Date : 20031204
Dossier : IMM-4802-02
Référence : 2003 CF 1411
ENTRE :
TARIQ MASOOD
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision datée du 14 août 2002 de l'agent des visas Niall Cronin (l'agent des visas) du Haut-commissariat du Canada à Islamabad, au Pakistan. L'agent des visas a refusé la demande de résidence permanente du demandeur.
[2] L'agent des visas a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur à cause de la nature, de la gravité ou de la durée probable de l'état de santé de sa fille Fakhia Tariq, qui est à sa charge, état de santé qui risquerait raisonnablement d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada. Par conséquent, l'agent des visas a conclu que l'admission au Canada du demandeur serait contraire au paragraphe 38(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Dans sa lettre du 14 août 2002, l'agent des visas cite les remarques du médecin agréé concernant l'état de santé de la fille du demandeur. L'évaluation médicale contient les commentaires suivants :
[traduction]La demanderesse est née le 6 décembre 1992 et elle souffre de déficience mentale modérée. Elle a pris du retard dans les étapes de son développement. Une récente évaluation psychologique a révélé qu'elle avait un âge mental de 3 ans et neuf mois et un QI moyen de 36. Aujourd'hui, Tariq fréquente une école spécialisée et, depuis 3 ans, elle reçoit régulièrement des soins d'orthophonie. Elle s'exprime difficilement et elle peut réciter l'alphabet et les chiffres jusqu'à 10, mais elle est incapable d'écrire des mots simples et de calculer. Elle mange, s'habille et fait sa toilette toute seule. Le psychologue chargée de l'évaluation est d'avis qu'elle doit recevoir des soins d'orthopédagogie et d'orthophonie.
En matière sociale, le Canada a adopté le principe de l'égalité, de la pleine participation et de l'intégration maximale au sein de la collectivité de tous les individus qui, à cause d'une déficience mentale, sont dans un état de dépendance. Ce principe favorise la vie communautaire dans le cadre d'un système communautaire de soutien très large qui a pour objet de favoriser au maximum la capacité de l'individu de vivre de manière autonome. Il est reconnu que la famille de Tariq la soutient et est très aimante, mais il est probable que Tariq et sa famille voudront profiter des services nécessaires afin de favoriser le plus possible le développement personnel de Tariq.
Si elle est admise au Canada, Tariq serait admissible à recevoir divers services éducatifs, ainsi que d'autres services sociaux, notamment des services d'éducation spécialisée jusqu'à l'âge de 21 ans et des services d'orthophonie, et il est probable qu'elle aurait besoin de ces services. Ces services comprendront également l'accès à divers milieux supervisés, aux programmes d'assistance aux familles ou aux parents et aux services de relève à l'intention des soignants. Ces services et avantages sont coûteux et le fardeau probable sur les services sociaux du Canada est beaucoup plus grand que pour le citoyen canadien moyen. Ces exigences probables afin de permettre la pleine intégration de Tariq au sein de la communauté canadienne risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens à cause des coûts. [...]
[3] Voici la disposition applicable de la Loi :
38. (1) Emporte, sauf pour le résident permanent, interdiction de territoire pour motifs sanitaires l'état de santé de l'étranger constituant vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risquant d'entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. |
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38. (1) A foreign national is inadmissible on health grounds if their health condition, (a) is likely to be a danger to public health; (b) is likely to be a danger to public safety; or, (c) might reasonably be expected to cause excessive demands on health or social services. |
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[4] Les dispositions pertinentes du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, sont :
20. L'agent chargé du contrôle conclut à l'interdiction de territoire de l'étranger pour motifs sanitaires si, à l'issue d'une évaluation, l'agent chargé de l'application des articles 29 à 34 a conclu que l'état de santé de l'étranger constitue vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risque d'entraîner un fardeau excessif. |
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20. An officer shall determine that a foreign national is inadmissible on health grounds if an assessment of their health condition has been made by an officer who is responsible for the application of sections 29 to 34 and the officer concluded that the foreign national's health condition is likely to be a danger to public health or public safety or might reasonably be expected to cause excessive demand. |
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34. Pour décider si l'état de santé de l'étranger risque d'entraîner un fardeau excessif, l'agent tient compte de ce qui suit : a) tout rapport établi par un spécialiste de la santé ou par un laboratoire médical concernant l'étranger; b) toute maladie détectée lors de la visite médicale. |
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34. Before concluding whether a foreign national's health condition might reasonably be expected to cause excessive demand, an officer who is assessing the foreign national's health condition shall consider, (a) any reports made by a health practitioner or medical laboratory with respect to the foreign national; and, (b) any condition identified by the medical examination. |
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[5] Le demandeur prétend que l'admission de Fakhia au Canada n'entraînerait pas un fardeau excessif pour les services sociaux du Canada et que l'agent des visas a commis une erreur en se fondant sur le rapport soi-disant invalide du médecin agréé et en omettant de tenir compte de toute la preuve. En revanche, le défendeur soutient que le demandeur n'a pas prouvé que l'intervention de la Cour soit justifiée en l'espèce.
[6] Premièrement, le demandeur fait valoir que l'agent des visas a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées tirées d'une manière abusive ou arbitraire ou sans égard à tous les éléments de preuve. Plus précisément, le demandeur allègue que la preuve que Fakhia ne souffre que d'une déficience intellectuelle légère ou modérée et que son état ne cesse de s'améliorer a été exclue du rapport du médecin agréé. En règle générale, un agent des visas est lié par les recommandations du médecin agréé (voir la décision Gingiovenanu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1995] A.C.F. no 1436 (1re inst.) (QL)). Toutefois, lorsque le rapport du médecin agréé comporte une erreur de fait manifestement déraisonnable ou qu'il a été rédigé contrairement aux principes de justice naturelle, l'agent des visas commet une erreur de droit s'il se fonde sur ce rapport (Fei c.Canada (M.C.I.), [1998] 1 C.F. 274 (1re inst.)). En l'espèce, je ne suis pas convaincu que l'opinion du médecin agréé comportait une erreur de fait manifestement déraisonnable et qu'elle avait été formée contrairement aux principes de justice naturelle. Il apparaît clairement, dans l'affidavit du Dr Theriault, qu'après l'examen médical initial effectué par le Dr Roohina Sattar, il avait demandé une évaluation supplémentaire du QI de Fakhia. Tant le rapport médical que la déclaration médicale sont fondés sur toute la preuve soumise par le demandeur. Un examen du dossier m'amène à conclure que le rapport médical est valable et complet et que, par conséquent, l'agent des visas n'a pas commis une erreur en se fondant sur ce rapport pour conclure que Fakhia faisait partie de la catégorie des personnes non admissibles.
[7] Deuxièmement, le demandeur soutient que l'agent des visas n'a pas tenu compte du milieu familial positif, de même que des ressources financières importantes de la famille, ressources qui lui permettraient de subvenir aux besoins de Fakhia. Selon le demandeur, lorsqu'il s'agit d'une question de fardeau excessif pour les services sociaux, l'agent des visas doit tenir compte des contributions sociales et financières du demandeur. À mon avis, l'agent des visas n'a pas commis une erreur en omettant de tenir compte des ressources financières de la famille puisque ce facteur créerait, dans les faits, un engagement de la part du demandeur de payer tous les services sociaux ou de santé dont Fakhia pourrait avoir besoin après avoir été admise au Canada en tant que résidente permanente. Au Canada, ces services sont accessibles, de droit, à tous les individus et le demandeur ne peut renoncer à ce droit (voir Deol c. Canada (M.C.I.), [2003] 1 C.F. 301 (C.A.); Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Hilewitz, 2003 CAF 420; Pigg c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2003 CAF 421; Dirk De Jong c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2003 CAF 422).
[8] Enfin, le demandeur fait valoir que l'agent des visas a commis une erreur en omettant d'évaluer les coûts réels ou la disponibilité de services précis au sein de la collectivité où il a l'intention d'établir sa résidence. L'agent des visas a fondé sa décision sur l'opinion du médecin agréé selon laquelle Fakhia entraînerait ou risquerait d'entraîner un fardeau excessif pour les services de santé ou les services sociaux du Canada en général et non sur la disponibilité de ces services au Québec. En l'espèce, le médecin agréé a évalué la disponibilité des services dont Fakhia aurait raisonnablement besoin au Canada plutôt que dans la collectivité précise de la province de Québec. Il est important de souligner que pendant son entrevue, le demandeur a dit qu'il avait l'intention de s'installer à Toronto et qu'il prétend maintenant qu'il a l'intention de s'installer au Québec. Il est vrai que l'agent des visas doit tenir compte du rapport médical, ainsi que des circonstances précises du demandeur, mais je ne crois pas que cette obligation englobe celle de tenir compte de l'existence ou de la disponibilité réelle des services dans la région où le demandeur a l'intention de s'établir, puisque les résidents permanents sont libres de s'installer là où bon leur semble au Canada. Il serait donc incohérent d'exiger que l'agent des visas tienne compte de la disponibilité des services sociaux dans une communauté en particulier dans laquelle le demandeur ne s'établira pas nécessairement d'une manière permanente.
[9] Pour ces motifs, je suis d'avis que l'agent des visas n'a commis aucune erreur manifestement déraisonnable dans la décision qu'il a rendue dans la présente affaire. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
_ Yvon Pinard _
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
le 4 décembre 2003
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4802-02
INTITULÉ : TARIQ MASOOD
c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 13 NOVEMBRE 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE PINARD
DATE DES MOTIFS : LE 4 DÉCEMBRE 2003
COMPARUTIONS :
Asher Neudorfer POUR LE DEMANDEUR
Michèle Joubert POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sarna Neudorfer POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)