Date : 20041119
Dossier : T-1837-04
Référence : 2004 CF 1625
ENTRE :
ALBERT VOLLANT
demandeur
et
KONRAD SIOUI
et
ROSARIO PINETTE, CÉLINE BELLEFLEUR,
GEORGES-ERNEST GRÉGOIRE, MARCELLE ST-ONGE,
GILLES JOURDAIN, RONALD FONTAINE ET
MAURICE VOLLANT, en leur qualité de
membres ou ex-membres du conseil de bande
défendeurs
ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE:
[1] Il s'agit en l'espèce d'une requête des défendeurs Konrad Sioui et autres en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C (1985), ch. F-7, telle qu'amendée (la Loi) afin que la Cour ordonne que la demande de contrôle judiciaire dans le présent dossier soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.
Contexte
[2] Bien que les parties, et plus particulièrement les défendeurs, aient fait référence à un contexte factuel large relatif à un climat d'animosité ayant entouré, entre autres, l'élection du 8 juillet 2004 du conseil de bande de Innu Takuaikan Uashat Mak Mani-Utenam (ci-après le Conseil), la demande de contrôle judiciaire du demandeur vise dans son essence à attaquer simplement la procédure ayant entouré le 23 juin 2004 l'adoption par le Conseil d'alors de la résolution 04-05-64 (la résolution 64). Cette résolution porte sur le versement de la totalité des sommes qui étaient apparemment dues à M. Sioui en vertu de la convention d'emploi avec le Conseil ainsi que relativement à la possibilité pour M. Sioui de mettre fin à la convention advenant une modification significative de la composition du Conseil suite à l'élection du 8 juillet 2004. Il ressort que M. Sioui était vu comme un proche du chef Rosario Pinette d'alors et que le chef qui fut finalement élu le 8 juillet 2004, soit Élie-Jacques Jourdain, avait par le passé laissé planer le fait que si élu il mettrait fin à cet emploi de M. Sioui.
[3] La résolution 64 aurait été adoptée par la circulation de ladite résolution et par l'obtention de signatures de la majorité des conseillers du Conseil d'alors. On doit comprendre qu'ainsi, il n'y a pas eu de réunion physique du Conseil comme telle en un seul lieu.
[4] Il ressort que la circulation de résolutions est une coutume bien établie au Conseil et que l'on réfère à une résolution ainsi adoptée comme une "flying resolution".
[5] Le demandeur ne cherche pas par sa demande de contrôle judiciaire à remettre en question l'existence et l'utilisation passée de cette coutume quant à l'adoption de résolutions. Il cherche simplement à établir toutefois que dans le cas de la résolution 64, on ne chercha pas à le contacter pour le faire signer sur cette résolution (il était alors et est toujours conseiller auprès du Conseil). Suivant le demandeur, cette omission touche de façon fatale aux garanties procédurales applicables. C'est là la véritable question que le demandeur porte à l'attention de la Cour.
Analyse
[6] Je ne puis que souscrire aux commentaires suivants du demandeur (paragraphes 4 à 9 des représentations écrites du demandeur contenues à son dossier de réponse) quant à l'état du droit en l'espèce :
4. Le législateur avait l'intention en édictant le paragraphe 18.4(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R. 1985, ch. F-7, que les demandes de contrôle judiciaire se déroulent avec célérité, tel qu'en font foi les termes employés audit paragraphe, lequel se lit comme suit:
18.4(1) Sous réserve du paragraphe (2), la Cour fédérale statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.
5. L'objectif de la loi est clairement énoncé dans Macinnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464 (C.A.), à la page 7, paragraphe 9 du jugement:
(...) Il ne faudrait pas perdre de vue l'intention clairement exprimée par le Parlement, qu'il soit statué le plus tôt possible sur les demandes de contrôle judiciaire, avec toute la célérité possible, et le moins possible d'obstacles et de retards du type de ceux qu'il est fréquent de rencontrer dans les procès.
6. Dans la même veine, le Juge Muldoon a établi dans Prince Edward Island Potatoe Board v. Canada (Minister of Agriculture), [1992] F.C.J. No. 636, p. 2, que le point de vue qui doit être adopté lorsque l'on veut mettre le paragraphe 18.4(2) en application est le suivant:
Section 18.4 of the Federal Court Act makes it clear that, as a general rule, an application for judicial review or a reference to the Trial Division shall be proceeded with as a motion. The section dictates that such matters be heard and determined « without delay and in a summary way » . As an exception to the general rule, provision is made in subsection 18.4(2) for an application for judicial review to be proceeded with as an action. The new and preferred course of procedure, however, is by way of motion and that course should not be departed from except in the clearest of circumstances.
7. En résumé, selon les Juges Stone, Décary et Robinson dans l'affaire Macinnis, précitée, le vrai critère que le juge doit appliquer lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale est de se demander si « la preuve présentée au moyen d'affidavits sera suffisante, et non de se demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d'un procès pourrait être supérieure » ;
8. Au surplus, la jurisprudence a également établi que pour déterminer s'il est approprié dans une affaire donnée de procéder par voie d'action plutôt que par voie de requête, il faut établir « des motifs très clairs » de ce faire. Cette expression a été bien définie dans la cause Macinnis, précitée, à la page 7 du jugement :
En général, c'est seulement lorsque les faits, de quelque nature qu'ils soient, ne peuvent pas être évalués ou établis avec satisfaction au moyen d'un affidavit que l'on devrait envisager d'utiliser le paragraphe 18.4(2) de la Loi.
(...)
On a des « motifs très clairs » d'avoir recours à ce paragraphe, pour utiliser les mots du Juge Muldoon, lorsqu'il faut obtenir une preuve de vive voix soit pour évaluer l'attitude et la crédibilité des témoins ou pour permettre à la Cour de saisir l'ensemble de la preuve lorsqu'elle considère que l'affaire requiert tout l'appareillage d'un procès tenu en bonne et due forme.
9. Par ailleurs, les Juges Hugessen, Stone et Chevalier dans Drapeau c. Canada (Ministre de la défense nationale), [1995] A.C.F. no. 536, nous enseignent que les commodités de l'accès à la justice et la prévention des coûts et délais inutiles figurent parmi les critères qui doivent être considérés par le juge lorsqu'il exerce son pouvoir discrétionnaire conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale.
[7] Dans l'arrêt Macinnis, en page 471, la Cour indique de plus, en s'appuyant sur des décisions passées, qu'il est important de se rappeler :
[...] la vraie nature des questions auxquelles la Cour doit répondre dans une procédure de contrôle judiciaire, et de considérer la pertinence d'utiliser la preuve déposée par affidavit pour répondre à ces questions.
[8] Enfin, dans l'arrêt McLeod Lake Indian Band c. Chingee (décision rendue le 5 décembre 1997 dans le dossier T-2327-97) auquel les défendeurs s'en sont remis grandement, mon collègue Hargrave a indiqué ce qui suit :
Le fait qu'il y ait contradiction entre les affidavits déposés et les autres nombreuses pièces dont le dépôt est demandé ne constitue pas, en soi, un facteur dont il faille tenir compte pour décider si la présente requête doit être convertie en action. Il est de la nature de la preuve au moyen d'affidavits produits par des parties adverses d'être contradictoire. Dans la plupart des cas, l'ampleur des contradictions peut être ramenée à des proportions pratiques par un contre-interrogatoire sur affidavits. Mais je doute sérieusement que cette méthode habituelle -- preuve par affidavits et contre-interrogatoire -- puisse, en l'espèce, donner à un juge une connaissance suffisante de la pratique et des coutumes de la bande indienne de McLeod Lake au sujet du mode de sélection de son chef et de ses conseillers.
[Non souligné dans l'original.]
[9] En l'espèce, je pense que les questions entourant la collection des signatures des conseillers sur la résolution 64 et les contradictions qui peuvent exister quant à cette situation at large peuvent très bien, avec la volonté des procureurs et des parties, être présentées à la Cour par le biais d'affidavits limités en nombre, alliés à des contre-interrogatoires sur affidavits au besoin.
[10] Les véritables questions en jeu ici sont simples et n'ont pas la complexité requise pour justifier l'appareillage d'un procès. Toute autre conclusion sur ce point ferait, à mon humble avis, qu'un très grand nombre de demandes de contrôle judiciaire en matière autochtone et autres ne pourraient être instruites comme des demandes de contrôle judiciaire, c'est-à-dire sur la base d'affidavits et de contre-interrogatoires sur ceux-ci au besoin. Ici, je suis d'avis qu'une telle preuve sera suffisante pour permettre à la Cour d'en arriver à une conclusion éclairée sur les véritables questions en jeu.
[11] La présente requête des défendeurs Konrad Sioui et autres sera donc rejetée, le tout avec dépens. Une ordonnance sera émise en conséquence.
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Richard Morneau |
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protonotaire |
Montréal (Québec)
le 19 novembre 2004
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
INTITULÉ :
T-1837-04
ALBERT VOLLANT
demandeur
et
KONRAD SIOUI
et
ROSARIO PINETTE, CÉLINE BELLEFLEUR,
GEORGES-ERNEST GRÉGOIRE, MARCELLE ST-ONGE, GILLES JOURDAIN, RONALD FONTAINE ET MAURICE VOLLANT, en leur qualité de membres ou ex-membres du conseil de bande
défendeurs
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : 8 novembre 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Me Richard Morneau, protonotaire
DATE DES MOTIFS : 19 novembre 2004
ONT COMPARU :
Me Caroline Biron Me Claudine Lagacé |
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POUR LE DEMANDEUR |
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Me Claude Dallaire |
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POUR LES DÉFENDEURS |
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PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Woods & Associés Montréal (Québec) |
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POUR LE DEMANDEURFasken Martineau DuMoulin Montréal (Québec) |
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POUR LES DÉFENDEURS |
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