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Date : 20011217

Dossier : IMM-919-01

Référence neutre : 2001 CFPI 1391

ENTRE :

                                 NILDA GUADALUPE LARA et JOSE DANILO LARA

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE SIMPSON

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 9 février 2001, dans laquelle la Commission a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention (la décision).


[2]                 La décision se fonde sur trois conclusions principales quant à la crédibilité (les conclusions quant à la crédibilité). Chacune des conclusions fait intervenir l'omission de faits importants dans les Formulaires de renseignements personnels (FRP) des demandeurs. Les demandeurs ont imputé les omissions aux deux interprètes qui les ont aidés à élaborer les parties narratives de leurs FRP.

Les faits

[3]                 Les demandeurs, le frère et la soeur, sont des citoyens d'El Salvador. Ils allèguent une crainte fondée de persécution qui repose sur le refus opposé par la demanderesse aux attentions amoureuses non souhaitées d'un agent de police nommé Pedro.

[4]                 L'aventure de la demanderesse s'est déroulée de la manière suivante. Après le refus initial de la demanderesse, Pedro l'a menacée ainsi que sa famille et s'est mis à surveiller sa maison. Plusieurs mois plus tard, il l'a accostée et a tenté de la toucher, mais elle s'est sauvée (l'incident d'avril). Par la suite, les deux demandeurs ont été surpris par Pedro et un autre agent. Pedro a pris la demanderesse et a cherché à l'embrasser. Le demandeur ayant frappé Pedro, il a été battu et menacé par les deux agents de police.


[5]                 Le demandeur a signalé l'incident à un juge mais on lui a demandé de fournir d'autres éléments de preuve des voies de fait. Peu de temps après, Pedro et deux autres agents de police se sont rendus à la maison de la famille des demandeurs et ils ont allégué que les demandeurs étaient d'anciens membres du Front Farabundo Marti de libération nationale (le FMLN). Les agents seraient revenus une seconde fois avec un mandat d'arrêt contre les demandeurs. Ces derniers ne se trouvaient pas à la maison au moment de la visite des agents de police et ils ont quitté El Salvador quand ils ont appris l'existence du mandat d'arrêt contre eux.

[6]                 À l'audience, les demandeurs ont témoigné au sujet du mandat d'arrêt et identifié Pedro comme l'un des agents de police qui étaient venus à leur maison. Ils ont également témoigné au sujet de l'incident d'avril. Toutefois, aucun des ces trois éléments (les omissions) ne figurait dans les FRP des demandeurs, même s'ils ont témoigné en avoir discuté avec leurs interprètes.

[7]                 Par la suite, l'échange suivant s'est déroulé entre l'avocate des demandeurs et la Commission.

[traduction]

L'avocate :                                 Actuellement, il y a tant de choses qui n'ont pas été mentionnées dans le FRP, ils insistent sur le fait qu'ils les ont mentionnées à l'interprète, et je sais que c'est très important. Je pense que j'aurais besoin de directives pour savoir si nous devrions ajourner l'audience et faire témoigner l'interprète.

La Commission :                       Est-ce un interprète que vous connaissez très bien?

L'avocate :                                 Pas vraiment bien. Je n'ai travaillé avec lui que dans la présente affaire, une seule fois.

La Commission :                       C'est à vous de décider, Mme Shukuru. Je ne sais pas quoi vous dire. Si vous estimez que c'est très important...

L'avocate :                                 Le premier incident mentionné par Nilda - l'incident d'avril - n'est pas si important dans leur décision de quitter.

La Commission :                       Non.

L'avocate :                                 C'est juste... c'était seulement une explication des événements qui se sont produits.

La Commission :                       La chronologie.

L'avocate :                                 Oui. Et parfois, les gens l'associent à d'autres événements, et la soeur... J'ai demandé à la soeur et elle consent à venir expliquer que c'était mentionné. Elle... ils le lui ont mentionné. Mais je n'avais pas le sentiment que c'était important. Mais s'agissant du mandat d'arrêt, il est important, et leur connaissance de l'anglais est... sa connaissance à elle est pratiquement nulle. Lui a une connaissance limitée de l'anglais. Et voyant qu'ils ne pouvaient pas lire cela en anglais, j'estime que...


La Commission :                       Mais comment fonctionne-t-on habituellement? Ils le font en espagnol, puis c'est traduit en anglais?

L'avocate :                                 C'est traduit en anglais pour moi.

La Commission :                       Et c'est retraduit en espagnol à leur intention?

L'avocate :                                 Oui, c'est... lorsque nous nous rencontrons, ils racontent les incidents de nouveau, ce qui s'est passé.

La Commission :                       Ma seule préoccupation est de savoir si c'est équitable de demander à l'interprète s'il se souvient?

L'avocate :                                 Oui.

La Commission :                       Ils en font probablement un grand nombre.

L'avocate :                                 Oui.

La Commission :                       Et il a signé - c'est à vous de décider.

L'avocate :              Q.             Avez-vous mentionné le mandat à votre soeur, parce que votre soeur comprend... elle comprend l'anglais?

R.            Oui, je l'ai mentionné, parce que ma soeur est au courant de tout ce qui s'est passé. Nous le lui avons mentionné.

L'avocate :                                 Dans ce cas, la soeur est présente. Je ne lui ai pas parlé. Mais elle pourrait probablement venir et nous donner... parce que, j'en conviens, l'interprète qui a traduit cela... nous avons utilisé deux interprètes, l'un en... cela fait longtemps, presque un an.

Aussi, si la Commission m'y autorise, j'aimerais faire témoigner la soeur.                               La Commission :                           Oui.

[Non souligné dans l'original.]

La question soulevée

[8]                 Dans ce contexte, la question à trancher est de savoir si les conclusions quant à la crédibilité doivent être annulées en raison d'un manquement à la justice naturelle. Le fait que la Commission n'a pas ajourné l'audience pour permettre à l'avocate des demandeurs de faire témoigner les interprètes serait, allègue-t-on, un manquement à la justice naturelle. L'avocate des demandeurs avait espéré que les interprètes pourraient corroborer les explications des demandeurs au sujet des omissions.


[9]                 L'avocate actuelle des demandeurs (qui n'était pas à l'audience devant la Commission) qualifie l'échange ci-dessus entre la Commission et l'avocate de déni de justice naturelle. Elle prétend que la Commission ne s'est pas prononcée sur la demande d'ajournement et a contraint l'avocate des demandeurs à ne pas faire témoigner les interprètes parce qu'elle avait l'impression que leur témoignage n'aurait vraisemblablement que peu de valeur. Elle fait valoir que, comme la Commission et l'avocate des demandeurs reconnaissaient toutes les deux l'importance des omissions et le rôle que pouvaient jouer les interprètes dans l'explication de ces omissions, la Commission était tenue d'ajourner. Elle pousse même plus loin en affirmant que, si je devais conclure que la Commission n'a pas incité l'avocate à ne pas demander l'ajournement et que l'avocate a délibérément choisi de ne pas le faire, je devrais néanmoins conclure que la Commission était tenue d'ajourner l'audience et de demander à l'avocate de faire comparaître les interprètes. Cela tient au fait que la crédibilité était au coeur de l'affaire et que seuls les interprètes pouvaient dire si les demandeurs avaient mentionné les omissions au moment de l'élaboration de leurs FRP.

[10]            L'avocate du défendeur soutient qu'il n'y a pas eu déni de justice naturelle. Elle affirme que la Commission a reconnu l'importance du témoignage des interprètes et a simplement mis en doute l'utilité du témoignage. Quand la Commission a dit « C'est à vous de décider » , elle a tranché au sujet de la demande de l'avocate et clairement indiqué que l'ajournement était une option possible. Mais l'avocate a décidé de ne pas poursuivre dans cette voie.


Discussion

[11]            À mon avis, il ne s'agit pas d'un cas où la Commission aurait contraint l'avocate ou lui aurait refusé l'ajournement. Par conséquent, la seule question à trancher est de savoir si la Commission avait l'obligation d'ajourner et de faire comparaître les interprètes malgré la décision de l'avocate de ne pas les faire comparaître.

[12]            J'ai conclu qu'il n'y avait pas d'obligation du genre dans les circonstances de l'espèce. Quand un demandeur est représenté par un avocat, il incombe à l'avocat de présenter la preuve en faveur du demandeur et au commissaire de l'évaluer. Le commissaire n'est pas tenu de se substituer à l'avocat en décidant quels éléments de preuve doivent être produits pour le compte du demandeur.

Conclusion

[13]            Considérant ma conclusion que la Commission n'a pas manqué aux principes de la justice naturelle, les conclusions quant à la crédibilité sont confirmées. Cela étant posé, il n'est pas nécessaire d'examiner le reste des observations faites par l'avocate des demandeurs parce qu'elles ne modifieraient pas l'issue de la demande.

[14]            Pour ces motifs, la demande est rejetée.


Questions certifiées

[15]            L'avocate des demandeurs a présenté les questions suivantes pour en obtenir la certification :

1.        Dans le cas où le tribunal ne prend pas adéquatement en considération les Directives portant sur le sexe de la CISR à l'égard d'une demande de statut de réfugié liée au sexe, est-ce une erreur de droit susceptible de contrôle?

2.        Dans le cas où le tribunal ne fait que renvoyer aux Directives portant sur le sexe de la CISR dans les motifs sans indiquer les raisons pour lesquelles il n'a pas suivi ces directives à l'égard d'une demande de statut de réfugié liée au sexe, est-ce une erreur de droit susceptible de contrôle?

          3.        Dans le cas où le tribunal conclut qu'une femme qui n'a pas eu antérieurement de relations avec son agent de persécution ne peut être réputée appartenir à un groupe social particulier tombant sous la définition de réfugié au sens de la Convention à l'article 2 de la Loi sur l'immigration et selon les principes exposés dans la décision Ward, est-ce une erreur de droit susceptible de contrôle?


[16]            Ces questions concernent toutes la décision de la Commission portant que le demandeur n'était pas membre d'un groupe social particulier. J'ai indiqué à l'ouverture de l'audience que, nonobstant le fait que la Commission avait vraisemblablement commis une erreur dans sa définition du groupe social de la demanderesse, l'erreur devenait sans conséquence si les conclusions quant à la crédibilité étaient confirmées. Par conséquent, la certification est refusée parce qu'aucune des questions ne serait déterminante en appel.

           « Sandra J. Simpson »         

Juge

  

Ottawa (Ontario)

17 décembre 2001

    

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            IMM-919-01

INTITULÉ :                                          JOSE DANILO LARA ET AL.

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                   OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 13 NOVEMBRE 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LE JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :                        17 DÉCEMBRE 2001

COMPARUTIONS :

Mme SILVIA VALDMAN                                                            POUR LES DEMANDEURS

Mme MARIE CROWLEY                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme SILVIA VALDMAN                                                            POUR LES DEMANDEURS

OTTAWA (ONTARIO)

M. MORRIS ROSENBERG                                                         POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

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