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Date : 20060126

Dossier : IMM-8987-04

Référence : 2006 CF 79

Toronto (Ontario), le 26 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

NAIPAUL BALDEO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande concerne l'interprétation donnée à l'article 71 de la LIPR par la Section d'appel de l'immigration (la SAI). Dans sa décision, la SAI a considéré qu'elle était liée par la décision rendue par le juge Kelen dans Ai Hua Ye c. M.C.I., 2004 CF 964. Dans les motifs très détaillés qu'il a rédigés avec soin dans cette décision au sujet des principes d'interprétation législative, le juge Kelen a statué que l'article 71 permet à la SAI de rouvrir un appel seulement s'il y a eu manquement aux règles de justice naturelle. En d'autres termes, l'article 71 exclut implicitement le pouvoir conféré par la common law de rouvrir un appel afin de permettre à l'appelant de présenter des éléments de preuve additionnels ou nouveaux.

[2]                La question de la justice naturelle dont était saisie la SAI dans la présente affaire avait trait à la conduite du consultant en immigration représentant le demandeur lors de la première audience de la SAI ayant eu lieu avant l'entrée en vigueur de la LIPR. Lors de cette audience, le consultant en immigration n'a pas appelé les membres de la famille du demandeur à témoigner sur la question en equity de l'importance du préjudice qui serait causé à la famille si le demandeur était renvoyé du Canada. En conséquence, la SAI n'a pas accordé de redressement en equity. Dans la décision faisant l'objet du présent contrôle, la SAI a considéré que la preuve n'était pas suffisante pour conclure que le consultant en immigration était incompétent et, de ce fait, qu'il y avait eu manquement à la justice naturelle. Il est entendu que la norme de contrôle qui s'applique à cette conclusion est la décision raisonnable. Comme je l'ai mentionné au cours de l'audition de la présente demande, je ne dispose d'aucune preuve sur laquelle je puisse m'appuyer pour statuer que la conclusion de la SAI était déraisonnable. Par conséquent, cet aspect de la thèse du demandeur en l'espèce est rejeté.

[3]                En ce qui concerne l'interprétation correcte de l'article 71 de la LIPR, il importe de mentionner que la décision du juge Kelen a été appliquée par le juge Noël dans Griffiths c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 971, et par la juge Heneghan dans Nazifpour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1694.

[4]                Ainsi, trois juges de la Cour ont rendu des décisions bien motivées sur l'interprétation de l'article 71. L'avocat du demandeur me demande néanmoins en l'espèce de statuer que la décision du juge Kelen est erronée parce qu'il n'a pas bien appliqué les principes d'interprétation législative sur lesquels il s'est appuyé, a omis d'appliquer les articles 11 et 44 de la Loi d'interprétation, n'a pas rendu une décision conforme à l'objet de la LIPR, n'a pas tenu compte de la nécessité d'examiner les nouveaux éléments de preuve relatifs à l'intérêt supérieur de l'enfant touché en prenant en compte des considérations comme la Convention relative aux droits de l'enfant et l'article 7 de la Charte et a omis d'appliquer l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.

[5]                La thèse du demandeur soulève la question de la courtoisie judiciaire. Aussi, je dois décider si je devrais, comme le demandeur me le demande, conclure que le juge Kelen et, du même coup, les juges Noël et Heneghan ont mal interprété l'article 71. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a défini de manière détaillée ce qu'est la courtoisie judiciaire :

[TRADUCTION] Il est généralement admis que la présente cour doit se conformer à ses décisions antérieures, à moins que l'on puisse démontrer que celles-ci étaient manifestement erronées ou ne devraient plus être appliquées, par exemple (1) si la cour n'a pas tenu compte de dispositions législatives ou de précédents qui auraient entraîné un résultat différent ou (2) si les décisions entraîneraient une grave injustice si elles étaient appliquées. La raison que l'on invoque habituellement pour justifier cette attitude est la courtoisie judiciaire. Bien qu'il s'agisse sans aucun doute d'une raison fondamentale justifiant une telle approche, je pense qu'il existe un motif tout aussi fondamental, et peut-être même plus impérieux, pour expliquer cette approche, et il s'agit de la nécessité de certitude en droit, dans la mesure où celle-ci peut être établie. Les avocats se trouveraient dans une situation intenable lorsqu'ils conseillent leurs clients si une section de la cour était libre de trancher un appel sans tenir compte d'une décision antérieure ou du principe qui y était en cause.

(Bell c. Cessna Aircraft Co. (1983), 149 D.L.R. (3d) 509, à la page 511)

Cette décision a été appliquée par des juges de la Cour, plus précisément par le juge Richard (maintenant juge en chef de la Cour d'appel fédérale) dans Glaxo Group Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1995] A.C.F. no 1430, et par la juge Mactavish dans Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2005] A.C.F. no 1559. De son côté, la Cour d'appel a confirmé que la question est de savoir si la décision contestée est fondamentalement viciée (voir Janssen Pharmaceutica Inc. c. Apotex Inc., [1997] A.C.F. no 169).

[6]                À mon avis, rien dans la thèse du demandeur ne me permet de conclure que la décision rendue par le juge Kelen dans Ye est manifestement erronée, et il n'y aucune raison de dire que cette décision ne devrait plus être appliquée. Par conséquent, je suis d'avis, me fondant sur Ye, que la SAI a bien interprété la LIPR.

ORDONNANCE

          Par conséquent, j'ai rejeté la présente demande.

          Il ne fait aucun doute que la thèse du demandeur concernant la décision rendue par le juge Kelen dans Ye soulève une question de portée générale qui devrait être examinée en appel. Par conséquent, je certifie la question suivante à l'intention de la Cour d'appel fédérale :

1.              L'article 71 de la LIPR abolit-il, sauf dans les cas où la SAI a manqué à un principe de justice naturelle, la « compétence en equity » se prolongeant dans le temps que la common law confère à celle-ci et qui lui permet de rouvrir un appel?

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         IMM-8987-04

INTITULÉ :                                                        NAIPAUL BALDEO

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                LE 25 JANVIER 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                        LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                      LE 26 JANVIER 2006

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton                                                     POUR LE DEMANDEUR

Mielka Visnic                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann & Associates                                          POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)                                                

John H. Sims, c.r.                                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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