Date : 20031003
Dossier : T-453-00
Référence : 2003 CF 1139
OTTAWA (ONTARIO), LE 3 OCTOBRE 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DENIS PELLETIER
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
demandeur
et
JACOB FAST
défendeur
CONCLUSIONS DE LA COUR ET MOTIFS
[1] Le 24 septembre 1999, le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration a écrit à M. Jacob Fast (M. Fast), qui a obtenu la citoyenneté canadienne en 1954, pour l'aviser de son intention de demander au Cabinet de révoquer sa citoyenneté au motif qu'elle avait été obtenue par fausses déclarations au sujet de sa citoyenneté allemande et de ses liens avec la police nazie, ou par leur dissimulation intentionnelle. M. Fast a exercé son droit de demander le renvoi devant la Cour fédérale du Canada pour qu'elle décide si, dans son cas, « l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue [...] par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels » . L'affaire a été portée devant la Cour fédérale par le dépôt d'une déclaration. En conséquence, des audiences ont été tenues au Canada et à Zaporozhye, en Ukraine, pour recueillir la preuve relative à M. Fast, à ses activités en temps de guerre et à sa citoyenneté. Une preuve a aussi été présentée au sujet des procédures utilisées à l'époque où M. Fast a immigré au Canada.
[2] Au vu de la longueur de ces motifs, il y a lieu d'exposer comment ils sont organisés pour en faciliter la lecture. La première étape porte sur une série de questions préliminaires relatives aux aspects formels de l'enquête. Qui a le fardeau de la preuve et qu'elle est la norme applicable? La portée de l'enquête est-elle déterminée par l'avis du ministre ou par la déclaration déposée par le ministre? Les divers documents mentionnés au cours de l'examen du dossier sont-ils admissibles en preuve et quel poids doit-on leur accorder?
[3] Une fois ces questions préliminaires réglées, l'étape suivante consiste à déterminer si le défendeur Jacob Fast est bien la personne dont il est question dans les documents historiques. Les documents déposés par le ministre font état de l'existence d'un Jakob Fast, qui habitait à Zaporozhye, en Ukraine, au début des années 40. Ils font aussi état d'un Jakob Fast qui a été naturalisé allemand en 1944. La première tâche consiste à déterminer si l'une ou l'autre de ces personnes, ou les deux, correspondent au Jacob Fast qui est devenu citoyen canadien en 1954. Si aucune de ces deux personnes est le Jacob Fast en cause ici, il n'y a pas lieu de pousser l'examen plus avant.
[4] S'il est démontré que Jacob Fast est effectivement la personne qui vivait à Zaporozhye en 1941, la prochaine étape consistera à déterminer ce que M. Fast faisait durant l'occupation nazie de Zaporozhye. De la même façon, il est nécessaire de déterminer si M. Fast est devenu citoyen allemand en 1944. S'il n'est pas démontré que M. Fast a commis les actes au sujet desquels il aurait fait de fausses déclarations ou qu'il aurait dissimulé de façon intentionnelle, alors il n'y a pas lieu de pousser l'examen plus avant.
[5] S'il est démontré que M. Fast avait des liens avec les forces occupantes nazies à Zaporozhye, ou qu'il est devenu citoyen allemand par naturalisation, la prochaine étape consistera à déterminer s'il a fait de fausses déclarations ou s'il s'est livré à une dissimulation intentionnelle à ce sujet. Ceci exige un examen des procédures d'immigration et de sécurité en vigueur à l'époque où M. Fast a immigré au Canada. S'il n'est pas démontré qu'il y a eu fausses déclarations ou dissimulation d'un fait essentiel, l'affaire n'aura aucune suite.
[6] S'il est démontré que M. Fast a fait de fausses déclarations ou a omis de faire état de ses activités en temps de guerre ou de sa citoyenneté allemande, il faudra alors examiner la compétence du gouvernement d'exclure quelqu'un du Canada en se fondant sur des préoccupations relatives à la sécurité.
[7] Ayant suivi la démarche que je viens d'exposer, je suis arrivé à la conclusion que le défendeur Jacob Fast a vécu à Zaporozhye, en Ukraine, de 1941 à 1943, et qu'il est devenu citoyen allemand en 1944. La preuve m'a convaincu que, d'une façon ou d'une autre, le défendeur Jacob Fast a été associé à la section politique de la police auxiliaire autochtone dans la ville de Zaporozhye durant l'occupation nazie de cette ville. Je ne peux toutefois conclure qu'il était policier ou qu'il dirigeait la section politique, comme le prétend le ministre.
[8] Je suis convaincu que M. Fast n'a pas été interrogé par un agent de sécurité dans le cadre de la procédure qui a mené à son acceptation comme immigrant au Canada. Je suis aussi convaincu que M. Fast a été interrogé par deux agents d'immigration, chacun d'eux s'étant enquis de sa citoyenneté. Toutefois, comme M. Fast possédait évidemment une double citoyenneté, son affirmation qu'il était citoyen russe (ou soviétique) ne constitue pas une fausse déclaration. Je conclus toutefois que M. Fast a intentionnellement dissimulé sa citoyenneté allemande en permettant qu'une réponse partielle tienne lieu de réponse complète à la question portant sur sa citoyenneté, sachant que sa citoyenneté allemande était un fait essentiel pour décider de son admission au Canada.
LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
[9] Les dispositions pertinentes de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, sont rédigées comme suit :
10. (1) Sous réserve du seul article 18, le gouverneur en conseil peut, lorsqu'il est convaincu, sur rapport du ministre, que l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, prendre un décret aux termes duquel l'intéressé, à compter de la date qui y est fixée : |
|
10. (1) Subject to section 18 but notwithstanding any other section of this Act, where the Governor in Council, on a report from the Minister, is satisfied that any person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship under this Act by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances, |
|
|
|
a) soit perd sa citoyenneté; |
|
(a) the person ceases to be a citizen, or |
|
|
|
b) soit est réputé ne pas avoir répudié sa citoyenneté. |
|
(b) the renunciation of citizenship by the person shall be deemed to have had no effect, as of such date as may be fixed by order of the Governor in Council with respect thereto. |
|
|
|
(2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens.
[ . . . ] |
|
(2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship.
. . . |
|
|
|
18. (1) Le ministre ne peut procéder à l'établissement du rapport mentionné à l'article 10 sans avoir auparavant avisé l'intéressé de son intention en ce sens et sans que l'une ou l'autre des conditions suivantes ne se soit réalisée : |
|
18. (1) The Minister shall not make a report under section 10 unless the Minister has given notice of his intention to do so to the person in respect of whom the report is to be made and |
|
|
|
a) l'intéressé n'a pas, dans les trente jours suivant la date d'expédition de l'avis, demandé le renvoi de l'affaire devant la Cour; |
|
(a) that person does not, within thirty days after the day on which the notice is sent, request that the Minister refer the case to the Court; or |
|
|
|
b) la Cour, saisie de l'affaire, a décidé qu'il y avait eu fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. |
|
(b) that person does so request and the Court decides that the person has obtained, retained, renounced or resumed citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances. |
|
|
|
(2) L'avis prévu au paragraphe (1) doit spécifier la faculté qu'a l'intéressé, dans les trente jours suivant sa date d'expédition, de demander au ministre le renvoi de l'affaire devant la Cour. La communication de l'avis peut se faire par courrier recommandé envoyé à la dernière adresse connue de l'intéressé. |
|
|
|
|
|
(2) The notice referred to in subsection (1) shall state that the person in respect of whom the report is to be made may, within thirty days after the day on which the notice is sent to him, request that the Minister refer the case to the Court, and such notice is sufficient if it is sent by registered mail to the person at his latest known address.(3) La décision de la Cour visée au paragraphe (1) est définitive et, par dérogation à toute autre loi fédérale, non susceptible d'appel. |
|
(3) A decision of the Court made under subsection (1) is final and, notwithstanding any other Act of Parliament, no appeal lies therefrom. |
|
|
|
LES QUESTIONS PRÉLIMINAIRES
Le lien entre l'avis du ministre et la déclaration
[10] L'avis du ministre est rédigé comme suit :
SOYEZ AVISÉ que la Ministre de la citoyenneté et de l'immigration entend faire rapport au Gouverneur en conseil aux termes des articles 10 et 18 de la Loi sur la Citoyenneté, L.RC. (1985), ch. C-29, modifiée, au motif que : |
|
TAKE NOTICE that the Minister of Citizenship and Immigration intends to make to the Governor in Council a report within the meaning of sections 10 and 18 of the Citizenship Act, R.S.C. 1985, c. C-29, as amended, on the grounds that: |
|
|
|
1) Vous avez été admis au Canada avec droit d'établissement en résidence permanente et avez acquis la citoyenneté canadienne par fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, ayant en 1947 omis de révéler aux autorités canadiennes chargées de la sélection des demandeurs désireux d'immigrer au Canada et aux autorités de l'immigration que : |
|
1) You have been admitted to Canada for permanent residence and have obtained Canadian citizenship by false representations or fraud or by knowingly concealing material circumstances in that in 1947 you failed to divulge to Canadian officials responsible for selecting applicants wishing to come to Canada and all other immigration officials: |
|
|
|
- Vous étiez un citoyen allemand et, en conséquence, une personne inadmissible au Canada; et/ou |
|
- That you were a German Citizen and therefore an Enemy Alien and inadmissible to Canada; and/or |
|
|
|
2) Vous avez été admis au Canada avec droit d'établissement en résidence permanente et avez acquis la citoyenneté canadienne par fausse déclaration, fraude ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels, ayant en 1947 omis de révéler aux autorités canadiennes chargées de la sélection des demandeurs désireux d'immigrer au Canada vos activités au cours de la Seconde guerre mondiale, notamment : |
|
2) That you have been admitted to Canada for permanent residence and have obtained Canadian citizenship by false representations or fraud or by knowingly concealing material circumstances in that, in 1947, you failed to divulge to Canadian officials responsible for selecting applicants wishing to come to Canada your activities during the Second World War, including: |
|
|
|
- Votre collaboration avec les autorités d'occupation allemandes de ce qui constitue maintenant l'Ukraine; |
|
|
|
|
|
- Your collaboration with German occupation authorities in Ukraine;- Vos liens avec le service de police auxiliaire autochtone organisé par les Allemands dans la ville de Zaporozhye; |
|
- Your association with the German sponsored indigenous auxiliary police forces of Zaporozhye; |
|
|
|
- Votre association avec la Police de Sécurité et le Service de la Sécurité (Sicherheitspolizei und SD) allemands; ou |
|
-Your association with the German Security Police and Security Service (Sicherheitspolizei und SD);
Or |
|
|
|
- Autres activités auxquelles vous avez été mêlé et qui vous rendaient inadmissible et vous interdisaient l'entrée au Canada au moment ou vous êtes entré [...] |
|
- Other wartime activities in which you were involved and which would have rendered you inadmissible to Canada at the time of your coming to Canada; |
|
|
|
[11] La déclaration est beaucoup plus élaborée et on y trouve le détail des activités de M. Fast en temps de guerre, ainsi que de sa demande de citoyenneté canadienne en 1953. On y trouve aussi plusieurs paragraphes portant sur l'histoire de l'occupation nazie de l'Europe de l'Est, ainsi que sur la structure de diverses organisations nazies, de l'administration militaire et civile des territoires occupés, ainsi que de la police auxiliaire autochtone. On y fait aussi état des procédures utilisées pour évaluer et traiter les demandes d'immigration au Canada lors de la période qui a immédiatement suivi la guerre.
[12] En ce qui concerne M. Fast, les allégations essentielles sont les suivantes :
[traduction]
[...]
2. Le défendeur Jacob Fast est né le 23 juin 1910 dans l'une des communautés mennonites riveraines de la Dnepr, près de la ville de Zaporozhye (connue en allemand sous le nom de Saporoshje), qui se trouve à 80 kilomètres au sud de Dnepropetrovsk dans l'Ukraine actuelle.
3. Les activités de Jacob Fast en temps de guerre étaient concentrées dans la région immédiate de Zaporozhye. La ville de Zaporozhye a présentement près de 900 000 habitants et, lors de l'occupation allemande, on y trouvait à peu près 350 000 habitants.
4. À partir d'octobre 1941 et jusqu'en 1944, Jacob Fast était associé à la police de sécurité et la SD allemande (Sipo/SD), une organisation que l'on sait avoir assassiné des centaines de milliers de civils dans les territoires occupés par l'Allemagne, dans le cadre du programme nazi visant l'extermination des personnes jugées indésirables, du fait de leur origine raciale ou de leur opinion politique.
5. À partir de 1941 et jusqu'en 1944, Jacob Fast faisait partie du, dirigeait le, ou était associé au, département de police auxiliaire autochtone, unité de la ville de Zaporozhye (connu comme la « police politique » , « département politique » , ou simplement « SD » par les résidents locaux). Ce département était chargé de la mise en oeuvre des politiques de la Sipo/SD allemande dans la région de Zaporozhye.
6. Le 21 janvier 1944, Jacob Fast est devenu citoyen allemand.
7. Jacob Fast est arrivé au Canada le 31 juillet 1947, accompagné de son épouse et de ses enfants. Ils ont reçu le droit d'établissement au Canada le même jour.
8. Jacob Fast a présenté sa requête pour obtenir la citoyenneté canadienne le 15 septembre 1953, à St. Catharines (Ontario). Il est devenu citoyen canadien le 28 juin 1954.
[...]
22. Les résidents locaux membres de l'ethnie allemande ne pouvaient devenir membres de la Sipo/SD allemande, mais ils pouvaient s'y associer afin d'aider les EG, EK et KdS à accomplir leurs tâches dans la région.
23. À partir d'octobre 1941 et jusqu'en 1944, Jacob Fast était associé à, ou travaillait avec, la Sipo/SD allemande.
[...]
32. Sous l'occupation allemande, la police politique a été responsable d'arrestations, de détentions, de mauvais traitements et de tortures infligées aux prisonniers, et ultimement de leur déportation dans des camps de concentration en Pologne et en Allemagne.
33. Les prisonniers de la police politique étaient soumis à des conditions de détention inhumaines, ainsi qu'à des séances d'interrogation et de torture. On ne sait pas combien d'entre eux ont été exécutés.
34. La police politique, en sa qualité d'auxiliaire de la Sipo/SD, était chargée de la mise en oeuvre des politiques de la Sipo/SD allemande visant la persécution et l'exécution des juifs, des communistes et d'autres personnes considérées comme des ennemis du Troisième Reich.
35. La police auxiliaire de Zaporozhye, y compris la police politique, a participé au rassemblement et à l'exécution de la population juive de la ville de Zaporozhye.
36. Jacob Fast a dirigé, été un membre, ou été associé à, la police politique de Zaporozhye à l'époque où le département en cause se livrait aux activités susmentionnées.
37. Jacob Fast a été personnellement responsable de l'arrestation de certaines personnes et des mauvais traitements qui leur ont été infligés. Certaines d'entre elles ont par la suite été déportées dans des camps de concentration.
[...]
39. Jacob Fast a quitté Zaporozhye au début du mois d'octobre 1943. Après un court séjour dans la ville de Nikopol, au sud de Zaporozhye, il s'est rendu à Preuflisch Stargard, alors en Allemagne (mais maintenant en territoire polonais). Il est arrivé à cet endroit en décembre 1943.
40. Le 21 janvier 1944, Jacob Fast a demandé pour lui et sa famille la citoyenneté allemande auprès de l'Einwandererzentralstelle (EWZ) (bureau central de l'immigration) à Kulm, alors en Allemagne (mais maintenant en territoire polonais). Le processus n'a pris qu'une journée et Fast et sa famille ont obtenu la citoyenneté allemande.
[...]
45. Le cas de Jacob Fast a été examiné par le CIGR qui lui a accordé son aide. Par la suite, le CIGR lui a délivré un formulaire MS-l, document qui tenait lieu de titre de voyage.
[...]
66. Le 15 juillet 1946, Henry Peter Toews, d'Arnaud au Manitoba, l'oncle de l'épouse de Jacob Fast, Natalie, a demandé l'admission au Canada de Jacob Fast et de sa famille, présentant à cette fin un formulaire IMM-55.
67. Le formulaire IMM-55 décrivait Jacob Fast et sa famille comme des personnes déplacées d'origine mennonite russe. On n'y indiquait pas que Jacob Fast et sa famille étaient citoyens allemands. On n'y indiquait pas non plus que Jacob Fast avait été associé à l'autorité occupante allemande et, notamment, à la Sipo/SD allemande.
68. En leur qualité de personnes déplacées, Jacob Fast et sa famille ont reçu des visas canadiens, délivrés à Hanovre le 13 juin 1947.
69. Jacob Fast et sa famille ont quitté l'Allemagne pour se rendre au Canada sur le navire SS General Stewart. Arrivés à Halifax le 31 juin 1947, ils ont été interrogés par un agent d'immigration. Le même jour, Jacob Fast et sa famille ont reçu le droit d'établissement au Canada.
70. La Déclaration au gouvernement canadien (appelée aussi le manifeste du navire), document consigné par l'agent d'immigration au port d'entrée, porte que la famille Fast était constituée de personnes déplacées à qui on avait délivré des visas à Hanovre, en Allemagne, précisant qu'ils étaient Russes. Jacob Fast n'a pas déclaré à l'agent d'immigration qu'il était citoyen allemand.
71. Dans ses déclarations au CIGR, à l'agent de sécurité, à l'agent des visas et à tous les autres agents d'immigration, Jacob Fast a intentionnellement dissimulé le fait qu'il était citoyen allemand et qu'il s'était volontairement associé à l'autorité occupante allemande.
72. Jacob Fast a fait une fausse déclaration à l'agent de sécurité, à l'agent des visas et à tous les autres agents d'immigration qui ont été saisis de sa demande, en leur disant qu'il était une personne déplacée de citoyenneté russe qui n'avait ni servi l'autorité occupante allemande, ni collaboré avec elle.
73. À cause des fausses déclarations de Jacob Fast et de sa dissimulation de renseignements essentiels au sujet de sa citoyenneté et de ses activités en temps de guerre, les autorités canadiennes n'ont pas reçu les informations pertinentes qui auraient pu leur permettre de déterminer de façon valable si Jacob Fast devait être admis au Canada, ou si l'on devait lui délivrer un visa.
74. Si le CIGR, l'agent de sécurité, l'agent des visas et tous les autres agents d'immigration avaient été au courant du fait que Jacob Fast était citoyen allemand, qu'il s'était joint volontairement à la police politique et qu'il avait été associé à la Sipo/SD allemande, ainsi que de la nature de ses activités en temps de guerre, il n'aurait pas été admis au Canada et on ne lui aurait pas délivré un visa.
75. N'ayant pas été admis légalement au Canada, Jacob Fast n'a pu acquérir un domicile canadien en vertu de la Loi sur l'immigration.
76. Le 15 septembre 1953, Jacob Fast a demandé la citoyenneté canadienne à St. Catharines, en déposant une requête pour obtenir la citoyenneté (la requête). Il déclare dans sa requête être né à Tiegenhagen, en Ukraine (Russie). Il a déclaré qu'à sa naissance il était citoyen russe et qu'au moment de déposer sa requête il était apatride.
77. À l'époque où Jacob Fast a demandé la citoyenneté, le fait d'être une personne de bonne vie et moeurs et l'acquisition d'un domicile canadien étaient deux conditions essentielles à l'obtention de la citoyenneté canadienne.
78. Jacob Fast s'est présenté aux autorités canadiennes comme une personne de bonne vie et moeurs, nonobstant le fait qu'il n'avait pas déclaré avoir acquis la citoyenneté allemande, non plus que s'être associé volontairement à la Sipo/SD allemande. Il n'avait pas non plus fait état de ses activités en temps de guerre.
79. De plus, Jacob Fast n'a pas indiqué dans quelles circonstances il avait obtenu le droit d'établissement au Canada. Il n'a rien dit au sujet du fait qu'il n'avait pas déclaré à l'agent d'immigration au port d'entrée qu'il était citoyen allemand et, par conséquent, une personne non admissible. Au contraire, dans sa requête Jacob Fast a déclaré qu'il était une personne de bonne vie et moeurs.
80. Jacob Fast a déclaré qu'il avait acquis un domicile canadien. À l'époque où il a fait sa demande de citoyenneté canadienne, il fallait avoir obtenu le droit d'établissement au Canada pour obtenir la citoyenneté canadienne. Or, on ne pouvait obtenir le droit d'établissement au Canada que si l'on y était admis légalement.
81. Suite à sa requête, Jacob Fast a été interrogé par l'agent B. Toews de la GRC, le 8 décembre 1953 ou vers cette date. Lors de cette entrevue, Jacob Fast a déclaré qu'il était citoyen russe, qu'on ne l'avait jamais soupçonné d'avoir participé à des activités subversives, et que l'opinion publique ne serait pas contre le fait qu'on lui accorde la citoyenneté canadienne.
82. Jacob Fast n'aurait pas reçu la citoyenneté canadienne s'il avait déclaré qu'il était citoyen allemand, ainsi que fait état de ses activités en temps de guerre et de son statut de membre de certaines organisations.
83. Un juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté de Jacob Fast le 21 décembre 1953, ou vers cette date. Il a reçu la citoyenneté canadienne le 8 juin 1954, ou vers cette date, et a prêté le serment d'allégeance le 28 juin 1954, ou vers cette date. Il a ainsi acquis la citoyenneté canadienne.
84. Le ministre soutient que Jacob Fast a acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels, ce qui autorise le ministre à présenter un rapport au gouverneur en conseil pour obtenir la révocation de la citoyenneté de Jacob Fast.
[13] On peut constater qu'il existe des différences importantes entre l'avis du ministre et sa déclaration. L'avis du ministre n'indique pas que M. Fast aurait été personnellement impliqué dans des traitements inhumains infligés à certaines personnes, alors que la déclaration soutient que M. Fast était personnellement responsable de l'arrestation de certains détenus et des mauvais traitements qui leur ont été infligés, certains d'entre eux ayant par la suite été déportés dans des camps de concentration. L'avis du ministre ne fait état que d'actes commis entre 1941 et 1947. On n'y trouve aucune mention des événements qui ont entouré l'obtention par M. Fast de la citoyenneté canadienne en 1953-1954.
[14] Au début de l'audience en l'espèce, l'avocat de M. Fast a demandé la radiation de la partie de l'avis du ministre qui porte sur « d'autres activités [...] qui vous (M. Fast) rendaient inadmissible au Canada » , au motif que ce texte était inacceptable parce que trop vague. Après avoir entendu les arguments au sujet de cette requête, j'ai conclu que je n'avais pas compétence pour radier quoi que ce soit dans l'avis du ministre, puisque je n'en étais pas saisi. Dans le cadre de mes motifs, j'ai fait les commentaires suivants au sujet du lien entre l'avis du ministre et la déclaration :
[traduction]
Selon moi, les décisions Dueck, Odynsky et Fast ne font qu'illustrer le fait que les allégations que l'on trouve dans la déclaration doivent être reliées aux allégations que l'on trouve dans l'avis. En d'autres mots, le ministre ne peut élargir la portée de l'avis en incluant dans la déclaration des questions dont il n'est pas fait état dans l'avis.
[...]
Toutefois, ceci ne règle pas la préoccupation du défendeur au sujet de la preuve qu'il doit réfuter. Le renvoi de la question à la Cour est, selon moi, une indication du fait que le ministre doit prouver ce qu'il avance au vu des normes applicables devant un tribunal. Ceci veut dire qu'il doit y avoir un avis adéquat de la preuve à réfuter, qu'il doit y avoir divulgation des documents pertinents, et que la preuve présentée doit être admissible devant le tribunal. Je suis compétent pour traiter de la preuve des allégations que l'on trouve dans la déclaration, ainsi que de la procédure à suivre pour faire cette preuve. La pertinence de la preuve que j'entendrai sera déterminée par rapport à la déclaration et non par rapport à l'avis. C'est au vu des allégations que l'on trouve dans la déclaration que la Cour décidera si le défendeur a acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels. S'il y a des éléments dans l'avis qui ne sont pas reproduits dans la déclaration et si le ministre essaie de les inclure dans son rapport, à supposer qu'il reçoive satisfaction en l'espèce, il faudra traiter de cette question si elle se produit. La requête est rejetée.
(Transcription, 28 novembre 2001, pages 31 à 33.)
[15] Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck, [1998] A.C.F. no 1489, le juge Noël (alors à la Section de première instance) a examiné, au paragraphe 25, l'objectif de l'avis du ministre :
Il est donc évident que l'affaire qui est renvoyée à la Cour en vertu de l'article 18 de la Loi est « l'affaire » exposée par le ministre dans l'avis. Il est également évident que le ministre n'a pas le droit d'établir un rapport tant qu'il n'a pas pris connaissance de la décision de la Cour sur « l'affaire » qui lui a été renvoyée. Il s'ensuit qu'il n'est pas loisible au ministre, dans le cadre d'un renvoi devant notre Cour, de faire trancher une question qui ne fait pas partie de « l'affaire » que le ministre a exposée dans son avis.
[16] Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Odynsky, [1999] A.C.F. no 746, le juge MacKay a examiné la même question, aux paragraphes 18 à 20 :
À mon sens, il faut accorder de l'importance à l'avis de révocation puisqu'il sert à décrire, bien que brièvement, les motifs pour lesquels le ministre demande la révocation de la citoyenneté du défendeur. Voilà l'utilité manifeste de ce document. Les motifs qui y sont mentionnés avisent le défendeur et lui permettent de décider s'il devrait demander le renvoi de l'affaire devant la Cour. Si, comme en l'espèce, le défendeur demande un renvoi, le ministre renvoie, au moyen d'un avis de renvoi, [Traduction] « la question de l'acquisition de la citoyenneté par le défendeur devant la Cour en vue d'obtenir une déclaration portant que le défendeur a été admis au Canada à titre de résident permanent et à acquis la citoyenneté canadienne par fraude ou au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels » . L'avis de révocation, qui est annexé au renvoi du ministre et qui l'appuie, est déposé à la Cour bien avant que ne le soit le résumé des faits et de la preuve, appelé maintenant exposé de la demande. Selon moi, l'avis de révocation sert de cadre à la Cour pour l'évaluation de la demande de renvoi du ministre.
De la même façon, lorsque dans une cause, après avoir reçu l'avis de révocation du ministre, l'intéressé ne demande pas le renvoi de l'affaire devant la Cour, c'est l'avis de révocation qui sert de cadre à l'établissement de tout rapport qui serait par la suite envoyé au gouverneur en conseil par le ministre pour recommander la révocation de la citoyenneté de l'intéressé.
Je suis d'accord avec le juge Noël pour dire que, dans les limites imposées par les termes utilisés dans l'avis de révocation, le résumé des faits et de la preuve (ou suivant les Règles actuelles, l'exposé de la demande du ministre) peut servir à préciser les éléments que le ministre essaiera d'établir relativement aux allégations plus générales formulées dans l'avis. Lorsque des exposés déposés plus tard allèguent des faits qui ne sont pas visés dans l'avis de révocation, ces allégations sont étrangères puisque sans rapport avec la question que la Cour doit trancher telle qu'elle est définie dans l'avis de révocation donné au défendeur.
[17] Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Podins, [1999] A.C.F. no 1092, l'avis du ministre portait que le défendeur avait omis de divulguer sa participation à la police auxiliaire lettone, ou fait de fausses déclarations à cet égard. Toutefois, la déclaration alléguait que le défendeur était membre des Waffen SS. Voici ce que déclare le juge McKeown à ce sujet, au paragraphe 11 :
[...] À mon avis, l'allégation suivant laquelle M. Podins a collaboré avec les autorités allemandes du fait de son appartenance à la Waffen SS ne fait pas partie de l' « affaire » exposée dans l'avis. L'avis précise que la « collaboration » attribuée au défendeur concerne sa présumée appartenance à la police auxiliaire lettone et son « travail à ce titre » . Ce libellé a pour effet de restreindre la portée des présumées activités de M. Podins en tant que collaborateur dans le cadre de son travail à la prison de Valmiera et d'exclure toute allégation postérieure à cette période. Comme les allégations relatives au service du défendeur au sein des Waffen SS ne font pas partie de l' « affaire » intéressant M. Podins, il n'est pas nécessaire de tirer de conclusions de fait à ce sujet.
[18] Ma décision voulant que le ministre ne peut élargir la portée de l'avis du ministre par la voie d'allégations contenues dans la déclaration est cohérente avec les positions prises par mes collègues dans les affaires Dueck, Odynsky et Podins, précitées. Ma décision voulant que c'est au vu des allégations que l'on trouve dans la déclaration que la Cour décidera si le défendeur a acquis la citoyenneté par fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels doit par conséquent être interprétée comme ne se rapportant qu'aux allégations qui peuvent être reliées à l'avis du ministre. Étant donné que des allégations qui ne trouvent pas leur source dans l'avis du ministre ne peuvent fonder un rapport au gouverneur en conseil, il n'est pas nécessaire de résoudre ces questions en l'espèce. Plus particulièrement, ceci exclut l'examen de la question de fausse déclaration ou de dissimulation intentionnelle de faits essentiels dans le cadre de la demande de citoyenneté de M. Fast en 1952 et 1953.
Le fardeau et la norme de preuve
[19] La jurisprudence est constante pour dire qu'en matière de révocation de la citoyenneté, la norme de preuve est la norme civile de la prépondérance des probabilités. Toutefois, étant donné la nature des allégations, la preuve doit être examinée avec attention (voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Vitols , [1998] A.C.F. no 1373, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Kisluk, [1999] A.C.F. no 824 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Baumgartner, [2001] A.C.F. no 1351). Il n'est pas non plus contesté que le fardeau de la preuve incombe au ministre.
La preuve documentaire et la preuve des faits
[20] Les événements à l'origine de ce renvoi se sont produits il y a plus de 50 ans dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Le ministre a fait appel à deux historiens professionnels (le Dr Peter Black et le Dr Franz Golczewski) pour témoigner du cours de la guerre en Ukraine, ainsi que de l'administration civile et militaire des zones occupées par les nazis, une attention particulière étant portée à la question de l'organisation de la police. Un autre historien professionnel (le Dr David Marwell) a témoigné du processus par lequel les personnes d'ethnie allemande (Volksdeutsche) pouvaient acquérir la citoyenneté allemande. Le Dr Dieter Gosewinkel, un juriste expert allemand, a témoigné quant au droit allemand de la naturalisation et aux registres de l'état civil allemand. Un historien canadien (le Dr Donald Avery) a témoigné au sujet de la politique et de la pratique en matière d'immigration après la Seconde Guerre mondiale, plus particulièrement la question du contrôle de sécurité.
[21] La preuve de ces experts est consignée dans leurs rapports écrits, leurs témoignages et les documents déposés en preuve par leur entremise, ainsi que dans d'autres documents auxquels ils renvoient parmi les éléments utilisés pour étayer leurs rapports.
[22] La question de la valeur probante de ces documents a été soulevée plusieurs fois au cours des audiences. Bon nombre de documents ont été identifiés comme pièces alors que l'avocat de M. Fast réservait son droit de discuter de leur recevabilité plus tard. Je vais maintenant traiter de cette question.
[23] Tout document déposé en preuve doit d'abord être authentique, savoir qu'on doit démontrer qu'il a été créé par son auteur présumé. Si ce document est présenté en preuve de son contenu, il faut aussi démontrer qu'il constitue une des exceptions admises à la règle du ouï-dire ou qu'il est admissible au vu des principes qui gouvernent cette règle, tels qu'énoncés dans les arrêts R. c. Kahn, [1990] 2 R.C.S. 531, R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915 et R. c. B.(K.G.), [1993] 1 R.C.S. 740.
[24] En preuve d'authenticité, le ministre a déposé les affidavits d'archivistes qui attestent que les copies des documents déposés en preuve sont des copies d'originaux conservés dans les archives. Lorsqu'un archiviste se dit d'avis qu'un document est authentique, se fondant pour ce faire sur sa formation et son expérience dans le traitement de documents semblables, je suis disposé à l'accepter comme authentique. Pour ce faire, je m'appuie sur l'expertise de l'archiviste par rapport à des documents semblables et sur le fait que le rôle des archives est justement de conserver les documents historiques. Le fait que les archives sont accessibles aux chercheurs est une garantie accessoire de leur fiabilité, puisque la communauté des chercheurs aurait vite fait de dénoncer les collections de documents qui ne sont pas authentiques.
[25] Ceci ne règle pas la question des préoccupations de l'avocat de M. Fast quant à la continuité de possession des documents. En d'autres mots, les affidavits des archivistes ne font pas toujours état du parcours suivi par les documents entre leurs créateurs et les archives, laissant un vide qui pourrait tout à fait rendre ces documents non admissibles dans une affaire criminelle. Bien qu'une telle preuve viendrait renforcer l'authenticité de ces documents, son absence ne permet pas de leur imposer une fin de non-recevoir. Étant donné que la norme de preuve est simplement la prépondérance des probabilités, la preuve des archivistes suffit à établir l'authenticité.
[26] La question suivante porte sur l'utilisation des documents comme preuve de leur contenu. Le ministre s'appuie sur la règle portant sur les documents anciens, que l'on trouve dans l'arrêt Delgamuukw c. British Columbia, [1989] B.C.J. no 1385, où il a été décidé que les documents visés par cette règle étaient non seulement authentiques, mais qu'ils étaient aussi recevables comme preuve de leur contenu :
[traduction]
Par conséquent, il semble que la règle énonce que les documents privés datant d'au moins 30 ans, qui étaient sous bonne garde et par ailleurs libres de tout doute, sont admissibles et qu'il n'est généralement pas nécessaire d'apporter une preuve portant sur la calligraphie, la signature, le scellage ou la livraison. J'ai indiqué que la règle de common law établit le délai à 30 ans. En Angleterre, ce délai a été réduit à 20 ans. Il n'y a pas de disposition en ce sens dans notre pays
[...]
En conséquence, j'arrive à la conclusion que les documents anciens admissibles par ailleurs peuvent servir de preuve de leur contenu, y compris des déclarations fondées sur le ouï-dire. Bien sûr, cette preuve n'est pas déterminante et on peut, en considérant le poids à lui donner, l'écarter en tout ou en partie si elle est fondée sur le ouï-dire ou contredite, ou si sa valeur probante est anéantie ou diminuée au vu de son libellé ou d'une autre preuve admissible, ou au vu du sens commun. Même alors, sous réserve qu'on ait respecté les deux critères fondamentaux de Wigmore, la Cour peut se sentir obligée de tenir compte du ouï-dire si le document où il est consigné offre une garantie circonstancielle de fiabilité et s'il n'existe pas d'autres preuves.
Delgamuukw, précité, aux pages 9 et 16 (A.C.F.).
[27] En arrivant à cette conclusion, le juge en chef McEachern renvoie à l'arrêt de la Cour suprême du Canada Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608, et à la décision de la Chambre des lords Myers c. Director of Public Prosecutions, [1965] AC 1001 (H.L.). Il est de commune renommée que la première affaire porte sur des dossiers d'hôpitaux rédigés par des infirmières tenues d'inscrire leurs observations, alors que la deuxième porte sur des documents décrits comme produits dans le cadre normal des affaires. On ne trouve pas ces éléments en l'espèce. Dans sa version originale, la règle portant sur les documents anciens venait dispenser de faire la preuve de l'authenticité. Elle s'appuyait sur la difficulté de prouver l'attestation de documents après le décès des témoins. Dans son deuxième aspect, la règle portant sur les documents anciens était liée à leur utilisation pour prouver la possession ancienne de terres. Phipson on Evidence, Fifteenth Ed. (Sweet & Maxwell, London, 2000), texte sur lequel le juge en chef McEachern s'appuie, indique que les documents anciens qui étaient sous bonne garde sont recevables en preuve d'un titre ancien (voir l'article 36-40, à la page 914). The Law of Evidence in Canada (2nd Ed.), Sopinka et al (Butterworths, Toronto, 1999) va dans le même sens (voir le paragraphe 6-200, à la page 245).
[28] Le raisonnement qui sous-tend l'utilisation de la règle des documents anciens pour dispenser de faire la preuve de leur authenticité ne vient pas autoriser qu'on les utilise comme preuve de leur contenu, sauf comme preuve de titre ancien. Le seul fait qu'ils soient anciens ne suffit pas à placer ces documents sous la règle exprimée dans l'arrêt Ares, précité, ou dans la décision Myers, précitée.
[29] Le ministre a aussi essayé de démontrer que les documents provenant des archives d'État du Zaporozh'e Oblast sont des documents établis dans le cours ordinaire des affaires [note : Zaporozhye est la version anglaise du nom de la ville alors que Zaporozh'e est la translitération du nom écrit en alphabet cyrillique]. La preuve à l'appui de cette proposition est constituée par l'affidavit du Dr Franz Golczewski. Après avoir témoigné qu'il avait examiné les originaux des documents dont les copies sont annexées à l'affidavit de l'archiviste, le Dr Golczewski déclare ceci, aux paragraphes 11 et 12 :
[traduction]
11. Par suite de mon expérience professionnelle et de chercheur, je connais bien les documents produits durant la période de l'occupation allemande de la Pologne, de l'Ukraine, du Bélarus et de la Russie, y compris les documents d'autres archives qui sont semblables à ceux dont les copies sont annexées comme pièces 1 à 71 de l'affidavit précité [affidavit de l'archiviste].
12. Par suite de mon expérience professionnelle et de chercheur, je suis d'avis que les documents originaux, dont des copies authentiques sont annexées comme pièces 1 à 71 à l'affidavit précité, ont été préparés par les SS et par les services de police, et/ou par la Wehrmacht, et/ou par l'administration civile allemande, et/ou par l'administration autochtone locale de la région de Zaporozhye, au cours de l'occupation allemande de l'Ukraine, dans le cours ordinaire de leurs affaires.
[30] Les documents produits dans le cours ordinaire des affaires sont admissibles comme preuve de leur contenu en vertu de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5 :
30. (1) Lorsqu'une preuve orale concernant une chose serait admissible dans une procédure judiciaire, une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires et qui contient des renseignements sur cette chose est, en vertu du présent article, admissible en preuve dans la procédure judiciaire sur production de la pièce. |
|
30. (1) Where oral evidence in respect of a matter would be admissible in a legal proceeding, a record made in the usual and ordinary course of business that contains information in respect of that matter is admissible in evidence under this section in the legal proceeding on production of the record. |
|
|
|
(2) Lorsqu'une pièce établie dans le cours ordinaire des affaires ne contient pas de renseignements sur une chose dont on peut raisonnablement s'attendre à trouver la survenance ou l'existence consignées dans cette pièce, le tribunal peut, sur production de la pièce, admettre celle-ci aux fins d'établir ce défaut de renseignements et peut en conclure qu'une telle chose ne s'est pas produite ou n'a pas existé. |
|
|
|
|
|
2) Where a record made in the usual and ordinary course of business does not contain information in respect of a matter the occurrence or existence of which might reasonably be expected to be recorded in that record, the Court may on production of the record admit the record for the purpose of establishing that fact and may draw the inference that the matter did not occur or exist.(3) Lorsqu'il n'est pas possible ou raisonnablement commode de produire une pièce décrite au paragraphe (1) ou (2), une copie de la pièce accompagnée d'un premier document indiquant les raisons pour lesquelles il n'est pas possible ou raisonnablement commode de produire la pièce et d'un deuxième document préparé par la personne qui a établi la copie indiquant d'où elle provient et attestant son authenticité, est admissible en preuve, en vertu du présent article, de la même manière que s'il s'agissait de l'original de cette pièce pourvu que les documents satisfassent aux conditions suivantes : que leur auteur les ait préparés soit sous forme d'affidavit reçu par une personne autorisée, soit sous forme de certificat ou de déclaration comportant une attestation selon laquelle ce certificat ou cette déclaration a été établi en conformité avec les lois d'un État étranger, que le certificat ou l'attestation prenne ou non la forme d'un affidavit reçu par un fonctionnaire de l'État étranger. |
|
(3) Where it is not possible or reasonably practicable to produce any record described in subsection (1) or (2), a copy of the record accompanied by two documents, one that is made by a person who states why it is not possible or reasonably practicable to produce the record and one that sets out the source from which the copy was made, that attests to the copy's authenticity and that is made by the person who made the copy, is admissible in evidence under this section in the same manner as if it were the original of the record if each document is
(a) an affidavit of each of those persons sworn before a commissioner or other person authorized to take affidavits; or
(b) a certificate or other statement pertaining to the record in which the person attests that the certificate or statement is made in conformity with the laws of a foreign state, whether or not the certificate or statement is in the form of an affidavit attested to before an official of the foreign state. |
|
|
|
[31] Il semble que le ministre ait présumé que comme les circonstances entourant la création de documents sont des questions de fait, un témoin peut déclarer que les documents en cause ont été produits dans le cours ordinaire des affaires. Je suis d'accord que les circonstances entourant la création de documents sont des questions de fait, mais je ne suis pas d'accord pour dire qu'on peut prouver qu'un document a été produit dans le cours ordinaire des affaires simplement en citant un témoin qui déclare que c'est le cas. Un témoin peut être cité pour témoigner des circonstances entourant la création d'un document et de l'utilisation qu'on en a fait. Quant à savoir si cette preuve répond au critère du « cours ordinaire des affaires » au sens de l'article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, c'est là une question qui doit être tranchée par le juge et non par le témoin.
[32] Cette conclusion n'est pas cohérente avec le résultat que l'on trouve dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Oberlander, [1999] 1 C.F. 88. La Cour était alors saisie d'un affidavit en provenance d'un archiviste, attestant que les documents en cause avaient été établis dans le cours ordinaire des affaires. La question consistait à savoir si l'archiviste pouvait présenter une telle preuve, alors qu'il n'avait pas une connaissance personnelle de la création des documents. Le juge MacKay a conclu que la preuve de l'archiviste était recevable, étant donné l'expertise de ce dernier avec de tels documents. Il semble que toutes les personnes en cause aient accepté que si l'opinion de l'archiviste était recevable à cette fin, elle suffisait à trancher la question. Il ne semble pas que la question de savoir si une telle détermination pouvait être faite par un témoin ait été soulevée. Si elle avait été soulevée, le résultat aurait pu être différent.
[33] On doit donc revenir à l'exception de principe à la règle du ouï-dire. Il est peu contestable que la nécessité milite en faveur de la recevabilité de ces documents comme preuve de leur contenu. En pratique, il n'est pas possible de trouver les divers auteurs de ces documents et de les citer à témoigner quant à leur contenu. C'est leur fiabilité qui est en cause. Ces documents ont été préparés par divers auteurs, dans des circonstances variables, en vertu de diverses obligations ou devoirs. Il est difficile de dire ce qui permet d'en faire une catégorie, sauf peut-être que leurs créateurs étaient bien loin d'envisager la procédure actuelle. Dans la mesure où ils ont été créés à des fins opérationnelles, ils offriraient la même garantie de fiabilité que les documents créés dans le cours ordinaire des affaires, savoir que l'organisme les acceptait comme fiables dans le cadre de ses opérations. Mais à quelques exceptions près, on n'a pas démontré que ces documents étaient des documents opérationnels.
[34] Autrement, la seule chose que ces documents ont en commun est le fait qu'ils ont été déposés par des historiens à l'appui de leurs rapports d'experts. Les historiens garantissent donc qu'ils sont convaincus que les documents sont assez fiables à leurs fins, puisqu'il serait sans intérêt de les citer si ce n'était pas le cas. Ceci serait l'évidence même si les documents avaient été identifiés par les historiens eux-mêmes dans le cadre de leurs propres recherches dans les archives, mais ce n'est généralement pas le cas.
[35] Au cours de l'exposé de la preuve, il est apparu que plusieurs des documents cités par les experts ne sont pas des documents qu'ils avaient identifiés dans le cadre de leurs propres recherches dans les archives. Le ministre a donné des contrats à des historiens pour qu'ils examinent les documents qui se trouvent dans diverses archives, et pour choisir ceux qui leur semblaient pertinents en l'espèce. Ils devaient aussi faire faire les copies nécessaires. Ces documents ont ensuite été envoyés aux témoins experts (transcription de l'audience, 28 novembre 2001, pages 61 et 62 (Dr Black); 3 décembre 2001, page 426 (Dr Marwell); 10 décembre 2001, page 598 (Dr Gosewinkel) et pages 632 et 633 (Dr Avery); et 9 janvier 2002, page 1062 (Dr Golczewski)). Mais tous les témoins experts se sont aussi appuyés sur des documents qui ne leur avaient pas été fournis par le ministère de la Justice. Dans certains cas, les témoins ont fait leurs propres recherches et trouvé des documents pertinents qui ne leur avaient pas été fournis par le ministère de la Justice (transcription du témoignage du Dr Marwell, 3 décembre 2001, page 427, ainsi que transcription du témoignage du Dr Avery, 11 décembre 2001, pages 712 et suivantes).
[36] Par conséquent, l'utilisation par les historiens de documents donnés peut constituer une preuve moins solide de leur fiabilité que ce serait le cas si les historiens avaient choisi les documents eux-mêmes. Il reste toutefois une certaine preuve que les historiens considéraient les documents fiables. On ne peut présumer que des historiens professionnels, qui mettent en cause leur réputation, s'appuieraient sur des documents qu'ils savent ne pas être fiables. Par conséquent, je suis d'avis qu'en général, la preuve de la fiabilité des documents se trouve dans le fait que des historiens professionnels s'appuient sur eux pour arriver aux conclusions qu'ils ont présentées à Cour. Ceci n'exclut pas que l'on puisse contester un document particulier ou même toute une catégorie de documents. De plus, il reste toujours la question de savoir quel poids on doit leur donner. En conséquence, je suis disposé à considérer que les documents d'archives sont recevables en preuve de leur contenu lorsque leur fiabilité à cette fin est confirmée, implicitement ou explicitement, par un historien professionnel ou par un autre témoin qui a une telle connaissance des documents qu'il peut avancer une telle affirmation.
[37] Il existe une autre catégorie de documents, ceux qui proviennent des archives canadiennes, dont la recevabilité n'est pas contestée par suite d'une entente à ce sujet. Les documents en provenance des archives canadiennes sont considérés être authentiques et faire preuve à première vue de leur contenu, sous réserve toutefois d'une contestation quant à leur signification ou au poids à leur donner.
[38] En définitive, je suis disposé à accepter que les documents d'archives déposés sont authentiques et qu'ils font preuve de leur contenu. Ceci n'empêche pas qu'on puisse contester certains documents, ou le poids qui doit leur être donné.
L'IDENTITÉ DE JACOB FAST
[39] Ayant maintenant réglé les questions préliminaires, la première question de fond à déterminer est celle de savoir si Jacob Fast, défendeur en l'espèce, est bien la personne qui apparaît dans les documents d'archives déposés par le ministre. Le Jacob Fast devant la Cour est un homme de 93 ans, qui souffre d'une forme de la maladie de Alzheimer et qui réside dans une maison de santé à St. Catharines (Ontario). Il existe des documents qui identifient un homme du nom de Jakob Fast, qui vivait à Zaporozhye, en Ukraine, en 1941. Il y a aussi des documents au sujet d'une personne du même nom qui a été naturalisée en Allemagne en 1944. Le ministre soutient qu'il s'agit d'une seule et même personne. Si le ministre a tort à ce sujet, il n'y a pas lieu de pousser cet examen plus avant.
[40] Nous savons certaines choses au sujet de Jacob Fast et de sa famille, au vu des documents qu'ils transportaient lorsqu'ils sont venus au Canada. Ces renseignements peuvent être comparés à ceux qu'on trouve dans les documents historiques, afin de déterminer s'il s'agit bien des mêmes personnes.
[41] Il est admis que le défendeur Jacob Fast est arrivé au Canada en 1947, comme passager du navire S.S. General M.B. Stewart. Les renseignements sur son identité et sur celle des membres de sa famille sont inscrits dans la Déclaration au gouvernement canadien (DGC), pièce 49, qui provient des archives du Canada. Les caractéristiques signalétiques des immigrants qui arrivaient au Canada étaient consignées dans la DGC par le commissaire de bord du navire, qui les transcrivait des titres de voyage des immigrants (transcription du témoignage de Joseph Gunn, 4 décembre 2001, pages 538 et 539). La DGC du navire S.S. General M.B. Stewart, pièce 49, indique que Jacob Fast a reçu le droit d'établissement au Canada le 31 juillet 1947 en vertu d'un titre de voyage délivré à Hanovre, en Allemagne, le 13 juin 1947, portant le numéro GBZ186. La colonne 1 de la DGC contient un numéro manuscrit à côté du nom de Jacob Fast, savoir le « 453243 » . Il est inscrit qu'il est né à « Tiegenhagen, Russie » . Sous sa nationalité, il est inscrit « Russe » et sous « race ou peuple » , il est inscrit « Hollandais » . Comme profession dans son propre pays, on a inscrit la mention « cultivateur » . La même mention est portée sous la profession qu'il a l'intention de pratiquer au Canada. Quant à sa destination, on trouve la mention suivante : « Oncle Toews Henry, Arnaud (Man.) » . Il y a d'autres inscriptions manuscrites aux colonnes 25 et 26, qui sont rédigées comme suit : [traduction] « Visa can. d'immigration. Ottawa B30154 PD 13 juin 1947 » (pièce 50).
[42] Les personnes dont la liste est donnée ci-après et qui voyageaient avec Jacob Fast sont enregistrées comme ayant les mêmes lieu et pays de naissance, la même nationalité, la même race, la même destination et le même parent. Les renseignements particuliers à chacun, tels qu'ils sont inscrits à la pièce 49, sont les suivants :
[traduction]
Nom Référence Parenté Profession Titre
de voyage
Nathalie Fast 453244 épouse ménagère GBZ177
Therese Fast 453245 fille étudiante GBZ186
Marie Fast 453246 fille étudiante GBZ186
Heinrich Fast 453247 fils étudiant GBZ186
[43] Les dates de naissance de ces personnes, comme d'ailleurs de Jacob Fast, ne sont pas inscrites.
[44] Lors de son interrogatoire préalable, M. Fast a reconnu le titre de voyage qu'on lui avait délivré en Allemagne pour se rendre au Canada (interrogatoire préalable de Jacob Fast, vol. 2, questions 64 à 66). Ce document s'intitule [traduction] « Comité intergouvernemental pour les réfugiés (CIGR), Certificat aux fins de l'émigration au Canada » (pièce 41). Ce document porte le numéro de série GBZ186, qui est le même numéro inscrit à la DGC, pièce 49. La pièce 41 contient les renseignements suivants :
[traduction]
Nom Lieu de naissance Date de naissance Profession
Jakob Fast Tiegenhagen, Russie 23 juin 1910 cultivateur
Therese Fast Russie 30 décembre 1931
Maria Fast Russie 31 octobre 1938
Heinrich Fast Russie 7 sept. 1941
[45] Il y a lieu de noter qu'il n'y a aucune mention de Nathalie Fast dans la pièce 41, alors qu'elle est inscrite comme épouse de Jacob Fast dans la pièce 49. Toutefois, la pièce 49 indique que son titre de voyage porte un numéro différent. Je présume donc qu'étant adulte, elle a reçu son propre titre de voyage, alors que M. Fast et les enfants voyageaient en vertu d'un seul titre de voyage. La pièce 41 porte un timbre de visa canadien d'immigrant, sur lequel on indique qu'il est délivré en vertu du dossier Ottawa no B30154 PD et que le visa a été délivré à Hanovre, en Allemagne, le 13 juin 1947. Immédiatement au-dessus du timbre du visa d'immigrant, on trouve quatre numéros manuscrits : 453243, 453245, 453246 et 453247. Ces numéros sont inscrits à côté des noms des membres de la famille sur la DGC. Le titre de voyage de M. Fast porte aussi le timbre du [traduction] « Comité intergouvernemental pour les réfugiés » . Il semblerait donc que ce titre de voyage a été délivré à Hanovre, en Allemagne, le 13 juin 1947. À l'endos, on trouve un autre timbre d'Immigration Canada qui porte la date du 31 juillet 1947, ainsi qu'une notation manuscrite : [traduction] « General M.B. Stewart, page 26, lignes 2, 4, 5 et 6 » .
[46] Au cours de son interrogatoire préalable, M. Fast a admis qu'il avait lui-même inscrit les renseignements manuscrits qui apparaissent sur le titre de voyage. Les personnes décrites dans la DGC sont les mêmes personnes que celles qui sont décrites dans le titre de voyage, à l'exception de Nathalie Fast. Je prends note du fait que le numéro du titre de voyage ainsi que les numéros des visas qui apparaissent aux deux documents sont identiques. Je prends aussi note du fait que la pièce 49 est une copie de la page 26 de la DGC et que les noms de Jacob Fast, Therese Fast, Marie Fast et Heinrich Fast apparaissent aux lignes 2, 4, 5 et 6 de ce document. Ceci correspond à l'inscription qu'on trouve à l'endos du titre de voyage.
[47] Les caractéristiques signalétiques de Jacob Fast et des membres de sa famille que l'on trouve dans ces documents peuvent être comparés aux renseignements que l'on trouve dans les documents d'archives, aux fins de déterminer si le Jakob Fast mentionné dans ces documents est effectivement le défendeur.
[48] Parmi les documents déposés par le ministre, par l'intermédiaire du Dr Black, on trouve la pièce 27, décrite comme un document de recensement pour partie de la rue Adolf Hitler à Zaporozhye. Selon le témoignage du Dr Black, ce document aurait été rempli après le 7 avril 1942 (transcription, 29 novembre 2001, pages 195 et 196). Ce document contient des données pertinentes en l'espèce. Aux fins de la présente affaire, les renseignements pertinents sont les suivants :
[traduction]
No de ligne Nom Lieu de naissance Date de naissance
192 Fast, Natalka Aronivna Nizhnya Khotrytsa 29.V.12
193 Fast, Yakov Yakovlevich Khortitsa 23.VI.10
194 Fast, Nataliya Yakovlevna Khortitsa 30.XII.31
195 Fast, Konstantin Yakovlevich Khortitsa 26.VII.36
196 Fast, Mariya Yakovlevna Khortitsa 31.X.38
197 Fast, Genrikh Khortitsa 9.VII.41
[49] Les notes du traducteur qui portent sur ce document indiquent que Yakov est l'équivalent cyrillique de Jakob et qu'il en va de même pour Nataliya (Nathalie) et Genrikh (Heinrich).
[50] Toutes les personnes décrites dans ce document sont présentées comme résidant au 75 de la rue Adolf Hitler, et on y trouve l'indication qu'elles sont arrivées à Zaporozhye en 1941. Il est facile de conclure que ces inscriptions ne portent que sur une seule famille. On peut remarquer que Yakov Fast a la même date de naissance que Jacob Fast (23 juin 1910). Il en va de même de Mariya Fast et Marie Fast (31 octobre 1938) et de Genrikh Fast et Heinrich Fast (7 septembre 1941). Nataliya Yakovlevna Fast a la même date de naissance que Therese Fast (30 décembre 1931), mais le nom n'est pas le même. Rien dans la documentation canadienne ne mentionne Konstantin Yakovlevich Fast. Au cours de son interrogatoire préalable, M. Fast a convenu que sa fille aînée Therese Nathalie était née le 31 décembre 1931, que son deuxième fils Konstantin était né le 26 octobre 1936, mais qu'il est décédé des suites d'un accident (interrogatoire préalable, vol. 1, Q. 109 et 111). Par conséquent, il semble que la mention de Nathalie à la pièce 27 pourrait faire référence à Therese Fast, qui est mentionnée à la pièce 49. De la même façon, le décès accidentel qui s'est produit avant l'arrivée de la famille à Hanovre en Allemagne, en juin 1946, pourrait expliquer le fait que Konstantin ne soit pas mentionné dans la DGC (pièce 47), ni dans le titre de voyage du CIGR (pièce 41).
[51] Toutefois, le lieu de naissance indiqué dans les données du recensement, savoir Khortitsa, Russie, n'est pas le même lieu que celui qu'on trouve aux pièces 41 et 49, savoir Tiegenhagen, Russie. Il n'y a pas eu d'explication de cette divergence.
[52] Il est possible qu'il y ait eu plus qu'un Jakob Fast à Zaporozhye en 1942. Il est toujours possible, mais moins probable, que deux ou plusieurs d'entre eux aient eu la même date de naissance que le défendeur. Il est encore moins probable qu'un autre de ces Jakob Fast ait non seulement eu la même date de naissance, mais aussi le même nombre d'enfants, nés aux mêmes dates et portant les mêmes noms (avec une seule exception), que le défendeur. En conséquence, nonobstant la différence entre les lieux de naissance qui n'est pas expliquée, le grand nombre de données identiques fait qu'il est plus que probable que le Yakov Fast mentionné à la pièce 27 est le Jacob Fast mentionné aux pièces 41 et 49.
[53] Il existe un deuxième groupe de documents où il est question de Jakob Fast, les documents de l'Einwandererzentralstelle (EWZ). L'Einwandererzentralstelle, que l'on peut rendre comme « bureau central d'immigration » , est décrit comme suit dans le rapport du Dr David Marwell :
[traduction]
11. [...] L'Einwanderezentralstelle (EWZ) était un organisme relevant du chef de la police de sécurité et SD. Il a été créé pour permettre de traiter efficacement un grand nombre de membres de l'ethnie allemande en vue de leurs relocalisation et naturalisation : plutôt que d'exiger des membres de l'ethnie allemande qu'ils se présentent à une multiplicité de services (police, santé, travail, citoyenneté, etc.), qui auraient tous un rôle à jouer dans les décisions portant sur leur établissement et sur leur naturalisation, une agence a été mise sur pied qui regroupait des représentants de toutes les agences pertinentes en un seul lieu. Cette consolidation avait pour but de fournir une façon efficace et efficiente d'assurer un processus cohérent et rapide. En plus de bureaux auxquels on pouvait amener les membres de l'ethnie allemande, l'EWZ a organisé des commissions itinérantes qui se rendaient dans les camps de relocalisation et dans les zones où les membres de l'ethnie allemande étaient concentrés. L'EWZ avait aussi organisé un train spécial qui servait de bureau itinérant.
(pièce 30)
[54] Le Dr Marwell est historien et il dirige actuellement le Museum of Jewish Heritage à New York. Il est titulaire d'un doctorat en histoire moderne européenne. Il a eu plusieurs postes, y compris celui de chef des enquêtes et de la recherche au bureau des enquêtes spéciales du ministère de la justice américain, de 1980 à 1988. Le bureau des enquêtes spéciales était chargé des poursuites contre les criminels de guerre nazis vivant aux États-Unis. De 1988 à 1994, il a dirigé le centre de documentation de Berlin, qu'il décrit comme suit dans son témoignage :
[traduction]
Il s'agit d'un organisme mis sur pied par l'armée américaine en 1945 et transféré au département d'État en 1953. C'était un dépôt pour tous les dossiers saisis, qu'ils aient été saisis par les Américains ou par d'autres forces alliées à la fin de la guerre - en fait, avant la fin de la guerre et ensuite après l'arrêt des hostilités. Cet organisme est devenu un centre important dans le cadre des poursuites contre les criminels de guerre lors de la période dite de dénazification, ainsi que pour d'autres activités gouvernementales en Allemagne et aux États-Unis. Cet organisme est aussi devenu une archive très importante pour les chercheurs s'intéressant au Troisième Reich.
(Transcription, 3 décembre 2001, page 337.)
[55] En tant que directeur du centre de documentation de Berlin, le Dr Marwell a contrôlé le processus de microfilmage des documents qui s'y trouvaient, soit 12 milles linéaires de documents d'archives. La version microfilmée contient 55 millions d'images sur microfilms. Avant le transfert des documents du centre de documentation de Berlin au gouvernement allemand, le Dr Marwell a été chargé de la publication d'un volume intitulé The Holdings of the Berlin Document Centre, dont un chapitre entier porte sur les documents de l'EWZ. Il a témoigné qu'en sa qualité de chercheur et de directeur du centre de documentation de Berlin, il connaissait très bien les dossiers de l'EWZ.
[56] Le Dr Marwell a décrit la chaîne de possession des documents de l'EWZ comme suit :
[traduction]
Oui. Les dossiers étaient conservés par l'EWZ à Litzmannstadt. Ils ont été à la fin de la guerre - et nous avons des documents qui décrivent ceci en détail - ils ont été évacués et transportés par camion, je crois, jusqu'à Solnhofen, une ville de Bavière. À la fin des hostilités ils ont été capturés - je crois que le mot « saisis » est plus correct - par les forces américaines et ont éventuellement été transportés à Berlin en transitant par un centre de rassemblement des documents à Kassel. Ils sont éventuellement arrivés à Berlin en 1946, en février 1946 si je ne me trompe, mais je peux vérifier mes notes. Par la suite, ils ont été déposés au centre de documentation de Zehlendorf, où on les a conservés jusqu'à tout récemment, ils y sont certainement restés durant toute ma présence là-bas, pour ensuite être déménagés par les archives fédérales allemandes vers la fin des années 1990 à un endroit différent à Berlin. Ils sont restés sous garde américaine du moment où ils ont été capturés - et nous connaissons le cheminement de leur garde - jusqu'à ce que je les transfère au gouvernement allemand le 1er juillet 1994.
(Transcription, 3 décembre 2001, page 364.)
[57] Le ministre a déposé en preuve, par l'entremise du Dr Marwell, une série de documents de l'EWZ qui portent sur un certain Jakob Fast. Le Dr Marwell a témoigné qu'il avait personnellement regardé le dossier microfilmé des documents déposés. À la question de savoir s'il était convaincu de l'authenticité de la pièce 31, il a répondu ceci :
[traduction]
Ces cartes, qu'on appelait G-Karte, étaient conservées ensemble au centre de documentation dans une de nos réserves. Il y en avait véritablement des centaines de milliers. Je dirais que j'en ai examiné des milliers. Il est difficile de donner un chiffre exact, mais il s'agit de cet ordre de grandeur. Cette pièce est identique dans sa forme et semblable dans son contenu aux autres que j'ai vues. Connaissant sa provenance et son pedigree, je suis convaincu qu'elle est authentique.
(Transcription, 3 décembre 2001, page 365.)
[58] Pour les mêmes motifs qu'il avait exprimés au sujet de la pièce 31, le Dr Marwell a témoigné qu'il était convaincu de l'authenticité des autres documents déposés en preuve par son entremise. Me fondant sur la preuve du Dr Marwell, je suis convaincu que les documents de l'EWZ déposés en preuve par son entremise, savoir les pièces 31 à 39, sont authentiques et qu'ils font foi à première vue de leur contenu.
[59] L'un de ces documents constitue la pièce 35, que le Dr Marwell a appelé un « Stamblatt » , terme qui est difficile à traduire mais qu'on peut rendre approximativement par « enregistrement » (transcription, 3 décembre 2001, page 375). Ce document servait à inscrire les données biographiques de base des personnes qui demandaient la naturalisation. La pièce 35 est l'enregistrement de Jakob Fast, dont la date et le lieu de naissance sont donnés comme le 23 juin 1910 à Tiegenhagen, dans la région de Zaporozhye, en Ukraine (URSS). Son épouse est inscrite comme Nathalie Fast, née le 29 mai 1912. On indique que le couple a quatre enfants, dont les noms et dates de naissance sont : Natalie, 30 décembre 1931, Konstantin, 26 juillet 1936, Marie, 31 octobre 1938, et Heinz, 7 septembre 1941. Le numéro de série inscrit sur la demande est le 782058. Alors que les inscriptions sur la pièce 35 sont faites à la machine à écrire sur un formulaire imprimé, on trouve dans la marge de la photocopie de la version microfilmée du document original six X manuscrits, un pour chacune des personnes identifiées. Dans son témoignage, le Dr Marwell a déclaré que les procédures en vigueur portaient que la personne recevant la demande devait indiquer que les personnes dont les données étaient inscrites étaient présentes devant lui, ce qu'il faisait en inscrivant un X en marge (transcription, 3 décembre 2001, page 376).
[60] Étant donné qu'il y a identité entre les nom, lieu de naissance et date de naissance du défendeur Jacob Fast et du Jakob Fast décrit notamment à la pièce 35, mais qui est aussi mentionné de diverses façons aux pièces 31 à 34 et 36 à 39, je suis convaincu qu'il s'agit de la même personne. Cette conclusion est confirmée par le fait que les noms et dates de naissance de l'épouse et des enfants de M. Fast sont identiques, compte tenu de la divergence entre les prénoms Nathalie/Therese et de l'absence de Konstantin dans les dossiers ultérieurs.
[61] Il y a un autre document qui fait mention d'un certain Jacob Fast, la pièce 53, qui a été déposée en preuve au cours du témoignage du Dr Dieter Gosewinkel. Ce dernier a témoigné à titre d'expert du droit allemand en matière de naturalisation et de citoyenneté, ainsi que du régime d'enregistrement de l'état civil en Allemagne. La pièce 53 est une copie d'un document d'enregistrement conservé au bureau de l'état civil de la mairie de la ville de Bremervörde, en Allemagne. Son authenticité est appuyée par l'affidavit de Margrit Alpers, employée par le bureau de l'état civil depuis 1972. Au vu de l'affidavit de Margrit Alpers, je suis convaincu que ce document est authentique.
[62] Le Dr Gosewinkel a témoigné que le droit allemand exigeait que quiconque s'installait dans un nouveau district municipal devait s'enregistrer auprès des autorités municipales dans les trois jours de son arrivée. La pièce 35 est une copie du document d'enregistrement d'un certain Jacob Fast, inscrit comme ayant établi sa résidence à Minstedt dans la zone de Bremervörde le 27 septembre 1945. Le nom, le lieu de naissance et la date de naissance de ce Jacob Fast, ainsi que les noms et dates de naissance de son épouse et de ses enfants, correspondent aux caractéristiques signalétiques du défendeur Jacob Fast. Me fondant sur le fait que la probabilité qu'il y ait eu un deuxième Jacob Fast avec les mêmes données personnelles est tellement mince qu'on peut l'éliminer, je suis convaincu que le Jacob Fast décrit à la pièce 35 est le même Jacob Fast qui est défendeur en l'espèce.
[63] Par conséquent, je suis convaincu que le défendeur Jacob Fast résidait à Zaporozhye, en Ukraine, de 1941 à 1943, qu'il est la personne ayant fait l'objet de la procédure auprès de l'EWZ en 1944 et qu'il est aussi la personne enregistrée comme résident de Minstedt le 9 septembre 1945. Par conséquent, il faut maintenant examiner les activités de Jacob Fast en temps de guerre afin de déterminer si l'on y trouve des activités qui l'auraient empêché d'obtenir l'autorisation d'immigrer au Canada.
LA CITOYENNETÉ DE JACOB FAST ET SES ACTIVITÉS EN TEMPS DE GUERRE
Les activités en temps de guerre de Jacob Fast
[64] Le ministre soutient que le défendeur Jacob Fast était membre du, ou qu'il dirigeait le, département politique de la police auxiliaire autochtone de Zaporozhye de 1941 à 1943. Les paragraphes suivants de la déclaration décrivent la structure et la fonction de la police auxiliaire. Ces faits ont été mis en preuve par l'entremise du Dr Black, ainsi que par les témoignages recueillis en commission rogatoire, qui seront mentionnés plus loin dans ces motifs.
[traduction]
24. Des unités de police auxiliaire autochtone ont été créées dans la partie occupée de l'Ukraine pour aider la Sipo/SD allemande [police de sécurité (Sipo) et service de sécurité (Sicherheitsdeinst ou SD)] ainsi que la police de l'ordre (connues sous le nom d'auxiliaires de la Sipo/SD ou d'auxiliaires de la police de l'ordre). Ces unités étaient composées de personnes d'ethnie allemande, ainsi que de volontaires qui n'étaient pas d'ethnie allemande, provenant de la population locale dans les deux cas. Avant d'être admis dans les auxiliaires de la Sipo/SD, ces personnes faisaient l'objet d'un filtrage de la part de la Sipo/SD.
25. Les auxiliaires de la Sipo/SD travaillaient sous la direction de la Sipo/SD allemande dans les territoires occupés et ils les appuyaient dans leurs fonctions. Ceci comprenait le maintien de la sécurité et de l'ordre dans les territoires occupés, une aide dans la mise en oeuvre des politiques d'occupation allemandes, comme l'exploitation des ressources matérielles et humaines des territoires occupés, ainsi qu'une aide dans la persécution systématique et l'extermination des ennemis politiques et raciaux du Reich.
26. Les membres de la police auxiliaire autochtone avaient des conditions de vie meilleures que celles de la population locale en général et ils avaient droit à des avantages particuliers. En avril 1942, les personnes d'ethnie allemande qui avaient un rôle de police associé à la Sipo/SD allemande ont obtenu un statut particulier. Bien qu'ils ne soient pas devenus membres de la police allemande comme telle, leur statut a été ajusté pour devenir semblable à celui d'un policier auxiliaire allemand ordinaire (Hilfspolizeibeamter).
27. Les personnes d'ethnie allemande étaient considérées par les autorités allemandes comme étant des candidats appropriés et fiables pour leur fournir une aide dans leur travail administratif et policier, ainsi que dans la mise en oeuvre des politiques nazies.
L'unité de police auxiliaire à Zaporozhye
28. Au cours de la période où Zaporozhye était placée sous administration militaire (automne 1941 - été 1942), une unité de police auxiliaire a été mise sur pied. Cette unité était dirigée par Ivan Fast, le frère de Jacob Fast, et elle comprenait six (6) départements. Elle était placée sous le contrôle et la direction à la fois des autorités militaires allemandes et de la Sipo/SD allemande qui opérait dans la région.
29. Parmi les départements de cette police auxiliaire autochtone, on trouvait une unité de police politique (connue sous le nom de « police politique » , « département politique » , ou même simplement « SD » par les gens du lieu).
30. En juin 1942, lorsque Zaporozhye a été placée sous administration civile, la police auxiliaire autochtone a été réorganisée et placée sous le contrôle de la police de l'ordre, à l'exception de la police politique. L'unité de police auxiliaire autochtone a continué à être dirigée par Ivan Fast.
31. Bien que la police politique fasse toujours partie de l'unité de police auxiliaire autochtone, elle est restée sous le contrôle et la direction de la Sipo/SD allemande.
Les activités de la police politique et celles de Fast
32 Sous l'occupation allemande, la police politique a été responsable d'arrestations, de détentions, de mauvais traitements et de tortures infligées aux prisonniers, et ultimement de leur déportation dans des camps de concentration en Pologne et en Allemagne.
33. Les prisonniers de la police politique étaient soumis à des conditions de détention inhumaines, ainsi qu'à des séances d'interrogation et de torture. On ne sait pas combien d'entre eux ont été exécutés.
34. La police politique, en sa qualité d'auxiliaire de la Sipo/SD, était chargée de la mise en oeuvre des politiques de la Sipo/SD allemande visant la persécution et l'exécution des juifs, des communistes et d'autres personnes considérées comme des ennemis du Troisième Reich.
35. La police auxiliaire de Zaporozhye, y compris la police politique, a participé au rassemblement et à l'exécution de la population juive de la ville de Zaporozhye.
[65] Jacob Fast a subi un interrogatoire préalable en l'espèce suite à une ordonnance rendue par le juge en chef adjoint Lutfy (tel était alors son titre). L'ordonnance a été rendue nécessaire du fait que l'avocat de M. Fast refusait qu'on le soumette à un interrogatoire préalable à cause de son âge avancé et de sa condition mentale, les détails à ce sujet étant consignés aux paragraphes 20 à 28 de mes motifs dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Fast, [2002] 3 C.F. 373. L'ordonnance prévoyait que l'interrogatoire préalable en entier serait filmé, le juge du procès devant décider quelle serait l'utilisation à faire du témoignage recueilli lors de l'interrogatoire. Durant les audiences, j'ai traité de la question de la compétence de M. Fast et de l'utilisation qu'on pouvait faire de la preuve tirée de l'interrogatoire préalable. S'agissant de la compétence et de l'admissibilité des questions et réponses de l'interrogatoire préalable de M. Fast, j'ai rendu la décision suivante :
Ayant examiné des parties importantes de la bande vidéo de l'interrogatoire préalable, je peux affirmer que M. Fast est, sous certaines conditions, en mesure de rendre compte de ses activités pendant la guerre. Il y a des échanges de questions et réponses au cours desquels il semble que M. Fast est conscient des questions qui lui sont posées et qu'il y répond. Cependant, il y a d'autres parties où il est clair que M. Fast est confus et que ses réponses ne répondent pas aux questions qui sont posées. Il y a plusieurs passages où il est évident que M. Fast et Me Vita se parlent à contre-courant. À différentes occasions, il donne des réponses contradictoires à la même question.
[...]
[traduction]
Voici ma décision au sujet de l'interrogatoire préalable. M. Vita pourra consigner ses questions, sous réserve de passages explicatifs. Vu la nature de la condition de M. Fast, la portée des passages explicatifs sera celle qui est nécessaire pour démontrer que la réponse qu'on veut consigner au dossier ne correspond pas à ce qu'il voulait dire. En d'autres mots, si le passage explicatif peut démontrer l'existence d'une certaine confusion ou d'un malentendu, son usage est justifié. Je m'attends à ce que ces passages soient tirés de la partie du témoignage immédiatement connexe à la réponse qu'on voudrait consigner au dossier. Je ne m'attends pas à ce qu'on essaie de consigner au dossier des passages explicatifs tirés d'autres parties de l'interrogatoire où une preuve contradictoire a été donnée.
(Transcription, 28 février 2002, pages 1366, 1367 et 1370.)
[66] Par la suite, j'ai pris certaines décisions quant aux parties de l'interrogatoire préalable qui pouvaient être consignées en preuve par le ministre ([2002] A.C.F. no 819). J'ai aussi rejeté une requête de l'avocat de M. Fast visant à lui permettre de consigner en preuve des parties de l'interrogatoire préalable de M. Fast comme si ces déclarations avaient été faites à l'audience. Cette demande s'appuyait sur la nécessité, la condition mentale de M. Fast ne lui permettant pas de témoigner à sa décharge (transcription, 24 avril 2002, pages 1526 et suivantes). J'explique tout ceci pour indiquer que, nonobstant l'âge et la condition de M. Fast, je suis convaincu qu'il avait la compétence requise pour répondre de façon adéquate à certaines des questions qu'on lui a posées. Son avocat a eu la possibilité de contester les questions et réponses que le ministre voulait consigner au dossier. Je n'ai autorisé la consignation en preuve des questions et réponses que lorsque j'étais convaincu que M. Fast avait compris la nature des questions.
[67] Cette introduction étant faite, quelles sont les déclarations de M. Fast lui-même au sujet de ses activités en temps de guerre que l'on trouve dans les parties de son interrogatoire préalable consignées en preuve par le ministre? Interrogé au sujet de la pièce 27, le recensement de Zaporozhye, dans laquelle on indique qu'il était à l'emploi du département politique de la police auxiliaire, l'échange suivant a eu lieu :
[traduction]
M. Vita :
298. Q. Pour, pour vous, M. Fast, il est écrit « à l'emploi du département politique » [...] si vous regardez la colonne 10.
R. Je n'ai jamais été au département politique.
299. Q. Vous dites donc que ceci, ceci est incorrect?
R. Non [...] Je n'ai jamais eu de lien avec la politique.
300. Q. Eh bien, le département politique ne traitait pas de politique; c'était un département de la police auxiliaire.
R. Je n'ai pas été [...] un policier. J'étais un mécanicien automobile.
301. Q. Bien.
R. C'est ce que je faisais lorsque les Allemands étaient sur place.
[68] À un autre moment, on a posé des questions à M. Fast au sujet de la pièce 24, un document déposé en preuve par l'entremise du Dr Peter Black. Ce document a été authentifié par l'affidavit d'Alexander Sergeevich Tedeyev, directeur des archives d'État de Zaporozhye, comme étant une copie conforme d'un document conservé dans ces archives. Le Dr Black a identifié ce document comme étant une liste des employés de la SD dans la ville de Zaporozhye, liste préparée aux fins de la distribution des rations de sucre. Selon le Dr Black, « SD » était une façon courte de rendre « police de sécurité et SD » (transcription, 29 novembre 2001, page 185). Le Dr Black a déclaré que ce document datait au plus tard de décembre 1942 (transcription, ibid). Le premier nom qui apparaît sur cette liste est « Fast, Yakov Yakovlevich » . Les questions et réponses consignées en preuve par le ministre au sujet de ce document comprennent les suivantes :
[traduction]
339. Q. Bien, s'il s'agit bien de vous, ceci veut dire que vous travailliez pour la « SD » , la Singer Heistine [Sicherheitsdeinst] [...] au vu de cette liste.
R. Oh, est-ce bien cela? Oui. Je n'ai jamais travaillé pour la « SD » . Et ce sont ceux-là?
340. Q. Oui.
R. Vingt-six? [Il y a vingt-six noms sur la liste]
[69] Plus tard au cours de l'interrogatoire préalable, on a posé des questions à M. Fast au sujet de la pièce 33, un des documents déposés en preuve par le Dr Marwell. La pièce 33 est un formulaire imprimé sur lequel on trouve des inscriptions manuscrites. Le document s'intitule « Demande de naturalisation » et on y trouve la signature d'un certain Jakob Fast. Le ministre a consigné en preuve les questions et réponses suivantes à ce sujet, parmi d'autres :
[traduction]
414. Q. M. Fast, ce que j'essaie de vous expliquer c'est que, du moins selon ce document, [...] du 8 octobre 1941 au 17 avril 1944 [...] vous étiez à l'emploi de la SD. Oui.
R. À quoi suis-je supposé avoir été occupé alors?
415. Q. Eh bien, c'est une autre, une autre question. Mais laissez-moi - afin que, seulement, seulement que vous compreniez clairement, ceci serait [...] ceci serait à peu près six mois plus tard? Cette date est postérieure de six mois au moment où vous avez quitté Zaporozhye [...] plus ou moins [...] que vous étiez toujours à l'emploi de la « SD » .
R. Oui. Mon erreur. Alors j'aurais dû être - être un membre à cet endroit.
416. Q. Bien, c'est ce qui est inscrit au document.
M. Davies : Le document dit quoi, qu'il était un membre de la SD? Ce n'est certainement pas le cas.
M. Vita : Vous pouvez discuter de ce que le document dit.
M. Davies : Ce n'est pas ce qu'il dit.
L'interprète : Que vous avez été un membre [...]
R. Que j'ai été un membre là?
M. Vita :
417. Q. Ce document indique « service militaire » et vous pouvez lire ce qui est inscrit sur la ligne.
R. J'ai travaillé là comme mécanicien.
[70] À un autre moment, on a posé des questions à M. Fast au sujet de la pièce 32, un autre document déposé en preuve par l'entremise du Dr Marwell. Cette pièce est un formulaire de deux pages utilisé dans la procédure de l'EWZ. Il semble porter sur les questions de formation et d'emploi. Dans la transcription de la preuve, on le décrit comme étant [traduction] « EWZ - Dossier d'emploi » . Sur la deuxième page du document on trouve une section intitulée [traduction] « Emplois à ce jour » . Dans cette section, on trouve les renseignements suivants au sujet de Jakob Fast :
[traduction]
Nom localisation et genre d'entreprise Nature de l'emploi De À
Brigade des incendies chauffeur 1930 1932
illisible 1932 1934
Dans diverses entreprises chauffeur 1935 1941
Avec la SD interprète 1941 1943
[71] On a posé des questions à M. Fast au sujet de ce document, les parties pertinentes étant les suivantes :
[traduction]
82. Q. Passons maintenant à la deuxième page. On y trouve aussi des renseignements au sujet de votre occupation entre 1930 et 1943.
L'interprète : La deuxième page.
M. Vita :
83. Q. Oui. Oui.
R. Oui?
84. Q. Avez-vous donné ces renseignements au fonctionnaire allemand?
R. Ce qui est écrit là?
85. Q. C'est juste.
R. Oui. J'ai cela.
86. Q. Oui, vous avez fourni ces renseignements? Est-ce là votre réponse?
R. Oui, j'ai fourni ces renseignements.
[72] Vers la fin de l'interrogatoire de M. Fast, on trouve les questions et réponses suivantes :
[traduction]
158. Q. M. Fast, avez-vous jamais porté un uniforme entre 1941 et 1944?
R. Non, je n'ai jamais eu d'uniforme.
159. Q. Avez-vous [...]
R. Je n'avais pas d'uniforme.
160. Q. Avez-vous jamais porté une arme à feu, qu'il s'agisse d'une carabine ou d'un pistolet?
R. Non, je n'en ai jamais eu.
161. Q. Avez-vous jamais reçu une déclaration [décoration] du Reich allemand?
R. Non.
[73] Les renseignements inclus dans le dossier du ministre portent que M. Fast n'avait pas de liens avec la SD [note : sauf lorsque le contexte est à l'effet contraire, j'utilise l'expression SD comme elle était utilisée par la population locale, savoir en parlant du département politique de la police auxiliaire]. Le ministre s'appuie aussi sur une réponse ambiguë portant qu'il aurait pu être membre de la SD, suivie de l'assertion qu'il était un chauffeur « là » . Le ministre a aussi consigné au dossier, comme partie de sa preuve, l'aveu de M. Fast voulant qu'il avait fourni les renseignements qui apparaissent à la page 2 de la pièce 32, savoir qu'il était « avec » la SD de 1941 à 1943, ainsi que son assertion qu'il n'a jamais porté d'uniforme ou d'arme à feu. Le fait qu'il nie avoir porté un uniforme est contredit par une photo attachée à la pièce 31, où l'on voit clairement qu'il porte un uniforme. Le numéro de série de la photographie, 782058, est le même numéro qui apparaît sur tous les documents de l'EWZ relatifs à Jakob Fast. Il n'y a eu aucune preuve au sujet du genre d'uniforme en cause.
[74] La plus grande partie de cette preuve viendrait disculper M. Fast, mais c'est le ministre qui l'a consignée. Je ne suis toutefois pas capable d'arriver à quelque conclusion que ce soit au sujet des activités de M. Fast en temps de guerre en me fondant sur ses réponses aux questions qui lui ont été posées lors de l'interrogatoire préalable. Certaines réponses sont contradictoires et on trouve des dénégations sans équivoque de toute participation à la SD, à côté de réponses qui donnent à penser que M. Fast a déclaré aux fonctionnaires de l'EWZ qu'il était « avec » la SD. Si je considère la preuve tirée de l'interrogatoire préalable dans son ensemble, je ne crois pas qu'elle démontre, selon la prépondérance des probabilités, que M. Fast était membre de la SD de 1941 à 1943.
[75] La prochaine source de renseignements au sujet des activités de M. Fast en temps de guerre se trouve dans la preuve recueillie par la commission rogatoire qui s'est rendue en Ukraine, pièce 155 en l'espèce. Cette preuve a été recueillie à Zaporozhye, en Ukraine, du 20 au 23 août 2001. Siégeant en qualité de commissaire, j'ai entendu les témoignages de Galina Karpovna Sivodid, Mariya Ivanovna Kopayevskaya, Petr Sergeyevich Motryev, Pavil Mikhaylovich Vasilenko, Anatoli Nikiforovich Fomin et Petro Stepanovich Kudin. Toutes ces personnes, sauf une, avaient été internées dans des camps de concentration nazis, après avoir été arrêtées par les forces occupantes ou leurs auxiliaires locaux. Pour les besoins de l'espèce il n'est pas nécessaire que je donne un compte rendu détaillé de leurs témoignages, mais je ne veux surtout pas que mon laconisme soit considéré comme une indication que je n'ai pas été ému par leurs histoires. Ils sont venus me parler, avec humilité et simplicité, des cruautés dont ils avaient été les témoins et des souffrances qui leur avaient été infligées. Encore maintenant, je revois Galina Karpovna Sivodid, un numéro tatoué sur son avant-bras, assise sur une chaise bancale dans une petite salle d'audience étouffante et mal aérée à Zaporozhye. Elle me parle du sort réservé aux juifs de Zaporozhye et sa voix se fait l'écho de cette époque :
[traduction]
Q. Pourriez-vous dire au tribunal ce qui est arrivé aux juifs à Zaporozhye?
R. Bien, ne savez-vous pas comment on les a traités? On les a fusillés. Je me souviens qu'une fois je déambulais en pleine journée. C'était non loin de la rue Angolenko, où l'on trouve maintenant une gare d'autobus. Il y avait une file de gens, des personnes âgées et des enfants. C'étaient des juifs. Je me souviens, il y avait une femme âgée, qui semblait avoir mon âge, elle n'avait pas de vêtements et elle était très pauvrement recouverte. On les a tous pris. C'est ce que j'ai vu.
Q. Pouvez-vous dire au tribunal qui les surveillait?
R. Ils étaient escortés par la polizei. Ces gens étaient escortés par la polizei, qui était en armes. Ils avaient leurs armes à feu. On les a fusillés au Sovkhoz Staline. C'est comme ça qu'on appelait cet endroit alors. Maintenant, c'est la ferme expérimentale. On y trouvait des tranchées anti-char. C'est là qu'on les a fusillés.
Q. Pouvez-vous dire au tribunal si ces policiers portaient des uniformes ou non?
R. Ils portaient des manteaux noirs et des brassards blancs. Je me souviens du bruit de la fusillade. Nous vivions à Kosmicheskiy, sur la rue Komunarskiy. Ma fille aînée avait alors cinq ans. Je me souviens qu'au début des fusillades elle criait « Ils ont commencé à tirer. Ils ont commencé à tirer » , et elle essayait de se sauver et de se cacher.*
Q. Dois-je comprendre, Mme Sivodid, que votre maison était située à proximité de la ferme collective Staline?
R. Nous étions de 2,5 à 3 kilomètres maximum, mais nous entendions tout, nous entendions très clairement le bruit des mitrailleuses.
* La transcription de son témoignage est rédigée comme suit : « Je me souviens qu'au début de la fusillade elle criait. Ils ont commencé à tirer. Ils ont commencé à tirer, et ils essayaient de se cacher et de se sauver. » Je reproduis ce passage selon mon souvenir, tel qu'il est transcrit dans mes notes.
[76] Même les enfants savaient qu'il y avait du meurtre dans l'air.
[77] Galina Karpovna Sivodid a témoigné qu'on l'avait arrêtée et qu'après avoir été détenue 12 jours dans l'immeuble de la Gestapo, elle a été amenée à la prison de la rue Dzerzhinskiy, près de la rue Angolenko. Elle a témoigné qu'il y avait deux frères Fast à cet endroit. L'un était le chef de la police alors que l'autre était le chef de la prison. C'est le plus jeune qui était le chef de la prison et il avait une chevelure blonde (pièce 155, pages 36 et 37). Les gardes de la prison portaient des uniformes noirs, alors que les frères Fast étaient habillés en civil (pièce 155, page 38). En contre-interrogatoire, elle a déclaré que le chef de la prison avait une chevelure rousse. Elle a aussi déclaré que, parmi huit photographies qu'on lui avait montrées, elle avait plus tôt identifié la photographie d'un homme à la chevelure rousse comme celle du chef de la prison (pièce 155, pages 51 à 53).
[78] Mariya Ivanovna Kopayevskaya a assisté à l'arrestation de son père, qui a été amené à la station de police à l'angle des rues Dzerzhinskiy et Angolenko. De là, on l'a amené au 2 de la rue Dzerzhinskiy pour l'interroger. Debout dans la rue, elle a entendu ses cris pendant qu'on le torturait. Elle a témoigné que le frère de Jacob Fast, Ivan, était le chef de la police (pièce 155, page 68). Elle ne savait pas exactement quelles étaient les tâches de Jacob Fast, bien qu'elle croyait qu'il travaillait pour les Allemands, peut-être comme interprète. Elle l'a décrit comme un soldat auxiliaire. Elle a fait un peu de nettoyage dans un immeuble qui servait de cantine aux Allemands. Elle y a vu Jacob Fast. Il portait un uniforme de couleur kaki et était armé d'un pistolet (pièce 155, page 70). Elle a témoigné qu'il travaillait dans l'immeuble situé au coin des rues Proletaraskaya et Hohol.
[79] Petr Sergeyevich Motryev a été arrêté en 1943 et il est resté sous la garde de la SD pendant un mois, avant d'être envoyé dans un camp de concentration. Il a témoigné des conditions effroyables dans la prison de la SD, ainsi que de son voyage par chemin de fer jusqu'au camp de concentration. Il a déclaré que comparé aux traitements qu'il avait reçus sous la garde de la SD, Dachau était un camp de vacances. Il n'a pas parlé de Jacob Fast.
[80] Pavil Mikhaylovich Vasilenko a été arrêté au même moment que Petr Sergeyevich Motryev. Après son arrestation, on les a amenés à la station de police sur la rue Chekista. Un mois plus tard, ils ont été amenés à l'immeuble de la SD sur la rue Angolenko. Il a identifié un homme du nom de Links comme chef de la prison, un homme mince, à la chevelure rousse et au visage rouge. De la prison de la SD il a d'abord été amené à Auschwitz, et ensuite à Dachau. Il n'a pas parlé de Jacob Fast.
[81] Anatoli Nikiforovich Fomin a été arrêté et amené à la prison de la rue Angolenko, qu'il a su plus tard être dirigée par la SD. Durant un interrogatoire, un de ses camarades de l'école de métiers, un Allemand de la ville, était présent à titre d'interprète. Il a déclaré avoir vu le chef de la prison une fois, sans par ailleurs connaître son nom. C'était un homme mince avec un visage rouge, et une chevelure rousse. De la prison, on l'a amené à Buchenwald.
[82] Petro Stepanovich Kudin a été arrêté en septembre 1943 par suite de son association avec les partisans. On l'a amené à la station de police du district, où il a dû attendre face au mur avec les mains liées derrière le dos. Après une heure, un homme en uniforme allemand avec l'insigne des SS au col, ainsi que l'insigne de la SD sur sa manche, est entré et il a attrapé M. Kudin par les cheveux, lui a levé la tête et l'a regardé en face. Il a ensuite jeté son chapeau et un dossier qu'il portait sur une table et s'est présenté comme étant M. Fast. M. Kudin croit se souvenir que cette personne lui a dit qu'elle avait le grade de Hauptsturmfuhrer. Cet officier avait des cheveux foncés gominés, comme s'il arrivait de chez le coiffeur.
[83] Après son interrogatoire par M. Fast, M. Kudin a été amené à une prison de Zaporozhye; il pense qu'elle était située à l'angle des rues Chekista et Dzerzhinskiy. Il l'a décrite comme étant une prison de la SD. Alors qu'il était là, il a entendu dire que le chef de la prison s'appelait Link. Link portait un imperméable, sur un uniforme décoré des insignes SS. C'était un homme à l'aspect débraillé, avec un visage pointu et des sourcils roux. M. Kudin est resté brièvement dans la prison de la SD, avant qu'on ne l'envoie vers l'ouest à l'approche des troupes soviétiques. Il est resté à Dachau jusqu'en avril 1945, alors qu'on l'a envoyé dans une « marche à la mort » en direction de l'Allemagne nazie. C'est au cours de cette marche qu'il a été libéré.
[84] Au vu de ces témoignages, je ne peux arriver à aucune conclusion au sujet des activités de Jacob Fast en temps de guerre. Mme Sivodid a dit qu'il était le chef de la prison de la SD et qu'il avait les cheveux blonds. Elle a aussi décrit le chef de la prison comme un homme qui avait les cheveux roux, ou rougeâtres. Mme Kopayevskaya a dit que Jacob Fast portait un uniforme et une arme à feu, mais qu'elle ne savait pas ce qu'il faisait. Elle croit qu'il pouvait avoir été un traducteur ou un soldat auxiliaire. MM. Motryev et Vasilenko n'ont pas parlé de Jacob Fast. M. Vasilenko a identifié un homme du nom de Links comme étant le chef de la prison de la SD. M. Fomin pouvait seulement dire que le chef de la prison était un homme mince, avec des cheveux roux, ou rougeâtres.
[85] M. Kudin a parlé d'un officier SS/SD, qu'il croyait avoir le grade de Hauptsturmfuhrer. Il n'y a rien dans la preuve qui donnerait à croire que M. Fast était un membre régulier des SS ou de la SD. Dans sa déclaration, le ministre admet que les autochtones d'ethnie allemande n'étaient pas admissibles au statut de membres des SS/SD. Toutes les allégations contre M. Fast portent qu'il était membre des auxiliaires locaux. Comme nous allons le voir, les documents sur lesquels le ministre s'appuie font état d'une personne à l'emploi de la police auxiliaire. On ne trouve rien qui donnerait à croire que M. Fast avait un grade militaire, comme celui de Hauptsturmfuhrer. Ceci ne veut pas dire qu'il n'y a pas eu d'officier SS du nom de Fast, mais simplement qu'il n'y a pas de lien entre cet officier et le défendeur en l'espèce.
[86] Je crois que les seules conclusions qu'on peut tirer avec certitude c'est que le chef de la prison de la SD était probablement un homme mince avec des cheveux roux. Il y a une certaine preuve qu'un homme du nom de Jacob Fast aurait travaillé pour les forces allemandes de quelque façon, probablement pas comme chef de la prison, comme le déclare Mme Sivodid, mais peut-être comme auxiliaire. Au vu de cette preuve, il est plus que probable que le chef de la prison soit l'homme qu'on a appelé Link ou Links.
[87] Au cours de son interrogatoire préalable, Jacob Fast a admis que son frère Ivan faisait partie de la police (pièce 155, vol. 2, questions 254 à 256). Dans la mesure où Mme Sivodid a parlé des frères Fast, on peut considérer que cela vient corroborer que le Jacob Fast dont elle parle est le défendeur en l'espèce.
[88] Le ministre a accordé un poids considérable au document qu'on a appelé la « liste du sucre » , pièce 24, pour prouver que Jacob Fast était à l'emploi de la SD et, de façon moins immédiate, qu'il avait un grade supérieur dans la SD. La liste du sucre est un document déposé en preuve par l'entremise du Dr Black. Elle vient illustrer son témoignage qui veut que les forces d'occupation allemandes avaient une politique de traitement préférentiel pour les membres de l'ethnie allemande (pièce 2, page 58, note 154). La liste du sucre est un document portant la date du 19 décembre 1942, intitulé [traduction] « Liste des employés de la SD, ville de Zaporozh'e » . Le premier nom sur cette liste est « Fast, Yakov Yakovlevich » , qui est chef d'une famille de « 6 » . La liste est signée par « Fast » , à côté de la mention [traduction] « chef, département II, SD » . Le ministre soutient que le fait que le nom de Jacob Fast apparaît sur la liste constitue non seulement une preuve que Jacob Fast était associé à la SD, mais qu'il y occupait une situation d'importance étant donné que son nom est en tête de liste. Cette dernière prétention me semble totalement spéculative.
[89] Me fondant sur les renseignements qui se trouvent dans d'autres documents dont j'ai accepté l'authenticité, je conclus qu'à l'époque la famille de Jacob Fast était constituée de son épouse et de quatre enfants. Par conséquent, il y a une certaine preuve que le Yakov Fast mentionné à la pièce 24 est le défendeur en l'espèce et qu'il était à l'emploi de la SD à Zaporozhye.
[90] Le ministre s'est aussi appuyé sur la pièce 27, le document de recensement dont j'ai déjà fait état. En plus des renseignements susmentionnés sur l'identité, le document a aussi une colonne qui sert à indiquer l'emploi de la personne en cause. Dans le cas de Jakob Yakovlevich Fast, dont le nom apparaît à la ligne 193 du document, le défendeur, la note dans la colonne sur l'emploi indique [traduction] « département politique » . Le département politique peut se rapporter à plusieurs organismes, puisqu'on ne peut présumer que la police était la seule institution à Zaporozhye qui avait un département politique. Par contre, le fait que la police auxiliaire avait un département politique n'est pas sans signification. « Le département politique » ne décrit pas toutefois une profession, mais bien un employeur ou un lieu d'emploi. Par exemple, à la page 47 de son rapport, pièce 2, le Dr Black déclare ceci au sujet de la police auxiliaire à Zaporozhye :
[traduction]
Les autorités allemandes avaient créé une section administrative au sein du département de la police, qui comprenait un gestionnaire, douze employés de bureau, huit employés de garage, deux comptables et deux dactylographes.
[91] Tous les employés du département de la police n'étaient pas des policiers. Néanmoins, si l'on associe les pièces 24 et 27, on peut démontrer un certain lien entre Jacob Fast et la police auxiliaire.
[92] La preuve qui me semble la plus convaincante au sujet des activités de Jacob Fast en temps de guerre se trouve dans certains des documents de l'EWZ, pièces 32, 33 et 35. Comme je l'ai mentionné plus tôt, l'EWZ était l'agence chargée de la naturalisation des Volksdeutsche, ou personnes d'ethnie allemande. La pièce 32 semble être un formulaire dont l'objectif est d'inscrire les divers emplois d'un demandeur ainsi que son statut financier. Le demandeur est donné comme étant Jakob Fast. Le formulaire contient le même numéro d'enregistrement que celui qui apparaît sur tous les autres documents de l'EWZ au sujet de Jacob Fast, savoir le 782058. La profession de M. Fast est indiquée comme « chauffeur » . Le formulaire indique que M. Fast a complété un apprentissage de huit mois comme chauffeur en 1929. Sa compétence dans sa profession est donnée comme [traduction] « conduire une automobile » . La deuxième page contient les renseignements suivants, que j'ai déjà reproduits plus tôt dans ces motifs :
[traduction]
Emplois à ce jour
Nom localisation et genre d'entreprise Nature de l'emploi De À
Brigade des incendies chauffeur 1930 1932
illisible 1932 1934
Dans diverses entreprises chauffeur 1935 1941
Avec la SD interprète 1941 1943
[93] La pièce 33 est un formulaire qui s'intitule [traduction] « Demande de naturalisation » , où le demandeur est identifié comme Jakob Fast. Ce formulaire exige du demandeur qu'il fournisse des renseignements relatifs à plusieurs sujets, y compris le [traduction] « Service militaire » , où l'on trouve la mention suivante : [traduction] « 1932 - 1934 dans l'armée soviétique, comme chauffeur; 8.X.1941 à ce jour, avec la SD » . La pièce 35 est un autre formulaire imprimé de l'EWZ au sujet de Jakob Fast, sa profession y étant donnée comme celle de chauffeur.
[94] J'ai déjà expliqué dans mes motifs pourquoi je conclus que les documents de l'EWZ sont authentiques, et qu'ils renvoient bien au défendeur Jacob Fast. Je suis convaincu que les documents de l'EWZ établissent aussi que le défendeur Jacob Fast était à l'emploi de la SD dans un poste donné, plus probablement comme interprète ou chauffeur. Encore une fois, le renvoi à la SD ici se réfère à la section politique de la police auxiliaire de Zaporozhye.
[95] La photo de Jacob Fast prise lors des procédures de l'EWZ, pièce 156, le montre habillé d'un uniforme de type militaire avec un col. On ne voit aucun insigne sur l'uniforme. Il semble être fabriqué d'un matériel assez épais, probablement de la laine, et il est foncé quoiqu'il n'est visiblement pas noir.
[96] La conclusion voulant que Jacob Fast ait été à l'emploi de, ou associé à, la SD est corroborée par la preuve de Mme Kopayevskaya, ainsi que par la pièce 24, la liste des employés de la SD à Zaporozhye, et la pièce 27, les données du recensement.
[97] La preuve ne vient pas appuyer une conclusion que M. Fast aurait été le chef de la prison de la SD. Dans les documents de l'EWZ, il se décrit comme ayant un poste d'auxiliaire. Mme Kopayevskaya le décrit comme portant un uniforme, ainsi qu'une arme à feu, mais elle croyait qu'il était peut-être un interprète ou un « soldat auxiliaire » . Le commun dénominateur des descriptions du chef de la prison est qu'il avait des cheveux roux ou blonds. La photo de M. Fast que nous possédons montre que ses cheveux sont foncés et non blonds.
[98] En définitive, il n'est pas nécessaire de décider si M. Fast était un policier, un interprète ou un chauffeur. La question à trancher ne consiste pas à savoir s'il a été complice de crimes de guerre. L'avis du ministre soulève la question de la collaboration de M. Fast avec les autorités occupantes allemandes, de son association avec la police auxiliaire autochtone sous direction allemande, et de son association avec la police de sécurité et le service de sécurité allemands (Sicherheitspolizei und SD). Selon moi, la preuve démontre qu'il était associé avec la section politique de la police auxiliaire de Zaporozhye, placée sous le contrôle direct de la police de sécurité et du service de sécurité allemands (Sicherheitspolizei und SD). En ce qui me concerne, ceci est une preuve qu'il a collaboré.
La citoyenneté allemande de Jacob Fast
[99] Les documents de l'EWZ, et surtout la pièce 34, établissent clairement que, le 21 janvier 1944, Jacob Fast a obtenu la citoyenneté allemande [traduction] « par naturalisation, à la date de délivrance de ce certificat » . La pièce 38 est un ordre de délivrer le certificat de naturalisation. On y trouve, en bas de page, la mention suivante [traduction] « J'ai reçu mon certificat de naturalisation aujourd'hui. KULM, 21.1.1944 » , suivie de la signature de Jakob Fast. Bien qu'on n'a pas présenté de preuve au sujet de la calligraphie, je suis convaincu que cette signature est celle du défendeur Jakob Fast, me fondant sur ma conclusion que ce groupe de documents de l'EWZ se rapporte à lui. Bien qu'il soit théoriquement possible que quelqu'un d'autre ait pu signer ce document, la signature semble visiblement être la sienne et il est clair que ces documents se rapportent à lui. Ceci suffit à transférer le fardeau tactique de la preuve à M. Fast. S'il ne s'agissait pas de sa signature, il avait l'occasion de le faire savoir.
L'IMMIGRATION DE JACOB FAST AU CANADA
La législation pertinente
[100] Suite à la conclusion que M. Fast était associé avec la police auxiliaire durant les années de guerre et qu'il a acquis la citoyenneté allemande, il faut maintenant examiner la procédure par laquelle il a été admis au Canada. Pour avoir gain de cause, le ministre doit démontrer que lors de sa demande pour immigrer au Canada M. Fast a fait de fausses déclarations au sujet de ses activités en temps de guerre ou de sa citoyenneté allemande, ou qu'il a dissimulé ces faits intentionnellement. Les dossiers du ministère qui portent sur l'immigration de M. Fast ont été détruits dans le cadre de la politique gouvernementale de destruction des dossiers non essentiels. Par conséquent, les documents qui consignent ce que M. Fast a dit à son sujet, ou qui font ressortir ce qu'il n'a pas dit, n'existent plus. En conséquence, le ministre ne peut obtenir gain de cause qu'en démontrant qu'il existait à l'époque pertinente la pratique courante de s'enquérir des activités en temps de guerre et de la citoyenneté, de sorte que M. Fast n'aurait pas été admis au Canada s'il avait répondu de façon véridique aux questions qu'on lui a posées.
[101] Il y a une question préliminaire qui porte sur la législation applicable en l'espèce. M. Fast a fait sa demande de citoyenneté en 1952 et il l'a obtenue en 1954. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt, l'avis du ministre limite la portée de la présente enquête aux événements qui se sont produits en 1947. Par conséquent, l'avocat de M. Fast soutient que le ministre ne peut avoir gain de cause puisque les événements qui ont eu lieu en 1952 ne sont pas mentionnés dans l'avis du ministre. Le ministre rétorque à ceci que le paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté (la présente loi) porte qu'une personne est réputée avoir acquis la citoyenneté par fausse déclaration ou dissimulation de faits essentiels si elle a obtenu le titre de résident permanent au Canada par l'un de ces moyens :
10. (2) Est réputée avoir acquis la citoyenneté par fraude, fausse déclaration ou dissimulation intentionnelle de faits essentiels la personne qui l'a acquise à raison d'une admission légale au Canada à titre de résident permanent obtenue par l'un de ces trois moyens. |
|
10. (2) A person shall be deemed to have obtained citizenship by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances if the person was lawfully admitted to Canada for permanent residence by false representation or fraud or by knowingly concealing material circumstances and, because of that admission, the person subsequently obtained citizenship. |
|
|
|
[102] Si le paragraphe 10(2) de la Loi s'applique en l'espèce, le ministre peut avoir gain de cause en démontrant qu'il y a eu fausse déclaration ou dissimulation de faits essentiels au cours de la procédure par laquelle M. Fast a obtenu l'admission au Canada. Autrement, le texte de l'avis ne permet pas la présentation d'un rapport au gouverneur en conseil fondé sur des événements qui se sont produits après 1947.
[103] L'avocat de M. Fast déclare pour sa part que l'article 10 de la présente loi ne s'applique qu'aux personnes dont « l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi » , alors que M. Fast a acquis la citoyenneté en vertu d'une loi antérieure, la Loi sur la citoyenneté, S.C. 1946, ch. 15 (l'ancienne loi). Par conséquent, la présomption du paragraphe 10(2) ne s'applique qu'aux personnes qui ont acquis la citoyenneté après l'entrée en vigueur de la présente loi en 1976. De toute façon, l'avocat de M. Fast s'appuie sur l'alinéa 44c) de la Loi sur l'interprétation, L.R.C. 1985, ch. I-21, pour dire que M. Fast a un droit acquis qui fait que sa citoyenneté ne peut être révoquée que conformément à l'ancienne loi :
43. L'abrogation, en tout ou en partie, n'a pas pour conséquence :
[...] |
|
43. Where an enactment is repealed in whole or in part, the repeal does not:
. . . |
|
|
|
c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé; |
|
(c) affect any right, privilege, obligation or liability acquired, accrued, accruing or incurred under the enactment so repealed, |
|
|
|
[104] L'avocat du ministre pour sa part déclare que le paragraphe 10(2) de la présente loi est une disposition de procédure et il soutient que l'alinéa 44d) de la Loi sur l'interprétation exige que la procédure prévue dans la présente loi soit utilisée même lorsqu'il s'agit de droits acquis en vertu de l'ancienne loi :
44. En cas d'abrogation et de remplacement, les règles suivantes s'appliquent :
[...] |
|
44. Where an enactment, in this section called the "former enactment", is repealed and another enactment, in this section called the "new enactment", is substituted therefor,
. . . |
|
|
|
d) la procédure établie par le nouveau texte doit être suivie, dans la mesure où l'adaptation en est possible : |
|
|
|
|
|
(d) the procedure established by the new enactment shall be followed as far as it can be adapted thereto(i) pour le recouvrement des amendes ou pénalités et l'exécution des confiscations imposées sous le régime du texte antérieur, |
|
(i) in the recovery or enforcement of fines, penalties and forfeitures imposed under the former enactment, |
|
|
|
(ii) pour l'exercice des droits acquis sous le régime du texte antérieur, |
|
(ii) in the enforcement of rights, existing or accruing under the former enactment, and |
|
|
|
(iii) dans toute affaire se rapportant à des faits survenus avant l'abrogation; |
|
(iii) in a proceeding in relation to matters that have happened before the repeal; |
|
|
|
[105] L'avocat du ministre s'appuie sur les décisions Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Oberlander, [2000] A.C.F. no 229, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Luitjens, [1989] 2 C.F. 125, à la page 131, pour étayer son point de vue que le paragraphe 10(2) de la présente loi est de nature procédurale et qu'il s'applique donc en l'espèce.
[106] Il me semble que la question à trancher n'est pas celle de savoir si le paragraphe 10(2) peut être utilisé en l'espèce par le ministre, mais bien celle de savoir si la loi actuelle autorise la tenue des présentes procédures. L'argument qui veut que les droits de M. Fast sont déterminés par l'ancienne loi et qu'on ne peut les révoquer qu'en vertu de cette loi trouve sa réponse au paragraphe 42(1) de la Loi sur l'interprétation, qui est rédigé comme suit :
42. (1) Il est entendu que le Parlement peut toujours abroger ou modifier toute loi et annuler ou modifier tous pouvoirs, droits ou avantages attribués par cette loi. |
|
42. (1) Every Act shall be so construed as to reserve to Parliament the power of repealing or amending it, and of revoking, restricting or modifying any power, privilege or advantage thereby vested in or granted to any person. |
|
|
|
[107] J'interprète cette disposition comme voulant dire que le Parlement peut, en matière de droits conférés par une loi, les modifier par une disposition législative subséquente. Par conséquent, rien n'empêche le Parlement d'adopter une législation qui modifie les conditions de révocation de la citoyenneté. S'il existe une limite, c'est celle que constitue la présomption que la législation ne doit pas avoir d'effet rétroactif. M. Fast ne peut perdre sa citoyenneté aujourd'hui du fait qu'il ne rencontre pas une condition qui n'était pas exigée lorsqu'il est devenu citoyen en 1954. Mais l'interdiction de faire de fausses déclarations ou de dissimuler intentionnellement des faits essentiels n'est pas une condition d'admissibilité. Le fait d'autoriser la révocation de la citoyenneté comme conséquence de fausses déclarations n'est pas non plus une « criminalisation » ex post facto d'un comportement qui était innocent lorsqu'il s'est produit. L'analyse applicable est celle du juge Noël dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Dueck , [1998] 2 C.F. 614, au paragraphe 43 :
La révocation par l'État d'un privilège pour le motif que celui-ci a été acquis à l'origine par fraude, laquelle révocation est fondée sur une mesure de redressement prévue par la loi exclusivement à cette fin, n'est pas une punition. Le remède n'est pas plus punitif que ne le serait, par exemple, la mesure adoptée par une compagnie d'assurances qui poursuit en justice un assuré en vue de l'annulation du contrat pour le motif que celui-ci a été obtenu à l'origine par fraude, fausse déclaration ou dissimulation volontaire de faits essentiels. Dans l'un et l'autre cas, la mesure de redressement se limite à la révocation de quelque chose auquel l'intéressé n'a jamais eu droit.
[108] M. Fast n'avait pas plus le droit d'obtenir l'admission au Canada par suite de fausses déclarations ou de dissimulation intentionnelle de faits essentiels qu'il avait d'obtenir la citoyenneté par ces moyens. Comme la présente espèce ne constitue pas une procédure criminelle, il n'est pas question d'imposer la pénalité en vigueur au moment où l'infraction est née. Comme le dit le juge Noël, il s'agit tout simplement de révoquer un privilège obtenu par des moyens illégaux.
[109] En conséquence, le ministre peut utiliser le paragraphe 10(2) de la présente loi, dans la mesure où il peut utiliser la présente loi. Son droit de procéder ainsi n'est pas évident, puisqu'il n'est pas clair que M. Fast est une personne dont « l'acquisition, la conservation ou la répudiation de la citoyenneté, ou la réintégration dans celle-ci, est intervenue sous le régime de la présente loi » , c'est-à-dire celle qui est en vigueur en ce moment. Par conséquent, à première vue la Loi semble limiter le droit du ministre d'initier une procédure de révocation aux seuls cas où la citoyenneté a été acquise en vertu de la présente loi, ce qui n'est pas le cas de M. Fast. En pratique, si l'on accepte cet argument, la seule catégorie de cas qui serait en cause est celle où il est question d'une citoyenneté obtenue par des moyens illégaux, puisque les autres catégories visées par cette disposition portent sur des questions qui sont vraisemblablement contemporaines. Toutefois, l'obtention de la citoyenneté s'est plus vraisemblablement produite sous le régime d'une version plus ancienne de la Loi sur la citoyenneté, surtout lorsqu'il s'agit de personnes dont on met en cause les activités durant la Seconde Guerre mondiale. La question consiste donc à savoir si le Parlement avait l'intention d'interdire toute procédure de révocation de la citoyenneté de personnes qui l'avaient obtenue par fausse déclaration ou dissimulation avant l'entrée en vigueur de la présente loi. On ne m'a pas présenté de preuve quant à l'intention du Parlement lorsqu'il a adopté cette disposition, mais je prends note du point de vue de la Cour suprême du Canada, exprimé dans l'arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, où la question consistait à déterminer s'il y avait lieu de suspendre les procédures de révocation prises contre certains défendeurs qui avaient fait de fausses déclarations au sujet de leurs activités en temps de guerre (au paragraphe 109) :
De l'autre côté de la balance, l'intérêt de la société à ce que soit rendu un jugement définitif sur le fond est évident. Il est impératif que la vérité se manifeste. S'il n'est pas prouvé que les appelants ont fait les choses qu'on leur reproche, ils garderont leur citoyenneté. Mais si les actes allégués sont établis, en tout ou en partie, les mesures appropriées devront être prises. Ce qui est en jeu ici, si peu que ce soit, c'est la réputation du Canada en tant que membre solidaire de la communauté internationale. À notre avis, cette préoccupation est de la plus haute importance.
[110] Ce texte date de 1997, soit longtemps après l'adoption de la présente loi. Il démontre toutefois l'importance attachée aux procédures comme celle qui est en cause en l'espèce.
[111] Comment doit-on interpréter les termes « sous le régime de la présente loi » qui apparaissent au paragraphe 10(1) de la Loi? Selon l'avocat de M. Fast, ces termes doivent être interprétés comme des termes limitatifs, en ce sens que la procédure de révocation pourrait être utilisée contre des personnes qui ont obtenu la citoyenneté par fraude [traduction] « sous le régime de la présente loi, savoir la Loi sur la citoyenneté telle qu'elle existe maintenant » . Est-il raisonnable de croire qu'en adoptant cette législation le Parlement avait l'intention d'accorder une amnistie à tous ceux qui auraient pu acquérir la citoyenneté par fausse déclaration ou dissimulation avant l'adoption de la disposition présente en 1976? Si c'était le cas, toutes les procédures en révocation intentées jusqu'ici au vu des activités de certaines personnes au cours de la Seconde Guerre mondiale seraient remises en question.
[112] Cet argument a été examiné et rejeté dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Odynsky, [2001] A.C.F. no 286. Après avoir fait remarquer que toutes les versions de la Loi sur la citoyenneté depuis 1946 contiennent une disposition qui autorise la révocation de la citoyenneté acquise au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation, M. le juge MacKay ajoute ceci :
[...] Je ne partage pas la position du défendeur que le paragraphe 10(1) comportait une procédure fondamentalement nouvelle, introduite par la révision du milieu des années 70. Cette loi reprenait plutôt la procédure prévue dans les Lois de 1970, 1952 et 1946, en y apportant des modifications légères, mais significatives.
Donc, à mon sens, les termes « sous le régime de la présente loi » au paragraphe 10(1) renvoient à la Loi sur la citoyenneté dans un sens général, c'est-à-dire à la fois aux lois antérieures et à la Loi actuelle. Ils ne renvoient pas simplement à la Loi actuelle [...]. L'application du paragraphe 10(1), à mon avis, ne se limite pas aux personnes qui ont acquis la citoyenneté après 1976 et le Parlement n'a pu vouloir que la procédure de révocation ne s'applique qu'à ceux qui acquièrent la citoyenneté après l'entrée en vigueur de la Loi en 1976. En fait, à compter de la première Loi sur la citoyenneté, adoptée en 1946, toutes les lois qui se sont succédé ont prévu le pouvoir discrétionnaire pour le gouverneur en conseil de révoquer la citoyenneté sur recommandation du ministre lorsque l'acquisition de la citoyenneté est intervenue par fraude, au moyen d'une fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels.
[113] Le raisonnement de mon collègue me convainc et je conclus que l'expression « sous le régime de la présente loi » , qui apparaît au paragraphe 10(1) de la présente loi, doit être interprétée comme voulant dire « sous le régime de la présente loi, la Loi sur la citoyenneté, telle qu'adoptée au fil des ans » . Cette interprétation est cohérente avec l'esprit de la présente loi et avec toutes les versions de la Loi sur la citoyenneté qui l'ont précédée.
Le contrôle de sécurité des immigrants
[114] Il est maintenant nécessaire d'examiner la procédure par laquelle les immigrants étaient admis au Canada lors de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale. Suite à la Première Guerre mondiale, le Canada a largement ouvert ses portes et accueilli un grand nombre d'immigrants. Mais la situation au cours de la grande crise économique ne permettant pas d'accueillir des immigrants, l'immigration au Canada est devenue très restrictive. Après la Seconde Guerre mondiale, le Canada a recommencé à admettre des immigrants. La procédure par laquelle cette politique a été mise en oeuvre est au coeur des questions que je dois trancher.
[115] Le cadre juridique qui régit l'admission des immigrants au Canada a été créé par des arrêtés en conseil. L'arrêté en conseil CP 695, entré en vigueur le 18 mars 1931, avait pour effet d'interdire l'immigration au Canada, sauf pour certaines catégories étroites. Le préambule de cet arrêté en conseil porte qu'il est adopté [traduction] « au vu du chômage qui existe provisoirement au Canada » , savoir au cours de la grande crise économique. Suite à sa modification par le CP 5024, daté du 30 juin 1944, le CP 695 autorisait l'agent d'immigration responsable à n'admettre au Canada que les sujets britanniques, les citoyens américains qui avaient les moyens d'assurer leur subsistance, l'épouse ou l'enfant de moins de 18 ans d'une personne légalement admise au Canada et qui y résidait, à condition qu'il ait les moyens d'assurer leur subsistance, un agriculteur « qui a les moyens suffisants pour se livrer à la culture de la terre au Canada » , la fiancée d'une homme ayant le statut de résident, et un étranger ayant servi dans les forces armées canadiennes libéré avec une mention honorable. Comme on peut le voir, cette politique était très restrictive. Pour les diverses raisons qu'expose le rapport du Dr Avery (pièce 56), aux pages 20 à 31, la politique gouvernementale après la guerre allait dans le sens d'une libéralisation de l'immigration, tout en conservant un contrôle rigide sur le processus.
[116] Cette politique restrictive a fait l'objet d'une certaine ouverture visant les parents proches des personnes résidant licitement au Canada, par l'adoption du CP 2071, daté du 28 mai 1946. Cet arrêté en conseil ajoutait une nouvelle catégorie à celles que l'on trouve au CP 695, savoir :
[traduction]
Le père ou la mère, le fils ou la fille célibataire âgé ou âgée de plus de 18 ans, le frère ou la soeur célibataire, le neveu orphelin ou la nièce orpheline âgé ou âgée de moins de 16 ans, de toute personne résidant licitement au Canada, qui est en mesure de recevoir de tels parents et d'en prendre soin. L'expression « orphelin » ou « orpheline » dont il est fait usage au présent article, signifie un enfant dont le père et la mère sont morts.
[117] Ces personnes étaient admises au Canada en qualité de parents d'une personne qui y résidait licitement. Les catégories de personnes admissibles au Canada ont été élargies à nouveau en janvier 1947, par la promulgation du CP 371, qui consolidait les catégories de parents dont l'admission était autorisée par le CP 2071, ainsi que ceux qui étaient auparavant admissibles en vertu du CP 695, en une seule catégorie décrite comme suit :
[traduction]
[...]
3. L'épouse, le fils ou la fille célibataire, le frère ou la soeur, le père ou la mère, la fille veuve ou la soeur avec ou sans enfants célibataires âgés de moins de 18 ans, le neveu orphelin ou la nièce orpheline âgée de moins de 18 ans de toute personne admise licitement [...]
[118] Le CP 371 étendait aussi les catégories professionnelles admissibles au Canada, comme suit :
[traduction]
[...]
4a) Un agriculteur qui a les moyens suffisants pour se livrer à la culture de la terre au Canada.
b) Un agriculteur qui entre au Canada en vue de se livrer à la culture de la terre, lorsqu'il se rend chez son père, son beau-père, son fils, son gendre, son frère, son beau-frère, son oncle ou son neveu, dont l'agriculture est la principale occupation, et qui est en mesure de recevoir un tel immigrant et de l'établir sur une ferme.
c) Un ouvrier agricole qui entre au Canada en vue de se livrer à un emploi agricole assuré.
d) Une personne expérimentée dans le travail des mines, du bois ou de la forêt, qui entre au Canada en vue de se livrer à un emploi assuré dans l'une de ces industries.
[119] La catégorie des parents a de nouveau été élargie par une modification additionnelle au CP 695, savoir le CP 1734, daté du 1er mai 1947, qui remplaçait le paragraphe 3 précité par le suivant :
[traduction]
[...]
3. L'époux ou l'épouse, le fils, la fille, le frère ou la soeur, ainsi que l'époux ou l'épouse et les enfants célibataires, s'il en est; le père ou la mère; le neveu orphelin ou la nièce orpheline âgé ou âgée de moins de 21 ans; de toute personne résidant licitement au Canada [...]
[120] Un autre arrêté en conseil est pertinent au droit de l'immigration tel qu'il était formulé à l'époque où M. Fast est arrivé au Canada. Il s'agit du CP 1373, daté du 9 avril 1946, qui interdisait l'admission au Canada des étrangers ennemis, à moins qu'ils soient en mesure de démontrer qu'ils s'étaient opposés à un gouvernement ennemi. À l'époque, un citoyen allemand était considéré comme un étranger ennemi.
[121] Ces dispositions traitaient de l'immigration, mais elles ne mentionnaient pas la situation des personnes déplacées qui encombraient les camps de réfugiés en Europe et qui étaient à la charge de la communauté internationale. Le Canada a traité de la question de leur immigration au Canada par l'entremise d'un certain nombre de dispositions, dont la première est le CP 2180, daté du 6 juin 1947. Cet arrêté en conseil est rédigé comme suit :
[traduction]
Le comité du Conseil privé est saisi d'un rapport daté du 28 mai 1947, en provenance du ministre des Mines et Ressources par intérim [alors le ministre responsable des questions d'immigration] faisant état :
qu'il y a présentement dans les camps de réfugiés en Europe des milliers de personnes déplacées qui ont été chassées de leurs foyers par les aléas de la guerre;
que l'organisation et l'intervention efficace de l'Organisation internationale pour les réfugiés, qui a été créée pour s'occuper de ces personnes en détresse, connaît des retards importants;
Et que le gouvernement canadien désire contribuer à l'amélioration de cette situation et faire sa pleine contribution à une solution permanente au problème des personnes déplacées.
À ces fins, le comité, sur la recommandation du ministre des Mines et Ressources par intérim (appuyé par le Secrétaire d'État aux Affaires extérieures et par le ministre du Travail) ordonne que :
à titre de contribution à la solution de ce problème et nonobstant toute disposition à l'effet contraire de l'arrêté en conseil CP 695, daté du 21 mars 1931, l'admission immédiate au Canada de 5 000 personnes en provenance des camps de personnes déplacées en Europe est autorisée;
le ministre des Mines et Ressources se doit d'adopter des dispositions, par l'intermédiaire de la Division d'immigration et de toute autre ressource nécessaire mise à sa disposition par le ministre du Travail, pour la sélection et le transport au Canada des 5 000 personnes susmentionnées;
le ministre du Travail prenne les dispositions requises pour assurer, avec toute l'aide dont il peut avoir besoin et qui peut lui être offerte par le ministre des Mines et Ressources, l'accueil des personnes déplacées au port d'entrée au Canada, et leur répartition à travers le pays; et
les dépenses engagées par le ministre des Mines et Ressources et par le ministre du Travail dans l'exécution de cette mission soient imputées au vote des ministères en cause ou, si ces fonds ne sont pas adéquats, à des crédits supplémentaires autorisés à cette fin.
[Non souligné dans l'original.]
[122] Le CP 2856, daté du 18 juillet 1947, portait à 10 000 le nombre de personnes en provenance des camps qui pouvaient être admises au Canada. Le CP 3926, daté du 1er octobre 1947, autorisait l'admission de 10 000 autres personnes déplacées. Des arrêtés en conseil subséquents ont autorisé d'autres augmentations, de telle façon que, lors de la promulgation du CP 3721 le 6 octobre 1948, l'autorisation avait été accordée d'admettre 40 000 personnes déplacées.
[123] La décision du gouvernement canadien d'autoriser une immigration importante au Canada a suscité la création d'un comité interministériel chargé d'étudier les questions de sécurité, notamment le filtrage des candidats à l'immigration au Canada, et de faire rapport. En termes généraux, le comité de sécurité proposait au Cabinet une politique de sécurité et ce dernier prenait diverses décisions fondées sur les recommandations reçues. Le lien institutionnel le plus important dans le développement des pratiques dans ce secteur est celui qui existait entre la Division d'immigration et la GRC. À l'époque, la Division d'immigration faisait partie du ministère des Mines et Ressources. Le ministre responsable du ministère pendant la plus grande partie de la période pertinente était James A. Glen, alors que le directeur de l'immigration était M. A.L. Jolliffe. À cette époque, la GRC était dirigée par le commissaire Woods, assisté par le commissaire adjoint Nicholson, directeur des enquêtes criminelles (DEC), et par l'inspecteur Parsons, alors responsable de la Direction spéciale.
[124] Le 8 juillet 1946, le comité de sécurité a reconnu qu'il était possible [traduction] « en vertu des règlements existants que des étrangers indésirables soient admis au Canada, ce qui rendait nécessaire l'adoption d'une certaine forme de filtrage » . Il a recommandé que le contrôle de sécurité soit exercé par l'entremise des installations du Royaume-Uni en Europe, ce qui serait une solution temporaire raisonnable. Il a aussi proposé que le ministre se voit accorder la compétence requise pour refuser l'admission au Canada de personnes « indésirables » pour des motifs de sécurité (pièce 106). La modification législative appropriée ayant été considérée d'une rédaction trop difficile, le Cabinet a décidé en août 1946 que la question de l'exclusion des indésirables serait traitée « par d'autres moyens » , savoir par des mesures administratives (pièce 110). Quant à la proposition visant le filtrage, le comité de sécurité a conclu que le contrôle de sécurité devait être fait « à la source » , et il a examiné la possibilité que des membres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) se joignent aux équipes d'immigration à ces fins (pièce 111).
[125] Suite à des consultations tenues entre la Division d'immigration et la GRC, un membre de la GRC, le sergent d'état-major (sgt é.-m.) Hinton, a été envoyé en poste à Londres, en Angleterre, pour travailler au filtrage des [traduction] « demandes de parents en vertu du CP 695 » . Ce filtrage devait se faire à partir de sources britanniques. Le sgt é.-m. Hinton devait prendre possession d'une liste de demandes déjà reçues, qui contenait les données personnelles pertinentes. Après s'être enquis auprès de diverses agences, le sgt é.-m. Hinton devait indiquer sur la liste la situation de chaque demandeur sur le plan de la sécurité et retourner cette liste à la Division d'immigration, celle-ci ne poursuivant que le traitement des dossiers relatifs aux noms portant la mention « vérifié » , qui voulait dire qu'il n'y avait pas de préoccupations de sécurité dans leur cas.
[126] La procédure adoptée pour les demandes futures était différente. Les personnes désirant parrainer des parents pour immigrer au Canada devaient remplir le formulaire 55 (connu aussi sous l'appellation IMM 55). Une copie de ce formulaire serait envoyée par la Division d'immigration au quartier général de la GRC, qui devait d'abord vérifier ces dossiers pour déterminer quelle était la réputation du répondant. S'il n'y avait pas de préoccupations de sécurité à ce moment-là, le formulaire serait renvoyé à la Division d'immigration pour être expédié au sgt é.-m. Hinton par la valise diplomatique. Le sgt é.-m. Hinton ferait alors son enquête et indiquerait le résultat sur le formulaire, savoir : [traduction] « admissible » , [traduction] « n'a pas passé » , [traduction] « retenir pour un complément d'enquête » . Le formulaire serait alors renvoyé à la Division d'immigration, un rapport faisant état des demandes rejetées étant expédié au quartier général de la GRC (pièce 66).
[127] Suite à ce qui était entendu, le sgt é.-m. Hinton a été envoyé à Londres en octobre 1946. Ses ordres étaient les suivants :
[traduction]
[...]
5. Vous êtes chargé de vérifier les noms des candidats à l'immigration au Canada qui vous sont transmis par la Division d'immigration, à Ottawa, par l'entremise des Affaires extérieures. Vous devez vérifier ces noms dans les dossiers disponibles au British Passport Control Department du Foreign Office, au Special Branch de la Metropolitan Police, ainsi que dans tout autre dossier auquel on peut vous donner accès à l'occasion, comme les dossiers de la Security Control Section [?].
6. Les noms des candidats à l'immigration vous seront transmis sur des formulaires de demande individuels, qui ont déjà fait l'objet d'une vérification au quartier général. Le résultat de cette vérification sera porté directement sur le formulaire. Ces formulaires seront envoyés par la Division d'immigration, à Ottawa, aux Affaires extérieures, pour qu'ils les transmettent à Londres par la valise diplomatique.
7. Lorsque vous constaterez que le dossier d'un candidat indique qu'il ne devrait pas être admis au Canada, vous porterez au formulaire la mention [traduction] « non-admissible pour des raisons de sécurité » et vous le retournerez à la Division d'immigration, à Ottawa, par la même voie, savoir par le Haut-Commissariat, pour transmission par la valise diplomatique.
8. Les formulaires des candidats dont le dossier ne comprend pas d'élément négatif recevront la mention [traduction] « admissible aux fins de sécurité » et ils seront envoyés à la Division d'immigration, à Ottawa, de la même façon.
[...]
11. Pour décider quels facteurs rendent un candidat à l'immigration indésirable, vous vous reporterez aux instructions verbales données au quartier général. Vous prêterez aussi attention à tous les renseignements additionnels que vous pourrez obtenir de vos contacts du R.-U. quant au passé et au statut de toutes les organisations qui ne sont pas expressément visées ou que vous ne connaissez pas.
12. L'objectif est de refuser l'admission aux personnes qui, en raison de leurs antécédents et de leur passé, ne seraient pas susceptibles de s'adapter au mode de vie canadien ni à notre forme démocratique de gouvernement.
(pièce 65)
[128] Les procédures à suivre par les agents d'immigration étaient contenues dans un document intitulé [traduction] « Règles et procédures canadiennes en matière d'immigration » , daté du 7 décembre 1946 (pièce 47) :
[traduction]
IV. Formulaire de demande de visa d'immigrant.
[...]
d) Dans les cas où une approbation a été donnée suite à un formulaire 55, il ne sera pas nécessaire que le candidat à l'immigration remplisse un formulaire de demande de visa - l'agent des visas placera tout simplement l'empreinte de son timbre sur ce formulaire, avec la même annotation que celle prévue pour le passeport, et il conservera ce formulaire à titre de dossier permanent.
[...]
VI. La disposition autorisant l'admission au Canada d'immigrants est l'arrêté en conseil CP 695 [...]
a) Procédure : L'objectif est de rendre la procédure la plus simple possible. S'agissant des immigrants étrangers qui sont admissibles en vertu des règlements actuels, toutes les catégories, sauf une, font l'objet d'une enquête au Canada et l'immense majorité des demandes d'admission sont présentées au Canada par des parents des candidats. Un formulaire a été préparé pour de tels cas - le formulaire 55. Ce formulaire sera utilisé à trois fins : enquête sur l'établissement au Canada, vérification de sécurité, et en remplacement de l'ancienne lettre d'admission conditionnelle.
b) Lorsque les arrangements relatifs à l'installation ont été examinés et déclarés satisfaisants et que le dossier a été vérifié par la sécurité, le surintendant du district d'où provient la demande fera tous les commentaires qui pourraient être utiles à l'agent des visas afin qu'il puisse identifier les immigrants et vérifier que leur parenté avec le demandeur est bien telle que déclarée. Ces commentaires seront placés à l'endos du formulaire 55, dans l'espace prévu à cette fin, et ils devront se terminer par une déclaration portant que les arrangements d'établissement ont été jugés satisfaisants. Le surintendant doit signer et dater après ces remarques, pour ensuite poser son sceau sur sa signature. Une fois cette approbation donnée, le formulaire 55 sera envoyé outre-mer à l'agent des visas canadien situé où le candidat à l'immigration fait sa demande de visa et où il sera soumis à un examen médical.
[...]
e) En même temps que le formulaire 55 approuvé est envoyé outre-mer, le surintendant de district écrira au demandeur au Canada. Si le candidat à l'immigration réside dans un pays où l'on trouve les installations nécessaires pour accorder des visas, la lettre sera formulée comme suit :
« [...] cette communication a pour objectif de vous informer que les arrangements pour l'établissement des personnes susmentionnées sont considérées satisfaisants et qu'elles doivent maintenant se présenter en personne à (l'agent d'immigration canadien, l'ambassade, la légation ou le consulat du Canada) à ............. pour être reçues en entrevue et obtenir leur visa. Sous réserve que ces personnes soient de bonne vie et moeurs et qu'elles soient titulaires d'un titre de voyage faisant foi de leur identité, qu'elles soient considérées aptes suite à l'examen médical et qu'elles satisfassent, par ailleurs, aux dispositions du Règlement sur l'immigration au Canada, elles recevront un visa pour le Canada. »
« Cette lettre devrait être envoyée à votre mère (ou etc.), pour présentation à l'agent canadien des visas à .......... »
[...]
11. Tous les candidats à l'immigration en vertu de l'alinéa 3a) et de l'article 5 du CP 695 feront l'objet d'une vérification de sécurité par la GRC, à Ottawa. Toutefois, il peut y avoir des cas spéciaux où les instructions relatives à la sécurité devront être transmises à l'agent des visas. Les épouses et les enfants visés par l'article 3 du CP 695 ne feront pas l'objet d'une vérification de sécurité.
[...]
j) La catégorie d'immigrants qui n'est pas comprise dans la procédure qui vient d'être exposée est celle prévue à l'article 4 du CP 696 [sic] - les agriculteurs ayant les moyens requis pour se livrer à la culture au Canada, mais comme la procédure pour la vérification de sécurité des membres de cette catégorie n'a pas encore été précisée et que les arrangements pour la réception et la répartition des agriculteurs n'ont pas encore été prévus ou organisés, il est préférable de suspendre le traitement de ces dossiers pour le moment. Les membres de cette catégorie ne devraient pas recevoir de visa, leur cas étant référé au directeur de l'Immigration, à Ottawa, avec tous les détails disponibles.
[129] La pièce 47 traite aussi de la délivrance des visas :
[traduction]
a) Visas d'immigration : Dans l'espace qui suit le terme « autorité » , il faut inscrire le numéro de dossier d'Ottawa; s'il n'y a pas de numéro de dossier d'Ottawa, par exemple dans les cas qui ne sont pas traités par Ottawa mais où un visa est accordé en vertu du CP 695, il faut inscrire la disposition en vertu de laquelle le visa est délivré, par exemple CP 695 - 3, 4, 5, selon la mention appropriée.
b) S'agissant d'un immigrant qui est une personne déplacée, les lettres « PD » doivent être inscrites après le numéro de dossier d'Ottawa.
c) Lorsqu'un visa est accordé par suite de l'approbation du formulaire 55, le numéro de dossier d'Ottawa est celui qui est inscrit dans le côté supérieur droit au recto du formulaire 55. C'est ce numéro qui doit être inscrit sous la mention autorité.
[130] Il est important de noter que les demandes dont il est question à ce moment-là portent sur les candidats à l'immigration en provenance de tous les pays d'Europe. S'agissant des demandes qui étaient déjà dans le système, le sgt é.-m. Hinton devait d'abord examiner celles qui provenaient de candidats habitant en Norvège, au Danemark, en Hollande, en Belgique, en France et en Grèce. Il est intéressant de constater que nulle part on ne trouve l'Allemagne sur cette liste. Il est aussi important de noter que la majorité des demandes à traiter faisaient suite à des demandes en provenance de répondants vivant au Canada, afin d'obtenir que leurs parents en Europe puissent immigrer. Finalement, il n'est pas question à ce moment-là de traiter la catégorie des immigrants décrits au paragraphe 4 du CP 695, soit les agriculteurs.
[131] Alors que c'est l'Administration des Nations Unies pour les secours et la reconstruction (UNRRA) et, par la suite, l'Organisation internationale pour les réfugiés (OIR), qui étaient responsables d'assurer le bien-être des personnes déplacées en Europe, c'est le CIGR qui était chargé de relocaliser ces personnes déplacées. Dans le cadre de la définition des procédures à utiliser, un représentant du CIGR, le lieutenant-colonel d'aviation (lcol avn) Innes, a visité Ottawa pour discuter de l'aide que son organisme pouvait apporter pour faciliter le transport des réfugiés se trouvant dans des camps en Europe vers leur famille au Canada. À ce moment-là, un accord est intervenu sur certaines procédures de traitement des demandes parrainées pour l'immigration de parents en Allemagne, en Autriche et en Italie. En bref, les formulaires IMM 55 pour ces demandeurs seraient toujours examinés par le quartier général de la GRC à Ottawa, mais ils ne seraient plus expédiés au sgt é.-m. Hinton à Londres. Une fois une demande vérifiée au quartier général, les renseignements consignés au formulaire seraient utilisés pour préparer une liste de candidats à l'immigration qui serait envoyée au CIGR. Ce dernier amorcerait alors le processus nécessaire pour localiser les intéressés, dans les camps de réfugiés ou ailleurs. Dès que les arrangements pour l'installation au Canada auraient fait l'objet d'un examen favorable, la Division d'immigration préparerait une autre liste indiquant quelles demandes avaient reçu une approbation et quels arrangements étaient pris pour défrayer le coût du transport des immigrants. Le CIGR procéderait à un examen préliminaire des candidats ayant reçu l'approbation, l'examen portant sur la sécurité et la santé, et il les regrouperait pour traitement par les équipes d'immigration canadiennes.
[132] La question du contrôle de sécurité a été discutée à fond. Le procès-verbal de la rencontre du lcol avn Innes avec les fonctionnaires canadiens, pièce 70, contient ceci :
[traduction]
La question du contrôle de sécurité a été discutée à fond. Il a été convenu que la meilleure façon de procéder était qu'un membre de la GRC travaille en association avec le siège social du CIGR en Allemagne, en Autriche et en Italie. L'inspecteur Parsons a recommandé à son supérieur qu'on envoie dans l'avenir immédiat un membre en Angleterre, M. Innes prenant tous les arrangements nécessaires pour que ce représentant de la GRC puisse travailler avec le CIGR et ensuite se rendre à son siège social en Allemagne.
[133] Dans les faits, c'est le sergent-major (s.-m.) Murray de la GRC qui a été envoyé en Europe. Il est arrivé à Londres le 17 janvier 1947 (pièce 78).
[134] Ces arrangements ont été communiqués au sgt é.-m. Hinton dans une lettre du commissaire adjoint Nicholson, datée du 27 décembre 1946 (pièce 71) :
[traduction]
[...]
2. Une réunion additionnelle a été tenue au bureau du directeur de l'Immigration. Le lcol avn Innes, directeur adjoint du Comité intergouvernemental pour les réfugiés, était présent lorsque les questions suivantes ont été discutées et des décisions prises au sujet du transport à partir de l'Autriche, de l'Allemagne et de l'Italie de personnes déplacées admissibles au Canada en vertu des règlements existants.
a) Pour le moment, seules les personnes qui entrent dans la catégorie des candidats à l'immigration parrainés par des parents au Canada seront considérées. Des listes des candidats en cause seront envoyées directement par les services d'immigration au bureau du CIGR à Londres, en Angleterre. Le CIGR transmettra à son tour ces listes à son bureau en Allemagne, dans le seul objectif de localiser la personne en cause et d'obtenir la vérification de sécurité nécessaire de notre représentant. À ce sujet, le CIGR prendra les mesures nécessaires pour que le membre de la GRC à qui cette responsabilité est confiée au sein du bureau du CIGR en Europe soit mis en rapport avec toutes les autorités pertinentes et qu'on lui transmette tous les dossiers disponibles pour lui permettre d'assurer le contrôle de sécurité requis.
b) Les formulaires 55 seront envoyés à notre quartier général par la Division d'immigration pour qu'on procède à la vérification de sécurité habituelle du demandeur. Après cette vérification de sécurité, les formulaires seront renvoyés à la Division d'immigration, pour être traités comme l'indique le paragraphe a) ci-dessus.
c) Lorsque les arrangements d'installation au Canada seront jugés satisfaisants du point de vue de la Division d'immigration, le CIGR à Londres en sera avisé. On les informera aussi qu'une vérification de sécurité a été faite au sujet du demandeur et que toutes les conditions requises sont en place pour l'admission de l'immigrant.
d) Dès que le CIGR aura reçu cet avis, il regroupera tous les immigrants en cause dans un point central, étant bien sûr entendu que ces candidats à l'immigration ont été vérifiés par la sécurité, en informant la Division d'immigration du lieu du regroupement. Sur réception de cet avis, la Division d'immigration enverra une équipe en Europe pour procéder aux interrogatoires nécessaires et aux vérifications de santé, pour délivrer les visas et pour organiser le transport des immigrants jusqu'au Canada.
3. [...] Le lcol avn Innes a suggéré, et nous sommes du même avis, que le membre de la GRC chargé de la responsabilité des vérifications de sécurité devrait se rendre dans les plus brefs délais au bureau central du CIGR pour l'Allemagne et l'Autriche, et par la suite en Italie et en France.
4. Comme il est précisé, en ce moment seuls les immigrants ou les personnes déplacées dont l'admission au Canada fait l'objet d'un parrainage en provenance du Canada verront leurs dossiers traités. Le lcol avn Innes a fait remarquer qu'il y a un grand nombre de personnes dans les pays en cause qui se réclament de parents au Canada, mais ces derniers n'ont pas encore présenté de demande de parrainage pour leur départ de l'Europe. [...]
5. Il est proposé que le s.-m. p.i. J. Murray soit chargé de ce travail. [...]
6. Toute la documentation que vous possédez présentement au sujet des personnes qui résident en Allemagne et en Autriche doit donc être remise au s.-m. p.i. Murray. En traitant les listes, Murray doit aussi déterminer, en sus de la vérification de sécurité, si les personnes en cause sont des personnes déplacées ou non. Les personnes déplacées doivent être traitées par le CIGR, alors que celles qui ne tombent pas dans cette catégorie doivent vous être référées après la vérification de sécurité pour transmission à la Division d'immigration ici.
[Non souligné dans l'original.]
[135] En décembre 1946, les demandes ayant leur origine au Canada et visant l'immigration de personnes comprises dans les catégories autorisées par le CP 695 étaient envoyées au sgt é.-m. Hinton pour contrôle de sécurité, sauf si le candidat à l'immigration était une personne déplacée résidant en Allemagne, en Autriche ou en Italie, qui se situait dans le cadre du mandat du CIGR. Ces demandes étaient envoyées au s.-m. Murray en Allemagne, qui faisait la vérification de sécurité pour les candidats potentiels à l'immigration, en collaboration avec les équipes d'immigration canadiennes. Selon les instructions données au sgt é.-m. Hinton, on peut penser que le s.-m. Murray devait déterminer non seulement si les personnes dont on lui transmettait le nom répondaient aux exigences de sécurité, mais aussi si elles étaient des personnes déplacées. Les demandes des personnes déplacées devaient être traitées par l'entremise du CIGR, alors que les autres demandes devaient être envoyées au sgt é.-m. Hinton. Ceci laisse croire que le s.-m. Murray a interrogé tous les candidats potentiels situés en Allemagne.
[136] Il faut aussi noter que le traitement des dossiers des candidats par le CIGR comprenait leur propre version du contrôle de sécurité, qui était assuré par les services de renseignements militaires (pièce 77). Les politiques du CIGR excluaient toute aide aux citoyens allemands, ainsi qu'à toute personne étant associée à une organisation nazie ou ayant collaboré (pièce 56, pages 45 à 51). Par conséquent, la vérification à laquelle le s.-m. Murray devait procéder était une deuxième vérification. Il n'y a rien dans la preuve ou dans les plaidoiries qui indique pourquoi il semblait nécessaire de procéder à une seconde vérification.
[137] La décision du gouvernement canadien d'élargir les catégories d'immigrants admissibles, illustrée par le CP 371, promulgué le 30 janvier 1947, a mené à un réexamen des procédures en matière de sécurité par le comité de sécurité, entrepris à la demande du Cabinet. La difficulté était qu'il semblait impossible avec la procédure de filtrage existante de faire face à l'augmentation prévue du volume de l'immigration. Le 4 février 1947, le comité de sécurité a présenté les alternatives suivantes au Cabinet :
[traduction]
[...]
6.a) De modifier les procédures actuelles pour autoriser les demandeurs qui se qualifient par ailleurs à s'établir au Canada sans procéder à une vérification, à l'exception des demandeurs originaires de l'Europe de l'Est - les disponibilités actuelles de la GRC étant consacrées à la vérification des demandeurs en provenance de cette région.
Du point de vue de la sécurité, c'est probablement la meilleure procédure à adopter. Toutefois, son adoption causerait des retards dans l'immigration des personnes en provenance de ces pays et il faudrait alors aviser les parents de ces délais et les expliquer. Ceci équivaudrait à une déclaration de politique gouvernementale que l'immigration à partir de certains pays précisés se ferait sur une base restrictive.
b) Continuer le régime actuel de vérification, mais uniquement d'une manière qui ne retarderait pas l'admission au Canada d'immigrants acceptables par ailleurs - la question de savoir quels dossiers seraient vérifiés étant laissée à la discrétion de la GRC.
Ceci équivaudrait à un régime de vérification par 'échantillonnage', qui permettrait au mieux de vérifier 20 p. 100 des immigrants attendus. Bien que cette formule ne soit pas désirable du point de vue de la sécurité, elle permettrait la mise en oeuvre totale de la décision du gouvernement d'élargir l'immigration, tout en maintenant un cadre de vérification qui pourrait être étoffé par la suite si la chose s'avérait nécessaire.
7. Dans l'intérêt d'une bonne sécurité, l'alternative a) est préférable, mais nous reconnaissons qu'il y a d'autres considérations d'importance qui feraient qu'on ne peut l'appliquer en pratique. Si c'est le cas, l'alternative b) est préférable à un abandon total des vérifications de sécurité.
(pièce 134)
[138] Le Cabinet a choisi l'alternative b), ce qui a exigé des modifications aux procédures à suivre. Il est aussi significatif que l'entrée en vigueur du CP 371, en janvier 1947, a créé une nouvelle catégorie importante de personnes admissibles au Canada au titre de leur profession, plutôt que de leur parenté. Alors que le CP 695 prévoyait l'admission de tout agriculteur « qui a les moyens suffisants pour se livrer à la culture de la terre au Canada » depuis déjà 1944, les modifications introduites par le CP 371 ajoutaient les agriculteurs parrainés par des parents, ainsi que les ouvriers agricoles, les bûcherons et les mineurs qui avaient un emploi assuré. Par conséquent, les nouvelles procédures devaient tenir compte non seulement d'une augmentation anticipée des volumes, mais aussi des nouvelles catégories de demandeurs.
[139] Les nouvelles procédures convenues entre la Division d'immigration et la GRC sont décrites dans une lettre de M. Jolliffe au commissaire Woods, datée du 17 février 1947 (pièce 79) :
[traduction]
1. Que nous [la Division d'immigration] continuerons à transmettre à votre organisation copie de toutes les demandes en provenance du Canada pour l'admission d'immigrants étrangers, les demandeurs au Canada devant immédiatement être vérifiés dans les dossiers de votre quartier général afin de transmettre tout dossier négatif au commissaire de l'Immigration. Cette procédure est celle qui existe déjà. Nous sommes entendus que votre organisation va continuer à transmettre ces demandes outre-mer pour vérification et que nous serons informés immédiatement si le dossier est négatif afin qu'on puisse empêcher, si le temps le permet, l'admission du candidat à l'immigration en cause.
2. Nous ne retiendrons plus pour vérification par votre organisation les dossiers qui ne sont pas dans les catégories décrites au no 3 ci-après. Ceci veut dire que suite à l'enquête d'immigration sur les personnes en cause, une approbation sera donnée à moins que nous recevions un rapport de votre organisation au sujet du demandeur qui justifierait qu'on rejette sa demande.
3. Toutes les demandes en provenance du Canada visant l'admission de parents en provenance de l'Allemagne, de l'Autriche et de l'Italie, sauf celles relatives à l'épouse et aux enfants célibataires de moins de 18 ans d'une personne résidant licitement au Canada, seront mises en suspens jusqu'à ce qu'on reçoive la vérification de votre organisation, qui ne devrait être donnée qu'après enquête outre-mer. Les cas des personnes déplacées se trouvant en Allemagne, en Autriche et en Italie, qui sont admissibles au Canada dans la catégorie des parents, sont traités différemment puisque la vérification est faite par des membres de votre organisation envoyés en Europe à cette fin.
4. S'agissant des immigrants étrangers admissibles au titre de leur profession, plutôt que de la parenté, comme les agriculteurs, des arrangements seront faits avec les compagnies de transport pour choisir des familles d'agriculteurs et pour fournir des listes des candidats à l'immigration contenant les renseignements suivants sur chacun d'eux :
1. Nom complet, lieu de naissance, âge et date exacte de naissance (si ces renseignements sont disponibles).
2. Citoyenneté.
3. Adresse actuelle complète, y compris la rue et le numéro civique.
Il sera nécessaire de prévoir les détails au sujet de [illisible] et de la transmission de ces listes et [au sujet?] de l'envoi de renseignements à l'avance [au sujet?] des autres catégories de travailleurs dont l'admission est autorisée par les règlements.
[140] La pièce 79 contient une première mention des personnes admissibles au titre de leur profession, plutôt que de leur parenté, sans doute suite à l'élargissement des catégories de personnes admissibles prévu au CP 371. Il y a des variantes importantes par rapport aux procédures établies précédemment. Toutes les demandes en provenance du Canada continuent à être envoyées au quartier général de la GRC pour vérification de sécurité du répondant. Les demandes continuent à être envoyées outre-mer pour vérification mais, à une seule exception près, le traitement de la demande n'est pas mis en suspens dans l'attente des résultats de la vérification de sécurité. À moins d'une directive en ce sens de la GRC suite à des préoccupations quant à la sécurité, les visas seront délivrés au vu du dossier.
[141] L'exception à la nouvelle procédure portait sur les demandes en provenance du Canada pour l'admission de parents vivant en Allemagne, en Autriche et en Italie. Ces demandes devaient être mises en suspens jusqu'à réception de la vérification de sécurité, qui ne pouvait être donnée qu' « après enquête outre-mer » . Les personnes déplacées en provenance de ces pays qui étaient admissibles au titre de la parenté devaient toujours faire l'objet d'une vérification par les membres de la GRC envoyés en Europe à cette fin. On peut voir ici qu'il y a une distinction dans le traitement des parents parrainés vivant en Allemagne. Ceux qui n'étaient pas des personnes déplacées étaient traités différemment, ces derniers étant la responsabilité des membres de la GRC envoyés en Allemagne pour faire les vérifications de sécurité. Ma conclusion est que les parents parrainés vivant en Allemagne qui n'étaient pas des personnes déplacées continuaient à être vérifiés par le sgt é.-m. Hinton, en consultation avec ses sources au Royaume-Uni.
[142] Il y a lieu de faire une autre observation au sujet de la pièce 79, reproduite ci-dessus. Le paragraphe 3 traite de tous les cas de parents parrainés, savoir ceux qui sont des personnes déplacées et ceux qui ne le sont pas. Le paragraphe 4 traite de l'autre catégorie de personnes admissibles, qui le sont au titre de leur profession. S'agissant de ces derniers, aucune distinction n'est faite entre les personnes déplacées et les autres.
[143] Les nouvelles procédures ont été transmises au sgt é.-m. Hinton par l'inspecteur Parsons, dans une lettre datée du 10 avril 1947 (pièce 82), dont certaines parties sont reproduites ici :
[traduction]
[...]
4. Bien qu'il soit entendu que les dossiers des immigrants n'attendront pas la vérification de sécurité, il existe une exception, savoir le cas des personnes qui résident en Allemagne, en Autriche et en Italie, anciennement territoires ennemis. Toutes les demandes d'admission de parents en provenance de ces pays, sauf celles portant sur les épouses et les enfants célibataires âgés de moins de 18 ans d'une personne résidant licitement au Canada, seront mises en suspens jusqu'à réception de la vérification par la GRC. Vous n'avez pas à vous préoccuper du cas des personnes déplacées résidant dans ces pays qui sont admissibles au Canada dans la catégorie de parents, puisque c'est la CIGR qui s'en occupe.
5. S'agissant des immigrants étrangers admissibles au titre de leur profession plutôt que de leur parenté, comme les agriculteurs, des arrangements sont pris avec les compagnes de transport qui choisissent les familles. Ils vous enverront directement, par l'entremise des missions canadiennes à l'étranger, la liste des candidats à l'immigration. Cette liste comprendra le plus de renseignements possible quant aux nom, âge, date de naissance, adresse actuelle, etc. Dans ces cas, lorsque l'examen du dossier fait ressortir un aspect négatif, il faut immédiatement en avertir notre quartier général en précisant que la personne en cause est un agriculteur qui vous a été référé par la direction de la colonisation du CP ou du CN. Pour notre part, nous tenterons d'obtenir de la Division d'immigration que l'on mette en suspens la délivrance du visa. Lorsque l'agriculteur est vérifié aux fins de la sécurité, vous devez nous en avertir pour que le fait soit consigné. Évidemment, l'urgence est moins grande dans un tel cas.
6. À ce sujet, nous cherchons à obtenir que les directions de la colonisation des chemins de fer adoptent un formulaire semblable à celui qui est imprimé au quartier général à votre demande, permettant de vous transmettre les renseignements au sujet des agriculteurs. Nous ne savons pas si cette demande sera accueillie, mais nous continuons nos négociations par l'entremise de la Division d'immigration.
[144] Les opérations sur place sont décrites dans les rapports présentés par le sgt é.-m. Hinton et le s.-m. Murray. Le 1er avril 1947, le s.-m. Murray a envoyé le rapport suivant au commissaire adjoint Nicholson (pièce 81) :
[traduction]
[...]
7. Les équipes d'immigration ont adopté la procédure suivante. Elles ne traitent présentement que les dossiers des personnes référées au titre du régime canadien applicable aux proches parents et pour lesquelles un formulaire 55 a été envoyé en Allemagne, à condition qu'elles soient visées par le mandat du CIGR. En conséquence, il n'a pas semblé nécessaire de procéder à la vérification des personnes qui ne sont pas dans ce cadre, puisqu'il s'agirait d'un gaspillage d'efforts. Par conséquent, en ce qui me concerne, et il en va de même pour le sergent Syron dans la zone américaine, seulement les personnes qui se trouvent dans des camps font présentement l'objet d'une vérification de sécurité.
8. Toutes les PD qui nous sont présentées pour vérification possèdent une carte de PD, indiquant la date à laquelle elles ont fait l'objet d'une vérification par les équipes de l'UNRRA, et certifiant qu'elles sont bien des personnes déplacées et qu'elles ont droit à l'aide de l'UNRRA et du CIGR. Tant qu'elles ne présentent pas cette carte, leurs cas ne sont pas étudiés.
9. Depuis que j'ai commencé la vérification de ces personnes, je constate qu'il y a très peu de documents sur leurs antécédents, sauf les dates où elles ont été chassées de leur pays, et il n'y a absolument rien au sujet de leurs antécédents politiques. Certaines de ces PD vivent présentement dans la société civile allemande et elles ne résident pas dans les camps de l'UNRRA ou des PG. et PD. [prisonniers de guerres et personnes déplacées ?]. Ces personnes ont pu se trouver un emploi à l'extérieur des camps.
10. En vérifiant les dossiers des personnes qui se trouvent dans la zone britannique, j'ai dû confiner mes recherches à une vérification auprès de la division M.I. [renseignements militaires] et au quartier général des PG et PD à Lemgo. Je n'ai pas envisagé la possibilité de demander une vérification dans les dossiers nazis à Berlin, puisqu'il faut de six semaines à deux mois pour obtenir une réponse. En discutant de cette question avec le sgt é.-m. Hinton, il nous a semblé qu'il serait utile de procéder à une vérification des dossiers de Berlin par la suite, afin de s'assurer qu'aucune de ces personnes ne s'est portée volontaire pour travailler avec les Allemands. Procéder ainsi en ce moment causerait un retard considérable dans le travail des équipes d'immigration. En autant que je sache, on ne trouvera pas de trace des vrais PD à Berlin. J'ajouterais ici que depuis la fin de la guerre les camps de concentration, ainsi que tous les autres camps où résident les PD en attendant leur évacuation, ont fait l'objet d'une assez bonne vérification pour identifier les collaborateurs et les autres personnes recherchées.
[Non souligné dans l'original.]
[145] L'expression [traduction] « régime canadien applicable aux proches parents » est la création du CIGR. Le procès-verbal de la réunion du 4 décembre 1946 à Ottawa, à laquelle a participé le lcol avn Innes du CIGR, portait sur [traduction] « le transport des personnes déplacées admissibles au Canada en vertu des règlements actuels, en provenance de l'Allemagne, de l'Autriche et de l'Italie » . Un peu plus d'un mois plus tard, soit le 13 janvier 1947, le directeur adjoint du CIGR, le général Lush, a décrit l'entente intervenue à cette réunion en lui donnant le nom de « régime canadien applicable aux proches parents » (pièce 73). Cette expression ne décrit rien d'autre que les arrangements pris par les autorités canadiennes et le CIGR pour le traitement des demandes en provenance du Canada visant l'immigration de personnes déplacées résidant en Allemagne, en Autriche ou en Italie, qui étaient admissibles au Canada comme parents en vertu du CP 695.
[146] Les nouvelles procédures suite à l'adoption du CP 371 n'ont eu aucun impact sur le s.-m. Murray, étant donné que le traitement des demandes portant sur des personnes déplacées en Allemagne en était spécifiquement exempté.
[147] Le 16 avril 1947, le sgt é.-m. Hinton a envoyé un autre rapport au quartier général (pièce 83) :
[traduction]
1. [...] En vertu de la procédure actuelle, les détails contenus dans tout formulaire 55 portant que le candidat à l'immigration réside en Allemagne sont dactylographiés sur le formulaire en usage ici, dont copie est envoyée à Murray. Je crois qu'elle est alors simplement transmise par lui aux renseignements militaires britanniques, qui vérifient leurs dossiers et s'organisent pour obtenir une vérification à Berlin. En fin de compte, le formulaire nous revient avec l'indication pertinente, ainsi qu'un rapport au besoin. Malheureusement, cette procédure prend un certain temps pour diverses raisons. [...]
2. Ceci étant, il ne semble pas vraiment probable que nous recevrons beaucoup de formulaires 55 portant sur des personnes déplacées résidant en Allemagne, en Autriche ou en Italie, une fois que le CIGR aura terminé ses listes pour ces pays. Si j'ai raison à ce sujet, alors les seules personnes en cause seraient celles qui vivent dans la société civile de l'un ou l'autre de ces trois pays. Comme il n'est pas probable que ces personnes pourront être autorisées à voyager avant un bon moment, il ne semble pas nécessaire de traiter leur vérification de manière urgente. [...]
3. Bien qu'il ne semblerait pas nécessaire de traiter avec urgence les demandes portant sur des personnes vivant dans la société civile allemande, je suis d'avis, comme je l'ai mentionné dans des rapports précédents, que si l'on peut arriver à un arrangement satisfaisant, les noms de toutes les personnes résidant en Allemagne et dans les pays qu'ils ont occupés, avant ou durant la dernière guerre, pourraient être vérifiés dans les dossiers à Berlin.
[148] J'interprète ceci comme voulant dire que le sgt é.-m. Hinton considère qu'une fois que les demandes des personnes déplacées résidant en Allemagne (admissibles dans la catégorie des parents) seront inscrites sur les listes de la CIGR, les seuls dossiers qu'ils devront traiter seront ceux des « personnes vivant dans la société civile » . Je considère qu'il utilise cette expression pour parler des personnes qui résident en Allemagne, mais qui ne sont pas concernées par le mandat de la CIGR, soit parce qu'elles ne sont pas des personnes déplacées ou parce qu'elles sont admissibles au Canada dans une catégorie autre que celle des parents. Dans l'un ou l'autre de ces cas, ces personnes ne font pas partie du régime canadien applicable aux proches parents, auquel le s.-m. Murray consacrait tous ses efforts.
[149] La dernière pièce à examiner est un rapport préparé en mars 1948 pour le Cabinet, par la GRC, contenant un historique à jour des pratiques en matière de contrôle de sécurité. Sous l'intitulé « Méthodes » , cinq catégories de candidats à l'immigration sont énumérées :
[traduction]
a) Proches parents - Répondants résidant au Canada.
b) Proches parents - Personnes déplacées. Répondants résidant au Canada.
c) Personnes déplacées - Admises en vertu de leur appartenance à des catégories d'emploi particulières.
d) Agriculteurs - Choisis par les représentants des services de colonisation des compagnies de chemins de fer.
e) Tous les autres immigrants n'entrant pas dans les quatre premières catégories et pouvant être admis en vertu d'un arrêté en conseil particulier, tels les commis, les enseignants, les membres de professions libérales, les travailleurs scientifiques, etc.
Les principales distinctions qui existent entre les diverses méthodes d'examen sont celles qui existent entre la méthode qui est suivie pour les catégories b) et c) (personnes déplacées) et celle qui est suivie dans le cas des catégories a), d) et e).
Les personnes déplacées sont reçues en entrevue dans leur camp. Leurs papiers sont examinés et une vérification est faite dans les dossiers disponibles.
Les demandes présentées par les autres candidats à l'immigration - catégories a), d) et e) - sont comparées aux dossiers que possèdent nos contacts, mais le candidat n'est pas lui-même interrogé par l'enquêteur de sécurité.
(pièce 88)
[150] Ce document vient confirmer le fait que seulement les proches parents à la charge de la CIGR étaient interrogés par l'agent de sécurité. On peut toutefois l'interpréter aussi comme indiquant que toutes les personnes déplacées étaient interrogées, qu'elles soient éligibles au titre de la parenté ou de la profession. À l'époque où ce document a été rédigé, soit en mars 1948, le régime applicable aux travailleurs en général autorisé par le CP 2180 avait déjà été mis en oeuvre. Ce régime ne traitait que des personnes déplacées, selon les besoins du marché du travail au Canada. Si un employeur avait besoin de bûcherons, on les recrutait dans les camps de personnes déplacées (transcription, 4 décembre 2001, pages 473 à 475). Étant donné le volume de l'immigration à partir des camps, je crois qu'il est probable que ce renvoi traite des procédures établies pour le régime applicable aux travailleurs en général. Le témoignage des agents d'immigration qui ont traité les demandes dans le cadre de ce régime nous indique que tous les candidats étaient interrogés par un agent de sécurité (transcription, 4 décembre 2001, page 475). La question consiste à savoir si l'alinéa c) traite aussi des personnes déplacées admissibles au titre de leur profession, en vertu du CP 695, étant donné que le régime applicable aux travailleurs en général avait tout juste été autorisé quand M. Fast a immigré au Canada. Si c'est le cas, il semblerait alors que toutes les personnes déplacées étaient interrogées, quel qu'ait été le titre en vertu duquel elles étaient admissibles au Canada. Ceci n'est pas cohérent avec les commentaires du s.-m. Murray, dans son rapport du 1er avril 1947 (pièce 81), où il écrit qu'il n'interrogeait que les personnes directement visées par le régime applicable aux proches parents. Étant donné que le s.-m. Murray faisait des entrevues de sécurité en Allemagne à l'époque où la demande de M. Fast a été traitée, je considère que ce rapport est un compte rendu plus correct de ses activités qu'un rapport préparé à Ottawa plusieurs mois plus tard. En conséquence, je crois qu'il est probable que la mention des « Personnes déplacées - Admises en vertu de leur appartenance à des catégories d'emploi particulières » renvoie au régime applicable aux travailleurs en général.
[151] La mention dans le rapport des « Agriculteurs - Choisis par les représentants des services de colonisation des compagnies de chemins de fer » nous indique que ces demandeurs faisaient l'objet d'une procédure particulière, question sur laquelle je reviendrai plus loin.
[152] En résumé, à l'époque où la demande d'immigration au Canada de M. Fast a été traitée, les demandes n'étaient mises en suspens pour vérification de sécurité que lorsqu'il s'agissait de personnes déplacées dont les demandes étaient traitées dans les camps en vertu du régime applicable aux proches parents. Dans les autres cas, la vérification de sécurité était faite au Royaume-Uni par l'entremise du sgt é.-m. Hinton, mais l'approbation des demandes n'était pas mise en suspens jusqu'à ce que le candidat à l'immigration ait été vérifié par la sécurité. S'il y avait un problème de cette nature, c'est la GRC qui avait le fardeau de le communiquer à l'immigration avant la délivrance d'un visa.
Le traitement de la demande de Jacob Fast
[153] Au vu de ce contexte, que savons-nous du traitement de la demande d'immigration au Canada de M. Fast? La pièce 53, mise en preuve par l'entremise du Dr Gosewinkel et certifiée authentique par l'affidavit de Margrit Alpers, nous indique que M. Fast et sa famille se sont inscrits auprès des autorités municipales à Bremervörde le 27 septembre 1945. Leur adresse était le numéro 4 Alte Strasse, Minstedt. Minstedt est un village dans le district de police de Bremervörde. La pièce 53 indique qu'ils résidaient antérieurement à Pr. Stargaard, où la famille avait été traitée par l'EWZ en 1943. Le témoignage du Dr Gosewinkel porte que les lettres D.R., inscrites sur la carte, indiquent que M. Fast était inscrit comme citoyen de l'État allemand.
[154] La pièce 53 nous démontre que M. Fast et sa famille ne vivaient pas dans un des camps de réfugiés maintenu par les organisations internationales de réfugiés, mais qu'ils se débrouillaient au sein de la société civile. À un moment donné, ils ont dû entrer en contact avec l'oncle de Nathalie Fast, Henry Toews, qui était domicilié à Arnaud, au Manitoba. On a déposé deux documents tirés des archives de l'Église mennonite, identifiés comme la pièce 147, qui semblent être des copies de formulaires remplis par M. Toews pour la famille Fast.
[155] Le premier document dans la pièce 147 est un formulaire imprimé intitulé [traduction] « Demande d'admission au Canada des immigrants suivants » . Ce formulaire a été rempli à la main, et il est daté du 15 juillet 1946 et signé par H.P. Toews. Au bas du formulaire, on trouve la mention suivante en caractères gras : [traduction] « Présenté par le département de l'immigration et de la colonisation du chemin de fer Canadien Pacifique » . Les immigrants présentés sont Jakob Fast, Natalie Fast, ainsi que leurs enfants Therese, Marie et Heinrich Fast. Leurs renseignements personnels correspondent à ceux de Jacob Fast et de sa famille. Leur adresse à Bremervörde est mentionnée. À côté de la mention nationalité ou citoyenneté, on trouve [traduction] « Personnes déplacées, mennonites de Russie » . Le demandeur est identifié comme Henry Peter Toews, d'Arnaud, au Manitoba. Le formulaire indique qu'il est l'oncle de Natalie Fast.
[156] L'autre formulaire tiré des archives de l'Église mennonite qui fait partie de la pièce 147 est un formulaire IMM 55 imprimé, rempli en partie à la machine à écrire. Au tout début du formulaire, on a dactylographié la mention [traduction] « Demande approuvée par les cultivateurs de betteraves à sucre » . Le demandeur est identifié comme le révérend H.P. Toews, les candidats à l'immigration étant Jakob Fast et sa famille, présentés comme citoyens russes, avec la mention additionnelle [traduction] « Tous nés en Russie » . La copie du formulaire qui a été déposée n'est remplie que partiellement et on n'y trouve ni date ni signature. On trouve en travers de la formule la mention manuscrite [traduction] « General Stewart, juillet [illisible] » , qui semble avoir été une copie carbone.
[157] Les pièces 148 et 149 proviennent aussi des archives de l'Église mennonite. La pièce 148 est une lettre datée du 14 mai 1947, écrite par M. Fast à une organisation dont le nom a été oblitéré (probablement le Comité central mennonite). Il y mentionne avoir reçu une lettre en provenance d'Arnaud, au Manitoba, l'informant que des billets de passage avaient été achetés pour lui-même et sa famille. Il poursuit en disant qu'on lui a dit d'entrer en rapport avec le destinataire pour savoir à qui il devait s'adresser pour le traitement de sa demande. La lettre contient la phrase suivante [traduction] « [... nom oblitéré... ] nous a présentés comme des ouvriers agricoles travaillant dans les champs de betteraves à sucre et il pensait que nous devions nous rendre à Gronau, mais que vous seriez probablement la meilleure personne pour nous renseigner à ce sujet » .
[158] M. Fast a reçu une réponse du Comité central mennonite à Gronau, en Westphalie (pièce 149). La lettre l'informe seulement de ceci : [traduction] « Si votre oncle a présenté les demandes nécessaires et a procédé au paiement au Canada, vous recevrez une convocation du gouvernement militaire. Vous devrez alors vous rendre à un camp pour le traitement de votre demande. Vous ne devriez pas présumer que vous serez convoqué au camp de Gronau à cette fin; en fait [il est probable que vous deviez vous rendre] à Buchholz, près de Hanovre » .
[159] Dans l'examen du traitement de la demande d'immigration au Canada de M. Fast, il faut aussi examiner le titre de voyage de M. Fast, pièce 41, savoir le Certificat aux fins de l'émigration au Canada délivré par le CIGR. On trouve dans ce document les dates et lieux de naissance de M. Fast et de ses enfants. Ce document ne dit rien au sujet de la citoyenneté, sauf le fait que la CIGR déclare qu'il [traduction] « est délivré sans préjudice, et qu'il n'a aucun effet sur la nationalité du titulaire » . On trouve sur ce document un certain nombre de timbres officiels et d'endossements. Il y a un timbre du CIGR, contresigné, qui indique que le document a été délivré à Hanovre le 13 juin 1947. On y trouve aussi un timbre du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, contresigné et daté du 13 juin 1947. Il y a aussi le timbre d'un visa d'immigration au Canada, où l'on trouve les renseignements suivants (les parties manuscrites sont reproduites en caractères gras) :
[traduction]
Autorité : Ottawa B-30154 P.D.
Délivré à Hanovre (Allemagne)
Le 13 juin 1947
[160] Ces mentions sont suivies d'une signature qui est celle de M. Cormier, l'agent principal d'immigration en Allemagne à cette époque.
[161] La description des procédures d'immigration et de vérification utilisées à cette époque indique clairement que le fondement d'une demande d'admissibilité au Canada déterminait essentiellement le traitement qui lui était accordé. Il est par conséquent nécessaire de décider sur quelle base on aurait traité la demande d'admission au Canada de M. Fast.
[162] Jusqu'au 6 juin 1947, les candidats à l'immigration au Canada devaient s'inscrire au sein des catégories autorisées d'immigrants en vertu du CP 695. Après le 6 juin 1947, les personnes déplacées se trouvant dans des camps pouvaient espérer immigrer au Canada en vertu du CP 2180, dans la mesure où elles pouvaient démontrer qu'elles avaient les compétences professionnelles pour lesquelles il existait une demande au Canada. Étant donné que le visa de M. Fast lui a été accordé le 13 juin 1947, soit une semaine après la promulgation du CP 2180, il est à peu près certain que la procédure pour traiter les demandes en vertu de ce régime n'était pas encore établie. Par conséquent, je crois qu'il est pratiquement certain que la demande de M. Fast a été traitée en vertu du CP 695. Il est aussi pratiquement certain, selon moi, que cette demande n'a pas été traitée au titre de la parenté. Les degrés de parenté prévus au paragraphe 3 du CP 695 comprenaient une nièce orpheline ou un neveu orphelin âgés de moins de 21 ans. M. Fast et son épouse ne rencontraient pas cette exigence et ils n'étaient donc pas admissibles au titre de la parenté. Afin de soutenir qu'on les a traités comme des proches parents, nonobstant le fait qu'ils ne rencontraient pas les critères prévus au CP 695, il faudrait démontrer que le CP 695 n'a pas été appliqué selon son libellé. Rien dans la preuve ne vient appuyer une telle conclusion.
[163] Si c'est le cas, la demande de M. Fast n'aurait pas été traitée dans le cadre du régime canadien applicable aux proches parents, mis en oeuvre conjointement avec le CIGR. On se souviendra que dans son rapport du 1er avril 1947, pièce 81, rédigé approximativement 10 semaines avant le traitement de la demande de M. Fast, le s.-m. Murray déclarait ceci au quartier général : [traduction] « Elles ne traitent présentement que des dossiers des personnes référées au titre du régime canadien applicable aux proches parents et pour lesquelles un formulaire 55 a été envoyé en Allemagne, à condition qu'elles soient visées par le mandat du CIGR. En conséquence, il n'a pas semblé nécessaire de procéder à la vérification des personnes qui ne sont pas dans ce cadre, puisqu'il s'agirait d'un gaspillage d'efforts » [Non souligné dans l'original.] On peut donc affirmer avec une certaine assurance que comme M. Fast ne rencontrait pas les critères du s.-m. Murray, il n'a pas été interrogé par un agent de sécurité de la GRC.
[164] Si M. Fast n'était pas admissible au titre de la parenté, il doit avoir été admis au titre de la profession. Dans sa lettre au Comité central mennonite, pièce 148, M. Fast déclare qu'on les [traduction] « a présentés comme des ouvriers agricoles travaillant dans les champs de betteraves à sucre » . Le formulaire du CP qui fait partie de la pièce 147 est intitulé [traduction] « Demande approuvée des producteurs de betteraves à sucre » . La lettre vient corroborer le contenu du formulaire, ce qui indique qu'il y avait en fait un lien entre M. Fast et la compagnie de chemin de fer. Il existe une preuve que les agences d'aide mennonites avaient créé des liens avec les compagnies de chemin de fer pour faciliter le transport des réfugiés mennonites. La note 93 du rapport du Dr Avery porte sur un document daté du 26 novembre 1946, qui décrit la visite d'un certain Cornelius Klassen à la mission canadienne en Allemagne. Ce document indique que Cornelius F. Klassen était membre du comité exécutif du Comité central mennonite aux États-Unis, ainsi qu'au Canada. Il y est précisé qu'il était muni d'une lettre de H.C.P. Cresswell, commissaire en chef pour l'immigration et la colonisation du CP. Cette lettre précisait que M. Klassen était rattaché à l'Association de colonisation canadienne, une filiale du département d'immigration du CP. La même lettre porte que M. Klassen était chargé de mission en Allemagne afin de faciliter les départs organisés vers le Canada de réfugiés mennonites et de personnes déplacées sous les auspices du département d'immigration du CP.
[165] Ce document porte que le Comité central mennonite espérait persuader le CIGR que les mennonites, considérés par le CIGR comme des Volksdeutsche (personnes d'ethnie allemande) et donc comme ne pouvant recevoir l'aide du CIGR, devraient être considérés comme des Hollandais. L'auteur du document exprime un certain scepticisme à ce sujet, étant donné que la plupart des mennonites n'avaient pas eu de contacts avec la Hollande depuis près de 300 ans.
[166] En conséquence, il y a des motifs de croire que les compagnies de chemin de fer étaient impliquées dans le transport de travailleurs agricoles vers le Canada, en collaboration avec les agences d'aide mennonites.
[167] Le ministre a essayé de démontrer que tous les demandeurs de visa en Allemagne étaient interrogés par un agent de sécurité, en présentant le témoignage de deux anciens agents d'immigration qui traitaient les demandes des candidats à l'immigration en Allemagne en 1948.
[168] Roger Martineau a rejoint les rangs du Service d'immigration en 1945, après avoir été libéré par l'aviation. Il a été envoyé en Allemagne en mai 1948. Roger St. Vincent a rejoint les rangs du service en novembre 1947, et il a été envoyé en Allemagne en juin 1948. Les deux témoins ont décrit leur expérience dans le traitement des demandes d'immigration au Canada. Des objections ont été apportées à l'introduction de leurs témoignages en preuve, au motif que la demande de M. Fast ayant été traitée en juin 1947, la preuve de la procédure suivie en 1948 n'était pas pertinente aux questions que je dois trancher. J'ai accepté la présentation des témoignages, sous réserve que le ministre démontre que la procédure suivie en 1948 était la même que celle suivie en 1947. Réflexion faite, le ministre ne s'est pas acquitté de ce fardeau.
[169] Voici comment M. St. Vincent a décrit la procédure qu'il suivait :
[traduction]
LE TÉMOIN : Le siège social de l'Organisation internationale pour les réfugiés recevait les renseignements relatifs au choix des réfugiés, selon les critères précisés par le gouvernement canadien avec l'aide du ministère du Travail. Ce processus a été amorcé à l'époque où j'étais là bas.
Il s'agissait d'un arrangement par lequel les employeurs canadiens ou les individus au Canada faisaient savoir quel type de travailleurs étaient requis à travers le Canada, qu'il s'agisse d'employés de scierie, de travailleurs du bois, d'ouvriers agricoles, d'ouvriers dans la culture de la betterave à sucre, ou de tout autre genre de travailleurs. Ils faisaient connaître leurs besoins et fixaient le nombre de personnes que les employeurs canadiens ou les individus étaient prêts à accueillir.
Ces renseignements étaient transmis en Allemagne, pour utilisation dans les camps allemands et autrichiens. C'est dans ces camps que les réfugiés étaient installés. Ceux qui avaient la carte appropriée recevaient des rations de nourriture et un logement, c'est-à-dire un endroit pour dormir. Les renseignements étaient affichés en plusieurs langues, selon la formulation suivante : [traduction] « Si vous êtes intéressés à venir au Canada, nous recherchons tels types de travailleurs. »
Les personnes intéressées aux professions en demande faisaient alors connaître leurs intentions, et leurs dossiers étaient traités dans un camp de l'OIR. On les amenait par autobus ou camion jusqu'au centre de traitement le plus proche, où l'on trouvait du personnel canadien ou quelques membres de l'OIR qui travaillaient avec les Canadiens. Il y avait une section australienne, et d'autres sections. Ces gens préparaient la documentation à leur sujet selon la profession pour laquelle ils exprimaient un intérêt.
Lorsqu'ils en avaient identifié un certain nombre, l'agent chargé des questions de travail à Karlsruhe décidait alors s'il allait se rendre au camp en cause et procéder à un examen préliminaire des intéressés, avant qu'une équipe se rende au camp de l'OIR pour les interroger. En d'autres mots, cet agent devait s'assurer que s'ils déclaraient être des ouvriers de scierie, ils avaient en fait cette compétence. Ou bien, si une personne disait être disponible pour faire du travail domestique, une employée féminine du ministère du Travail venait lui poser des questions pour s'assurer qu'elle répondait aux critères fixés par l'employeur canadien, qui désirait recevoir une employée célibataire, sans enfant, et qui n'étaient pas enceinte.
Après que l'agent responsable des questions de travail eut fait ceci dans plusieurs cas, mais non dans tous, nous étions chargés de nous rendre au camp, au centre de traitement de l'OIR. C'est là que je me rendais, en tant qu'agent des visas et responsable de la voiture automobile qui m'était fournie par la mission de l'immigration du gouvernement canadien, avec un médecin et un agent de sécurité. J'étais toujours accompagné par un médecin et un agent de sécurité lors de mon séjour en Allemagne, chaque fois que je me rendais examiner les réfugiés, les personnes déplacées, aux centres de traitement de l'OIR.
(Transcription, 4 décembre 2001, pages 473 à 475.)
[170] Cette preuve démontre clairement, surtout les mentions du rôle du ministère du Travail, que M. St. Vincent et M. Martineau, qui a témoigné dans le même sens, étaient chargés du traitement des candidatures des immigrants admissibles au Canada en vertu du CP 2180, le régime applicable aux travailleurs en général. En fait, M. St. Vincent a convenu en contre-interrogatoire qu'il ne s'occupait pas des demandes des candidats parrainés en 1948. Le fait que ces agents traitaient des demandes en vertu d'un arrêté en conseil différent ne veut pas nécessairement dire que les procédures utilisées étaient différentes. Par ailleurs, le défendeur n'a pas le fardeau de démontrer qu'elles étaient différentes. C'est le ministre qui doit démontrer qu'elles étaient les mêmes. La preuve de ces messieurs ne m'aide pas à déterminer si tous les demandeurs étaient interrogés par un agent de sécurité, comme le soutient le ministre, puisqu'ils s'occupaient d'un programme qui venait tout juste d'être créé au moment où la demande de M. Fast a été traitée. Le régime applicable aux travailleurs en général tombait certainement sous le coup de l'alinéa c) de la pièce 88, ce qui veut dire que tous les demandeurs étaient interrogés. Mais le ministre ne peut prétendre que comme tous les candidats en vertu de ce programme étaient interrogés, M. Fast a été interrogé, alors qu'il est clair que M. Fast n'était pas concerné par ce programme.
[171] M. Martineau a toutefois fait une remarque intéressante lorsqu'on lui a montré le titre de voyage de M. Fast (pièce 41). On lui a demandé ses commentaires au sujet du timbre du visa :
[traduction]
Q. Pouvez-vous dire à la Cour quels renseignements on trouve sur le timbre du visa? On y trouve le terme [traduction] « autorité » .
R. Oui, il y a un numéro de dossier d'Ottawa qui s'y trouve, avec les lettres « PD » pour personne déplacée; lieu de la délivrance, Hanovre, Allemagne, la date et la période de validité, trois mois.
Q. Y a-t-il quelque chose sur le timbre du visa qui indiquerait en vertu de quelle catégorie cette personne a été admise au Canada?
R. On ne trouve rien de tel, sauf que comme il y a un numéro de dossier d'Ottawa, un bureau d'immigration canadien a dû s'occuper de la question.
Q. Qu'est-ce que cela vous indique?
R. Il pourrait s'agir d'un travailleur visé par un formulaire 55.
(Transcription, 13 décembre 2001, pages 1020 et 1021.)
[172] Ce commentaire est tout à fait cohérent avec la conclusion à laquelle je suis arrivé.
[173] En définitive, j'arrive à la conclusion qu'alors que deux programmes importants d'immigration mis en oeuvre en Allemagne comprenaient une vérification de sécurité obligatoire, savoir le régime applicable aux proches parents et le régime applicable aux travailleurs en général, il existait aussi d'autres programmes dans le cadre desquels la vérification de sécurité se limitait à un examen du dossier sous la direction du sgt é.-m. Hinton à Londres. Il y avait notamment le programme mis en oeuvre par les compagnies de chemin de fer, programme avec lequel les agences d'aide mennonites semblent avoir eu des liens étroits. Selon la pièce 79, les demandeurs visés par les programmes des chemins de fer n'auraient été soumis qu'à une vérification du dossier. Les pièces 82 et 88, deux documents qui proviennent de la GRC, viennent corroborer ce fait. La pièce 81, dans laquelle le s.-m. Murray indique qu'il limite son activité aux candidats dans le cadre du régime applicable aux proches parents qui sont visés par le mandat du CIGR, vient aussi confirmer ce fait. Tout bien considéré, j'arrive à la conclusion que la demande de M. Fast n'a fait l'objet que d'une vérification sur dossier.
[174] Tant le régime applicable aux proches parents que le régime applicable aux travailleurs en général ne portaient que sur les personnes déplacées en Allemagne, en Autriche et en Italie. Le régime canadien applicable aux proches parents était ainsi défini au vu des exigences du CIGR, alors que le régime applicable aux travailleurs en général l'était du fait de la disposition législative l'autorisant, le CP 2180. Il est vrai que M. Fast était reconnu comme personne déplacée et qu'il possédait un titre de voyage qu'on ne remettait qu'aux personnes déplacées. La preuve démontre que tous les immigrants venus au Canada en vertu du régime applicable aux proches parents et du régime applicable aux travailleurs en général étaient des personnes déplacées et qu'ils ont été interrogés par des agents de sécurité. C'est tout ce que la preuve démontre. Elle ne démontre pas que toutes les personnes déplacées ont été interrogées par des agents de sécurité du simple fait qu'elles étaient des personnes déplacées, quel que soit le fondement sur lequel on a traité leur demande d'immigrer au Canada.
[175] Par conséquent, je ne peux conclure que toutes les personnes déplacées venues au Canada à partir de l'Allemagne en 1947 ont été interrogées à des fins de sécurité par un agent de la GRC. Je conclus que les personnes admissibles à l'immigration au Canada au titre de leur profession en vertu du CP 695, surtout si elles étaient associées avec une compagnie de chemin de fer, comme c'est probablement le cas pour M. Fast, ne faisaient l'objet que d'une vérification sur dossier par l'entremise du bureau du sgt é.-m. Hinton à Londres, et qu'elles n'étaient pas interrogées en personne.
[176] Afin de ne prendre aucun risque et d'éviter tout malentendu à ce sujet, rien dans la preuve ne permet de penser que les agences d'aide mennonites étaient au courant des activités de M. Fast en temps de guerre ou qu'elles ont participé volontairement à l'entrée de collaborateurs nazis au Canada.
[177] Il s'ensuit que je ne peux conclure que M. Fast a fait de fausses déclarations au sujet de ses activités en temps de guerre à un agent de sécurité vérifiant les candidats d'immigration au Canada, non plus qu'il lui aurait dissimulé intentionnellement ces activités. Il s'ensuit aussi qu'il n'est plus nécessaire que j'examine la question de savoir si le gouvernement avait la compétence requise pour interdire l'immigration à un candidat pour un motif de sécurité.
Les fausses déclarations au sujet de la citoyenneté allemande, ou sa dissimulation intentionnelle
[178] La prochaine question à trancher est celle de savoir si M. Fast a fait de fausses déclarations aux agents d'immigration canadiens au sujet de sa citoyenneté allemande, ou s'il la leur a dissimulée intentionnellement. Ceci se serait produit à deux occasions : lors du traitement de sa demande en Allemagne par M. Cormier, et ensuite à son arrivée au Canada. Dans les deux cas, il a été interrogé par un agent d'immigration qui était responsable de s'assurer que M. Fast était admissible au Canada. Comme le CP 1373 interdisait qu'on admette au Canada les étrangers ennemis, on peut raisonnablement en conclure que la question de la citoyenneté a été soulevée à ces deux occasions. Le ministre soutient que comme il clair que M. Fast a acquis la citoyenneté allemande et donc qu'il était inadmissible, il n'a pu être admis au Canada qu'en faisant de fausses déclarations au sujet de sa citoyenneté allemande ou en la dissimulant.
[179] L'avocat de M. Fast soutient que ce dernier ne peut avoir acquis la citoyenneté allemande s'il a agi sous la contrainte. L'avocat a fait état d'une preuve indiquant que l'alternative était d'être fusillé ou envoyé à un camp de travail (transcription, 3 décembre 2001, page 415). Selon moi, le fait que l'alternative à l'acquisition de la citoyenneté allemande était désagréable ne veut pas dire que certains n'acceptaient pas volontairement la citoyenneté allemande. En d'autres mots, si certains ont pu se considérer contraints, d'autres n'avaient probablement pas besoin d'être contraints. Si M. Fast s'était senti contraint, il pouvait le dire à la Cour. Or, il n'a rien dit de tel. Je ne peux présumer qu'il a agi sous la contrainte. Par ailleurs, il existe une certaine preuve qu'il a volontairement fait état de sa citoyenneté allemande. La pièce 53, la carte d'enregistrement allemande de M. Fast, porte la mention D.R. en regard de la question de la citoyenneté. On m'a informé que cette inscription correspond à « Deutsches Reich » , ou citoyen allemand (pièce 53, transcription, 10 décembre 2001, page 602). Ces renseignements ont été fournis par M. Fast, qui était tenu de présenter une preuve de citoyenneté (transcription, 10 décembre 2001, page 596). Selon moi, si M. Fast avait été contraint d'adopter la citoyenneté allemande, il est peu probable qu'il l'aurait affirmée par la suite, comme il l'a fait lors de la procédure d'enregistrement.
[180] Le ministre a tenu pour acquis que M. Fast avait perdu sa citoyenneté soviétique en adoptant la citoyenneté allemande. Aucune preuve ne m'a été présentée que l'accession à la citoyenneté allemande exigeait de M. Fast qu'il renonce à sa citoyenneté soviétique. Les documents de l'EWZ sur lesquels le ministre s'appuie reconnaissent la possibilité de la double citoyenneté. La pièce 33 est une copie d'une demande de naturalisation utilisée par les équipes de l'EWZ. Le demandeur est tenu de déclarer quelle est sa citoyenneté. Le commentaire explicatif à ce sujet est rédigé comme suit :
[traduction]
(Indiquez si vous avez une double citoyenneté; les apatrides doivent indiquer quelle est leur ancienne citoyenneté et la raison pour laquelle ils l'ont perdue.)
[181] Ceci ne constitue pas une preuve que l'Allemagne autorisait ses citoyens à avoir une autre citoyenneté. Par contre, c'est une illustration du fait que le régime nazi était au courant de l'existence de la possibilité.
[182] Le même document, savoir la demande de naturalisation, exigeait que le demandeur atteste par sa signature que le contenu de la demande était véridique et qu'il reconnaissait qu'une fausse déclaration pouvait mener à la révocation du certificat de naturalisation. On n'y trouve toutefois aucune renonciation à la citoyenneté d'origine du demandeur. Si le régime nazi avait voulu que les demandeurs renoncent à leur citoyenneté d'origine, il aurait été très facile d'incorporer cette renonciation dans le formulaire de demande. Le fait qu'on n'y trouve pas de mention de la renonciation ne permet pas de conclure que l'obtention de la citoyenneté allemande n'était pas subordonnée à la renonciation d'une citoyenneté antérieure. Par contre, ce fait vient appuyer une hypothèse en ce sens. Si le droit allemand contient une présomption de renonciation, le ministre pouvait en faire état par l'entremise du témoignage du Dr Marwell, qui a été reconnu comme expert de la politique de relocalisation et de naturalisation. Si le ministre soutient que M. Fast a menti lorsqu'il a déclaré qu'il était citoyen de l'Union soviétique, parce qu'afin d'acquérir la citoyenneté allemande il devait renoncer à sa citoyenneté antérieure, c'est à lui de démontrer que cette renonciation était requise. Le ministre n'a rien démontré de tel. En conséquence, il n'existe aucune fondement sur lequel je pourrais conclure que M. Fast a fait une fausse déclaration à son sujet en disant qu'il était citoyen soviétique ou russe.
[183] Toutefois, si le fait de répondre franchement mais de façon incomplète ne constitue pas une fausse déclaration, il peut néanmoins constituer la dissimulation intentionnelle du fait qui n'a pas été divulgué. Faire une fausse déclaration au sujet d'un fait donné ne constitue pas la dissimulation intentionnelle de ce fait. La dissimulation intentionnelle d'un fait constitue à n'en pas faire mention face à une question qui impose sa divulgation. Ce n'est pas une fausse déclaration, étant donné que l'hypothèse est que la réponse à la question est véridique, bien qu'incomplète. La dissimulation intervient lorsqu'on permet qu'une réponse partielle soit considérée comme une réponse complète, ce qui fait que la personne qui l'a posée croit que le fait qui n'a pas été divulgué n'existe pas, ou qu'il est faux. La dissimulation est intentionnelle lorsque la personne qui fait la déclaration comprend la signification de l'omission. C'est ce qui distingue la dissimulation intentionnelle de la simple mégarde ou inadvertance.
[184] Cette conclusion ne constitue pas une adoption de l'argument de l'avocat du ministre, qui veut que M. Fast avait une obligation d'ouverture, c'est-à-dire l'obligation de présenter tout renseignement essentiel même en l'absence d'une question pertinente. Le juge Collier a examiné cet argument dans la décision Canada (Secrétaire d'État) c. Luitjens, [1991] A.C.F. no 1041, lorsqu'il a fait un survol de la jurisprudence canadienne, américaine et anglaise à ce sujet. Il fait notamment état de la décision de la Chambre de lords dans Zamir c. Secretary of State for the Home Department, [1980] 2 All. E.R. 768, où la Chambre des lords a conclu que les demandeurs avaient l'obligation de divulguer tous les faits essentiels qu'ils connaissaient. Toutefois, il note aussi que la Chambre des lords a changé d'avis dans une affaire subséquente, Khawaja c. Secretary of State, [1983] W.L.R. 321. Le juge Collier a conclu qu'il fallait préférer le point de vue voulant que : « point de questions pertinentes, point d'obligation d'ouverture » .
[185] Le ministre s'appuie sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Brooks, [1974] R.C.S. 850, pour étayer son avis qu'il existait une obligation d'ouverture plus large qu'une simple réponse aux questions spécifiques posées au demandeur dans le cadre de son admission au Canada. L'arrêt Brooks, précité, porte sur une affaire complexe où la Cour suprême a examiné une série de questions, y compris celle de l'importance de déclarations inexactes faites à des agents d'immigration. C'est dans le cadre de cette discussion que la question de l'obligation générale de divulguer a été soulevée. Cet arrêt ne contient aucune déclaration sans équivoque voulant qu'il existe une obligation d'ouverture en l'absence de questions. Pour les motifs qui suivent, je suis convaincu que des questions ont été posées à M. Fast au sujet de sa citoyenneté.
[186] C'est sans hésiter que je conclus que M. Cormier a posé des questions au sujet de la citoyenneté de M. Fast en traitant sa demande de visa en Allemagne. Le CP 1373 portait que les étrangers ennemis étaient non admissibles au Canada. M. Cormier devait s'assurer que M. Fast pouvait être admis au Canada ou, en d'autres mots, qu'il ne faisait pas partie d'une catégorie de personnes non admissibles. Ceci mène nécessairement à des questions au sujet de la citoyenneté de M. Fast. Il se peut que M. Fast ait donné une réponse véridique, en déclarant qu'il était citoyen soviétique ou russe. Je suis convaincu que s'il avait répondu qu'il était citoyen allemand, il n'aurait pas été admis au Canada. En conséquence, M. Fast ne peut pas avoir dit à M. Cormier qu'il était citoyen allemand. Cette omission constitue-t-elle une dissimulation intentionnelle du fait qu'il était citoyen allemand?
[187] Dois-je présumer que M. Fast était conscient que sa citoyenneté allemande constituait un empêchement absolu à son admission au Canada, ce qui fait que son omission de la déclarer à M. Cormier n'est pas un oubli innocent, mais bien un acte prémédité? Encore une fois, c'est le ministre qui doit prouver cette connaissance, ou les circonstances dont elle peut être déduite. M. Fast n'est pas tenu de réfuter quoi que ce soit avant que le ministre ne présente une preuve suffisante sur la question pour que le fardeau tactique de la preuve lui soit transféré. Rien dans la preuve au sujet du traitement de la demande de M. Fast par M. Cormier ne permet d'étayer quelque déduction que ce soit quant à l'état d'esprit de M. Fast à ce sujet.
[188] La question s'est soulevée à nouveau lors du traitement de la demande de droit d'établissement de M. Fast à son arrivée à Halifax. La pièce 49 est la DGC, en fait le manifeste du navire. Ce document était utilisé par les agents d'immigration dans le traitement des immigrants au port d'entrée. Le ministre a cité à témoigner M. Joseph Aldard Gunn, un agent d'immigration à la retraite, pour qu'il traite de la pratique au port d'entrée. M. Gunn a témoigné qu'en 1946, et par la suite, il a participé au traitement des dossiers des immigrants arrivant au Canada. Selon son témoignage, la DGC était généralement remplie par le personnel du commissaire de bord, qui interrogeait les immigrants, examinait leurs documents et remplissait la DGC (transcription, 4 décembre 2001, page 539).
[189] Selon M. Gunn, l'agent d'immigration au port d'entrée demandait confirmation de chaque renseignement inscrit à la DGC (transcription, 4 décembre 2001, pages 544 et 445). Les colonnes 8 et 9 du formulaire portaient sur la naturalisation et la race. Sous nationalité, le commentaire explicatif suivant était inscrit : [traduction] « Pays dont le demandeur est citoyen ou sujet » . À cette question, la réponse inscrite comme étant celle de M. Fast est que les membres de sa famille étaient « Russes » . Bien que M. Gunn n'a pas utilisé ce mot, il semble que la race était en fait l'origine ethnique. Dans le cas de la famille Fast, on a inscrit qu'elle était de race hollandaise. Ceci est cohérent avec la position prise auprès du CIGR par les agences d'aide mennonites.
[190] Encore une fois, la déclaration quant à la nationalité peut être vraie, tout en constituant une dissimulation intentionnelle par M. Fast de sa citoyenneté allemande, à condition d'être convaincu que M. Fast savait quelle était la signification de son omission de mentionner sa citoyenneté allemande. La seule preuve qui permet de croire que M. Fast peut avoir été conscient de l'importance attachée à sa citoyenneté allemande est la réponse donnée à la question portant sur la race ou l'origine ethnique, que M. Fast a affirmée être hollandaise. Il est vrai qu'il n'y a pas de preuve portant sur la question qu'on a posée à M. Fast pour obtenir cette réponse. Toutefois, cette omission est compensée par une autre preuve.
[191] Les documents de l'EWZ démontrent que les antécédents de M. Fast et de son épouse, tant paternels que maternels, étaient allemands. Les renseignements quant à l'histoire de sa famille ne peuvent avoir été obtenus que de lui. L'examinateur de l'EWZ était convaincu que M. Fast était Allemand à 100 p. 100 (pièce 37). Dans de telles circonstances, la mention par M. Fast du fait qu'il aurait été de race hollandaise ne peut avoir été faite par mégarde. Comme je l'ai fait remarquer plus tôt, les agences d'aide mennonites ont essayé de contourner les restrictions imposées au CIGR et à l'OIR, leur interdisant d'apporter de l'aide aux Volksdeutsche, en soutenant que les mennonites faisaient partie de l'ethnie hollandaise. La seule raison pour laquelle M. Fast se serait identifié comme Hollandais est qu'il n'ait pas voulu faire état de son statut de Volksdeutsche, ou personne d'ethnie allemande, dans des circonstances où un tel statut ne l'aurait pas aidé à quitter l'Allemagne. Je déduis de ceci que M. Fast savait très bien quelle était la signification de ses liens avec l'Allemagne. Si M. Fast savait que son origine ethnique allemande était une question pertinente, il ne peut pas avoir ignoré que sa citoyenneté allemande l'était aussi. Il n'est pas concevable que M. Fast ait pu croire avantageux pour lui de ne pas faire état de son origine ethnique allemande, sans avoir songé à la signification de sa citoyenneté allemande. Je conclus que M. Fast était conscient que sa citoyenneté allemande était un empêchement à son admission au Canada, même s'il ne connaissait pas la formulation précise du CP 1373, et que le fait qu'il n'a pas fait état de sa citoyenneté allemande en réponse à des questions quant à sa citoyenneté constitue une dissimulation intentionnelle de ce statut. Le fait qu'il ait permis qu'une réponse partielle à la question de sa citoyenneté soit prise comme une réponse complète, ce qui faisait qu'on ne lui poserait pas d'autres questions à ce sujet, constitue une dissimulation intentionnelle au sens de l'article 10 de la Loi sur la citoyenneté. Ceci est aussi vrai de l'entrevue de M. Fast avec M. Cormier que de son entrevue avec l'agent d'immigration qui l'a interrogé à son arrivée à Halifax.
CONCLUSION
[192] Au vu de la preuve dont j'ai été saisi, j'arrive à la conclusion que M. Fast était impliqué dans la police auxiliaire, plus particulièrement son département politique (connu en général sous l'appellation SD), à Zaporozhye, en Ukraine, durant l'occupation nazie de cette ville de 1941 à 1943. Selon la preuve que l'on trouve dans les documents de l'EWZ, il était interprète. Selon la preuve tirée des parties de son interrogatoire préalable que le ministre a consignées au dossier dans le cadre de sa présentation, il était chauffeur. Il portait un uniforme et il y a au moins un témoin qui déclare qu'il portait une arme à feu. La preuve démontre que la police auxiliaire venait en aide aux forces occupantes dans l'exécution de leurs politiques raciales. Il n'y a pas de preuve quant au rôle que M. Fast aurait personnellement joué à cet égard. Toutefois, il est clair qu'il était un collaborateur, selon toute interprétation raisonnable de ce terme.
[193] J'ai aussi conclu que M. Fast est devenu citoyen allemand lorsqu'il a battu en retraite vers l'ouest face à l'avance de l'armée soviétique.
[194] J'ai aussi conclu, au vu de la prépondérance des probabilités, qu'en 1947, dans l'examen de sa demande d'immigration au Canada, la GRC n'a pas interrogé M. Fast au sujet de ses activités en temps de guerre. Compte tenu de ma conclusion au sujet du fondement sur lequel on a déterminé que M. Fast était admissible à l'immigration au Canada, je crois qu'il est plus que probable que sa vérification de sécurité a été faite par l'entremise de l'organisation dirigée par le sgt é.-m. Hinton à Londres, en Angleterre. Cette vérification n'a rien dévoilé quant à son association avec la police auxiliaire en temps de guerre. En conséquence, M. Fast n'a pas fait de fausse déclaration quant à ses activités en temps de guerre, non plus qu'il les a dissimulées, dans sa démarche pour immigrer au Canada, puisque la majorité de la preuve indique qu'on ne lui a pas posé de questions au sujet de ces activités.
[195] J'ai toutefois conclu que M. Fast n'a pas déclaré qu'il était citoyen allemand à l'agent des visas qui l'a interrogé en Allemagne, M. Cormier, non plus qu'à l'agent d'immigration au port d'Halifax qui l'a interrogé lors de son arrivée au Canada. Je suis convaincu que s'il avait déclaré qu'il était citoyen allemand à l'une ou l'autre de ces personnes il n'aurait pas été admis. Il s'ensuit donc que s'il a été admis, c'est qu'il n'a pas déclaré ce fait. Je conclus que comme M. Fast a fait une fausse déclaration quant à son origine ethnique pour les fins de la DGC, il était conscient de l'impact de sa citoyenneté allemande sur la possibilité qu'il soit admis au Canada, ce qui fait que cette omission dans le cadre d'un interrogatoire constitue une dissimulation intentionnelle de sa citoyenneté. Je suis donc convaincu que M. Fast a acquis la citoyenneté canadienne par dissimulation intentionnelle de sa citoyenneté allemande lorsqu'il a obtenu l'admission au Canada, au sens du paragraphe 10(2) de la Loi sur la citoyenneté.
[196] Au cours de l'audience, l'avocat du ministre s'est engagé, s'il avait gain de cause, à ne pas réclamer les dépens du tuteur à l'instance de M. Fast. En conséquence, nonobstant le fait que le ministre a eu gain de cause, il n'y aura pas d'ordonnance portant sur les dépens.
OTTAWA (ONTARIO)
Le 3 octobre 2003
_ J.D. Denis Pelletier _
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-453-00
INTITULÉ : Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
c.
Jacob Fast
LIEUX DE L'AUDIENCE : Hamilton, Toronto et Ottawa
DATES DE L'AUDIENCE : Les 28, 29 et 30 novembre 2001 (Hamilton), les 3, 4, 10, 11, 12 et 13 décembre 2001 (Toronto), le 9 janvier 2001 (Toronto), les 27 et 28 février 2002 (Toronto), le 24 avril 2002 (Toronto), et du 8 au 12 juillet 2002 (Ottawa)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE PELLETIER
DATE DES MOTIFS : Le 3 octobre 2003
COMPARUTIONS :
Peter A. Vita, c.r. POUR LE DEMANDEUR
Catherine Vasilaros
Jeremiah Eastman
Michael Davies POUR LE DÉFENDEUR
Harald A. Mattson
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg POUR LE DEMANDEUR
Sous-procureur général du Canada
Bayne, Sellar, Boxal POUR LE DÉFENDEUR
Ottawa (Ontario)