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Date : 20030312

Dossier : IMM-1244-02

Référence neutre : 2003 CFPI 299

Calgary (Alberta), le mercredi 12 mars 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

                                                         IANCU MARIUS BOTEANU

                                                                                                                                                      demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                        défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié (la SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a refusé, le 18 janvier 2002, de reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention.

[2]                 Le demandeur, un citoyen de Roumanie qui est homosexuel, prétend craindre avec raison d'être persécuté du fait de son orientation sexuelle. Il affirme avoir été harcelé et interrogé par la police au sujet de son orientation sexuelle et avoir été brutalisé et insulté. De plus, ses biens ont été vandalisés et il a été traité avec hostilité à l'université où il étudiait en raison de son orientation sexuelle.

[3]                 Le détail des persécutions subies par le demandeur tel que raconté devant la SSR est relativement simple. Il ne fait aucun doute que la conduite dont se plaint le demandeur est compatible avec les éléments de preuve documentaire dont disposait la SSR, selon lesquels les homosexuels sont sérieusement maltraités en Roumanie. La SSR a cependant, en se fondant essentiellement sur des conclusions d'invraisemblance, refusé de croire au témoignage du demandeur. Je suis d'avis, pour les motifs qui suivent, que la décision est manifestement déraisonnable puisque les conclusions portant sur la vraisemblance sont sans fondement.

[4]                 La SSR a rapporté le témoignage du demandeur en ces termes :


Le revendicateur allègue qu'il est homosexuel et que, pour cette raison, il est recherché par la police roumaine et qu'il serait accusé de comportement homosexuel dans le cadre de l'article 200 du Code (pénal) criminel de la Roumanie. D'après la preuve du revendicateur, en janvier 1999, il a été arrêté par un groupe d'agents de police à son domicile, à Brasov, conduit au poste de police et informé que, selon une information anonyme, il a été vu en public alors qu'il tenait par la main son ami, Marius Andrei. Il a été interrogé au sujet de son comportement homosexuel et il a été victime de violence verbale et physique. Le revendicateur a découvert par la suite que M. Andrei avait fait l'objet d'un traitement similaire de la part des mêmes agents de police. Peu de temps après ces événements, le revendicateur a reçu deux lettres anonymes contenant des insultes et des remarques méprisantes concernant son orientation sexuelle. Des agresseurs inconnus avaient, par le passé, battu son ami et les lettres contenaient aussi des menaces et des avertissements selon lesquels il allait subir le même sort que son ami. Quelques jours après ces faits, le revendicateur a reçu une sommation de police lui indiquant qu'il devait se présenter au poste de police avec M. Andrei. La police a accusé le revendicateur et M. Andrei de troubler la paix et d'enfreindre l'article 200 du Code pénal roumain. On leur a dit que la police continuerait à les surveiller et que, tôt ou tard, ils seraient arrêtés et mis en prison à cause de leurs activités homosexuelles.

Selon la preuve du revendicateur, ses collègues à l'Université de droit de Brasov ont, d'une façon ou d'une autre, découvert son orientation sexuelle et ses démêlés avec la police. Par conséquent, ses confrères de classe et ses professeurs ont commis des actes de violence verbale à son endroit. Le revendicateur a continué à avoir des problèmes à l'Université de droit et il a obtenu des notes inférieures à cause de son orientation sexuelle. À l'automne de 1999, le revendicateur a reçu une autre sommation de police lui indiquant qu'il devait se présenter au poste de police. Étant donné que M. Andrei avait déjà quitté la Roumanie, la police l'a interrogé au sujet des allées et venues de son ami. Pendant ses études à l'Université de droit de Brasov, le revendicateur travaillait comme chauffeur de taxi et il utilisait son propre véhicule pour ce faire. En janvier 2000, le taxi du revendicateur a été vandalisé et des remarques sur son homosexualité et des menaces selon lesquelles il pourrait avoir un accident ont été peintes sur celui-ci avec de la peinture en bombonne. Il a signalé cet acte de vandalisme à la police, mais les policiers lui ont dit que c'était une blague et qu'ils ne pouvaient rien faire. Craignant pour sa sécurité personnelle, le revendicateur a cessé de travailler comme chauffeur de taxi. Par crainte que la police ne l'arrête à cause de son orientation sexuelle et porte des accusations contre lui, le revendicateur a obtenu un emploi chez un croisiériste et il a quitté la Roumanie en mars 2000. (Décision, aux pages 2 et 3)

[5]                 En ce qui concerne les conclusions de la SSR sur la vraisemblance analysées ci-dessous, le droit applicable ressort clairement de la décision rendue par M. le juge Muldoon dans Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1131, aux paragraphes 6 et 7 :

Présomption de véracité et vraisemblance

   Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l'arrêt Maldonado c. M.E.I., [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à la page 305, suivant lequel lorsqu'un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s'il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n'a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l'arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu'il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d'éléments de preuve pour justifier ses conclusions.


   Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

[6]                 La première conclusion d'invraisemblance tirée par la SSR a trait aux actes de persécution commis par les condisciples du demandeur alors qu'il étudiait en droit. Le demandeur a clairement affirmé dans son témoignage que son partenaire et lui faisaient en sorte de garder secrètes leur orientation sexuelle et leur relation parce qu'ils craignaient d'être maltraités. Il a indiqué avoir souffert après que ses condisciples eurent appris qu'il était homosexuel. La SSR a tiré les conclusions suivantes à ce sujet :

Étant donné que le revendicateur n'a pas affiché publiquement son homosexualité et ne pouvait pas dire si d'autres étudiants homosexuels étaient harcelés ou victimes de violence verbale de la part de confrères de classe et de professeurs, le tribunal détermine qu'il n'est pas plausible que son homosexualité ait été portée à l'attention de ses confrères de classe et de ses professeurs et que ceux-ci posent des actes de violence verbale à son endroit et le harcèlent. Le tribunal détermine aussi que le profil du revendicateur et son comportement ne correspondent pas à ceux d'une personne homosexuelle. (Dossier de demande des demandeurs, à la page 44) (Décision, à la page 4)


[7]                 De toute évidence, les condisciples du demandeur n'avaient pas besoin que l'orientation sexuelle du demandeur soit rendue publique pour le qualifier d'homosexuel et s'en prendre à lui. Il semble que la SSR ait eu de la difficulté à croire que le demandeur pouvait être ainsi catalogué et attaqué parce que son attitude ne correspondait pas à celle que devrait avoir, à son avis, un homosexuel en Roumanie.

[8]                 Comme la Cour ne dispose d'aucune preuve du profil et de la conduite auxquels la SSR s'attendait, j'estime que la conclusion d'invraisemblance n'est pas étayée par la preuve et ne peut pas être maintenue.

[9]                 La seconde conclusion d'invraisemblance tirée par la SSR se lit comme suit :

Compte tenu du témoignage du revendicateur selon lequel la police ne l'a pas ciblé et ne l'a pas harcelé lorsqu'il travaillait comme chauffeur de taxi, soit de 1998 jusqu'à son départ de la Roumanie, le tribunal détermine qu'il n'est pas plausible que les policiers le convoquent au poste de police et menacent de l'arrêter et de le mettre en prison dans le cadre de l'article 200 du Code pénal roumain à cause de ses activités homosexuelles. (Décision, à la page 4)

[10]            Bien qu'il n'ait pas été harcelé par la police lorsqu'il conduisait un taxi, le demandeur a indiqué dans son témoignage l'avoir été à d'autres périodes de sa vie. Je suis d'avis que l'expérience vécue par le demandeur alors qu'il était chauffeur de taxi ne peut pas être considérée comme invraisemblable en l'absence d'éléments de preuve convaincants démontrant que la persécution des homosexuels était tellement répandue en Roumanie à l'époque que ces derniers pouvaient s'attendre à être harcelés à tout moment. En conséquence, je conclus que cette conclusion d'invraisemblance n'est pas étayée par la preuve et ne peut pas être maintenue.

[11]            La SSR a rendu la conclusion suivante au sujet des deux « invitations » au poste de police :

Bien que les deux invitations indiquent que la présence du revendicateur est « absolument nécessaire » , elles ne font pas état des motifs de sa convocation au poste de police de Brasov. Par conséquent, le tribunal n'est pas en mesure de conclure que les invitations à comparaître ont été produites dans le but d'interroger le revendicateur au sujet de son orientation sexuelle. Le tribunal note également que les deux invitations à comparaître de la police ont été produites à environ huit mois d'intervalle. Si les policiers avaient eu l'intention d'arrêter le revendicateur et de l'accuser dans le cadre de l'article 200 du Code criminel roumain, le tribunal détermine qu'ils auraient persisté et qu'ils n'auraient pas attendu encore pendant huit mois pour interroger le revendicateur au sujet de son orientation sexuelle. Le tribunal note l'absence de preuve devant lui selon laquelle le revendicateur a été accusé dans le cadre de l'article 200 du Code pénal roumain. Le tribunal n'accorde aucun poids à ces invitations à comparaître au poste de police de Brasov. (Décision, à la page 5)

[12]            Il est vrai que les « invitations » ne précisaient pas que le demandeur devait se présenter au poste de police pour se faire harceler en raison de son homosexualité. Cependant, la seule preuve dont la Cour dispose au sujet de l'objet des « invitations » est le témoignage du demandeur selon lequel il était convoqué au poste de police pour que des accusations d'homosexualité puissent être portées contre lui. Or, c'est justement ce qui s'est passé selon lui. Ce n'est pas parce l'objet des « invitations » n'est pas indiqué qu'il n'existait pas et qu'il n'a pas été réalisé. À mon avis, la conclusion selon laquelle le délai de huit mois fait toute la différence est dénuée de fondement.


[13]            Comme la SSR l'a raconté par la suite, les mauvais traitements infligés aux homosexuels en Roumanie constituent un problème grave et systémique. À une certaine époque, des accusations criminelles étaient déposées contre une personne du seul fait qu'elle [traduction] « était » homosexuelle. Il ressort cependant de la preuve documentaire que, même si l'on ne porte plus d'accusations contre les homosexuels depuis 1999, ceux-ci font toujours l'objet de mauvais traitements. Il n'est donc pas surprenant qu'aucune accusation criminelle n'ait été déposée contre le demandeur, même si, d'après ce qu'il prétend, il était harcelé par la police.

[14]            Je pense que, lorsque le commissaire déclare qu'il n'accorde _ aucun poids _ aux invitations, il veut dire qu'il ne croit pas que le demandeur a été _ invité _ au poste de police, qu'il s'y est rendu et qu'il a été harcelé. Cette conclusion ne reposant sur aucun motif valable, elle est erronée.

[15]            La SSR est arrivée à la conclusion, après avoir examiné la preuve produite par le demandeur qui est décrite plus haut, que celle-ci n'était pas suffisamment claire et convaincante pour réfuter la présomption selon laquelle l'État roumain peut le protéger contre la persécution à laquelle il est exposé en raison de son homosexualité. Cette conclusion se lit comme suit :

D'après la preuve et le témoignage du revendicateur, le tribunal détermine qu'il n'a pas présenté une preuve claire et convaincante de l'incapacité du gouvernement roumain à le protéger contre la discrimination, le harcèlement ou la persécution en raison de son orientation sexuelle. (Décision, aux pages 7 et 8)

Ainsi, la conclusion relative à la protection de l'État dépend entièrement de la conclusion concernant la crédibilité. Par conséquent, comme celle-ci est fondamentalement boiteuse, la conclusion portant sur la protection de l'État ne tient pas.


                                           ORDONNANCE

Par conséquent, j'annule la décision de la SSR et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur elle.

                                                                           _ Douglas R. Campbell _

                                     Juge

Calgary (Alberta)

Le 12 mars 2003

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-1244-02

INTITULÉ :                                                        IANCU MARIUS BOTEANU c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Calgary (Alberta)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 11 mars 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                     Monsieur le juge Campbell

DATE DES MOTIFS :                                     Le 12 mars 2003

COMPARUTIONS :

Roxanne Haniff-Darwent                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin                                                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Darwent Law Office                                                                                    POUR LE DEMANDEUR

Calgary (Alberta)

Morris A. Rosenberg                                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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