Date : 20050318
Dossier : IMM-4151-04
Référence : 2005 CF 371
ENTRE :
MANILA DUONG
Partie demanderesse
- et -
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
Partie défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 25 mars 2004, statuant que la demanderesse n'est pas une « réfugiée » au sens de la Convention, ni une « personne à protéger » selon les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27.
[2] Manila Duong (la demanderesse) est une citoyenne du Cambodge. Elle allègue avoir une crainte bien fondée de persécution dans son pays en raison du fait qu'elle serait exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle devait retourner dans son pays d'origine.
[3] Il est disposé de la présente demande sans que la pièce P-III jointe à l'affidavit de la demanderesse ne soit prise en compte, s'agissant là d'un document qui n'était pas devant la CISR (voir Ferreya c. Canada (M.E.I.) (1993), 56 F.T.R. 270, Lemiecha et al. c. Canada (M.E.I.) (1994), 72 F.T.R. 49, Asafov c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (18 mai 1994), IMM-7425-93 et Franz c. Canada (M.E.I.) (1995), 80 F.T.R. 79).
[4] Il existe une présomption générale selon laquelle l'État est en mesure de fournir une protection à ses citoyens; une preuve claire et convaincante est nécessaire lorsque la partie demanderesse veut établir que tel n'est pas le cas (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). En l'espèce, la demanderesse a déposé une preuve documentaire faisant état de cas comme le sien où des maîtresses ont été tuées ou attaquées par la femme de leur amant, mais elle ne s'est jamais présentée à la police pour porter plainte contre l'épouse de son amant. De plus, les articles concernés mentionnent que des arrestations ont été effectuées dans certains cas, bien que le nombre de personnes qui ont été punies soit limité. La CISR peut choisir parmi la preuve celle qu'elle préfère et ce choix fait partie de son rôle et de son expertise (Zhou c. Canada (M.E.I.), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.) (QL) et Tawfik c. Canada (M.E.I.) (1995), 26 Imm.L.R. (2d) 148 (C.F. 1re inst.)). Dans les circonstances, la demanderesse n'ayant pas eu recours à l'aide de l'État, il n'était pas déraisonnable de conclure qu'elle n'avait pas réussi à repousser la présomption que l'État était capable de la protéger.
[5] Par ailleurs, je suis d'avis que les faits suivants pris en considération par la CISR lui permettaient de raisonnablement conclure à un comportement de la demanderesse incompatible avec la crainte subjective alléguée :
- ayant appris le 6 juin 2003 qu'on voulait la tuer, la demanderesse s'est tout de même rendue à Bangkok au mois d'août pour obtenir un visa;
- la demanderesse est revenue dans son pays en septembre 2003 pour ensuite le quitter et venir au Canada, le 13 octobre 2003;
- la demanderesse a attendu trois semaines, après son arrivée au Canada, avant de faire sa demande d'asile, le 5 novembre 2003.
[6] Quant à l'allégation d'une crainte raisonnable de partialité invoquée par la demanderesse, qui soutient que le commissaire rédigeait sa décision pendant qu'elle était interrogée par son procureur, elle aurait dû la soulever devant le commissaire lui-même. Il est bien établi en droit que semblable allégation doit être soulevée à la première opportunité (voir, entre autres, Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892, In re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada Limitée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.) et Nartey c. Canada (M.E.I.) (1994), 74 F.T.R. 74). De plus, la transcription de l'audition devant la CISR révèle de façon évidente que le commissaire a questionné la demanderesse tout au long de l'audience, notamment concernant la date à laquelle elle a demandéle statut de réfugiée au Canada. Dans les circonstances, les allégations de la demanderesse reliées au fait que le commissaire écrivait pendant l'audition tiennent de la pure spéculation. Une personne raisonnable et bien renseignée, qui serait au courant de l'ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que la conduite du commissaire fait naître une crainte raisonnable de partialité (Committee for Justice and Liberty et al. c. Office national de l'énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369 et Arthur c. Canada (Procureur général) (2001), 283 N.R. 346 (C.A.F.)).
[7] Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
Le 18 mars 2005
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4151-04
INTITULÉ : MANILA DUONG c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 10 février 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le juge Pinard
DATE DES MOTIFS : Le 18 mars 2005
COMPARUTIONS :
Me Geneviève Clairmont POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Me Isabelle Brochu POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Étude Jean Cantin POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
Montréal (Québec)
John H. Sims, c.r. POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada