Date : 20020925
Dossier : IMM-5627-01
Référence neutre : 2002 CFPI 1002
Montréal (Québec), le 25 septembre 2002
En présence de : L'honorable juge Blais
ENTRE :
NEELAM RANI
NONU SINGH
partie demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
partie défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après le « tribunal » ) rendue le 8 novembre 2001 laquelle conclut que les demandeurs ne rencontrent pas la définition de « réfugié au sens de la Convention » .
Faits
[1] Les demandeurs sont citoyens de l'Inde. La demanderesse est née le 30 mars 1975 et son fils, le demandeur mineur, est né le 20 octobre 1996. Ils allèguent une crainte bien-fondée de persécution pour les motifs d'opinion politique et appartenance à un groupe social, la famille.
[2] Le mari de la demanderesse, Sartaj Singh, était réceptionniste pour l'Hotel Premier à Veer Marg, Jammu.
[3] Un jour pendant qu'il travaillait, la police a effectué un raid à l'hôtel dans le but d'arrêter des terroristes. Sartaj Singh a été arrêté, détenu et torturé à deux (2) reprises. Après sa troisième arrestation, il aurait été tué par la police.
[4] Le tribunal a demandé au centre de recherche de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) de vérifier auprès de l'hôtel si effectivement Sartaj Singh avait travaillé à cet endroit.
[5] Le 12 septembre 2001, le tribunal a appris que Sartaj Singh était toujours à l'emploi de l'hôtel, ce qui contredisait le témoignage de la demanderesse à l'effet que son mari avait été tué par la police.
[6] Le tribunal, lors d'une seconde audience, a confronté la demanderesse avec de l'information contradictoire et finalement conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.
Question en litige
[7] La seule question en litige est celle de savoir si le tribunal a enfreint les règles de justice naturelle en acceptant en preuve le résultat de la recherche effectuée auprès du gérant de nuit de l'Hotel Premier où Sartaj Singh travaillait sans ajourner l'audition pour permettre à la procureure des demandeurs de vérifier la source de l'information et de contre-interroger l'agente Judith Malka qui a effectué la recherche.
[8] Après la conclusion de la première audience, le membre du tribunal a indiqué qu'il avait l'intention de vérifier certains faits. Le membre a fait une demande d'information au centre de recherche de la CISR ("A Request for Information") concernant Sartaj Singh. Le 12 septembre 2001, le membre a obtenu une note de service de la part de l'agente Judith Malka qui l'informait qu'une personne du nom de Sartaj Singh travaillait toujours comme réceptionniste à l'Hotel Premier à Jammu.
[9] La procureure des demandeurs a reçu une copie de cette demande d'information et de la réponse. Le 7 novembre 2001, les parties ont été reconvoquées pour que la demanderesse soit confrontée à ce document.
[10] À la page 2 de la décision, le tribunal écrit:
Having analysed all the evidence both oral and written, the panel finds that the claimants are not convention refugees for the following reasons:
The claims at bar stem from the husband's employment as a receptionist at the hotel Premier in Jammu. The claimants, in order to corroborated [sic] the employment and support their claims submitted exhibit P-6, a letter of reference from the hotel in question. The letter confirms Sartaj's employment at the hotel from July 6, 1994 to October 18, 1999. The panel decided to validate P-6 and made a request for information regarding the existence of the hotel as well as a confirmation of the principle's [sic] claimant's husbands' [sic] employment in said hotel. In a memorandum dated September 12, 2001 from the specific Information Research unit of the Immigration and Refugee Board, the panel discovered that a Mr. Sartaj Singh is currently employed at the Hotel Premier as a receptionist and that he is the only Sartaj Singh in the hotel's employment. The panel also discovered that Avatar [sic] Singh is not the owner of the hotel as mentioned in exhibit P-6. During a second sitting of the hearing on November 7, 2001, the claimant was asked to explain the contradiction between her exhibit P-6 and the findings of the Research Unit. She was unable to give any type of satisfactory explanation other than to say that her husband had been employed at the Hotel and that he had been killed. The request for information clearly discredits the claimants' story of persecution and as such the panel concludes that the alleged persecution was a total fabrication.
(Mon soulignement)
[11] La pièce P-6 (page 17 du Dossier de la partie demanderesse au soutien de sa demande d'autorisation pour un contrôle judiciaire ) est mentionnée à plusieurs reprises dans cet extrait. Il s'agit d'une lettre en date du 21 février 2001, signée par le propriétaire de l'Hotel Premier, Avtar Singh, qui se lit comme suit:
TO WHOM IT MAY CONCERN
It is certified that Mr. SARTAJ SINGH S/o Sh. SURINDER SINGH, was working as Receptionist in our Hotel from 6 July, 1994 to 18 October, 1999 as per the record of Hotel.
[12] L'audience du 7 novembre 2001 n'a eu lieu que pour permettre à la partie demanderesse de répondre à la nouvelle preuve soumise.
[13] Comme elle était au courant de la teneur du mémo de madame Judith Malka, Refugee Claim Officer, daté du 12 septembre 2001, la partie demanderesse aurait pu assigner à comparaître l'une ou l'autre des personnes impliquées dans la préparation de ce mémo, à l'audition du 7 novembre 2001 mais elle ne l'a pas fait; une période de presque deux mois s'est écoulée entre le mémo (12 septembre 2001) et l'audition (7 novembre 2001).
[14] À l'audience du 7 novembre 2001, la demanderesse a témoigné pour contrer la nouvelle preuve sans apporter de faits nouveaux sinon qu'elle avait, sans succès, tenté de rejoindre l'hôtel où travaillait son mari à cinq ou six reprises et que la ligne était occupée.
[15] La procureure des demandeurs a élaboré longuement sur ses difficultés à rejoindre l'hôtel en Inde et madame Malka, auteure du mémo.
[16] Lorsque la preuve a été close, la procureure des demandeurs a présenté sa plaidoirie orale et à la fin elle précise à la page 267 du dossier du tribunal :
Moi c'est ce que je vous soumets, je me sens assez démunie moi-même pour vous apporter quelque chose aujourd'hui. Moi c'est ça que je vous soumets. Puis si par contre vous voulez assigner le ... celui qui a fait cette recherche-là, moi ... qu'est-ce que vous voulez, moi j'étais ... je suis, je suis une avocate, je suis pas une détective moi pour savoir qui a pu appeler, puis comment, puis tout ça, puis essayer de rentrer dans les secrets d'Immigration Canada.
Alors moi je vous soumets ça humblement, que selon moi vous ne devriez pas tenir compte de ce mémo, de cette note de service, que personne est venu défendre aujourd'hui, qui a pas été vérifié par personne, à ce que je sache, d'ici et que j'ai pu moi laisser des messages autant comme autant à madame Malka et que ça pas eu l'air de la déranger. Ça dérange pas grand monde, mais ma cliente peut être extrêmement dérangée par exemple si on l'accepte en preuve.
Alors je vous demande de ne pas tenir compte de ce mémo pour prendre en délibéré le dossier de madame Rani, s'il vous plaît.
[17] Dans la décision Abdoli c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 383, le juge Muldoon s'est prononcé en ces termes :
Il existe cependant une question d'équité, en ce sens que le requérant n'a pu contre-interroger l'agent d'immigration ni M. Sourani, le témoignage de ces personnes ayant servi àmettre en doute la crédibilité du requérant. Celui-ci a toutefois étédûment aviséàce sujet, et il a eu la possibilitéde répondre. Comme l'agent d'audience n'a jamais citél'agent d'immigration àtémoigner dans le cadre d'un interrogatoire principal, le requérant n'a pas étéprivé de la possibilitéde contre-interroger. Si le requérant désirait interroger l'agent d'immigration sur la teneur de la lettre du 27 décembre 1992, il aurait pu alors envoyer une citation àcomparaître àl'auteur de ce pli et l'interroger au moment de l'audience, et le cas échéant, il aurait pu demander au tribunal de la SSR de déclarer que l'agent d'immigration était un témoin hostile. Le requérant a choisi de ne pas adopter cette solution, et partant, la SSR n'a pas portéatteinte au droit du requérant de bénéficier de la justice naturelle ainsi que d'un traitement équitable en matière de procédure.
(Mon soulignement)
[18] Dans Siad c. Canada (Secrétaire d'État) (C.A.), [1997] 1 C.F. 608, page 11, le juge McDonald, au nom de la Cour d'appel, précise : (par. 27)
De plus, l'admission du témoignage du professeur Samatar n'était pas injuste dans les circonstances de l'espèce, surtout parce que l'avocat du demandeur a eu toute la possibilité de s'opposer à son admission avant l'audition, de demander le contre-interrogatoire avant l'audition, de produire la contre-preuve et de présenter des observations quant au poids que le tribunal devrait y attribuer.
[19] Je souscris tout à fait à ce raisonnement. Le tribunal n'a pas enfreint les règles de justice naturelle en acceptant la preuve obtenue par le centre de recherche de la CISR puisque la partie demanderesse n'a pas formellement demandé à contre-interroger les personnes impliquées dans la préparation du mémo du 12 septembre 2001, et n'a pas non plus demandé de remise pour ce faire, mais a plutôt choisi de se faire entendre en contre-preuve pour nier purement et simplement le contenu du mémo en ajoutant en fin de plaidoirie que le tribunal ne devait pas tenir compte de ce mémo.
[20] Le tribunal était en droit de mesurer la crédibilité de la demanderesse et surtout la prépondérance de la preuve qui lui était présentée. C'est ce qu'il a fait.
[21] L'intervention de cette Cour ne m'apparaît pas justifiée dans les circonstances.
ORDONNANCE
En conséquence, la présente requête pour contrôle judiciaire est rejetée.
Les parties n'ont soumis aucune question pour certification.
"Pierre Blais"
juge
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20020925
Dossier : IMM-5627-01
Entre :
NEELAM RANI
NONU SINGH
partie demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
partie défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5627-01
INTITULÉ :
NEELAM RANI
NONU SINGH
partie demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
partie défenderesse
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : le 24 septembre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :
L'HONORABLE JUGE BLAIS
DATE DES MOTIFS : le 25 septembre 2002
COMPARUTIONS:
Me Eveline Fiset POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Me Caroline Cloutier POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Me Eveline Fiset POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)