Date : 20030217
Dossier : IMM-4676-01
Référence neutre : 2003 CFPI 176
Ottawa (Ontario), le 17 février 2003
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN
ENTRE :
ELHADI RAGAB NASR GUMA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
M. Elhadi Ragab Nasr Guma (le demandeur) demande le contrôle judiciaire d'une décision de l'agent des visas Merrill Clarke (l'agent des visas) portant la date du 24 septembre 2001. Dans sa décision, l'agent des visas rejette la demande de résidence permanente au Canada du demandeur.
[2] Le demandeur, un citoyen du Soudan, a soumis une demande de résidence permanente au Canada en tant que demandeur indépendant conformément à la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et modifications. Le demandeur a un oncle qui est citoyen canadien et, par conséquent, on lui a attribué cinq points d'appréciation supplémentaires du fait qu'il a un proche parent au Canada. Il a indiqué que sa profession envisagée était celle d'horticulteur selon la Classification nationale des professions (CNP) 2225.3. À l'appui de sa demande, il a fourni des éléments de preuve en ce qui a trait à ses études et à son expérience de travail, y compris une lettre de recommandation de son employeur visant la période de dix ans précédant sa demande d'immigration au Canada.
[3] Selon sa demande et la documentation à son soutien, le demandeur avait détenu un emploi en Arabie saoudite auprès de la société Arabian Maintenance and Technical Services Co. Ltd. (AMSCO) pendant la période allant d'août 1990 à mai 2000 à titre de superviseur technique (horticulture).
[4] L'agent des visas a fait subir une entrevue au demandeur le 11 septembre 2001. Il a conclu que le demandeur manquait d'expérience dans la profession envisagée. La lettre de refus qui est reproduite au Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) et qui a été envoyée au demandeur se lit, en partie, comme suit :
[TRADUCTION] La présente concerne votre demande de résidence permanente au Canada. J'ai maintenant terminé l'appréciation de votre demande et je conclus que vous ne répondez pas aux critères de l'immigration au Canada à titre de demandeur indépendant.
[...]
Vos compétences professionnelles et vos qualifications ont été appréciées en fonction de la Classification nationale des professions du Canada (CNP). Cet ouvrage de référence trace les grandes lignes et décrit dans un contexte canadien les tâches, les responsabilités et les qualifications minimales nécessaires pour différentes professions pratiquées au Canada. J'ai apprécié votre demande en me basant sur les exigences pour la profession d'horticulteur
CNP 2225.3.
Pour cette profession, vous avez reçu les points d'appréciation suivants :
Âge
10
Facteur professionnel
00
Préparation professionnelle spécifique/
Études et formation
15
Expérience
00
Emploi réservé
00
Facteur démographique
08
Études
13
Connaissance de l'anglais
09
Connaissance du français
00
Points supplémentaires (proche parent au Canada)
05
Personnalité
05
TOTAL
60
J'ai examiné vos qualifications et votre expérience avec vous lors de votre entrevue. L'annexe I du Règlement précise les points à être accordés pour l'expérience ainsi que pour le facteur professionnel indiqués ci-haut. À la lumière de l'information que vous nous avez fournie lors de votre entrevue et avec votre demande, je suis d'avis que vous n'avez pas d'expérience en ce qui a trait à certaines des tâches principales attribuées à la profession envisagée au Canada. Par conséquent, il vous est accordé 0 points d'appréciation pour le facteur expérience. Je suis également d'avis que vous n'avez pas accompli une grande partie des tâches principales décrites dans le CNP, y compris celles qui sont essentielles à la profession envisagée au Canada. Par conséquent, il vous est accordé 0 points d'appréciation pour le facteur professionnel.
Le paragraphe 11(2) du Règlement sur l'immigration indique qu'un visa d'immigrant ne sera pas accordé à un immigrant à moins qu'il ne lui soit attribué au moins un point d'appréciation pour le facteur expérience (facteur 3 de la colonne 1 de l'annexe I du Règlement) et pour le facteur professionnel (facteur 4 de la colonne 1 de l'annexe I du Règlement).
[5] Règle générale, on admet qu'un agent des visas a un pouvoir discrétionnaire très étendu lorsqu'il s'agit de déterminer si un demandeur répond aux exigences du CNP. À cet égard, je renvoie à la décision Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 172 F.T.R. 262, citée et approuvée dans la décision Akbar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1513 (1re inst.) (QL). Dans la décision Madan, précitée, le juge Evans (maintenant juge à la Section d'appel) s'exprime ainsi au paragraphe 24 :
De toute façon, les agents des visas ont un pouvoir discrétionnaire très étendu lorsqu'il s'agit de déterminer si un demandeur répond aux critères pour une profession donnée, y compris dans leur interprétation des dispositions de la CNP. Leur connaissance et leur compréhension de ce document est au moins égale, sinon supérieure, à celle du tribunal chargé du contrôle.
[6] Toutefois, ce grand principe est sujet à un autre grand principe, soit qu'un décideur est censé tenir compte de la preuve pertinente qui lui est soumise. Dans la décision Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, le juge Evans (maintenant juge à la Section d'appel) s'est exprimé comme suit aux paragraphes 16 et 17 :
[...] Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.
Toutefois, plus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » [...]
[7] Dans la présente affaire, l'agent des visas a inséré les notes de l'entrevue au STIDI, puis l'ordinateur a fait défaut et il a été incapable de récupérer ses notes originales. Il a réinséré ses notes en se fiant à sa mémoire le 16 septembre 2001, soit cinq jours après l'entrevue. Les notes qui concernent l'expérience du demandeur en tant qu'horticulteur sont très brèves et se lisent comme suit :
[TRADUCTION] DIPLÔME, UN CERTAIN CHEVAUCHEMENT AVEC LES TÂCHES DE L'HOTICULTEUR D'APRÈS LA CNP, MAIS SON EXPÉRIENCE ÉQUIVAUT À CELLE DE SURVEILLANT DE L'AMÉNAGEMENT PAYSAGER (8256) CE QUI DONNE ZÉRO (N'A PAS ÉTÉ DÉMONTRÉ).
[8] Le demandeur avait produit une lettre de recommandation de son employeur de longue date en Arabie Saoudite. L'agent des visas ne fait aucune mention de cette lettre dans la deuxième version de ses notes au STIDI. Dans son affidavit produit dans la présente affaire, l'agent des visas fait les déclarations suivantes concernant son appréciation de l'expérience du demandeur :
[TRADUCTION] Ni la preuve orale ni la preuve écrite soumises par le demandeur ne m'ont convaincu que le demandeur avait l'expérience de travail requise pour la profession envisagée en tant que technicien et spécialiste de l'aménagement paysager et de l'horticulture (CNP 2225.3).
Je lui ai accordé 0 points d'appréciation pour l'expérience parce que je n'étais pas convaincu qu'il avait de l'expérience en ce qui a trait à certaines des tâches principales attribuées à la profession envisagée (technicien et spécialiste de l'aménagement paysager et de l'horticulture CNP 2225.3).
[9] Bien que dans son affidavit l'agent des visas fasse brièvement mention de la lettre de recommandation du demandeur, il n'en traite pas vraiment ni n'émet de commentaire sur les tâches du demandeur dans le cadre de son emploi telles qu'elles sont décrites dans la lettre ainsi que dans le graphique qui l'accompagne. Le fait que dans son affidavit, produit dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire, l'agent des visas fasse référence à des éléments de preuve pertinents comme cette lettre, ne prouve pas que l'agent des visas a tenu compte de ces éléments de preuve au moment de la décision; c'est particulièrement le cas ici puisqu'il n'y a aucun commentaire pertinent en ce qui a trait aux tâches relatives au CNP ni aux tâches décrites dans la lettre d'emploi du demandeur.
[10] À mon avis, compte tenu de la lettre de recommandation fournie par le demandeur, la conclusion que l'agent des visas tire au sujet de l'expérience du demandeur est manifestement déraisonnable. Cette lettre décrit le travail fait par le demandeur et comprend un graphique de deux pages qui détaille ses tâches se rapportant à des projets d'horticulture variés. Cette lettre, pas plus que le graphique, n'est mentionnée par l'agent des visas ni dans ses notes d'entrevue, ni dans la lettre de refus. À mon avis, cette omission suffit pour nous amener à l'inférence mentionnée dans la décision Cepeda-Gutierrez, précitée. Ici, l'agent des visas a ignoré un élément de preuve pertinent.
[11] En définitive, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen conformément à la loi. Aucune question n'est proposée pour certification.
ORDONNANCE
La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen conformément à la loi. Aucune question n'est proposée pour certification.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Caroline Raymond, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4676-01
INTITULÉ : ELHADI RAGAB NASR GUMA
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET
DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le mercredi 12 février 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : madame le juge Heneghan
DATE DES MOTIFS : le 17 février 2003
COMPARUTIONS :
David Yerzy POUR LE DEMANDEUR
Tamrat Gebeyehu POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Yerzy POUR LE DEMANDEUR
14, avenue Prince Arthur
Bureau 180
Toronto (Ontario)
M5R lA9
Morris Rosenberg, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
Date : 20030217
Dossier : IMM-4676-01
ENTRE :
ELHADI RAGAB NASR GUMA
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE