Date : 20011115
Dossier : IMM-5957-00
Référence neutre : 2001 CFPI 1256
Ottawa (Ontario), le 15 novembre 2001
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
LIAN SAI HE
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE ET MOTIFS DE L'ORDONNANCE
[1] Le demandeur est un revendicateur du statut de réfugié originaire de la République populaire de Chine. Il demande le contrôle judiciaire d'une décision défavorable rendue le 10 octobre 2000 par la section du statut de réfugié (SSR).
[2] Le demandeur est né le 1er novembre 1950, à Isingtao, province de Shandong, en Chine orientale, et il a travaillé comme agent du fisc au Bureau des impôts, de juillet 1975 à juillet 1998. Il s'est joint au Falun Gong, une organisation religieuse, en 1997, après avoir lu Zhuan Falun, un ouvrage décrivant les principes fondamentaux du Falun Gong. Il pratiquait sa foi avec trente autres personnes tous les matins pendant une heure, sept jours par semaine. Le demandeur a affirmé que, lors de leurs rencontres spirituelles, les membres priaient pour les autres et méditaient, et que le Falun Gong est une religion qui aspire à la lumière spirituelle et à la paix pour toute l'humanité. Il a aussi affirmé être un « chef de file » de la communauté Falun Gong.
[3] En avril 1999, le groupe du demandeur fut informé que des membres du Falun Gong avaient été arrêtés à Tianjin. Le groupe se porta au soutien du groupe de Tianjin en écrivant des lettres et en organisant des réunions. Le demandeur fut invité à s'exprimer devant le maire de Tsingtao au nom de son groupe. L'accès au cabinet du maire ne fut pas possible de sorte qu'un ralliement pacifique fut organisé. Le demandeur aida à organiser ce ralliement, ainsi qu'un autre, qui eut lieu le 22 avril 1999, pour 50 adeptes du Falun Gong, à l'entrée des bureaux de l'administration municipale de Tsingtao. Même si le rassemblement du 22 avril 1999 eut lieu sans l'autorisation requise, la police n'intervint pas lors de ce rassemblement pacifique « silencieux » .
[4] Selon sa déposition, le demandeur s'est rendu à Pékin le 25 avril 1999 en compagnie d'environ 10 000 adeptes du Falun Gong, pour un autre rassemblement pacifique. Lorsqu'il revint au travail le 26 avril, son employeur lui conseilla de s'abstenir de pratiquer le Falun Gong et lui dit de songer à sa carrière future et à ses gratifications.
[5] Le 20 juillet 1999, le demandeur fut arrêté chez lui par la police, puis rossé et emmené pour être interrogé sur son appartenance au mouvement Falun Gong. Selon sa déposition, le demandeur a été détenu pendant cinq jours, interrogé et frappé quotidiennement jusqu'au 24 juillet 1999. Ce jour-là, il fut frappé si sévèrement qu'il dut être hospitalisé. Le 31 juillet 1999, il s'échappa de l'hôpital et, avec l'aide d'amis, prit finalement le chemin du Canada, via la Corée du Nord et la Russie. Il arriva au Canada le 18 août 1999 et revendiqua le statut de réfugié au motif qu'il craignait d'être persécuté entre les mains du Bureau de la sécurité publique (B.S.P.) parce qu'il est membre du Falun Dofa (également appelé Falun Gong).
[6] La SSR a rendu une décision défavorable parce que selon elle le revendicateur n'était pas un témoin crédible. Elle a estimé que l'histoire du demandeur autorisait des déductions défavorables et conclusions d'invraisemblance, dont chacune est contestée par le demandeur.
[7] Le demandeur n'a guère pu se remémorer l'ouvrage intitulé Zhuan Falun, ne sachant pas combien de sections il contenait, ni n'a pu montrer qu'il le comprenait. Il a finalement admis durant son interrogatoire qu'il n'avait lu en réalité qu'un tiers de cet ouvrage. Selon sa déposition, il n'a commencé de pratiquer le Falun Gong qu'après avoir lu Zhuan Falun, reconnu comme la « bible » du Falun Gong. L'avocat du demandeur affirme que la connaissance qu'avait son client du Falun Gong suffisait à l'identifier comme un adepte du Falun Gong. Selon lui, le demandeur n'était pas le chef spirituel du groupe, mais un chef, en ce sens qu'il préparait les adeptes en vue de rassemblements, et donc que l'on ne devrait pas s'attendre à ce qu'il en sache autant que le chef du groupe Falun de sa collectivité. Vu le propre témoignage du demandeur selon lequel il était un « chef » au sein de sa collectivité, je suis d'avis que la SSR a eu raison de conclure que le rôle de « chef » exercé par le demandeur au sein du Falun Gong ne concordait pas avec son ignorance des principes fondamentaux du groupe. Vu cette preuve contradictoire, il n'était pas déraisonnable pour la SSR de conclure à l'absence de crédibilité du demandeur.
[8] Le demandeur n'a pas pratiqué le Falun Gong depuis qu'il est arrivé au Canada. Il est raisonnable de penser que quiconque prétend être un chef communautaire du Falun Gong et a pratiqué ce culte chaque matin de la semaine pendant deux ans continuera de s'adonner aux rites du Falun Gong à son arrivée au Canada. Ce serait le cas à plus forte raison pour quelqu'un qui fuit la persécution parce qu'il est membre du Falun Gong. L'excuse du demandeur est que c'est ce qu'il voulait faire, mais qu'il n'a pu trouver le Livre. Cela ne m'apparaît pas convaincant. J'arrive donc à la conclusion que la SSR a eu raison de dire que le demandeur a rassemblé toutes les connaissances qu'il avait du Falun Gong à seule fin de revendiquer le statut de réfugié.
[9] La SSR a tiré une conclusion défavorable de l'affirmation du demandeur selon laquelle le Falun Gong était une religion. L'avocat du demandeur affirme que la SSR a commis une erreur en tirant une telle conclusion, car selon lui le demandeur croyait honnêtement que le Falun Gong était une religion. La SSR s'est fondée en l'occurrence sur des documents qui mentionnaient clairement que les membres du Falun Gong classaient le Falun Gong comme un ensemble d'actes rituels, non comme une religion. Vu les documents, j'estime qu'il était raisonnable pour la SSR de conclure à l'absence de crédibilité du demandeur.
[10] Le demandeur soutient que la SSR a commis une erreur en s'attardant à la connaissance qu'avait du Falun Gong le demandeur en sa qualité de « chef » , et en ne se demandant pas si le demandeur risquait d'être persécuté comme simple membre du Falun Gong. Sur ce point, j'accepte les arguments du défendeur. La SSR a bien examiné la preuve du demandeur et l'a trouvée invraisemblable et incohérente, conclusion que, à mon avis, il lui était loisible de tirer. La SSR n'a tout simplement pas cru les choses relatées par le demandeur. Elle n'a pas cru qu'il était même un pratiquant du Falun Gong, encore moins un chef.
[11] La SSR a trouvé qu'à certains moments le demandeur était évasif et qu'il ne répondait pas aux questions qui lui étaient posées. Le demandeur n'a pas non plus été uniforme dans sa déposition. Lorsqu'il fut prié à l'audience de dire ce qui l'avait conduit à mobiliser un groupe de 30 personnes pour se rendre à Pékin le 25 avril 1999, il a donné jusqu'à cinq réponses différentes et incompatibles. Je suis d'avis que la SSR avait le pouvoir de conclure que les réponses évasives et invraisemblables du revendicateur à cette question portaient encore atteinte à sa crédibilité.
Norme de contrôle
[12] Dans l'affaire Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315, p. 316-317, au par. 4, M. le juge Décary énonçait ainsi la norme de contrôle devant s'appliquer aux conclusions de la SSR portant sur la crédibilité et la vraisemblance :
Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.
[13] Je conclus qu'il était loisible à la SSR de tirer les conclusions qu'elle a tirées, notamment au chapitre de la vraisemblance. Je ne vois aucune erreur sujette à révision dans la décision de la SSR. Pour les motifs susmentionnés, cette demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
[14] Les parties, qui ont eu l'occasion de le faire, ne m'ont pas demandé de certifier une question grave de portée générale selon ce que prévoit l'article 83 de la Loi sur l'immigration. Par conséquent, je ne me propose pas de certifier une question grave de portée générale.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que :
1. La demande de contrôle judiciaire soit rejetée.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5957-00
INTITULÉ : Lian Sai He c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 21 août 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE : M. le juge Blanchard
DATE DES MOTIFS : le 15 novembre 2001
ONT COMPARU
M. Jeffrey L. Goldman POUR LE DEMANDEUR
Mme Mielka Visnic POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
M. Jeffrey L. Goldman POUR LE DEMANDEUR
Toronto (Ontario)
M. Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada