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Date : 20051117

Dossier : T-1655-04

Référence : 2005 CF 1557

ENTRE :

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PERCEPTION DE LA COPIE PRIVÉE (SCPCP)

demanderesse

et

FUZION TECHNOLOGY CORP. et

1565385 ONTARIO INC. et

MICKEY YEUNG

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HUGHES

[1]                La Société canadienne de perception de la copie privée (la SCPCP) demanderesse a introduit la présente requête par écrit en vertu des dispositions de l'article 369 en vue d'obtenir les réparations suivantes :

A.       une ordonnance fondée sur l'article 107 des Règles de la Cour fédérale prescrivant l'instruction de la présente requête sous forme d'action ainsi que l'examen des questions soulevées dans la présente requête;

B.       une ordonnance fondée sur l'article 107 des Règles de la Cour fédérale scindant la présente instance après qu'elle aura été transformée en action et prescrivant que la question relative au droit de la SCPCP de vérifier les livres et registres de Fuzion Technologies Inc. et de 1565385 Ontario Inc. soit jugée et tranchée par la Cour en premier lieu, avant l'instruction des questions relatives à la responsabilité des défendeurs quant au paiement des redevances et des dommages-intérêts;

C.       à titre subsidiaire, si la Cour refusait d'accorder les réparations sollicitées aux paragraphes A et B, une ordonnance fondée sur l'article 312 des Règles de la Cour fédérale permettant à la SCPCP de déposer un ou plusieurs affidavits complémentaires à l'appui de sa requête et prorogeant le délai imparti à la SCPCP pour déposer et signifier son dossier de demande;

D.       toute autre réparation que l'avocat peut réclamer ou que la Cour pourra juger bon d'accorder.

[2]                La présente instance a été introduite sous forme de requête conformément aux dispositions du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, qui sont entrées en vigueur le 1er octobre 1999. La présente instance concerne le recouvrement de sommes que les défendeurs devaient à la demanderesse suivant le tarif homologué par la Commission du droit d'auteur, à l'égard de supports audio vierges, en vertu de la partie VIII de la Loi sur le droit d'auteur. La présente instance fait l'objet d'une gestion spéciale devant notre Cour. Les parties ont déposé des affidavits, certains contre-interrogatoires ont été menés, et plusieurs conférences de gestion de l'instance ont eu lieu.

[3]                Il ressort de la preuve que la demanderesse dans la présente instance, la SCPCP, a également introduit une instance, sous forme d'action, dans le dossier T-376-05 de la Cour fédérale contre des personnes qui ne sont pas parties à la présente demande en vue de recouvrer des sommes d'argent en vertu de la Partie VIII du tarif. L'enquête préalable a déjà eu lieu dans cette action.

[4]                Le fondement factuel de la présente requête de la demanderesse est exposé aux paragraphes 17 à 20 de l'affidavit de Laurie Gelbloom, dont voici la teneur :

[TRADUCTION]

17.                  Le 4 août 2005, au moment même où la SCPCP commençait à se renseigner auprès des clients de FTC, l'avocat de la SCPCP a mené un interrogatoire préalable dans l'affaire SCPCP c. Bx Pro Computer Ltd., 1597332 Ontario Ltd. et Vincent Chow, dossier no T-376-05. Au cours de cet interrogatoire, le déposant Vincent Chow a donné un témoignage qui concerne directement les questions litigieuses soulevées dans la présente demande, notamment celles ayant trait à la conduite potentiellement frauduleuse d'un ou de plusieurs des défendeurs.

18.                  L'avocat de la SCPCP m'a informé que M. Chow n'offrira pas de donner le même témoignage dans la présente instance, par crainte d'intimidation. La SCPCP demandera donc au besoin à la Cour, dans le dossier T-376-05, d'être libérée de son engagement implicite de confidentialité de manière à pouvoir verser au dossier de la présente affaire la déposition de M. Chow.

19.                  À la suite de l'interrogatoire préalable qui a eu lieu le 4 août, la SCPCP s'est renseignée auprès de plusieurs clients de FTC, ainsi qu'il ressort des affidavits de Michelle Roy McSpurren et de Karen Davidson qui ont été déposés en l'espèce.

20.                  La SCPCP souhaite transformer la présente requête en action pour pouvoir présenter de nouveaux éléments de preuve portant directement sur la conduite des défendeurs et sur la question de savoir si la Cour devrait ordonner la vérification des personnes morales défenderesses conformément aux dispositions des tarifs de perception de la copie privée qui ont été homologués en vertu de la partie VIII de la Loi sur le droit d'auteur.

[5]                Il convient d'examiner en premier lieu le volet de la présente requête dans lequel la demanderesse sollicite la conversion de la requête en action. Avant l'entrée en vigueur du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d'auteur, précitée, le 1er octobre 1999, les instances portant sur la violation du droit d'auteur et sur la perception de sommes d'argent dues en vertu d'un tarif devaient être introduites sous forme d'action devant la Cour fédérale ou devant une autre juridiction telle la cour supérieure d'une province. Le paragraphe 34(4) offre maintenant le choix à la personne qui souhaite introduire une telle instance de saisir le tribunal compétent d'une requête ou d'une action. La requête permet à la personne qui introduit l'instance de présenter sa preuve dès le début sous forme d'affidavit et elle oblige le défendeur à faire de même. Aucune des parties ne peut forcer l'autre à subir un interrogatoire préalable. En théorie du moins, on peut ainsi arriver plus rapidement et plus directement à l'instruction que dans le cas d'une action.

[6]                L'inconvénient que comporte la requête est le fait que la partie qui introduit l'instance doit être prête à présenter sa preuve dès le début. Elle ne peut compter sur la partie adverse pour obtenir d'autres éléments de preuve dans le cadre de la communication préalable. La partie adverse peut à son choix ne produire aucune preuve ou se contenter de présenter très peu d'éléments de preuve. La partie qui introduit l'instance doit essentiellement s'en remettre à sa propre preuve à l'étape de l'instruction.

[7]                Les Règles des Cours fédérales renferment, au sujet des requêtes, des dispositions qui donnent à la partie demanderesse une certaine possibilité de compléter sa preuve. Les articles 312 et 313 lui permettent de déposer des affidavits complémentaires, d'effectuer des contre-interrogatoires et de déposer des documents et d'autres pièces. L'article 316 permet à la Cour d'autoriser dans certaines circonstances une personne à témoigner quant à une question de fait. Les articles 87 à 100 prévoient l'interrogatoire de témoins à l'extérieur de la salle d'audience.

[8]                En vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, la Cour peut ordonner qu'une demande soit instruite comme s'il s'agissait d'une action. Toutefois, il est bien précisé que cette disposition constitue une exception au paragraphe (1), qui ne s'applique qu'aux articles 18.1 à 18.3 de la Loi, c'est-à-dire uniquement aux demandes de contrôle judiciaire. On ne peut dire que le paragraphe 18.4(2) s'applique à d'autres instances comme celles qui sont introduites sous forme de requête en vertu du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d'auteur.

[9]                On ne trouve dans les Règles aucune disposition portant expressément sur la conversion d'une requête en action. Le paragraphe 61(4) vise les cas comme celui qui nous occupe, dans lesquels une loi fédérale permet à une partie, à sa discrétion, d'engager une instance par voie d'action ou de demande. Aucune procédure de conversion n'y est toutefois prévue.

[10]            L'article 107 des Règles, que la demanderesse invoque en l'espèce, permet l'instruction distincte d'une question en litige dans une instance, notamment en ce qui concerne la procédure à suivre pour l'enquête préalable. À titre d'exemple, cet article a été invoqué au cours d'une action pour faire instruire séparément les questions relatives au montant des dommages-intérêts, mais non pour transformer une requête en action.

[11]            Dans des affaires ne portant pas sur un contrôle judiciaire, dont l'affaire KRAFT CANADA INC. c. EURO EXCELLENCE INC. (2003), 25 CPR (4th) 224, un protonotaire de notre Cour était saisi d'une requête présentée par la défenderesse pour convertir en action une instance introduite sous forme de requête en vertu du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d'auteur. Établissant une analogie avec l'article 18.4 de la Loi sur les Cours fédérales, le protonotaire a refusé de procéder à cette conversion pour cause d'insuffisance de la preuve. Dans l'affaire MERCK FROSST CANADA INC. c. CANADA (MINISTRE DE LA SANTÉ) (1997), 76 CPR (3rd) 468, un juge de la Cour fédérale été invité à convertir en une action une demande présentée en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133. Une telle instance doit être introduite par voie de demande, et c'était le défendeur qui demandait la conversion. La Cour a refusé de convertir l'instance au motif que cette mesure ne semblait pas indiquée. La Cour ne s'est pas demandé si le paragraphe 18.4(2) permettait d'accorder une telle réparation.

[12]            On pourrait avancer que la Cour a le pouvoir inhérent de contrôler sa propre procédure et, partant, de transformer une requête en action lorsque, pour reprendre les termes de l'article 3 des Règles, cette mesure constitue la solution « juste et [...] la plus expéditive et économique possible » . Dans l'affirmative, on ne peut prétendre qu'une action est plus expéditive ou plus économique qu'une requête. Mais une telle mesure est-elle « juste » ? Ici, la demanderesse avait le choix entre une requête et une action, et elle a opté pour une requête. Aucune loi et aucune règle ne la forçaient à le faire, et rien ne permet de penser que la demanderesse a fait ce choix par contrainte ou duperie. Il semble qu'elle regrette maintenant son choix parce qu'elle n'a pas pu constituer un dossier aussi exhaustif que ce qu'elle pourrait maintenant faire ou parce qu'elle considère maintenant qu'elle pourrait recueillir d'autres éléments de preuve s'il s'agissait d'une action. Le seul élément de preuve dont dispose la Cour et qui pourrait être convaincant à cet égard est le paragraphe 4 de son affidavit dans lequel Geldbloom déclare que [traduction] « la SCPCP souhaite convertir la présente requête en action afin de pouvoir présenter de nouveaux éléments de preuve [...] » Cet argument n'est pas suffisamment convaincant pour justifier la transformation en une action d'une instance que la demanderesse a elle-même choisi d'introduire sous forme de requête.

[13]            En résumé, le paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales ne s'applique pas aux instances introduites en vertu du paragraphe 34(4) de la Loi sur le droit d'auteur et l'article 107 des Règles des Cours fédérales ne s'applique pas. Même si la Cour avait une compétence inhérente, ce qui est loin d'être certain, on n'a établi aucune raison convaincante justifiant de procéder à une conversion lorsque le choix a été fait au départ par la partie qui cherche maintenant à obtenir une telle conversion. Ce volet de la requête est rejeté.

[14]            Quant au reste de la requête, la présente instance fait l'objet d'une gestion spéciale par un autre juge et par un protonotaire. Dans les présents motifs, on a mentionné plusieurs dispositions des Règles qui permettent de présenter des éléments de preuve complémentaires. Il convient tellement mieux que ces questions soient traitées par ceux qui sont chargés de la gestion de la présente instance. Le reste de la présente requête est donc rejetée, mais sous réserve du droit de la demanderesse de présenter la même requête ou une autre requête appropriée dans le cadre de la gestion de l'instance.

[15]            Quant aux dépens, la demanderesse n'a pas eu gain de cause sur un volet de la requête, et les autres aspects de la requête seront jugés à une date ultérieure. Des affidavits ont été déposés et un contre-interrogatoire a été mené au sujet de la requête examinée en l'espèce. La société à numéro défenderesse et le défendeur Yeung ont droit à la moitié des dépens et à la moitié de leurs débours, le tout devant être taxé selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III. Le sort des autres dépens et débours sera décidé par le juge ou le protonotaire chargé de la gestion spéciale de l'instance qui statuera sur toute requête présentée à la suite de la décision rendue au sujet de la présente requête.

« Roger T. Hughes »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 17 novembre 2005

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1655-04

INTITULÉ :                                        SOCIÉTÉ CANADIENNE DE PERCEPTION DE LA COPIE PRIVÉE

                                                            (SCPCP)

demanderesse

                                                            et

                                                            FUZION TECHNOLOGY CORP. et

                                                            1565385 ONTARIO INC. et

                                                            MICKEY YEUNG

défendeurs

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER À TORONTO (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 369 DES RÈGLES

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE HUGHES

DATE DES MOTIFS :                       LE 17 NOVEMBRE 2005

OBSERVATIONS ÉCRITES:

David R. Collier

POUR LA DEMANDERESSE

Igor Ellyn, c.r.

Orie H. Niedzviecki

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Ogilvy Renault srl

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Ellyn-Barristers

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

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