Date : 20040505
Dossier : IMM-2880-03
Référence : 2004 CF 667
Toronto (Ontario), le 5 mai 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL
ENTRE :
MOHAMMED SHAHID KHILJI
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le demandeur est un citoyen du Pakistan qui demande l'asile en tant que dirigeant religieux de la collectivité chiite musulmane, à savoir en tant que président du comité de l'imambargah. Il craint d'être persécuté et il craint que sa vie soit menacée par le Sipah-e-Sahaba (SSP) du Pakistan, une organisation religieuse sunnite extrémiste. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision datée du 27 mars 2003 par laquelle la CISR a conclu qu'il n'est pas un réfugié au sens de la Convention et qu'il n'a pas la qualité de personne à protéger parce qu'il n'est pas membre des groupes qui sont le plus à risque au Pakistan et parce qu'il disposerait, selon ce qu'a conclu la CISR, d'une protection adéquate de l'État s'il retournait au Pakistan.
[2] Dans la présente affaire, la crédibilité n'était pas en litige devant la CISR. Par conséquent, les faits suivants ont été acceptés :
Le demandeur soutient qu'en raison de son rôle de leader chiite, il a éprouvé de nombreux problèmes avec le Sipah-e-Sahaba (SSP).
Le demandeur était présent lors de l'attaque de la procession de Zuljinah en avril 2001. La police n'a pas établi de rapport parce que l'identité des agresseurs était inconnue.
Avec d'autres personnes, le demandeur a tenté, en qualité de président du comité de son Imambargah, de signaler un incident survenu à l'Imambargah. La police a menacé les membres du groupe de les arrêter s'ils ne s'en allaient pas.
En décembre 2001, le demandeur a eu une confrontation avec des fiers-à-bras du SSP, lesquels lui ont dit de ne pas signaler les activités du leader sunnite local, Maulvi Siddique.
À la fin de mars 2002, le demandeur a reçu un appel d'une personne qui lui a demandé de ne pas tenir de procession pendant le mois de Muharram. Quand le demandeur a menacé de s'adresser aux autorités supérieures, la police a promis qu'elle assurerait la sécurité.
Le lendemain, le demandeur était présent quand on a tiré des coups de feu à l'extérieur de son Imambargah. En outre, des personnes se trouvant de l'autre côté du mur ont crié son nom et proféré des menaces de mort.
Le demandeur est passé dans la clandestinité et s'est enfui du Pakistan le 17 mai 2002. Il a demandé l'asile au Canada le même jour. [Décision, à la page 1.]
[3] L'analyse sur laquelle est fondé le rejet de la demande d'asile présentée par le demandeur est rédigée comme suit :
Analyses
À la partie 2 du rapport d'Amnistie Internationale (AI) intitulé No Protection Against Targeted Killings, paru en octobre 2002 (pièce R-1, partie 1.15), on indique les groupes chiites les plus à risque : médecins, professionnels, membres du clergé et autres personnes qui tentent de faire la médiation entre les deux groupes. Le demandeur n'entre dans aucun de ces groupes.
D'autres personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur sont toujours au Pakistan. Le père du demandeur, ses frères et même la personne qui a remplacé le demandeur en qualité de président du comité de son Imambargah sont au Pakistan. Le conseil a fait valoir qu'il existe certaines différences entre chacune de ces personnes et le demandeur, mais je crois plutôt qu'ils sont tous des Chiites qui assistent régulièrement aux services religieux. Dans le cas du président, on parle en outre d'un rôle visible dans la communauté chiite. Je constate que toutes ces personnes se trouvent toujours au Pakistan et n'ont pas signalé de problèmes reliés au SSP.
Le demandeur a témoigné que selon lui, son unique problème découlait du fait qu'il s'est rendu au poste de police et a signalé que Maulvi Siddique était selon lui la source du problème. Je reconnais qu'il est possible que cette action ait attiré l'attention du SSP. Cependant, compte tenu que le profil du demandeur ne correspond à aucun des groupes identifiés par AI et qu'un certain nombre de personnes se trouvant dans une situation comparable à celle du demandeur se trouvent toujours au Pakistan et n'ont pas signalé de problème, je conclus selon la prépondérance des probabilités que cette action n'a pu à elle seule faire du demandeur une cible du SSP.
Cette conclusion est étayée par la nature des problèmes que le demandeur éprouvait au Pakistan. Il n'a été confronté qu'une seule fois à une personne qui l'a averti de mettre un terme à ses activités. Il a reçu un certain nombre d'appels téléphoniques, et à une occasion, des personnes qu'il croit avoir été membre du SSP ont tiré des coups de feu et ont dit au demandeur de sortir. Rien ne prouve que les coups de feu ont été tirés en direction du demandeur, ni que les hommes armés ont essayé d'escalader le mur et tenté d'entrer dans l'immeuble en tant que tel.
Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que ces actions, si elles visaient en fait le demandeur, n'étaient pas le fait du SSP.
Protection de l'État
Ayant conclu que le profil du demandeur ne correspond pas à celui de la plupart des personnes à risque, j'ai la conviction que l'État déploie les efforts sérieux pour offrir une protection adéquate, quoique pas nécessairement parfaite. [Décision aux pages 2 et 3.]
[4] Il est reconnu que le fardeau du demandeur de fournir une preuve claire et convaincante du manque de protection de l'État est lié aux risques auxquels un demandeur est personnellement exposé (voir l'arrêt Canada (M.E.I.) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.)). En fait, c'est ce qu'a décidé la CISR dans la présente affaire.
[5] Le demandeur prétend que la conclusion de fait à l'égard du niveau de risque auquel il serait exposé s'il retournait au Pakistan a été tirée erronément. Je partage son opinion.
[6] À mon avis, la preuve documentaire n'appuie pas la conclusion selon laquelle le demandeur ne fait pas partie d'un groupe chiite le plus à risque. Le rapport sur lequel s'appuyait la CISR (dossier de demande du demandeur, à la page 108) énonce clairement que les dirigeants religieux sont exposés à des risques de même que le sont les personnes qui ont un lien avec un imambargah comme un imam ou un gardien de la mosquée. Selon la preuve du demandeur qui a été acceptée par la CISR, il n'y a pas de doute que le demandeur, étant donné qu'il est le président du comité d'un imambargah, fait partie d'un groupe le plus à risque d'être persécuté.
[7] En outre, à mon avis, la conclusion suivante de la CISR : « Je constate que toutes ces personnes [[l]e père du demandeur, ses frères et même la personne qui a remplacé le demandeur en qualité de président du comité de son Imambargah] se trouvent toujours au Pakistan et n'ont pas signalé de problèmes reliés au SSP » est une interprétation erronée de la preuve. En fait, ce qui suit est le témoignage rendu par le demandeur sur cette question lors de l'audience :
[TRADUCTION]
PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Et est-ce lui qui est devenu le président après votre départ du Pakistan?
DEMANDEUR : Oui.
PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Et a-t-il des problèmes?
DEMANDEUR : Il doit en avoir, mais je suis ici. Je ne sais pas. [Dossier du tribunal, à la page 348.]
[8] Il est important de mentionner que la preuve du demandeur corrobore le fait qu'il était expressément visé par le SSP. À mon avis, il n'est pas justifié ni fondé que la CISR accorde peu d'importance à cette preuve. La conclusion selon laquelle ce n'est pas le SSP qui est responsable de l'agression du demandeur est une conclusion quant à la vraisemblance non fondée. Pour que cette conclusion puisse être maintenue, il faut que les éléments de preuve sur lesquels elle s'appuie soient énoncés. Ce n'est pas ce qui a été fait.
[9] Étant donné que la CISR établit clairement la condition préalable à sa conclusion à l'égard de la protection de l'État lorsqu'elle dit : « [a]yant conclu que le profil du demandeur ne correspond pas à celui de la plupart des personnes à risque » , et étant donné que la conclusion tirée par la CISR à l'égard du profil du demandeur a été tirée erronément, à mon avis, la conclusion tirée à l'égard de la protection de l'État ne peut pas être maintenue.
[10] Compte tenu des erreurs de fait mentionnées, je conclus que la décision rendue par la CISR renferme des erreurs susceptibles de contrôle qui la rendent manifestement déraisonnable.
ORDONNANCE
Par conséquent, la décision de la CISR est annulée et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué afin qu'il statue à nouveau sur l'affaire.
« Douglas R. Campbell »
Juge
Traduction certifiée conforme
Danièle Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2880-03
INTITULÉ : MOHAMMED SHAHID KHILJI
demandeur
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 4 MAI 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL
DATE DES MOTIFS : LE 5 MAI 2004
COMPARUTIONS :
John Grice
POUR LE DEMANDEUR
Michael Butterfield
POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John Grice
Toronto (Ontario)
POUR LE DEMANDEUR
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
POUR LE DÉFENDEUR
COUR FÉDÉRALE
Date : 20040505
Dossier : IMM-2880-03
ENTRE :
MOHAMMED SHAHID KHILJI
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE