Date : 20041216
Dossier : IMM-1040-04
Référence : 2004 CF 1749
Toronto (Ontario), le 16 décembre 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU
ENTRE :
LAURA MENA MACIAS,
KAREN ILIE ROMO MENA,
GRACE MONTSERRA ROMO MENA,
DENISSE DANAE ROMO MENA
demanderesses
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire, selon l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d'une décision rendue le 7 janvier 2004 par H. Aulach, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), pour qui les demanderesses n'étaient pas des réfugiées, au sens de l'article 96, ni des personnes à protéger, au sens de l'article 97 de la Loi.
[2] La demanderesse, Mme Laura Mena Macias, est la mère des trois autres demanderesses, Karen Ilie Romo Mena (aujourd'hui âgée de cinq ans), Grace Montserra Romo Mena (aujourd'hui âgée de onze ans) et Denisse Danae Romo Mena (aujourd'hui âgée de sept ans). Les demanderesses, de nationalité mexicaine, vivaient dans l'État d'Aguascalientes avec M. Juan Manuel Romo De Anda, l'époux de la demanderesse et le père des enfants.
[3] En 1994, M. Juan Manuel Romo De Anda devenait le trésorier d'un groupe de soutien du mouvement zapatiste (appelé Martin Cambio). Ce groupe recueillait de la nourriture, des vêtements et de l'argent pour le mouvement zapatiste. Le 10 avril 1999, M. Juan Manuel Romo De Anda fut arrêté et battu par les policiers après avoir ignoré l'ordre qu'ils lui avaient donné de stopper sa fourgonnette alors qu'il s'affairait à une tâche liée au groupe. Le 12 décembre 1999, Juan Manuel Romo De Anda était arrêté par trois hommes et emmené à l'édifice de la Procuraduria General, à Aguascalientes. Il a été interrogé, torturé, sauvagement battu, puis abandonné sur une route rurale par ces trois individus. Après cet événement, M. Juan Manuel Romo De Anda apprenait que certains membres de son groupe étaient portés manquants et que d'autres avaient été trouvés morts. Il a décidé de quitter le Mexique et il est arrivé au Canada le 23 mars 2000.
[4] Le père de Juan Manuel Romo De Anda a été détenu par la police pendant une période de neuf mois, sur des accusations criminelles inventées de toutes pièces, afin de forcer son fils à revenir au Mexique. Le père a été libéré sur ordonnance du tribunal parce que les preuves à charge étaient insuffisantes.
[5] Le 15 juin 2000, M. Juan Manuel Romo De Anda recevait un message qui le priait d'appeler ses beaux-parents au Mexique. Il a parlé avec son épouse, Mme Laura Mena Macias, qui lui a dit que sa fille cadette était à l'hôpital. Elle lui a dit aussi que, le 14 juin 2000, deux policiers s'étaient présentés chez ses parents à elle pour l'arrêter en vue d'un interrogatoire. Mme Laura Mena Macias lui a dit qu'elle leur avait résisté parce qu'ils n'avaient pas de mandat et qu'elle pensait qu'ils voulaient des renseignements sur son mari. Alors qu'elle avait leur fille cadette (âgée de neuf mois à l'époque) dans les bras, les deux policiers l'ont bousculée. Dans la mêlée, Karen Ilie Romo Mena est tombée au sol et s'est blessée à la tête. Les deux policiers ont alors quitté les lieux, se sentant dépassés parce que de nombreux voisins et membres de la famille étaient sortis pour voir ce qui se passait. Grace Montserra Romo Mena et Denisse Danae Romo Mena ont été emmenées par leur oncle à La Esparanza. Pendant ce temps, Mme Laura Mena Macias est restée avec sa fille, Karen Ilie Romo Mena, qui a été hospitalisée durant trois jours. Elles sont parties pour La Esparanza dès que Karen Ilie Romo Mena a reçu son congé de l'hôpital. Les demanderesses ont quitté le Mexique et sont arrivées au Canada le 2 août 2000 pour retrouver M. Juan Manuel Romo De Anda.
[6] M. Juan Manuel Romo De Anda et les demanderesses sont restés en contact avec leur famille au Mexique. Leur famille a dit que des voitures de police passaient souvent devant la maison de leurs parents.
[7] M. Juan Manuel Romo De Anda et les demanderesses ont demandé l'asile. À la suite de la décision contestée, la demande d'asile présentée par M. Juan Manuel Romo De Anda a été acceptée; cependant, celles des demanderesses ont été rejetées au motif que la preuve ne permettait pas de dire qu'elles avaient été délibérément ciblées pour subir de mauvais traitements, et parce que la preuve documentaire n'établissait pas que la pratique des prises d'otage avait cours au Mexique.
[8] Les demanderesses ont fondé leurs demandes d'asile sur le fait qu'elles craignaient la persécution en raison de leurs opinions politiques et de leur appartenance à un groupe social. Le groupe social en question est leur propre famille immédiate. Elles font valoir devant la Cour que la Commission a commis une erreur de droit et fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, qu'elle a tirées d'une manière abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments qu'elle avait devant elle.
[9] La présente demande doit être accordée.
[10] Je suis d'avis que, eu égard aux circonstances de la présente affaire, la famille immédiate des demanderesses peut être considérée comme un groupe social (arrêt Al-Busaidy c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. n ° 26 (C.A.F.) (QL)). Je suis également d'avis qu'il y a un lien manifeste entre la persécution dont est l'objet M. Juan Manuel Romo De Anda et celle qui est exercée contre les demanderesses (Al-Busaidy, précité; Casetellanos c. Canada (Solliciteur général), [1995] 2 C.F. 190; Addullahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 122 F.T.R. 150; Lakatos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. n ° 657 (C.F. 1re inst.) (QL)).
[11] La Commission a admis que le père de M. Juan Manuel Romo De Anda avait été illégalement détenu durant neuf mois après le départ de Juan Manuel Romo De Anda pour le Canada (même si le certificat de libération ne dit pas expressément qu'il a été illégalement détenu), que les policiers avaient tenté d'arrêter Mme Laura Mena Macias afin d'obtenir des renseignements sur son mari, que les policiers avaient blessé Karen Ilie Romo Mena en tentant d'arrêter sa mère sans mandat, que des voitures de police avaient été vues souvent près de la maison des parents de Mme Laura Mena Macias, enfin que les demanderesses avaient dû se cacher à La Esparanza et que M. Juan Manuel Romo De Anda avait été torturé par les policiers en raison de son rôle dans le groupe Martin Cambio. Tout cela constituait une preuve suffisante de l'existence du lien requis (Germain c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 1577 (C.F. 1re inst.) (QL); Montoya c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. n ° 701 (C.F. 1re inst.) (QL); Devrishashvili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 1528 (C.F. 1re inst.) (QL)).
[12] Il est incontestable que les demanderesses ont établi un lien manifeste entre elles-mêmes et leur crainte d'être persécutées pour un motif prévu par la Convention. Il n'est pas nécessaire que cette persécution soit aussi extrême que celle dont il est question dans l'affaire Casetellanos, précitée (le fils d'un révolutionnaire est sans cesse détenu et harcelé par les autorités simplement en raison des inclinations politiques de son père). Par exemple, dans l'affaire Germain, précitée, la demanderesse, mère d'un petit activiste politique, avait été interrogée à propos de son fils, puis battue à une reprise, mais elle avait pu s'échapper et s'enfuir au Canada; sa revendication avait d'abord été rejetée, mais sa demande de contrôle judiciaire avait ensuite été accueillie par la Cour.
[13] La Commission s'est clairement fourvoyée lorsqu'elle a dit que la preuve ne permettait pas d'affirmer que les demanderesses avaient été délibérément ciblées pour de mauvais traitements. Sur ce point, je suis d'avis que la Commission a commis une erreur en appliquant un tel critère. Il a déjà été établi que, pour que la famille immédiate soit considérée comme un groupe social, le demandeur doit uniquement prouver qu'il existe un lien manifeste entre la persécution dont est l'objet un membre du groupe et la persécution dont il est lui-même la victime. Par conséquent, les demanderesses n'étaient pas tenues de prouver qu'elles avaient été « délibérément ciblées pour de mauvais traitements » . La Commission a donc commis une erreur sujette à révision parce qu'elle a omis de prendre en compte la preuve non contredite produite par les demanderesses à propos de leur appartenance à un groupe social, à savoir leur famille immédiate.
[14] Les parties n'ont pas proposé qu'une question grave de portée générale soit certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié portant la date du 7 janvier 2004 soit annulée et que l'affaire soit renvoyée pour nouvelle audience devant un nouveau tribunal.
« Luc Martineau »
Juge
Traduction certifiée conforme
D. Laberge, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1040-04
INTITULÉ : LAURA MENA MACIAS, KAREN ILIE ROMO MENA, GRACE MONTSERRA ROMO MENA, DENISSE DANAE ROMO MENA
demanderesses
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 15 DÉCEMBRE 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE MARTINEAU
DATE DES MOTIFS : LE 16 DÉCEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
Neil Cohen POUR LES DEMANDERESSES
Negar Hashemi POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Neil Cohen POUR LES DEMANDERESSES
Toronto (Ontario)
Negar Hashemi
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR
COUR FÉDÉRALE
Date : 20041216
Dossier : IMM-1040-04
ENTRE :
LAURA MENA MACIAS, KAREN ILIE ROMO MENA, GRACE MONTSERRA ROMO MENA, DENISSE DANAE ROMO MENA
demanderesses
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE