Date : 20020513
Dossier : IMM-554-01
Référence neutre : 2002 CFPI 532
Entre :
Nina Carol CHUKWUKA
Partie demanderesse
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
Partie défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD :
[1] La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 12 janvier 2001 par la Section du statut de réfugié statuant que la demanderesse n'est pas une réfugiée au sens de la Convention.
[2] La demanderesse est citoyenne du Nigéria. Elle allègue y avoir été persécutée en raison de son appartenance à un groupe social (femme victime d'abus).
[3] La Section du statut de réfugié a rejeté la demande de la demanderesse pour des raisons reliées à son identité et à sa crédibilité.
[4] Considérant d'abord les arguments de la demanderesse reliés à sa crédibilité, il importe de rappeler qu'en cette matière, comme il a été établi dans Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315, la Section du statut de réfugié est la mieux placée pour évaluer la crédibilité d'une personne qui revendique le statut de réfugié :
Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité le caractère déraisonnable d'une décision peut-être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontre que les inférences tirées ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.
[5] Ici, la Section du statut de réfugié a souligné dans sa décision de nombreux exemples de failles importantes dans le témoignage de la demanderesse. En effet, le témoignage de celle-ci est farci de contradictions, d'inconsistances et d'invraisemblances qui, à mon avis, minent sérieusement sa crédibilité. Étant d'opinion que les conclusions du tribunal trouvent leur fondement dans la preuve, c'est à bon droit que celui-ci a conclu comme il l'a fait.
[6] La demanderesse argumente en outre que le rejet de la preuve médicale était injustifié. Je ne suis pas d'accord. En matière de preuve documentaire, la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Sheikh c. Canada (M.E.I.), [1990] 3 C.F. 238, expose très succinctement qu'une conclusion défavorable quant à la crédibilité peut s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents qui sont tirés du témoignage.
[7] De plus, les propos de Madame le juge Reed, dans l'arrêt Danailov c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (6 octobre 1993), T-273-93, au paragraphe 2 de sa décision, me semblent tout à fait pertinents :
. . . Quant à l'appréciation du témoignage du médecin, il est toujours possible d'évaluer un témoignage d'opinion en considérant que ce témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Si le tribunal ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible d'apprécier le témoignage d'opinion comme il l'a fait.
[8] Je suis d'avis que la conclusion de la Section du statut de réfugié est raisonnable et bien fondée. En l'espèce, celle-ci, dans sa décision, traite de tous les rapports soumis par la demanderesse avant et après l'audience; elle a aussi pris en considération le manque de crédibilité de la demanderesse ainsi que la pertinence des rapports dans le contexte de la preuve documentaire. On ne peut certes pas dire que le rejet de la preuve médicale était arbitraire, bien au contraire.
[9] La demanderesse allègue enfin que le tribunal a agi de façon inhumaine, sexiste et indécente, démontrant ainsi une crainte apparente de partialité.
[10] Dans l'affaire Committee for Justice and Liberty et al. c. L'Office national de l'énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, le juge de Grandpré a indiqué que le critère applicable dans un cas où une crainte raisonnable de partialité est soulevée était le suivant :
. . . la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. . . . ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. . . .
[11] De plus, le juge Denault, dans l'affaire Joseph Nartey c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. no 120 (1re inst.)(QL), a rappelé le principe voulant que le défaut du procureur de soulever l'apparence de partialité pendant l'audience, fait présumer qu'il a renoncé à invoquer cette appréhension raisonnable de préjugé.
[12] En l'espèce, la demanderesse allègue premièrement que les questions relatives à sa virginité étaient sexistes. Je ne crois pas qu'une telle conclusion puisse être tirée. Le tribunal avait relevé une anomalie dans son témoignage et souhaitait la vérifier. Je suis d'avis que la Section du statut de réfugié n'était pas motivée par le fait que la demanderesse était vierge, mais bien par le fait que son témoignage était contradictoire eu égard aux affirmations contenues dans son Formulaire de renseignements personnels, notamment celle d'avoir été continuellement battue et violée pendant treize ans.
[13] Deuxièmement, les commentaires du commissaire quant à l'absence de larmes de la demanderesse ne font pas preuve de sa partialité. Tout au long de l'audience ainsi que dans les motifs, la Section du statut de réfugié était consciente de l'état émotif de la demanderesse. Durant l'audience on lui a offert un mouchoir et de l'eau, suggéré de prendre une longue respiration, et on lui a demandé si elle pouvait continuer.
[14] De plus, il est clair d'après la transcription, aux pages 418 à 421 du dossier du tribunal, que le commissaire était un peu perplexe lorsque soeur Isaacs touchait la demanderesse, mais que suite aux interventions de la religieuse, il a acquiescé. Le commissaire n'a donc pas interdit à l'intervenante de réconforter la demanderesse.
[15] Après lecture de la transcription de l'audition devant la Section du statut de réfugié, il me semble qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne pourrait être d'avis que les incidents soulevés par la demanderesse soulèvent une crainte raisonnable de partialité; en outre, en aucun moment durant l'audience l'avocate de la demanderesse n'a-t-elle soulevé l'apparence de partialité du tribunal. Il importe enfin de souligner la pertinence des propos suivants du juge Létourneau, dans l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Arthur c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 223, [2001] A.C.F. no 1091 (C.A.F.)(QL), au paragraphe 8 :
. . . Une allégation de partialité, surtout la partialité actuelle et non simplement appréhendée, portée à l'encontre d'un tribunal, est une allégation sérieuse. Elle met en doute l'intégrité du tribunal et des membres qui ont participé à la décision attaquée. Elle ne peut être faite à la légère. Elle ne peut reposer sur de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d'un demandeur ou de son procureur. Elle doit être étayée par des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme. . . .
[16] À mon avis, dans cette affaire, la Section du statut de réfugié s'est acquittée de ses obligations sans commettre d'erreur susceptible de révision. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
Le 13 mai 2002
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-554-01
INTITULÉ : Nina Carol Chukwuka c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 10 avril 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE : L'honorable juge Pinard
EN DATE DU : 13 mai 2002
ONT COMPARU :
Me Eveline Fiset POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Me Daniel Latulippe POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Eveline Fiset POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Montréal (Québec)
M. Morris Rosenberg POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)