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     Date : 19981027

     Dossier : IMM-217-98

ENTRE

     JAMAL GHREIBI,

     HAGER GHREIBI,

     NAGIA AL-JIYACH,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

        

LE JUGE ROTHSTEIN

[1]          Les demandeurs, citoyens de la Libye, revendiquent le statut de statut de réfugié du fait de leurs opinions politiques et de leur religion, en tant qu'opposants au régime de Kadhafi. Le tribunal de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a trouvé des contradictions entre le formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur principal et ses dépositions orales, ainsi que des invraisemblances dans son témoignage. Il a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.

[2]          Dans le présent contrôle judiciaire, les demandeurs soutiennent que les conclusions du tribunal quant à l'invraisemblance étaient abusives, arbitraires et manifestement déraisonnables, que le tribunal n'a pas tenu compte des éléments de preuve, qu'il n'existait pas de contradictions importantes entre le FRP du demandeur principal et ses dépositions orales et qu'on n'a pas autorisé la demanderesse à rendre son témoignage.

[3]          Le tribunal a jugé invraisemblable le fait que le demandeur principal ait pu quitter la Libye sans difficulté s'il était perçu comme un opposant au régime de Kadhafi et avait été recherché par les autorités. Il existait la preuve que la Libye avait éliminé les exigences de visas et de douane entre la Libye et certains autres pays arabes. Toutefois, cette preuve n'aborde pas la question des personnes qui sont recherchées par les autorités libyennes et qui tentent de partir. Je souscris à l'argument du défendeur selon lequel le tribunal est en droit de tirer des conclusions du témoignage du demandeur. Selon ce témoignage, on ne peut quitter la Libye sans l'approbation du service de sécurité, et son passeport a été vérifié. Si le demandeur principal avait été recherché par les autorités, il n'était pas déraisonnable pour le tribunal de déduire qu'il ne serait pas en mesure de quitter la Libye et serait arrêté s'il tentait de le faire.

[4]          Le tribunal a alors jugé invraisemblable le fait que dans un pays aussi autoritaire que la Libye, le voisin d'un ami prendrait le risque de faire sortir un étranger clandestinement. Bien que le tribunal soit moins fondé à tirer cette conclusion d'invraisemblance, je ne saurais la qualifier d'abusive ni d'arbitraire. Il est vrai que les récits d'une personne aidant un étranger ne sont pas sans précédent; mais il n'était pas déraisonnable pour le tribunal de juger invraisemblable le fait pour un étranger total de prendre le risque d'aider le demandeur principal en Libye sans autre explication.

[5]          Selon le tribunal, il était invraisemblable que les autorités renouvellent le passeport du demandeur si elles le considéraient comme un opposant politique et tentaient d'arrêter sa femme. Au débat devant la Cour, l'avocat a soutenu que le père du demandeur avait pu obtenir le passeport seulement avec l'aide de quelques personnes qu'il connaissait. L'idée est que ces personnes pouvaient dans une certaine mesure obtenir le passeport lorsqu'il n'était pas habituellement délivré. Toutefois, le tribunal ne disposait pas de cet élément de preuve. Les conclusions du tribunal quant à l'invraisemblance fondées sur les éléments de preuve dont il était saisi ne sont pas déraisonnables.

[6]          Le tribunal a alors conclu que si les autorités voulaient arrêter la femme du demandeur principal, elles auraient interrogé la famille de celle-ci et l'auraient arrêtée chez sa soeur. Dans le témoignage, il en est fait état seulement au moyen d'une déclaration générale selon laquelle le mari de la soeur avait été harcelé. Il n'existe pas de liens entre ce harcèlement et le fait pour les autorités de rechercher sa femme. Encore une fois, les conclusions du tribunal ne sont pas déraisonnables.

[7]          Le tribunal a conclu que si les autorités avaient fermé l'entreprise du père du demandeur principal et confisqué son argent, il n'aurait pu engager des dépenses en vue d'un pèlerinage en Arabie Saoudite. Le tribunal a conclu que le récit portant sur le père était un embellissement visant à étayer la revendication du statut de réfugié. Le demandeur n'a pas donné de motifs expliquant pourquoi la conclusion du tribunal n'était pas raisonnable.

[8]          Le demandeur a alors déclaré qu'il craignait d'être persécuté parce qu'il s'était laissé pousser la barbe, portait des vêtements longs traditionnels et allait à une mosquée pour prier. Le tribunal a conclu qu'il n'existait pas de preuve documentaire selon laquelle ces apparences extérieures conduisaient à la persécution. Les demandeurs ont cité l'U.S. Country Report for 1996 selon lequel les services de sécurité surveillaient les activités des mosquées à la suite de nombreux affrontements violents, et certains musulmans pratiquants ont rasé leur barbe pour éviter d'être harcelés par le personnel de sécurité. J'accepte que dans certaines circonstances, il semble y avoir eu harcèlement de musulmans dont l'apparence extérieure a amené les autorités à les associer aux ennemis de l'État. Toutefois, cela est loin d'établir que tous les musulmans dont les apparences sont traditionnelles sont sujets à persécution en Libye.

[9]          Le tribunal a trouvé de nombreuses contradictions entre le FRP du demandeur principal et ses dépositions orales. Devant moi, le demandeur n'a pas réussi à expliquer de façon satisfaisante ces contradictions.

[10]          Le tribunal a conclu que le demandeur principal n'a pas été considéré comme un opposant politique par le gouvernement de la Libye. Certaines des conclusions quant à l'invraisemblance tirées par le tribunal sont plus solides, certaines sont plus faibles. Toutefois, il existe suffisamment de cas d'invraisemblance qui, si on les rapproche des contradictions entre le FRP du demandeur et ses dépositions orales, me convainquent que l'appréciation par le tribunal des éléments de preuve n'était pas abusive, arbitraire ni manifestement déraisonnable.

[11]          Quant à l'allégation selon laquelle on a empêché la demanderesse de rendre son témoignage, le dossier ne contient rien de tel.

[12]          Il y a eu une certaine confusion quant à la question de savoir si le tribunal avait examiné certains documents présentés par le demandeur. La confusion avait trait à l'énumération des pièces et non aux pièces elles-mêmes. Selon le témoignage du président du tribunal, la preuve documentaire a été prise en considération. Il a expliqué la confusion dans l'énumération des pièces. Le dossier dont disposait le tribunal étaye l'explication du président. L'argument invoqué n'est nullement fondé.

[13]          En dernier lieu, dans les motifs du tribunal, il note le témoignage de la demanderesse selon lequel elle enseignait le Coran dans une mosquée, mais elle a été renvoyée parce que ses enseignements entraient en conflit avec les points de vue des membres du Comité révolutionnaire. Selon elle, elle enseignait une interprétation du Coran qui était contraire aux points de vue du régime de Kadhafi. Le tribunal a conclu qu'on ne l'empêchait pas de trouver un autre emploi.

[14]          La demanderesse a fondé sa revendication du statut de réfugié sur celle de son mari. Son FRP n'a nullement fait état du fait qu'elle a été renvoyée en tant qu'enseignante en raison de ses croyances religieuses et de ses opinions politiques. Le tribunal a conclu que la demanderesse avait son propre passeport international et pouvait quitter la Libye à l'aide de ce passeport. Cependant, elle ne l'a pas fait longtemps après son renvoi.

[15]          Le renvoi de la demanderesse était dû, non pas à la pratique ou à l'enseignement de sa religion, mais à son enseignement, fondé sur son interprétation du Coran, d'un point de vue politique qui était contraire à celui du régime Khadafi. On peut dire que l'expérience de la demanderesse reposait sur ses opinions politiques et non sur ses croyances religieuses.

[16]          Le tribunal ne disposait pas de preuve d'une autre expérience négative relative à l'enseignement de la demanderesse, à l'exception de son renvoi. Elle n'a pas été arrêtée, menacée ni autrement malmenée à cause de son enseignement, de ses croyances religieuses ou de ses opinions politiques.

[17]          Compte tenu de toutes ces circonstances, je ne saurais dire que la conclusion du tribunal selon laquelle il n'existait pas plus qu'une simple possibilité que la demanderesse s'expose à la persécution en Libye est abusive, arbitraire ou manifestement déraisonnable.

[18]          Il n'y a pas lieu pour la Cour d'intervenir en l'espèce. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 Marshall Rothstein

                                         Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 27 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      IMM-217-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :             
                             JAMAL GHREIBI, HAGER GHREIBI,
                             NAGIA AL-JIYACH
                             et
                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
DATE DE L'AUDIENCE :              Le mercredi 14 octobre 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          le juge Rothstein

EN DATE DU                      mardi 27 octobre 1998

ONT COMPARU :

    Isaac Sechere                      pour les demandeurs
    Kim Conboy                      pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Isaac Sechere
    Avocat - Notaire public
    141, avenue Laurier ouest, pièce 1000
    Ottawa (Ontario)
    K1P 5J3                              pour les demandeurs
    Morris Rosenberg
    Sous-procureur général du Canada
                                     pour le défendeur

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19981027

     Dossier : IMM-217-98

ENTRE

     JAMAL GHREIBI,

     HAGER GHREIBI,

     NAGIA AL-JIYACH,

     demandeurs,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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