Date : 20041021
Dossier : IMM-8486-03
Référence : 2004 CF 1468
ENTRE :
DIANE (MAGDALENE) SANDY
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE O'KEEFE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 7 octobre 2003, dans laquelle il a été décidé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.
[2] La demanderesse sollicite :
1. une ordonnance annulant la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, datée du 7 octobre 2003;
2. une ordonnance renvoyant la demande de la demanderesse visant à obtenir le statut de réfugiée au sens de la Convention et l'asile à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire d'une manière qui corresponde aux motifs de la décision ou aux directives données par la Cour.
Le contexte
[3] La demanderesse, Diane Sandy, sollicite le contrôle judiciaire de la décision selon laquelle elle n'est pas une réfugiée au sens de la Convention. Elle est une citoyenne de la Grenade qui prétend craindre d'être persécutée en raison de son appartenance à un groupe social : les femmes victimes de violence familiale.
[4] La demanderesse a grandit à Saint-George's, sur l'île de la Grenade, dans une maison avec cinq frères et soeurs. Ses parents se sont séparés alors qu'elle était âgée de quatorze ans. Lorsqu'elle avait quinze ans, sa mère a commencé à fréquenter un autre homme du nom de Coleridge Watson (Watson). La demanderesse affirme qu'il est devenu dominateur et qu'il la [traduction] « fouettait » sans raison.
[5] Alors qu'elle avait seize ans, la demanderesse affirme que Watson a commencé à venir dans sa chambre et à [traduction] « abuser » d'elle la nuit. Il a profité d'elle parce qu'elle était l'aînée. Il lui a dit qu'elle devait faire ce qu'il lui demandait. Sa mère travaillait le soir, de telle sorte que la demanderesse ainsi que ses frères et soeurs étaient seuls à la maison avec Watson. Elle affirme qu'il a commencé par faire des remarques et toucher sa poitrine. Lorsqu'elle l'a confronté, il a dit qu'il lui achèterait des choses et qu'elle ne devrait pas se conduire de cette façon.
[6] Une fois, alors que la demanderesse dormait, Watson a commencé à la caresser. Elle s'est réveillée et elle l'a trouvé avec le pantalon baissé et les mains sur elle. Elle a essayé de crier et il lui a couvert la bouche. Au fil du temps, les agressions ont progressivement empiré, jusqu'à ce qu'il la [traduction] « force à avoir des relations sexuelles » .
[7] Par suite des agressions, les notes de la demanderesse ont baissé et elle a commencé à sortir le soir et à rester avec des amis ou des parents pour éviter Watson. En fin de compte, elle a approché sa mère et lui a raconté ce qui se passait. Sa mère l'a battue avec un morceau de bois de chauffage et elle a dit à la demanderesse qu'elle devrait avoir honte puisque Watson prenait soin de la famille. Sa mère lui a dit qu'elle ne devrait pas dire du mal de Watson. En fin de compte, Watson a eu connaissance de ce qu'elle avait dit et elle a encore une fois été battue, cette fois avec un tuyau.
[8] Lorsqu'elle avait vingt ans, il l'agressait deux ou trois fois par semaine et les raclées ont continué. Alors qu'elle était âgée de vingt et un an, elle est tombée enceinte et elle s'est rendue chez une sage-femme dans le village voisin. La sage-femme [traduction] « [lui] a donné quelque chose de très chaud à boire avec une mixture d'herbes et, du fait que c'était le début de la grossesse, [elle] a avorté » .
[9] Une semaine après la visite chez la sage-femme, elle s'est enfuie de la maison. Watson l'a retrouvée chez son ami et il a commencé à la battre devant toute la famille. Elle est partie de la maison en courant et s'est cachée dans les buissons, où elle est demeurée jusqu'au matin suivant. Au matin, elle est retournée chez son ami et le frère de celui-ci l'a conduite au poste de police, à Saint-George's. Ce fut une perte de temps. La demanderesse affirme que la police l'a réprimandée pour s'être enfuie de la maison et a parlé des enfants désobéissants. Un policier a dit que Watson était quelqu'un de bien et que, s'il la battait, il avait une bonne raison de le faire.
[10] Elle a commencé à vivre avec son ami et elle a obtenu un emploi de vendeuse dans un magasin de produits diététiques. En 1995, elle a rencontré un homme du nom de Selwyn au supermarché. Ils ont commencé à se téléphoner et, par la suite, à se fréquenter.
[11] La demanderesse et Selwyn ont commencé à vivre ensemble à Saint-George's. Selwyn s'est mis à sortir le soir et à revenir à la maison en sentant le parfum et l'alcool, avec du rouge à lèvres sur ses vêtements. Chaque fois que la demanderesse l'interrogeait, il se fâchait. Au début, il l'injuriait, puis il a commencé à lui tirer les cheveux et, par la suite, à lui asséner des coups de poing et de pied.
[12] Une fois, en janvier 1997, Selwyn lui a donné des coups de pieds à plusieurs reprises et il lui a asséné des coups de poings à la figure. Elle s'est rendue au poste de police, à Saint-George's, et la police a noté ses renseignements. Les policiers ont dit qu'ils produiraient un rapport et en feraient le suivi. Il ne s'est rien passé et, après avoir effectué deux autres visites au poste pour s'enquérir du « suivi » , elle a réalisé que rien ne se produirait. Un des agents a même dit qu'un homme avait le droit de les battre (les femmes) parce que les femmes doivent se soumettre.
[13] À la fin du mois de février 1997, Selwyn, qui était alors son conjoint de fait, lui a volé de l'argent. Elle l'a quitté et il l'a suppliée de revenir. Elle affirme : [traduction] « Après qu'il m'eut suppliée et suppliée encore, j'y suis retournée comme une imbécile » . Elle affirme que Selwyn l'a menacé de la tuer si jamais elle se trouvait avec un autre homme. Lorsqu'elle lui a demandé de lui remettre son argent, il a dit que l'argent lui appartenait, il a commencé à agresser la demanderesse, il a saisi un coutelas et il lui a mis sous la gorge. Elle lui a dit de conserver l'argent et elle lui a offert plus d'argent qu'elle avait caché dans la maison. Un voisin a entendu la dispute et s'est présenté à la maison. Le voisin a confronté Selwyn et celui-ci s'est retourné pour attaquer l'homme avec le coutelas. Ce soir-là, la demanderesse s'est de nouveau rendue au poste de police. Elle a montré aux policiers les marques et les contusions sur sa peau et ils ont noté ce qu'elle avait dit. Cependant, encore une fois, la police ne l'a pas aidée et n'a fait aucun suivi concernant le rapport.
[14] La demanderesse a décidé de quitter la Grenade. Un de ses cousins lui a donné l'argent nécessaire à son billet pour qu'elle puisse quitter le pays. Selwyn a continué à faire des menaces par téléphone, selon lesquelles, s'il apercevait la demanderesse, il la couperait en morceaux.
[15] La demanderesse est arrivée au Canada le 17 mars 1997. Elle a un fils de deux ans, né au Canada. Elle a récemment appris qu'elle pouvait faire une demande de statut de réfugié au Canada. Elle a formulé une demande d'asile le 7 octobre 2002.
[16] Elle est allée à l'aide juridique en juillet 2003. Son avis de convocation était pour le 3 septembre 2003, date à laquelle sa date d'audition serait fixée. Elle a appris l'existence de l'audience à la mi-août.
[17] Elle a parlé avec un avocat le 26 août 2003 et lui a donné son avis de convocation pour le 3 septembre. L'avocat n'était pas disponible à cette date et une audience péremptoire a été fixée pour le 2 octobre 2003. L'avocat n'était pas disponible pour cette date-là non plus et il a demandé une remise le 24 septembre 2003. La demande de remise a été rejetée sans motif.
[18] Le 30 septembre 2003, l'aide juridique a approuvé la représentation de la demanderesse à son audience par l'avocat qu'elle a choisi et lui a donné une copie de l'autorisation. L'avocat lui a fourni une lettre, datée du 1er octobre 2003, mentionnant qu'il n'était pas disponible pour l'audience et qu'il était officiellement le conseil de la demanderesse.
[19] La demanderesse s'est présentée seule à l'audience du 2 octobre. Elle a affirmé que, lorsqu'on lui avait demandé si elle était prête à procéder à l'audience (même sans son avocat), elle avait essayé d'être polie et avait répondu : [traduction] « Pas complètement » . L'audience a duré une heure.
[20] Le 7 octobre 2003, la Commission a conclu que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention. Elle a reçu les motifs rejetant sa demande le 14 octobre 2003.
[21] La Commission a conclu que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l'État pour la Grenade. Il n'est pas nécessaire d'analyser tous les éléments de la décision, puisque le contrôle judiciaire n'est fondé que sur l'équité procédurale et le droit à l'assistance d'un avocat.
Les questions en litige
[22] La demanderesse soulève trois questions :
1. La Commission a-t-elle manqué à son obligation d'équité procédurale en rejetant la demande de la demanderesse d'ajourner l'audience du 2 octobre ou dans la conduite de l'audience?
2. La Commission a-t-elle abusé de son pouvoir discrétionnaire en rejetant la demande de la demanderesse d'ajourner l'audience du 2 octobre?
3. La Commission a-t-elle nié à la demanderesse son droit à une audience équitable en ne lui permettant pas convenablement de formuler des observations?
[23] La demanderesse a mentionné que, bien qu'elle reconnaisse que le droit à l'assistance d'un avocat n'est pas absolu, les pouvoirs de la Commission sont assujettis à son obligation primordiale d'équité et aux dispositions législatives régissant sa procédure. La demanderesse affirme que la Commission a commis une erreur dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire au regard tant de l'équité que des dispositions législatives.
[24] La demanderesse a invoqué l'arrêt Siloch c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'immigration), [1993] A.C.F. no 10 (C.A.F.), lequel prescrit les facteurs suivants qui doivent être pris en compte à l'égard du droit à l'assistance d'un avocat :
1. la question de savoir si le demandeur a fait son possible pour être représenté par un avocat;
2. le nombre d'ajournements déjà accordés;
3. le délai pour lequel l'ajournement a été demandé;
4. l'effet de l'ajournement sur le système d'immigration;
5. la question de savoir si l'ajournement retarde, empêche ou paralyse indûment la conduite de l'enquête;
6. la faute ou le blâme à imputer au demandeur du fait qu'il n'est pas prêt;
7. la question de savoir si des ajournements ont déjà été accordés péremptoirement;
8. tout autre facteur pertinent.
[25] La demanderesse a cité la décision Dias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [2003] A.C.F. no 125 (C.F. 1re inst.), laquelle cite avec approbation l'arrêt Siloch et ajoute que l'omission pour la Commission de tenir compte des facteurs susmentionnés lors de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'ajourner une demande d'asile pour permettre la représentation par avocat équivaut à une violation du droit à l'équité procédurale.
[26] Dans la décision Dias, précitée, une des questions en litige était une proposition selon laquelle les demandeurs avaient occasionné un retard indu dans le traitement de leur demande et la Cour (la juge Heneghan) a tout de même conclu que le droit à l'équité procédurale avait été violé. La demanderesse affirme qu'il n'y a pas eu de retard de ce genre en l'espèce.
[27] Le défendeur a affirmé que la Commission n'avait pas agi de manière déraisonnable en rejetant la demande de remise de la demanderesse. Il a également affirmé que la demanderesse avait eu amplement le temps de choisir un avocat de l'aide juridique et de retenir ses services. Il a fait valoir que la demanderesse aurait pu choisir un autre avocat, lequel aurait été en mesure de comparaître lors de l'audience en octobre. Il fait valoir que le fait que la demanderesse ait choisi un avocat qui, dès le départ, savait qu'il n'était pas disponible pour comparaître à la date fixée pour l'audience et qui avait accepté un mandat de représentation, sachant qu'il ne pourrait se présenter à cette date, ne signifie pas que la Commission a nié à la demanderesse son droit à l'équité procédurale.
[28] Le défendeur a fait remarquer que la Commission avait reçu la demande de remise de l'avocat la veille de la date de l'audience, soit le 1er octobre. Le défendeur a soutenu que la demanderesse ne pouvait pas blâmer la Commission pour sa propre procrastination : voir la décision Aseervatham c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 804 (C.F. 1re inst.), laquelle mentionne au paragraphe 24 :
Je suis d'accord avec le demandeur que deux situations différentes peuvent se présenter, à savoir celle d'un revendicateur qui se trouve un avocat une fois la date de l'audition fixée et celle d'un revendicateur déjà représenté par un procureur, lequel est convoqué pour la fixation d'une date d'audition. Dans le premier cas, le revendicateur doit subir les conséquences de sa procrastination. Dans le deuxième cas, il est juste et équitable que le tribunal considère les disponibilités du procureur avant de fixer une date péremptoire. C'est précisément de cette façon que la section du statut s'est conduite en l'espèce. Elle s'est efforcée de rencontrer les disponibilités de Me Allen avant de fixer une date.
[29] Le défendeur a également fait remarquer que, dans une lettre datée du 11 octobre 2002, la Commission avait expressément informé la demanderesse de ses droits et obligations, y compris le droit d'être représentée par un conseil.
[30] La demanderesse a fait valoir que, dans la première lettre de son avocat adressée à la Commission, le 26 août 2003, il était évident que la demanderesse avait déjà commencé le processus relatif au mandat de représentation avec l'avocat avant que la date d'audition ne soit fixée. La demanderesse a mentionné qu'il n'était pas possible d'accepter la logique de la Commission selon laquelle l'avocat aurait dû refuser et selon laquelle la demanderesse aurait dû se chercher un nouvel avocat. La demanderesse a communiqué pour la première fois avec l'aide juridique en juillet 2003 et elle n'a en fait retenu officiellement les services de son avocat que le 30 septembre 2003. La demanderesse a fait valoir qu'il était impossible de s'attendre à ce qu'elle trouve un nouvel avocat en trois semaines.
[31] Le défendeur a ajouté que le droit à l'assistance d'un avocat exige d'un demandeur qu'il choisisse son avocat parmi ceux qui sont prêts et en mesure de comparaître en son nom (voir Aseervatham, précitée, et Dadi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1243 (C.F. 1re inst.)). Dans la décision Dadi, la Cour a conclu que d'accorder un délai de trois semaines pour qu'un demandeur ait la possibilité de donner à un nouvel avocat le temps de se préparer n'était pas déraisonnable :
Dans les circonstances du présent cas, le tribunal a, le 17 avril 1998, accordé au requérant un ajournement de sa cause jusqu'au 6 mai 1998, afin de permettre à son nouvel avocat de se préparer; le tribunal a en outre retardé le début de l'audition du 6 mai 1998 pour permettre au requérant de contacter son avocat qui ne se présentait pas; après 40 minutes d'attente, au cours desquelles le requérant a pu parler à la secrétaire de son avocat pour se faire dire de procéder sans lui s'il ne se présentait pas dans les 15 minutes, le tribunal lui a finalement demandé s'il acceptait que sa cause procède en l'absence de son avocat, ce qu'il a accepté sans réticence. Dans tout ce contexte, compte tenu des dispositions statutaires, de la jurisprudence et de la doctrine ci-dessus, je ne considère pas que le requérant, par ailleurs jugé non crédible, ait été victime d'un déni de justice naturelle ou d'iniquité procédurale. Je ne vois donc rien, sur le plan de la procédure, dans cette affaire où le requérant a eu droit à une audition complète et où il n'a établi aucun préjudice, qui justifie l'intervention de cette Cour.
[32] Dans la documentation que la demanderesse a reçue à l'audience du 2 octobre et qu'on lui a conseillé de lire, il y avait le paragraphe suivant :
[traduction]
(3) Obtenir les services d'un conseil - En raison du fait que la date fixée aujourd'hui est péremptoire, le conseil que vous choisissez pour vous représenter doit être disponible et prêt à précéder ce jour-là. La Section n'accordera pas de remise si le conseil que vous choisissez n'est pas disponible ce jour-là ou s'il n'a pas le temps de préparer votre dossier. Vous avez la responsabilité de trouver un conseil qui est disponible et prêt à procéder ce jour-là. Comme les conseils sont souvent pris des semaines ou des mois à l'avance, si vous désirez retenir les services d'un conseil, vous devriez le faire le plus tôt possible afin que le conseil que vous aurez choisi soit disponible lorsque vous aurez besoin de ses services. Si vous retenez les services d'un conseil, vous devriez en informer la Section par écrit le plus tôt possible.
[33] Le commissaire qui présidait l'audience a aussi expliqué oralement à la demanderesse la signification du mot « péremptoire » .
[34] Le défendeur a soutenu que l'ajournement ou la remise d'une audience était de nature discrétionnaire et que le fait que la demanderesse n'avait pas de conseil ne représente que l'un des facteurs que la Commission doit considérer en vertu du paragraphe 48(4) des Règles de la Commission :
a) dans le cas où elle a fixé la date et l'heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;
b) le moment auquel la demande a été faite;
c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;
d) les efforts qu'elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;
e) dans le cas où la partie a besoin d'un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d'aller de l'avant en l'absence de ces renseignements sans causer une injustice;
f) si la partie est représentée:
g) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l'expérience de son conseil;
h) tout report antérieur et sa justification;
i) si la date et l'heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;
j) si le fait d'accueillir la demande ralentirait l'affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice;
k) la nature et la complexité de l'affaire.
[35] Le défendeur a fait valoir que l'audience fixée le 2 octobre était péremptoire, ce qui milite contre l'octroi d'un ajournement (voir Tokar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 107 (C.F. 1re inst.)).
[36] La demanderesse affirme que la nature péremptoire de l'audience ne représente que l'un des facteurs que la Commission doit considérer (voir Siloch, précité). La Commission n'a aucunement tenu compte des facteurs suivants : a) la demanderesse avait été [traduction] « assez diligente » (ce sont les mots de la Commission); b) l'avocat avait fourni d'autres dates raisonnablement rapprochées; c) les autres facteurs énumérés dans l'arrêt Siloch, précité.
[37] En ce qui concerne la nature péremptoire de l'audience, la demanderesse a également cité la décision Gargano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1385 (C.F. 1re inst.), laquelle mentionne : « Bien que l'audience de la Commission ait été fixée de façon péremptoire, ce fait à lui seul ne permet pas de trancher la question. [...] Le droit à une audience impartiale l'emporte sur la nécessité d'accélérer le plus possible le déroulement de l'audience. » (Voir aussi l'arrêt R. v. Secretary of State for Home Department, exp Tarrant, [1984] 2 W.L.R. 613 (Q.B. Div. Ct), cité avec approbation dans la décision Gargano).
[38] La demanderesse ajoute que l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, a accru le contenu de l'obligation d'équité. La demanderesse a mentionné les critères tirés de l'arrêt Baker :
a) la nature de la décision;
b) la nature du régime législatif;
c) l'importance de la décision pour les personnes visées;
d) les attentes légitimes de ces personnes;
e) le choix de procédure fait par le décideur.
[39] La demanderesse a cité le paragraphe 48(4) des Règles de la SPR et elle affirme que, bien que l'arrêt Siloch, précité, demeure valable en droit, les facteurs susmentionnés sont expressément établis pour aider un tribunal à se prononcer sur les demandes d'ajournement.
[40] La demanderesse a fait remarquer que certains des facteurs sont semblables à ceux de l'arrêt Siloch, précité, et elle a également fait remarquer que l'importance des règles de la SPR vient de leur nature codifiée. Le défendeur a convenu de l'importance des règles.
[41] La demanderesse a soutenu que la Commission avait commis une erreur en refusant d'examiner la question de savoir si un ajournement ralentirait l'affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice (facteur j) précité) et elle a fait remarquer que la Commission, avec une demande déposée en octobre 2002, ne pouvait même pas fixer une date d'audition avant septembre 2003, soit onze mois plus tard. La demanderesse a mentionné que son avocat avait offert d'autres dates d'audition possibles en novembre et décembre 2003.
[42] La demanderesse a également fait valoir que la Commission n'a pas tenu compte de la nature et de la complexité de l'affaire (facteur k), précité). La demanderesse a mentionné que la seule question en litige était celle de la protection de l'État. Elle a soutenu que la question de la protection de l'État est habituellement abordée par l'entremise de la preuve documentaire et que celle-ci est habituellement déposée par le conseil. La demanderesse ne possède personnellement aucune preuve documentaire.
[43] Le défendeur a fait valoir que certains des facteurs du paragraphe 48(4) des règles de la SPR sont atténuants pour lui. Il mentionne que la demanderesse a eu plus de temps qu'il n'en faut pour retenir les services d'un conseil et pour se préparer elle-même pour la procédure (facteur d) précité).
[44] Le défendeur a également cité le facteur j), mentionnant que l'avocat de la demanderesse n'avait pas fourni ses dates de disponibilité à l'instruction préliminaire de septembre. En fait, il n'était pas disponible pour celle-ci et il ne s'est pas présenté à l'audience.
[45] Le défendeur, comme la demanderesse, a lui aussi cité le facteur k). Le défendeur a mentionné que l'affaire n'était pas complexe, puisque la crédibilité et la protection de l'État constituaient les seules questions en litige.
[46] La demanderesse a soutenu que la justice naturelle permet à une partie d'avoir une possibilité raisonnable de résumer la preuve et de formuler des arguments et des observations à la conclusion de l'affaire. Elle a mentionné que le fait que la Commission n'ait pas voulu aider la demanderesse qui n'était pas représentée en l'avisant de cette possibilité et, au besoin, en lui donnant quelques conseils, équivalait à une violation des principes de justice naturelle.
[47] Le défendeur a mentionné que la demanderesse avait eu une occasion raisonnable de se faire entendre et que l'argument de la demanderesse concernant la justice naturelle ne soulève pas de question sérieuse. Le défendeur a fait remarquer qu'il est bien établi que le demandeur d'asile a le fardeau de présenter une demande valable et de convaincre la Commission qu'il satisfait aux exigences relatives à l'asile. Le commissaire qui a présidé l'audience n'était pas tenu d'aviser expressément la demanderesse de son droit de formuler des observations (voir la décision Brad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1035 (C.F. 1re inst.)).
[48] Le défendeur a également fait remarquer que, après que l'agente de protection des réfugiés eut fait ses observations, le commissaire qui présidait l'audience avait demandé à la demanderesse si elle avait quelque chose à ajouter. La demanderesse avait répondu par la négative. Le défendeur a mentionné que cette question aurait permis à la demanderesse de formuler des observations verbales à la fin de l'audience, conformément à l'article 60 des règles de la SPR.
Analyse et décision
[49] Je traiterai d'abord de la première question.
[50] Première question
La Commission a-t-elle manqué à son obligation d'équité procédurale en rejetant la demande de la demanderesse d'ajourner l'audience du 2 octobre ou dans la conduite de l'audience?
Il n'est pas contesté que le droit à l'assistance d'un avocat d'un demandeur d'asile n'est pas absolu. Par ailleurs, la Commission possède le pouvoir discrétionnaire d'accepter ou de refuser une demande d'ajournement puisque la Commission a le droit de contrôler sa propre procédure.
[51] D'un autre côté, la Commission ne peut faire abstraction des normes d'équité procédurale ou de ses propres règles lorsqu'elle tranche la question d'accorder ou non un ajournement.
[52] Dans l'arrêt Siloch, précité, la Cour d'appel fédérale a mentionné :
Il est également reconnu que, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire d'accorder un ajournement en vertu du paragraphe 35(1) du Règlement, l'arbitre doit tenir compte de facteurs comme ceux-ci :
a) la question de savoir si la requérante a fait son possible pour être représentée par un avocat;
b) le nombre d'ajournements déjà accordés;
c) le délai pour lequel l'ajournement est demandé;
d) l'effet de l'ajournement sur le système d'immigration;
e) la question de savoir si l'ajournement retarde, empêche ou paralyse indûment la conduite de l'enquête;
f) la faute ou le blâme à imputer à la requérante du fait qu'elle n'est pas prête;
g) la question de savoir si des ajournements ont déjà été accordés péremptoirement;
h) tout autre facteur pertinent.
[53] Le paragraphe 48(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, contient des facteurs semblables et se lit comme suit :
Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :
a) dans le cas où elle a fixé la date et l'heure de la procédure après avoir consulté ou tenté de consulter la partie, toute circonstance exceptionnelle qui justifie le changement;
b) le moment auquel la demande a été faite;
c) le temps dont la partie a disposé pour se préparer;
d) les efforts qu'elle a faits pour être prête à commencer ou à poursuivre la procédure;
e) dans le cas où la partie a besoin d'un délai supplémentaire pour obtenir des renseignements appuyant ses arguments, la possibilité d'aller de l'avant en l'absence de ces renseignements sans causer une injustice;
f) si la partie est représentée;
g) dans le cas où la partie est représentée, les connaissances et l'expérience de son conseil;
h) tout report antérieur et sa justification;
i) si la date et l'heure qui avaient été fixées étaient péremptoires;
j) si le fait d'accueillir la demande ralentirait l'affaire de manière déraisonnable ou causerait vraisemblablement une injustice;
k) la nature et la complexité de l'affaire.
[54] J'ai examiné la transcription de l'audience et je ne peux pas conclure que le commissaire a tenu compte de l'ensemble des facteurs énumérés ci-dessus. En outre, il n'y a pas de motif écrit ni de note pour démontrer comment le commissaire en est venu à la décision de refuser l'ajournement. Les seuls facteurs examinés par la Commission étaient le fait que la date d'audition avait été fixée péremptoirement et la conduite de l'avocat. La Commission n'a pas examiné les autres facteurs. Eu égard aux faits en l'espèce, il s'agissait d'une erreur de la part de la Commission. Je suis d'avis que cette erreur constituait un manquement à l'obligation d'équité procédurale envers la demanderesse (voir la décision Dias, précitée).
[55] Il n'est pas nécessaire que je traite des autres questions soulevées par la demanderesse.
[56] La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu'il statue à nouveau sur l'affaire.
[57] Le défendeur n'a pas souhaité me soumettre une question de portée générale pour que je l'examine.
[58] La demanderesse aura une semaine à compter de la date des présents motifs pour me soumettre une question grave de portée générale pour que je l'examine et le défendeur aura cinq jours à compter de la réception de la question de la demanderesse pour formuler des observations.
[59] La demanderesse a demandé que lui soit adjugé des dépens sur la base procureur-client. Le défendeur s'est objecté à cette demande. Après avoir examiné les observations des parties, je ne suis pas prêt à adjuger des dépens sur la base procureur-client. Toute adjudication de dépens est fondée sur l'ordonnance par la Cour de paiement de dépens « pour des raisons spéciales » . Je ne crois pas que l'omission d'accorder un ajournement ou la conduite de la Commission en l'espèce permettent d'invoquer des « raisons spéciales » de façon à ce que la Cour puisse ordonner le paiement de dépens. Il s'ensuit que la conduite de la Commission ne justifie pas l'adjudication de dépens sur la base procureur-client en faveur de la demanderesse.
« John A. O'Keefe »
Juge
Toronto (Ontario)
Le 21 octobre 2004
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-8486-03
INTITULÉ : DIANE (MAGDALENE) SANDY
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 7 OCTOBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE
DATE DES MOTIFS : LE 21 OCTOBRE 2004
COMPARUTIONS :
Avi J. Sirlin POUR LA DEMANDERESSE
Amina Riaz POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Avi J. Sirlin POUR LA DEMANDERESSE
Toronto (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
COUR FÉDÉRALE
Date : 20041021
Dossier : IMM-8486-03
ENTRE :
DIANE (MAGDALENE) SANDY
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE