard le 20 janvier 2003. Glaxo ne s'est pas opposée au calendrier ni à ce que l'une des étapes suivantes de l'instruction de la demande soit l'obtention des réponses d'Apotex aux questions laissées en suspens lors du contre-interrogatoire du Dr Sherman le 19 septembre 2002.
[6] Le 13 janvier 2003, Glaxo a produit la présente requête afin d'obtenir des réponses aux questions auxquelles le Dr Sherman avait refusé de répondre lors de son contre-interrogatoire.
L'ANALYSE
La présente requête a été présentée après l'expiration du délai imparti par la Cour dans l'ordonnance du 30 septembre 2002 pour terminer le contre-interrogatoire. Avant de se pencher sur le bien-fondé de la demande, la Cour doit donc décider si Glaxo a droit à une prorogation de délai pour le contre-interrogatoire. La considération sous-jacente à une demande de prorogation est que justice soit faite entre les parties : voir Grewal c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.). Les considérations pertinentes en l'espèce sont de savoir si Glaxo a donné une explication raisonnable du retard et si un préjudice est susceptible d'être causé par ce retard.
[8] Il appartient à la partie requérante de justifier son retard à présenter la requête : voir Pfizer Canada Inc. v. Apotex Inc. (1996), 67 C.P.R. (3d) 423, à la page 425 (C.F. 1re inst.). Glaxo prétend que, initialement, le retard a été causé par les déclarations des avocats d'Apotex pendant le contre-interrogatoire selon lesquelles ils allaient examiner certaines questions. Elle fait valoir que, après la signification de l'avis d'examen de l'état de l'instance, il lui était impossible de produire d'autres documents au greffe de la Cour avant qu'une décision ne soit rendue à l'issue de cet examen.
[9] Apotex fait valoir que Glaxo a déjà fait proroger trois fois le délai imparti pour mener à bien les contre-interrogatoires et qu'elle n'a fourni aucune explication valable du temps considérable qui s'est écoulé avant qu'elle ne présente la requête. Glaxo a mis quatre mois pour la présenter et, dans l'intervalle, elle n'a manifesté aucune intention de le faire. Plus particulièrement, lorsque les observations d'Apotex concernant l'examen de l'état de l'instance lui ont été signifiées le 6 décembre 2002, y compris un projet de calendrier pour le déroulement des étapes ultérieures, Glaxo n'a formulé aucune observation quant à la nécessité d'étapes supplémentaires ou d'une nouvelle prorogation de délai.
[10] Apotex a cité la décision AstraZeneca AB et AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 23 octobre 2002, T-148-02, où le protonotaire Lafrenière a rejeté une demande semblable en raison d'un retard de sept semaines. Dans cette affaire, les demanderesses soutenaient n'avoir pris aucune mesure pour présenter la requête plus tôt parce qu'elles attendaient des réponses à des questions laissées en suspens et l'avis d'un expert sur la présentation de la requête. Le protonotaire Lafrenière n'a pas retenu cette explication.
[11] Une autre décision pertinente est celle du juge Evans dans Eli Lilly and Co. c. Abbott Laboratories, Ltd., [1999] A.C.F. no 466 (1re inst.) (QL), où la Cour était également saisie d'une requête, présentée quatre mois après l'expiration du délai accordé pour la tenue du contre-interrogatoire, afin qu'un témoin se soumette à nouveau au contre-interrogatoire et que celui-ci puisse être mené à bien. Les demanderesses ont invoqué des discussions en vue d'un règlement et la lettre d'un avocat corrigeant le témoignage du déposant sur un point. Le juge Evans a estimé que cette explication ne satisfaisait par au critère établi dans Chin c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 69 F.T.R. 77 (C.F. 1re inst.), où Mme le juge Reed a dit que pour justifier l'omission de respecter un délai prévu par les Règles de la Cour fédérale (1998) ou fixé en application de celles-ci, les raisons invoquées doivent « échapper au contrôle de l'avocat ou du requérant, par exemple, la maladie ou un autre événement inattendu ou imprévu » .
[12] De même, l'explication avancée par Glaxo en l'espèce ne suffit pas à justifier une prorogation de quatre mois. L'explication n'est ni raisonnable ni crédible. De plus, l'omission de Glaxo de s'opposer au projet de calendrier présenté par Apotex le 6 décembre 2002 enlève toute crédibilité à l'explication du retard. Pour reprendre les termes employés par le juge Reed, Glaxo n'a pas invoqué de motifs échappant au contrôle de l'avocat afin de justifier le retard. Je cite en outre un extrait des motifs du juge Strayer dans Nu-Pharm Inc. c. Canada (Procureur général) (1994) 56 C.P.R. (3d) 445 (1re inst.), à la page 448 :
La documentation ne fournit cependant aucune explication raisonnable du retard. La requérante l'affirme elle-même, elle n'a pas commencé à préparer le dossier de sa demande avant [traduction] « le début de mars » , soit plus d'un mois après le moment où le dossier aurait dû être déposé. Rien dans la documentation ne permet de croire que ce retard est imputable à quelque circonstance imprévue ou impossibilité à agir : il s'est produit simplement parce que l'avocat de la requérante se croyait en droit d'attendre le dépôt des affidavits des parties adverses,...
Glaxo ne peut donc fournir une explication raisonnable du retard.
[13] Le litige qui oppose le partie en l'espèce ne date pas d'hier. La défenderesse Glaxo a saisi la Cour de nombreuses demandes et requêtes, y compris un appel (en instance) à la Cour d'appel fédérale visant l'ordonnance interlocutoire du juge Beaudry et une demande d'autorisation de pourvoi (en instance) à la Cour suprême du Canada présentée relativement au jugement de la Cour d'appel fédérale rejetant l'appel de la décision du juge Gibson rendue relativement à une demande connexe opposant les parties. Les délais ainsi occasionnés causent un préjudice à Apotex et bénéficient à Glaxo. La Cour ne peut excuser un retard sans une explication raisonnable.
[14] Pour ces motifs, la requête sera rejetée et la défenderesse Glaxo a quatre jours à partir de la date de la présente ordonnance, selon l'entente des parties, pour produire son dossier.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. Le rejet de la requête visant à obtenir une ordonnance enjoignant au Dr Bernard Sherman de se soumettre à nouveau au contre-interrogatoire.
2. Le dépôt du dossier de la défenderesse Glaxo au plus tard quatre jours après la présente ordonnance.
3. L'adjudication des dépens de la requête suivant l'issue de la cause entre la demanderesse et la défenderesse Glaxo.
Michael A. Kelen
Juge
Traduction certifiée conforme
Claire Vallée, LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA - SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : T-2288-01
INTITULÉ DE LA CAUSE : APOTEX INC.
demanderesse
c.
LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
GLAXOSMITHKLINE INC.
défendeurs
DATE DE L'AUDIENCE : LUNDI 3 FÉVRIER 2003
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE PAR : LE JUGE KELEN
DATE DES MOTIFS: MARDI 4 FÉVRIER 2003
ONT COMPARU :
Me Julie Perrin
Pour la demanderesse
Me James Mills
Me Chantal Saunders Pour la défenderesse
GlaxoSmithKline Inc.
Aucune comparution
Pour le défendeur
le ministre de la Santé
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
GOODMANS s.r.l.
Avocats
250, rue Yonge
Bureau 2400, boîte postale 24
Toronto (Ontario)
M5B 2M6 Pour la demanderesse
GOWLING LAFLEUR HENDERSON s.r.l.
160, rue Elgin
Bureau 2600
Ottawa (Ontario) Pour la défenderesse
K1P 1C3 GlaxoSmithKline Inc.
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada Pour le défendeur
le ministre de la Santé
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20030204
Dossier : T-2288-01
ENTRE :
APOTEX INC.
demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
GLAXOSMITHKLINE INC.
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE