Date : 20000308
Dossier : IMM-263-99
ENTRE :
KAMALPREET KAUR GOSAL
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L"IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS D"ORDONNANCE
LE JUGE BLAIS
[1] Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire de la décision, datée du 24 novembre 1998, dans laquelle l"agent des visas John R. Butt du Haut-commissariat du Canada à New Delhi a exigé que la demanderesse et ses prétendues soeurs subissent un test d"empreintes génétiques afin d"établir leur identité.
Les faits
[2] La demande de résidence permanente au Canada de la demanderesse a été parrainée par son époux. La demanderesse soutient que le mariage a été célébré le 3 avril 1996, et qu"il s"agissait d"un mariage arrangé par ses parents et la soeur de son époux à l"époque où elle s"était rendue en Inde, en 1995. Le répondant soutient pour sa part que le mariage a été arrangé par sa grand-mère maternelle, qui était liée à la famille de son épouse.
[3] À l"entrevue qu"elle a eue avec l"agent des visas, la demanderesse a expliqué qu"elle était l"aînée de quatre filles. Elle ignorait cependant les dates de naissance de ses soeurs. L"agent des visas a souligné qu"elle semblait beaucoup plus vieille que l"âge qu"elle a dit avoir, soit 24 ans. Il a également fait remarquer que son époux était beaucoup plus âgé qu"elle. En outre, l"agent des visas n"était pas convaincu que les trois soeurs de la demanderesse n"étaient pas, en fait, ses enfants. Il lui a donc demandé de produire les certificats de naissance des trois filles.
[4] Le 22 avril 1998, l"agent des visas a reçu une lettre de la demanderesse, qui mentionnait : [TRADUCTION] " je vous écris pour vous dire que je n"ai pas trouvé les certificats de naissance de mes enfants; vous trouverez ci-joint un affidavit en bonne et due forme ".
[5] Dans son affidavit, la demanderesse déclare que Gurpreet Kaur est née le 09-10-1980, Manpreet Kaur est née le 22-02-1982, et que Harpreet Kaur est née le 11-12-1985, et qu"elles étaient toutes ses enfants.
[6] L"agent des visas a écrit à la demanderesse pour lui demander d"expliquer la divergence : dans son entrevue, elle avait soutenu que les filles étaient ses soeurs, mais dans sa lettre, elle disait qu"elles étaient ses enfants. Il a en outre mentionné que vu qu"elle avait fourni des renseignements sans corroborer l"une ou l"autre version, elle devait, de même que son époux et les trois filles, subir un examen médical qui établirait les liens familiaux qu"il y avait entre eux.
[7] La demanderesse a envoyé une lettre et un nouvel affidavit dans lesquels elle expliquait que l"affidavit antérieur était erroné, et que les filles étaient, en réalité, ses soeurs et non ses enfants.
[8] Le 14 juin 1998, l"agent des visas lui a envoyé une autre lettre, dans laquelle il expliquait que les documents qu"elle avait soumis n"établissaient pas le lien qui existait entre elle et ses soeurs. Il lui a de nouveau demandé de subir un test d"empreintes génétiques.
[9] L"avocat de la demanderesse a écrit à l"agent des visas pour s"opposer au test. L"avocat a dit que la demanderesse est née en 1973 et qu"en conséquence, elle ne pouvait être la mère de ses trois soeurs, qui sont respectivement nées en 1980, 1982 et 1985.
[10] L"agent des visas a encore une fois fait sa demande, l"adressant cette fois à l"avocat. L"avocat lui a envoyé une lettre mentionnant que la demanderesse et son époux étaient disposés à signer un document dans lequel ils renonceraient à parrainer les trois soeurs de celle-ci.
La décision de l"agent des visas
[11] L"agent des visas a envoyé à la demanderesse une lettre datée du 24 novembre 1998 dans laquelle il lui communiquait l"information nécessaire en vue de subir un test d"empreintes génétiques.
La position de la demanderesse
[12] La demanderesse soutient qu"elle a été privée de l"équité procédurale et des garanties habituelles à l"entrevue et à l"instance qui a suivi celle-ci.
[13] Elle fait valoir que l"agent a commis une erreur lorsqu"il a omis de tenir compte des motifs d"ordre humanitaire que soulevait son cas.
[14] Elle avance que l"agent des visas a commis une erreur lorsqu"il a accordé trop d"importance au test d"empreintes génétiques, alors qu"en fait, les soeurs ne l"accompagnaient pas en tant que personnes à charge, la demande de parrainage ne mentionnant que la demanderesse.
[15] La demanderesse fait remarquer que l"agent des visas dit maintenant qu"il ne croit pas que le mariage était authentique et qu"elle a effectivement l"âge qu"elle a mentionné, même s"il croit qu"elle a donné naissance à un enfant en 1980. La demanderesse soutient qu"un examen médical permettrait beaucoup plus rapidement qu"un test d"empreintes génétiques de déterminer si elle a effectivement donné naissance à un enfant en 1980.
[16] En ce qui concerne la " renonciation ", l"agent des visas a renvoyé à certains articles de la Loi sur l"immigration et son règlement d"application et a dit qu"il ne connaissait le pouvoir d"accepter une telle renonciation. En fait, l"agent des visas a négligé de tenir compte de l"autre question en continuant d"exiger que la demanderesse subisse un test d"empreintes génétiques, qui n"aurait pas permis de trancher les autres questions que l"agent semblait se poser, savoir l"authenticité du mariage, l"âge de la demanderesse, le fait qu"elle a donné naissance en 1980.
[17] La demanderesse soutient que le test d"empreintes génétiques n"aurait pas permis de trancher l"affaire vu que les questions susmentionnées n"étaient toujours pas résolues.
[18] La demanderesse soutient en outre que si l"agent des visas avait des doutes quant à son âge, il aurait dû la confronter à ce sujet à l"entrevue et lui permettre de réfuter son point de vue. L"agent des visas a violé l"obligation d"agir équitablement qui lui incombait en omettant d"agir ainsi.
La position du défendeur
[19] Le défendeur soutient qu"en appréciant la demande de résidence permanente de la demanderesse, l"agent des visas devait déterminer si la demanderesse avait des personnes à sa charge et si la demanderesse et, le cas échéant, les personnes à sa charge, étaient admissibles à entrer au Canada en tant que personne appartenant à la catégorie de la famille, conformément à l"article 6 du Règlement sur l"immigration.
[20] Le défendeur fait valoir que le traitement de la demande que la demanderesse a présentée en invoquant la catégorie de la famille n"a pas donné lieu à un déni de justice naturelle ou d"équité procédurale. Le défendeur avance que la demanderesse était parfaitement au courant des réserves que l"agent des visas avait en ce qui concerne le lien familial qui existait entre cette dernière et ses prétendues soeurs. À l"entrevue qu"il a eue avec la demanderesse et dans les lettres qu"il a envoyées à cette dernière, l"agent des visas a clairement fait état des réserves qu"il avait à propos du lien familial qui existait entre la demanderesse et ses prétendues soeurs et de l"âge que celle-ci disait avoir.
[21] Le défendeur soutient que la demanderesse a pleinement eu l"occasion de répondre aux réserves de l"agent des visas et qu"en fait, la demanderesse, l"époux de celle-ci, et son avocat ont fourni des observations à l"agent des visas concernant ce lien familial.
[22] Le défendeur fait valoir que la demande de l"agent des visas selon laquelle la demanderesse et ses prétendues soeurs devaient subir un test d"empreintes génétiques est une question interlocutoire, et qu"aucune décision définitive n"a encore été rendue en ce qui concerne la demande dans laquelle la demanderesse cherche à obtenir un visa en vue de s"établir au pays. Le défendeur avance que la présente demande n"a pas été présentée dans des circonstances extraordinaires qui justifieraient l"intervention de notre Cour. Si la demanderesse refuse de subir un test d"empreintes génétiques, il lui suffit d"informer l"agent des visas de son refus; l"agent des visas pourra alors continuer de traiter la demande de la demanderesse.
[23] Le défendeur soutient que la demande de contrôle judiciaire est prématurée à ce stade-ci.
Les questions litigieuses
[24] 1 - Notre Cour doit-elle exercer sa compétence relativement à une question interlocutoire? |
2 - La façon dont l"agent des visas a traité la demande de visa de la demanderesse et le fait qu"il a demandé à cette dernière de subir un test d"empreintes génétiques ont-ils donné lieu à un déni de justice naturelle ou une violation de l"équité procédurale? |
L"analyse
[25] Dans Novopharm Ltd. c. Aktiebolaget Astra, [1996] 2 C.F. 839, le juge Gibson a dit :
Il ne fait aucun doute que la décision faisant l'objet de la demande de contrôle judiciaire est de nature interlocutoire. Elle ne saurait en aucun cas disposer des procédures d'opposition dont est saisi le registraire; [...] Cependant, la compétence de la Cour aux termes de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7 (mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4)] n'est pas limitée à la décision de fond qui tranche de façon définitive la question dont est saisi un tribunal. |
[...] |
la Cour a le pouvoir d'exercer le contrôle judiciaire visé à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale à l'égard d'un jugement ou d'une décision interlocutoire, et en second lieu, que dans des circonstances spéciales, il convient d'exercer ce pouvoir. |
[26] Dans Szczecka c. Canada (M.E.I.) (1993), 116 D.L.R. (4th) 333, M. le juge Létourneau de la Cour d"appel fédérale a dit :
. . . il ne doit pas, sauf circonstances spéciales, y avoir d'appel ou de révision judiciaire immédiate d'un jugement interlocutoire. De même, il ne doit pas y avoir ouverture au contrôle judiciaire, particulièrement un contrôle immédiat, lorsqu'il existe, au terme des procédures, un autre recours approprié. Plusieurs décisions de justice sanctionnent ces deux principes, précisément pour éviter une fragmentation des procédures ainsi que les retards et les frais inutiles qui en résultent, qui portent atteinte à une administration efficace de la justice et qui finissent par la discréditer. |
[...] |
. . . la décision de la Section du statut sur l'objection à l'admissibilité de la preuve documentaire constitue une décision de nature interlocutoire et non une décision définitive qui adjuge sur le mérite de la cause. En outre, la requérante dispose d'un droit d'appel de la décision qui sera éventuellement rendue au mérite sur sa demande de statut de réfugié. À cette occasion, elle peut faire réviser toute erreur sur l'admissibilité de la preuve et tout déni de justice naturelle dont elle peut avoir été victime, que ceux-ci résultent du jugement final ou d'une décision interlocutoire. Il existe donc un recours approprié à une étape ultérieure des procédures. |
[27] L"agent des visas a écrit, le 2 juin 1998 :
[TRADUCTION] Veuillez nous faire part par écrit de votre intention, à vous, votre époux, Gurprett Kaur, Manpreet Kaur et Harpreet Kaur, de subir ce test. Si nous ne recevons pas de réponse dans un délai de 30 jours, votre demande de résidence permanente au Canada devra être rejetée. |
[28] L"agent des visas a écrit une autre lettre, le 14 juillet 1998, dans laquelle il disait :
[TRADUCTION] Les documents que vous avez soumis n"établissent pas de lien avec vos soeurs... J"ai donc l"intention de rejeter votre demande vu que vous appartenez à une catégorie de personnes non admissibles... |
Veuillez nous aviser par écrit le plus tôt possible de votre intention de subir le test d"empreintes génétiques. Si nous ne recevons pas de réponse dans un délai de 60 jours, votre demande sera rejetée . |
[Souligné dans l"original par l"agent des visas] |
[29] Dans la lettre datée du 28 septembre 1998 qu"il a envoyée à l"avocat de la demanderesse, l"agent des visas dit :
[TRADUCTION] " Si elle n"accepte pas de subir le test, je n"aurai d"autre choix que de rejeter sa demande de résidence permanente ". |
[30] Dans son affidavit daté du 18 juin 1999, dans lequel il répond aux questions que l"avocat de la demanderesse lui avait posées, il dit, à la question 16 :
[TRADUCTION] Lorsque j"ai invité la demanderesse à subir un test d"empreintes génétiques, j"étais, comme je le suis toujours, en train de recueillir les renseignements nécessaires en vue de trancher l"affaire. |
[31] À mon avis, l"agent des visas traite toujours la demande.
[32] Si, en bout de ligne, la demande était rejetée, la demanderesse pourrait toujours présenter une demande de contrôle judiciaire et soulever tout argument qu"elle jugerait pertinent, y compris sur la question du test d"empreintes génétiques.
[33] Compte tenu des affidavits contradictoires que la demanderesse a elle-même signés et déposés, l"agent des visas a estimé qu"il n"avait d"autre choix que d"exiger qu"elle subisse un test d"empreintes génétiques, vu qu"il n"existe ni de dossiers de naissance, ni de dossiers scolaires, et que les seuls éléments de preuve dont il disposait étaient contradictoires. À mon avis, compte tenu des faits de la présente affaire, l"agent des visas a agi de façon raisonnable.
[34] À mon avis, il n"y a pas de circonstances particulières qui justifient l"intervention de notre Cour. Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
" Pierre Blais "
juge
Vancouver (Colombie-Britannique)
Le 8 mars 2000
Traduction certifiée conforme
Bernard Olivier, B.A., LL.B.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
NO DU GREFFE : IMM-263-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : Kamalpreet Kaur Gosal
c.
MCI
LIEU DE L"AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L"AUDIENCE : le 7 mars 2000
MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE BLAIS
EN DATE DU : 8 mars 2000
ONT COMPARU :
Gerald G. Goldstein Pour la demanderesse
Helen Park Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Evans, Goldstein & Eadie
Vancouver (C.-B.) Pour la demanderesse
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada Pour le défendeur