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     Date : 19980629

     Dossier : IMM-1853-97

OTTAWA (Ontario), le 29 juin 1998

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE

     JAD DAHER,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

         Vu la demande, présentée par le demandeur, de contrôle judiciaire et d'annulation de la décision par laquelle l'agent principal a refusé de réexaminer la mesure d'exclusion prise contre lui le 25 février 1997, laquelle décision lui a été communiquée le 23 avril 1997;

         Après avoir entendu les avocats des parties à Toronto le 7 mai 1998, date à laquelle le prononcé de la décision a été remis à plus tard, et après avoir examiné les arguments invoqués, la Cour ayant alors conclu que les faits essentiels et les questions en litige en l'espèce étaient essentiellement semblables à ceux de l'affaire Raman c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 125 F.T.R. 50;

     ORDONNANCE

         LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Les questions suivantes, initialement certifiées dans l'affaire Raman précitée, sont certifiées en application du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée, aux fins d'examen par la Cour d'appel :

     Question 1 :      L'agent principal a-t-il compétence, en vertu de la common law ou encore en vertu de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ou du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour examiner la possibilité de rouvrir l'audience au terme de laquelle une mesure d'exclusion a été prononcée, de façon à permettre à une personne de réclamer la protection du statut de réfugié au sens de la Convention?         
     Question 2 :      Si l'agent principal a compétence pour rouvrir l'audience, cette compétence est-elle restreinte aux instances où la décision initiale est entachée d'un manquement aux règles de justice naturelle?         
     Question 3 :      Le cas échéant, l'agent principal a-t-il violé les règles de justice naturelle ou les principes de justice fondamentale lorsqu'il a omis d'informer le requérant, avant la fin de l'audience qu'il présidait et au terme de laquelle une mesure d'exclusion a été prononcée, de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat?         

                                 W. Andrew MacKay

                                             Juge

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     Date : 19980629

     Dossier : IMM-1853-97

ENTRE

     JAD DAHER,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]          Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire et l'annulation de la décision par laquelle l'agent principal a refusé de réexaminer une mesure d'exclusion prise contre lui le 25 février 1997, laquelle décision lui a été communiquée le 23 avril 1997.

[2]          Le demandeur est citoyen libanais. Il est arrivé au Canada le 25 février 1997, et il a alors tenté d'entrer avec un passeport suédois portant sa photo mais un nom autre que le sien. Il n'a pas été admis. On lui a demandé s'il voulait revendiquer le statut de réfugié, et il a refusé de le faire. Un agent principal a alors pris une mesure d'exclusion contre lui. À un moment, avant ou justement après la prise de la mesure, on lui a demandé s'il désirait se mettre en rapport avec un avocat et, au plus tard, peu de temps après la prise de la mesure, il a fait savoir qu'il voulait effectivement consulter un avocat.

[3]          Il a alors été détenu. Lorsqu'il a obtenu des services juridiques deux jours plus tard, l'avocat l'a avisé que puisqu'une mesure d'exclusion avait été prise contre lui, il ne pouvait déposer une revendication du statut de réfugié. Par la suite, il a écrit pour demander à l'agent principal de réexaminer et de révoquer la mesure d'exclusion prise contre lui afin qu'il puisse revendiquer le statut de réfugié.

[4]          Cette requête a été rejetée par l'agent principal qui a écrit à l'avocat du demandeur pour l'aviser notamment ce qui

suit :

         [TRADUCTION]...l'agent principal n'a pas le pouvoir légal de revoir la mesure d'exclusion. À cet égard, veuillez vous référer au jugement de la Cour fédérale Philman Abu Raman c. MCI, rendu par la Section de première instance de la Cour fédérale le 31 décembre 1996. Étant donné ce qui précède, votre requête est rejetée.

[5]          L'affaire citée est l'affaire Raman c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration1 dont était saisi le juge Dubé. Cette décision, à mon avis, portait sur des circonstances essentiellement semblables à celles de l'espèce. L'avocat du demandeur fait valoir que les circonstances de l'espèce sont suffisamment différentes que la principale question, concernant le pouvoir de l'agent de réexaminer une mesure d'exclusion une fois prise, devrait être traitée différemment en l'espèce. Les différences alléguées concernent la compréhension du demandeur au moment de son arrivée au Canada, en tant que jeune personne qui n'était pas au courant de la procédure de revendication du statut de réfugié au Canada, à qui on lui a dit qu'il s'exposait à un emprisonnement allant jusqu'à cinq ans s'il était jugé coupable d'avoir tenté d'entrer au Canada à l'aide d'un faux passeport, et qui ne savait pas qu'une fois qu'une mesure d'exclusion avait été prise, il ne pouvait alors faire examiner une revendication du statut de réfugié. Ces facteurs peuvent avoir influé sur son propre comportement, par exemple son omission de manifester son intérêt dans la revendication du statut de réfugié lorsqu'on lui a posé la question à son arrivée, mais ils ne sont pas importants en ce sens que l'agent principal qui examinait son cas aurait dû s'en rendre compte.

[6]          Je ne suis pas persuadé que les faits essentiels diffèrent de ceux de l'affaire Raman. Dans cette affaire, le droit à l'assistance d'un avocat avant la prise de la mesure d'exclusion a été soulevé, relativement à la Charte et à la lumière du principe d'équité et de la justice naturelle.

[7]          Dans cette affaire, le juge Dubé a déclaré notamment :

         À mon avis, le paragraphe 44(1) de la Loi empêche manifestement l'AP de rouvrir une décision visant l'exclusion de l'intéressé. Une fois cette décision rendue, le réfugié ne peut tenter d'obtenir la reconnaissance du statut de réfugié à moins que la mesure n'ait été annulée en appel... l'AP n'a pas compétence, ni selon la common law ni en vertu de l'article 7 de la Charte [et du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982], pour examiner la possibilité de rouvrir une audience. Il s'ensuit qu'il n'est pas nécessaire de décider s'il y a eu ou non manquement à la justice naturelle puisque l'AP n'avait aucune obligation, à cette étape, d'informer le requérant de son droit à l'assistance d'un avocat. On lui a demandé s'il souhaitait revendiquer le statut de réfugié et il a répondu par la négative. Quant à la violation des droits du requérant qui lui sont garantis par la Charte, même si l'AP n'avait aucune compétence pour examiner un manquement de cette nature, j'estime que le requérant n'a pas réussi à établir qu'il a été privé, à ce moment, du droit à la liberté et à la sécurité de sa personne que lui confère l'article 7 de la Charte. Évidemment, il n'a pas été autorisé à entrer au Canada, mais il n'avait alors aucun droit à cet égard. Il a pu être détenu à l'aéroport afin d'éviter qu'il entre illégalement au Canada, mais aucun élément de preuve ne montre qu'on l'a empêché de retourner au Nigeria, au Zimbabwe ou dans tout autre pays d'où il provenait.

[8]          Comme dans l'affaire Raman, tout comme le cas de l'espèce, le paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée, empêche, à mon avis, l'agent principal de rouvrir la décision d'exclure une personne du Canada. Ce pouvoir à cet égard ne découle ni de l'article 7 de la Charte, ni du principe d'équité en common law. En l'espèce, l'agent principal n'a pas eu tort de rejeter la requête du demandeur visant à faire réexaminer la mesure d'exclusion au motif qu'il n'avait pas compétence pour le faire.

[9]          La question soulevée en l'espèce concernant le droit du demandeur à l'assistance d'un avocat se pose parce qu'il est allégué qu'on ne l'a pas avisé de son droit à l'assistance d'un avocat et qu'on ne lui a pas donné la possibilité de consulter un avocat antérieurement à la prise de la mesure d'exclusion. Si cet avis avait été donné avant la mesure, le demandeur aurait alors su, puisqu'il ne le savait pas en l'espèce, qu'une fois que la mesure a été prise, il ne pouvait revendiquer le statut de réfugié.

[10]          Cette prétention pourrait avoir plus de poids si le demandeur n'avait pas déjà nié devant les agents d'immigration qu'il s'intéressait à la revendication du statut de réfugié. Le demandeur l'ayant fait, n'est pas convaincant son argument selon lequel le défaut de possibilité d'avoir un avis sur la question de savoir si une telle revendication peut être faite après une mesure d'exclusion a donné lieu à la privation du droit à l'assistance d'un avocat, surtout lorsque ce droit est protégé par l'alinéa 10b) de la Charte. Comme le juge Dubé l'a noté dans l'affaire Raman, le demandeur aurait pu être détenu à l'aéroport pour empêcher qu'il entre illégalement au Canada, mais il n'existe pas de preuve qu'il n'était pas libre de se rendre à un autre pays. De plus, il a été arrêté ou détenu à son arrivée pour déterminer son droit d'entrer et de demeurer au Canada, question qui a en fin de compte abouti à la prise de la mesure d'exclusion. Il ne fait pas de doute qu'il a eu la possibilité de contacter et de rencontrer un avocat par la suite, du début de sa détention continue après la prise de la mesure d'exclusion. Je ne suis pas persuadé qu'antérieurement à ce moment-là, on peut dire que l'acte accompli par l'agent d'immigration dans l'application de la Loi à l'occasion de l'arrivée du demandeur au Canada ait donné lieu à une action fondée sur l'alinéa 10b) de la Charte.

[11]          Pour les motifs invoqués ci-dessus, une ordonnance est rendue pour rejeter la demande d'annulation de la décision qui a refusé le réexamen de la mesure d'exclusion prise contre le demandeur.

[12]          Les avocats des deux parties ont convenu que les questions certifiées pour l'examen par la Cour d'appel dans l'affaire Raman devraient également être certifiées en l'espèce.

[13]          Les questions à certifier en application du paragraphe 83(1) de la Loi, semblables à celles certifiées dans l'affaire Raman, sont les suivantes :

     Question 1 :      L'agent principal a-t-il compétence, en vertu de la common law ou encore en vertu de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés ou du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, pour examiner la possibilité de rouvrir l'audience au terme de laquelle une mesure d'exclusion a été prononcée, de façon à permettre à une personne de réclamer la protection du statut de réfugié au sens de la Convention?         
     Question 2 :      Si l'agent principal a compétence pour rouvrir l'audience, cette compétence est-elle restreinte aux instances où la décision initiale est entachée d'un manquement aux règles de justice naturelle?         
     Question 3 :      Le cas échéant, l'agent principal a-t-il violé les règles de justice naturelle ou les principes de justice fondamentale lorsqu'il a omis d'informer le requérant, avant la fin de l'audience qu'il présidait et au terme de laquelle une mesure d'exclusion a été prononcée, de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat?         

                                 W. Andrew MacKay

                                             Juge

Ottawa (Ontario)

Le 29 juin 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-1853-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Jad Daher c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 7 mai 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          le juge MacKay

EN DATE DU                      29 juin 1998

ONT COMPARU :

    Hart A. Kaminker                  pour le demandeur
    Kevin Lunney                      pour l'intimé
                        

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Mamann, Kranc                      pour le demandeur
    Toronto (Ontario)
    George Thomson
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour le défendeur
   
__________________

     1      (1996), 125 F.T.R. 50.

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