Date : 20000627
Dossier : T-385-00
MONTRÉAL, QUÉBEC, LE 27 JUIN 2000
EN PRÉSENCE DE : RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE
ENTRE :
CABOT SAFETY INTERMEDIATE CORPORATION,
AEARO COMPANY ET AEARO CANADA LIMITED,
demanderesses,
ET
MINNESOTA MINING AND MANUFACTURING COMPANY
et 3M CANADA COMPANY,
défenderesses.
ORDONNANCE
La Cour ordonne aux défenderesses de signifier et de déposer les précisions suivantes, dans les quinze (15) jours de la date de la présente ordonnance, ou dans un délai plus long convenu par les parties, à défaut de quoi, les paragraphes visés pourront être radiés sur demande présentée par les demanderesses :
1. S'agissant du paragraphe 9 de la défense modifiée, la Cour ordonne aux défenderesses soit d'admettre les allégations avancées dans chacun des alinéas du paragraphe 34 de la déclaration, soit d'exposer les faits substantiels sur lesquels elles se fondent pour nier l'allégation. |
2. S'agissant du paragraphe 12 de la défense modifiée, les défenderesses doivent indiquer quelle partie de l'expression « généralement hémisphérique » est ambiguë et expliquer pourquoi elle l'est. |
La Cour ordonne en outre la prorogation du délai imparti aux demanderesses pour signifier et déposer leur réponse à la défense modifiée et leur défense à la demande reconventionnelle. Ce délai est ainsi porté à trente (30) jours après la date à laquelle les défenderesses se conformeront à la présente ordonnance.
La requête est par ailleurs rejetée. Les dépens suivront le sort de la cause.
Richard Morneau
Protonotaire
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
Date : 20000627
Dossier : T-385-00
Entre :
CABOT SAFETY INTERMEDIATE CORPORATION,
AEARO COMPANY et AEARO CANADA LIMITED,
demanderesses,
ET
MINNESOTA MINING AND MANUFACTURING COMPANY
et 3M CANADA COMPANY,
défenderesses.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE
[1] Par requête, les parties demanderesses dans une action en contrefaçon de brevet demandent à la Cour de prononcer une ordonnance obligeant les défenderesses à fournir des précisions supplémentaires au sujet des paragraphes 9 et 12 de la défense modifiée (la défense). Elles sollicitent également la radiation du paragraphe 13 de la défense.
[2] Les paragraphes 9 à 13 de la défense sont ainsi rédigés :
[TRADUCTION] 9. Les défenderesses nient toutes les allégations faites au paragraphe 34 de la déclaration; plus particulièrement et sous réserve de cette dénégation générale, les défenderesses nient que les collerettes aient une « forme généralement hémisphérique » comme l'indique le brevet. Les bouchons d'oreille des défenderesses comportent trois collerettes disposées autour d'un axe central. La collerette d'extrémité est hémisphérique; les deux autres collerettes épousent la forme d'un cône à sommet arrondi et sont courbées vers le haut à leur jonction avec l'axe central. Ce modèle permet une atténuation du bruit supérieure à celle offerte par les bouchons d'oreille de forme hémisphériquede la demanderesse Aearo. |
10. Dans le brevet en litige, l'expression « généralement hémisphérique » est définie à la page 5, lignes 17 à 22, comme suit :
Par « généralement hémisphérique » , on entend une collerette qui définit un corps creux sphérique sous-tendu par une corde d'un arc d'au moins 45_ environ et d'au plus 55_ environ, dont essentiellement tous les points de la surface extérieure sont substantiellement équidistants d'un centre géométrique unique. |
Le seul dessin que contient le brevet présente ces collerettes comme ayant un rayon constant. Les dimensions énoncées dans le brevet sont exprimées en millièmes de pouce (0,001 po). Ainsi, toutes les collerettes doivent être à une distance égale du centre géométrique, à 0,001 po près.
11. De plus, en ce qui a trait à l'antériorité connue des demanderesses, soit le brevet canadien n 578 485 (Henderson), pour être valide, le brevet en litige doit se distinguer du brevet Henderson par des collerettes « généralement hémisphériques » , à défaut de quoi ce brevet ne satisfait pas au critère de nouveauté ou est évident, ou les deux, et est donc invalide.
11A. En outre, le brevet américain Re 28 560 (Fling) redélivré le 30 septembre 1975 décrit, dans le dessin 1, un bouchon d'oreille doté de trois collerettes hémisphériques, dont la plus à l'arrière a un diamètre plus large que celui des autres; ce bouchon d'oreille est décrit dans le brevet à la colonne 2, lignes 23 à 40 comme étant « d'un genre bien connu » , ce qui signifie soit que le brevet en litige est dépourvu du critère de nouveauté, soit subsidiairement, qu'il est évident, soit les deux, et par conséquent qu'il est invalide.
12. Par conséquent, soit que les bouchons d'oreille des défenderesses ne contrefont pas le brevet en litige, soit que le brevet en litige est invalide parce qu'il n'était pas brevetable compte tenu de l'existence du brevet Henderson ou du brevet Fling, ou des deux, lesquels ont été délivrés plus de deux ans avant le dépôt de la demande de brevet en litige, soit que le brevet en litige est invalide parce que l'expression « généralement hémisphérique » qu'il contient est vague et ambiguë.
13. Quant aux dépens, il y a lieu de mentionner que les demanderesses Cabot Safety Intermediate et Aearo Company ont engagé les poursuites contre la défenderesse 3M devant la United States District Court du Southern District of Indiana, Indianapolis Division, affaire numéro IP99-0937-C D\F relativement au brevet américain N º 4 867 149, qui est l'équivalent du brevet canadien en litige en l'espèce. Le tribunal américain a statué que Cabot ne pouvait probablement pas établir que de tels bouchons d'oreille contrefaisaient le brevet américain et, plus particulièrement, qu'elle ne pouvait probablement pas établir que les collerettes sont « généralement hémisphériques » comme l'indique la description donnée au brevet. L'engagement de la présente action au Canada constitue un recours abusif au tribunal qui donne droit aux défenderesses d'obtenir des dépens sur une base avocat-client dans toutes les instances.
Règles de droit applicables aux précisions
[3] Les règles 174 et 181(2) des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) indiquent quelles normes s'appliquent aux actes de procédure en matière de précisions. Ces règles sont ainsi rédigées :
174. Tout acte de procédure contient un exposé concis des faits substantiels sur lesquels la partie se fonde; il ne comprend pas les moyens de preuve à l'appui de ces faits.
181. (2) La Cour peut, sur requête, ordonner à une partie de signifier et de déposer des précisions supplémentaires sur toute allégation figurant dans l'un de ses actes de procédure.
[4] Dans la décision Glaxo Canada Inc. c. Ministère de la Santé et du Bien-être social du Gouvernement du Canada et autres (1987), 15 C.P.R. (3d) 1 (C.F. 1reinst.) à la page 10, le juge Rouleau élabore ainsi sur l'exigence applicable en matière de précisions :
Des plaidoiries adéquates définissent avec précision et clarté la question en litige entre les parties. Les deux parties ont droit à un avis juste de la preuve qu'elles doivent faire pour pouvoir produire des éléments de preuve pertinents aux questions révélées par les plaidoiries [...]
[5] Toutefois, certaines restrictions semblent aussi s'appliquer à toute demande de précisions. Pour résumer, disons qu'avant de prononcer une ordonnance relativement à une telle demande, la Cour doit vérifier si la partie possède suffisamment d'information pour comprendre l'argument de la partie adverse et pour pouvoir y répondre en conséquence, qu'il s'agisse d'une défense ou d'une réponse. (Voir la décision Astra Aktiebolag c. Inflazyme Pharmaceuticals Inc. (1995), 61 C.P.R. (3d) 178 (C.F. 1reinst.), à la page 184.)
[6] Dans la décision Embee Electronic Agencies Ltd. c. Agence Sherwood Agencies Inc. et al (1979), 43 C.P.R. (2d) 285 (C.F. 1re inst.), à la page 287, le juge Marceau explique dans quelle mesure la partie défenderesse est en droit d'obtenir, à l'étape des actes de procédure, des précisions quant à la preuve de la partie demanderesse. J'estime que les observations suivantes du juge Marceau peuvent s'appliquer, avec les adaptations nécessaires, à la demande de précisions présentée par les demanderesses au sujet de la défense :
À ce stade préliminaire, un défendeur a le droit d'obtenir tous les détails qui lui permettront de mieux saisir la position du demandeur, de savoir sur quoi se fonde l'action contre lui et de comprendre les faits sur lesquels elle s'appuie, afin de pouvoir répondre intelligemment à la déclaration et énoncer correctement les moyens sur lesquels il appuie sa propre défense, mais il n'a pas le droit d'aller plus loin et d'en demander plus.
[Non souligné dans l'original]
Analyse
[7] Dans le paragraphe 9 de la défense, les défenderesses nient seulement que les collerettes aient une forme généralement hémisphérique. Le paragraphe 34 de la déclaration est divisé en 17 alinéas numérotés. Ces alinéas mentionnent des caractéristiques des bouchons d'oreille des défenderesses qui se trouvent dans les revendications du brevet canadien N º 1 261 278. Les défenderesses se contentent de nier ces alinéas. Les règles de la présente Cour exigent qu'une partie précise ce sur quoi elle se fonde pour opposer un tel déni. De plus, une partie qui ne conteste pas certaines allégations est tenue de les admettre.
[8] Par conséquent, en me fondant sur la décision que j'ai rendue dans l'affaire Cabot Safety Intermediate Corp. c. Arkon Safety Equipment Inc. (1996), 114 F.T.R. 260, (1996), 68 C.P.R. (3d) 490, dans une situation semblable à la présente, je vais ordonner aux défenderesses, en ce qui concerne le paragraphe 9 de la défense, soit d'admettre les allégations avancées dans chaque alinéa du paragraphe 34 de la déclaration, soit de préciser les faits substantiels sur lesquels elles se fondent pour nier l'allégation. Je ne suis pas d'accord avec les demanderesses qui prétendent qu'en agissant de la sorte, elles interpréteront les revendications exposées dans le brevet en litige. Jusqu'ici, elles ont répondu au paragraphe 34 et à ses alinéas; elles ont nié chacun d'entre eux. Par conséquent, elles les comprenaient et se sentaient capables d'y répondre. Tout ce qu'on leur demande maintenant c'est de développer leur réponse.
[9] Quant au paragraphe 12 de la défense, voici ce que sollicitent les demanderesses :
En ce qui concerne l'allégation du paragraphe 12 de la défense selon laquelle [TRADUCTION] « le brevet en litige est invalide parce qu'il n'était pas brevetable compte tenu de l'existence du brevet Henderson » , les défenderesses fourniront les précisions suivantes, à défaut de quoi le paragraphe sera radié :
(a) Les défenderesses exposeront précisément et en termes explicites sur quoi elles se fondent pour alléguer que le brevet canadien N º 1 261 278 est invalide compte tenu de l'existence du brevet Henderson. |
(b) Les défenderesses préciseront quels sont les éléments du brevet Henderson qui, selon elles, rendent le brevet canadien N º 1 261 278 invalide. |
(c) En ce qui concerne l'expression « généralement hémisphérique » , les défenderesses devront expliquer en quoi cette expression est vague et ambiguë. |
[10] Pour ce qui est des demandes mentionnées aux alinéas (a) et (b) ci-dessus, je suis convaincu qu'il n'est pas nécessaire d'obtenir des précisions supplémentaires. Les brevets en litige en l'espèce sont peu nombreux, explicites et courts. J'estime que les paragraphes 11 à 12 de la défense, dans leur libellé actuel, suffisent à permettre aux demanderesses de comprendre la position adoptée par les défenderesses dans cette partie de la déclaration et de préparer une réponse en conséquence conformément aux critères énoncés dans l'affaire Embee, précitée.
[11] Pour ce qui est de l'alinéa (c) ci-dessus, la situation est différente. Étant donné que le brevet en litige définit l'expression « généralement hémisphérique » et que les défenderesses ont nié la contrefaçon au paragraphe 9 de la défense en déclarant : [TRADUCTION] « les défenderesses nient que les collerettes aient une " forme généralement hémisphérique" comme l'indique le brevet » , je vais ordonner aux défenderesses de préciser quelle partie de la définition est ambiguë et d'expliquer pourquoi.
[12] Quant au paragraphe 13 de la défense, je ne suis pas entièrement convaincu qu'il faut considérer que la décision de la United States District Court, Southern District of Indiana, Indianapolis Division dans l'affaire N º IP-99-0937-C-D/F n'est pas pertinente à la présente instance que ce soit généralement ou plus précisément en ce qui a trait à la question des dépens. En outre, je suis à peu près sûr que les demanderesses ne subiront aucun véritable préjudice du fait que ce paragraphe reste dans la défense (voir le juge Teitelbaum, dans l'affaire Copperhead Brewing Co. Ltd. c. John Labatt Ltd. et al. (1995), 61 C.P.R. (3d) 317, à la page 322). Dans leurs observations écrites, les demanderesses ont précisé de la manière suivante quel préjudice leur causerait le paragraphe 13 :
[TRADUCTION] 53. Le paragraphe 13 donne une image trompeuse et incomplète de l'état de l'instance américaine. La décision en question est de nature interlocutoire et ne constitue une décision définitive d'aucune des questions en litige. En outre, elle est frappée d'appel.
54. Comme l'instance américaine est en cours, son état change constamment au fur et à mesure que de nouvelles étapes sont franchies et que le tribunal américain rend de nouvelles décisions. La référence statique contenue au paragraphe 13 ne peut tenir compte de l'évolution de l'instance américaine.
55. Enfin, et peut-être est-ce le plus important, le renvoi à un litige américain en cours contamine l'affaire dont la Cour est saisie. Un juge de la Cour fédérale du Canada doit trancher la question de la contrefaçon en se fondant sur le droit canadien et sur la preuve qui lui est soumise dans l'affaire. L'inclusion de cette allégation constitue une tentative manifeste de la part des défenderesses d'influencer irrégulièrement la présente Cour.
[13] Je suis convaincu que le juge du fond saura quelle importance il convient d'attribuer au paragraphe 13 dans les circonstances et qu'il ne se laissera pas embrouiller l'esprit. Par conséquent, je n'ordonnerai pas la radiation de ce paragraphe.
[14] Comme chacune des parties obtient en partie gain de cause, les dépens suivront le sort de la cause.
Richard Morneau
Protonotaire
MONTRÉAL, QUÉBEC
Le 27 juin 2000
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
N º DU GREFFE :
INTITULÉ DE LA CAUSE :
T-385-00
CABOT SAFETY INTERMEDIATE CORPORATION, AEARO COMPANY et AEARO CANADA LIMITED,
demanderesses,
ET
MINNESOTA MINING AND MANUFACTURING COMPANY et 3M CANADA COMPANY,
défenderesses.
LIEU DE L'AUDIENCE :Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :Le 21 juin 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE RICHARD MORNEAU le 27 juin 2000
ONT COMPARU :
Brian Daley George Locke |
pour les demanderesses |
Roger T. Hughes Stephen M. Lane Elizabeth Velentina |
pour les défenderesses |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ogilvy, Renault Montréal (Québec) |
pour les demanderesses |
Sim, Hughes, Ashton & McKay Toronto (Ontario) |
pour les défenderesses |
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 20000627
T-409-00
Entre :
CABOT SAFETY INTERMEDIATE CORPORATION,
AEARO COMPANY et AEARO CANADA LIMITED,
demanderesses,
ET
MINNESOTA MINING AND MANUFACTURING COMPANY et
3M CANADA COMPANY,
défenderesses.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE