Date : 19991216
Dossier : IMM-5835-99
Ottawa, Ontario, le 16 décembre 1999
PRÉSENT: L"HONORABLE JUGE PELLETIER
ENTRE :
SIVANESAN VIGNESWARAN
Demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
Défendeur
MOTIFS DE L"ORDONNANCE et ORDONNANCE
[1] M. Sivanesan Vigneswaran présente une demande de sursis d"une mesure d"expulsion selon laquelle il sera renvoyé au Sri Lanka, pays qu"il a quitté en 1984. Le demandeur est venu au Canada en 1995 et a réclamé immédiatement le statut de réfugié. Selon lui, il a quitté le Sri Lanka en 1994 et a passé par plusieurs autres pays où il a séjourné plusieurs mois à la fois avant d"arriver au Canada. La Section du statut de réfugié soupçonnait des irrégularités de la part du demandeur au cours de l"audition de sa demande et a remis l"audition à une date ultérieure pour permettre à l"agent de revendication d"entreprendre certaines enquêtes auprès des pays où le demandeur a séjourné, notamment l"Angleterre et la Russie. À la reprise de l"audition, le demandeur a admis qu"il avait quitté le Sri Lanka en 1984 et non en 1994, et qu"il avait obtenu le statut de réfugié en France où il a demeuré jusqu"en 1993.
[2] La Section du statut rejeta la demande du demandeur, pour le motif d"absence de crédibilité, ce qui était sûrement le cas. Mais, si on avait accordé foi au témoignage du demandeur, il est évident que sa demande n"aurait pas été recevable en raison de l"article 46.01 de la Loi sur l"immigration. Le demandeur demanda l"autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut. Ceci lui fut refusée. Le demandeur fut ensuite l"objet d"une étude pour jauger le risque objectif d"atteinte à son intégrité personnelle advenant son retour au Sri Lanka. L"agent réviseur qui s"attarda sur la cause du demandeur, conclut qu"il n"y avait aucun risque de perte de vie ou de traitements inhumains si le demandeur était renvoyé au Sri Lanka. Cette conclusion fut elle aussi l"objet d"une demande d"autorisation et de contrôle judiciaire mais sans succès.
[3] Le 26 avril, le ministère de la Citoyenneté et l"Immigration avertit le demandeur que la mesure d"interdiction de séjour conditionnelle prise contre lui était devenue exécutoire, et qu"il devait donc quitter le Canada avant le 2 juin 1999. S"il ne le faisait pas volontairement, il serait l"objet d"un mandat d"arrestation. Le demandeur ne quitta pas le Canada, mais coopéra avec les agents d"immigration qui lui demandèrent d"obtenir un passeport Sri Lankais. Le 23 novembre, le demandeur dépose une demande de dispense sous l"article 114(2) de la Loi . Le 25 novembre, le demandeur fut convoqué à un rendez-vous au bureau du Ministère le 3 décembre 1999. Lorsque le demandeur se présenta le 3 décembre, on lui annonça que l"appréciation du risque de retour, qui est la première étape du traitement de sa demande de dispense, était complétée, qu"il y avait une absence de risque, et qu"il serait rapatrié le lendemain, le 4 décembre. Semble- t-il que le demandeur signifia une intention de ne pas se présenter pour se faire rapatrier, ce qui entraîna sa détention. Son procureur fait le nécessaire pour mettre devant la Cour une demande de sursis de la mesure d"expulsion. La Cour a considéré la cause le 4 décembre et, en raison des très brefs délais entre l"avis de renvoi et la date de renvoi, remet la cause au 9 décembre pour permettre aux parties de compléter le dossier.
[4] La prétention principale du demandeur c"est que l"article 53(1) de la Loi ne permet pas le retour d"une personne jugée réfugié, soit par la Section du statut, soit par un autre pays, a un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée. Or, le demandeur allègue qu"il a été jugé réfugié par l"état français et, selon les preuves soumises à son égard, il fait face à une menace à sa vie ou à sa liberté s"il est refoulé au Sri Lanka. L"intimé, pour sa part, prétend que le demandeur n"est pas un réfugié parce qu"il fait l"objet d"un arrêt de la Section du statut selon lequel il n"est pas réfugié. Donc, il ne peut pas invoquer l"article 53 pour bloquer son retour au Sri Lanka.
[5] L"article 53(1) se lit comme suit:
53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas_:
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53. (1) Notwithstanding subsections 52(2) and (3), no person who is determined under this Act or the regulations to be a Convention refugee, nor any person who has been determined to be not eligible to have a claim to be a Convention refugee determined by the Refugee Division on the basis that the person is a person described in paragraph 46.01(1)(a), shall be removed from Canada to a country where the person's life or freedom would be threatened for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion unless
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[6] Le renvoi au paragraphe 46.01(1)(a) qui paraît au début du texte est un renvoi au texte suivant:
46.01 (1) La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si l'intéressé se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes _:
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46.01 (1) A person who claims to be a Convention refugee is not eligible to have the claim determined by the Refugee Division if the person
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[7] Alors, à l"appui de sa prétention qu"il a été reconnu réfugié par la France, le demandeur soumet une photocopie du document de voyage que lui ont fournis les autorités françaises. Le document se dit délivré au détenteur sur présentation du certificat de réfugié no. 484 919 11. En plus le document se réfère à la Convention du 26 juillet 1951, sur le statut des réfugiés. Par contre, il n"y a aucun affidavit d"un agent consulaire de la République française qui confirme que ce type de document n"est émis qu"aux réfugiés. Malgré cette lacune dans la preuve, la Cour accepte qu"il y a, prima facie , preuve que le demandeur a été reconnu comme réfugié par la République française.
[8] La preuve au dossier semble démontrer d"une part qu"il n"y a pas de risque pour le demandeur s"il est retourné au Sri Lanka et d"autre part, qu"il y a un risque pour le demandeur s"il est refoulé. Quoique la Cour puisse s"interroger sur le danger auquel le demandeur pourrait faire face, vu son absence du Sri Lanka pour 14 ans, il n"est pas nécessaire de traiter cette question plus profondément que de dire que la contradiction dans la preuve démontre qu"il y a une question à decider.
[9] Les prétentions de l"intimé que le demandeur ne peut invoquer l"article 53(1) parce qu"il a été jugé par la Section du statut mettent au premier plan une question sérieuse sur la portée de l"article 53(1) lorsque un individu qui s"est vu accordé le statut de réfugié ailleurs, revendique le statut de réfugié de nouveau au Canada. Est-ce que cet individu perd le statut de réfugié si sa réclamation n"est pas accordée ou est-ce plutôt le cas qu"il a abandonné le statut de réfugié accordé ailleurs en quittant le territoire de cet autre état et en réclamant le statut de réfugié de nouveau au Canada?
[10] Pour obtenir un sursis d"exécution d"une ordonnance, le demandeur doit démontrer qu"il y a premièrement une question sérieuse soulevée par sa demande, deuxièmement qu"il subira un préjudice irréparable s"il n"y a pas sursis de l"exécution de l"ordonnance et que la balance des inconvénients le favorise. Toth c. Canada , [1998] A.C.F. No. 587. Il y a ici une question sérieuse à être décidée. En ce qui concerne le préjudice irréparable, la Cour prend connaissance du conflit dans la preuve quant au risque d"atteinte à l"intégrité personnelle du demandeur. Dans l"arrêt Suresh c. Canada , [1999] A.C.F. 1180, le juge Robertson, devait juger d"une demande de sursis ce qui l"amena a considérer la question de préjudice irréparable. Il remarqua que la question de préjudice irréparable ne se posait pas de la même façon dans le contexte des droits humanitaires qu"elle se posait dans le litige commercial. Il en conclua que le préjudice irréparable pouvait se trouver dans le fait que le demandeur se voyait privé de l"objet du litige si l"ordonnance en question ne faisait pas l"objet d"une ordonnance de sursis. En l"instance, le demandeur met en question la compétence du Ministère de le refouler au Sri Lanka. S"il se voit refoulé avant que la question soit décidée, le jugement de la Cour lui sera d"intérêt académique seulement. C"est bien un cas où l"absence d"un sursis d"exécution advenant le décision de la Cour rendra la décision effectivement sans valeur. La balance des inconvénients suit les deux autres facteurs.
[11] Le demandeur a donc droit a un sursis, mais vu la base sur laquelle sa demande est étayée, le sursis est limité au refoulement au Sri Lanka. Au cours de son argumentation, le procureur du demandeur précisa que c"était le retour au Sri Lanka auquel le demandeur s"objectait. Dans ce cadre, le sursis de l"exécution de la mesure d"exécution sera limité au retour du demandeur au Sri Lanka.
[12] Le demandeur, dans sa requête a fait la demande des frais de cette procédure vu les brefs délais entre l"avertissement que l"appréciation du risque était complété et la date choisie pour l"exécution de la mesure d"expulsion. Le demandeur prétend qu"une telle façon de procéder, qui ne lui permet pas de mettre ses affaires en ordre avant son départ, est inhumaine. Il y a de quoi réfléchir, mais le juge qui s"attardera sur le fond du dossier sera en meilleure mesure de rendre justice à cette question. La question des frais est donc remise au juge qui décidera la cause.
ORDONNANCE
Pour ces motifs, la Cour ordonne un sursis d"exécution du refoulement du demandeur au Sri Lanka tant que sa demande d"autorisation et de contrôle judiciaire ne soit définitivement décidée.
Juge