Date : 20031201
Dossier : IMM-4393-02
Référence : 2003 CF 1400
Ottawa (Ontario), le 1er jour de décembre 2003
PRÉSENT : L'honorable juge Michel Beaudry
ENTRE :
VUSUMUZI SIBANDA
Demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La présente demande de contrôle judiciaire, en vertu du par. 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi), a pour but de contester une portion de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal) rendue le 22 août 2002, c'est-à-dire le fait que le demandeur ne satisfait pas à la définition de « réfugié au sens de la Convention » à l'article 96 de la Loi.
QUESTION EN LITIGE
[2] Le tribunal a-t-il erré en concluant au manque de crédibilité du demandeur et en ne reconnaissant pas le bien-fondé de sa crainte de persécution?
[3] Pour les motifs suivants, je réponds par la négative à cette question et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
CONTEXTE FACTUEL
[4] Le demandeur allègue craindre la persécution de la part des vétérans de la guerre et des partisans du parti ZANU-PF en raison de ses opinions politiques au Zimbabwe.
[5] Lors d'un rally du parti Movement for Democratic Change (MDC) qui a lieu en avril 2000 en prévision de l'élection parlementaire deux mois plus tard, l'oncle du demandeur présente ce dernier à la candidate du MDC, Nomalanga Khumalo. Le demandeur devient membre du parti à la fin de la réunion et commence à vendre des cartes du parti dans les villages autour de l'école où il enseigne. Les 7, 14 et 21 juin 2000, les vétérans de la guerre viennent à l'école du demandeur; ils battent tous les enseignants, les forcent à prononcer des slogans ZANU-PF et les amènent de force à des rencontres ZANU-PF.
[6] Vers la fin de l'an 2000, le gouvernement émet une directive qui ordonne aux directeurs d'école de dresser une liste des enseignants qui appuient le MDC. Le nom du demandeur est inscrit sur la liste.
[7] Le 7 juillet 2001, le demandeur assiste aux funérailles d'un militant du MDC. Le 9 juillet 2001, le père d'un des élèves du demandeur, Peter Ndlovu, avertit le demandeur que les vétérans de la guerre viendront pendant la nuit pour faire un raid à l'école. Le demandeur avertit donc les deux autres enseignants à qui il a vendu une carte du MDC, qui refusent de s'enfuir, et il va se cacher dans la maison de Ndlovu. Les vétérans de la guerre viennent effectivement harceler toute la nuit les enseignants qui sont membres du MDC, ils les font parader pour montrer à la population que ces enseignants sont des « vendus » et ils expulsent ceux-ci de l'école.
[8] Le 11 juillet, le demandeur se rend à la maison de ses parents, à Bulawayo où ils l'informent que quatre hommes du gouvernement sont venus la veille à sa recherche. Le même jour, Khumalo trouve un endroit afin que le demandeur et son oncle puissent se cacher jusqu'à la fin de juillet. Entre-temps, les vétérans de la guerre reviennent à quelques reprises chez les parents du demandeur et demandent où il se trouve. Le 9 août 2001, grâce à l'aide financière de Khumalo, le demandeur et son oncle s'échappent du pays par l'Afrique du Sud puis arrivent au Canada.
DÉCISION CONTESTÉE
[9] Le tribunal rejette la demande de réfugié du demandeur parce qu'il estime que ce dernier n'est pas crédible. Le tribunal fonde sa conclusion sur les invraisemblances qu'il relève dans le récit du demandeur. Ce dernier donne des réponses vagues et imprécises à certaines questions.
ANALYSE
[10] Il convient de réitérer la norme de contrôle qui s'applique lorsque cette Cour doit trancher sur des questions de crédibilité et de faits. La Cour n'interviendra que si le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable (Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (1ère inst.), Ismaeli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 573 (C.F. 1ère inst.) (QL), Muthuthevar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 207 (C.F. 1ère inst.) (QL)). Comme l'énonce le juge en chef adjoint Jerome dans Boye c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 83 F.T.R. 1 (C.F. 1ère inst.), au paragraphe 4, il revient au tribunal, en tant que maître des faits, de juger de la crédibilité d'un demandeur :
La jurisprudence a établi la norme de contrôle applicable aux affaires de cette nature. Tout d'abord, les questions de crédibilité et de poids de la preuve relèvent de la compétence de la section du statut de réfugié en sa qualité de juge des faits en ce qui concerne les revendications du statut de réfugié au sens de la Convention. Lorsque la conclusion du tribunal qui est contestée porte sur la crédibilité d'un témoin, la Cour hésite à la modifier, étant donné la possibilité et la capacité qu'a le tribunal de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond, et la cohérence et l'uniformité des témoignages oraux. [...] [je souligne]
[11] Par ailleurs, le seul fait que la situation objective au Zimbabwe ait été établie, démontrant une oppression et des abus du gouvernement de Robert Mugabe et des vétérans de la guerre, ne disculpe pas le demandeur de présenter une preuve crédible et digne de foi quant à sa propre situation personnelle et sa crainte de persécution.
[12] Considérons maintenant les invraisemblances que le tribunal a relevées dans le témoignage du demandeur qui ont miné sa crédibilité. Lors de l'attaque du 7 juin 2000, le demandeur aurait bénéficié d'un meilleur traitement de la part des vétérans de la guerre que deux enseignants non politisés et ce, malgré le fait que les vétérans aient eu la preuve qu'il était un sympathisant du MDC, alors que la preuve documentaire faisait état d'attaques sauvages contre ceux-ci. La Cour ne peut conclure que cette conclusion est manifestement déraisonnable.
[13] Le demandeur, ayant très peur pour sa vie, a déclaré avoir averti deux autres enseignants de l'attaque du 9 juillet 2001 alors qu'il savait que tous les sympathisants du MDC faisaient face au même danger. Le demandeur estime que cette conclusion constitue une erreur manifestement déraisonnable car le tribunal n'avait aucune raison de mettre en doute son témoignage en lui imposant une conduite ou un comportement. À l'audition, le demandeur a expliqué qu'il se sentait responsable des deux personnes à qui il avait vendu les cartes du MDC et qu'il savait qu'ils étaient favorables au parti et donc davantage en danger. Les autres enseignants ne s'étaient pas affichés publiquement pour le MDC. La Cour trouve plutôt curieux que quelqu'un qui avait manifestement un grand intérêt pour le parti MDC au point de recruter des partisans dans les villages d'alentour en leur vendant des cartes ne soit pas plus solidaire des autres membres du même parti. La réponse du demandeur sur ce point ne semble certainement pas totalement satisfaisante et la conclusion tirée par le tribunal n'est pas manifestement déraisonnable.
[14] Après avoir été averti par le demandeur de l'attaque possible des vétérans, ces deux collègues auraient choisi de rester dans leur chambre et ce, malgré le fait que tous les enseignants de l'école avaient été maltraités par les vétérans l'année précédente. En fait, les journaux faisaient état de récentes attaques similaires par les vétérans dans d'autres écoles. Le demandeur réplique que le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable sur ce point car le demandeur n'avait pas de contrôle sur la réaction des enseignants et sur leurs agissements. Selon le demandeur, le tribunal ne peut affirmer que le demandeur a menti parce que les enseignants ont refusé de l'écouter et ont choisi de demeurer dans leur résidence. Encore une fois, la Cour pourrait en arriver à une conclusion différente sur ce point-ci mais comme une grande déférence est de mise et que la conclusion du tribunal est appuyée par des faits concrets et logiques, la conclusion n'est pas manifestement déraisonnable.
[15] Le demandeur allègue avoir reçu de l'aide stratégique et financière de la députée MDC Khumalo afin de quitter le pays. Toutefois, la preuve documentaire précise explicitement qu'aucun membre du MDC n'a aidé les chercheurs d'asile à quitter le pays et que le parti n'appuie pas le départ de membres du MDC pour se réfugier ailleurs. Sur ce point, le demandeur estime qu'une erreur manifestement déraisonnable a été commise car malgré la position austère du MDC révélée dans la preuve documentaire, le demandeur a témoigné que Khumalo était une amie personnelle de son oncle et qu'elle avait donc un motif précis pour diverger de la conduite habituelle du parti. Toutefois, c'est le tribunal qui était davantage en mesure d'évaluer, en entendant le témoignage du demandeur, la portée de la relation entre l'oncle du demandeur et Khumalo en comparaison avec la preuve documentaire produite. La Cour n'a pas l'intention d'intervenir ici.
[16] Mis à part les invraisemblances relevées ci-haut mentionnées, le tribunal a également tiré des inférences négatives quant à la crédibilité du demandeur en raison de ses réponses jugées vagues et imprécises au sujet de son défaut d'avertir les autres enseignants de la menace qui était imminente.
[17] Le tribunal a jugé aussi insatisfaisantes les explications du demandeur quant aux divisions électorales. Après avoir examiné les notes sténographiques, la Cour demeure également dans une certaine confusion quant aux divisions électorales dans la région où le demandeur travaillait et résidait mais il se peut que cette ambiguïté ne soit dûe qu'à une lacune involontaire de communication de la part du demandeur et à un manque de questions de clarifications de la part du tribunal. Cet élément n'est cependant pas déterminant.
[18] Pour ce qui est de l'organisation politique de Khumalo et du nombre de personnes qui travaillaient pour elle, le demandeur n'a pu donner des informations précises, ce qui a amené le tribunal à conclure que le demandeur n'avait pas vraiment travaillé pour Khumalo. La Cour note que le demandeur affirme avoir été chercher à trois reprises des cartes du MDC à la résidence de Khumalo et que son oncle était un ami proche de Khumalo, à tel point que cette dernière a payé pour l'évasion du demandeur et de son oncle et a ainsi pris un risque pour sa carrière. Le demandeur argumente que son manque de connaissance de l'organisation politique de Khumalo s'explique par le fait qu'il ne votait pas dans le district de Khumalo. La Cour trouve bizarre que le demandeur n'ait pas davantage été au courant des activités de Khumalo étant donné la proximité des liens que lui et son oncle semblaient avoir avec la députée. En fait, je ne vois pas d'erreur manifestement déraisonnable dans la conclusion du tribunal.
[19] Finalement, le tribunal a à bon droit examiné la teneur du FRP du demandeur avant et après sa modification pour évaluer la crédibilité de ce dernier (Kutuk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1754 (C.F. 1ère inst.) (QL)). Dans son FRP initial, le demandeur a indiqué que les funérailles d'un militant du MDC auxquelles il a assistées ont eu lieu en juin 2001. Le demandeur a ensuite modifié son FRP en indiquant que ces obsèques ont plutôt eu lieu le 7 juillet 2001. Le tribunal a conclu que cela constituait une modification importante puisque le 7 juillet était seulement deux jours avant l'attaque des vétérans à l'école. Le demandeur prétend qu'il ne s'agit là que d'une faute d'inattention qui ne dénote aucune mauvaise foi. Le défendeur prétend qu'il aurait été raisonnable de s'attendre à ce que le demandeur se souvienne de la date des funérailles spontanément, étant donné que le service n'a eu lieu que deux jours avant l'attaque. La Cour souscrit à l'argument du défendeur et conclut donc que le raisonnement du tribunal n'était pas manifestement déraisonnable.
[20] En somme, le tribunal était justifié de regarder l'ensemble de la preuve et de conclure à l'absence de crédibilité du demandeur étant donné les invraisemblances dans son témoignage car certains éléments étaient imprécis. Bien que la Cour ait pu tirer d'autres conclusions sur certains des faits contestés, il n'en demeure pas moins qu'aucune erreur manifestement déraisonnable n'a été commise et que le tribunal est en meilleure posture pour apprécier l'ensemble des subtilités qui composent la crédibilité. C'est ce que décrit bien le juge Dubé dans Herrera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 13 (C.F. 1ère inst.) (QL), au paragraphe 6 :
[...] Même si chaque invraisemblance relevée par la Commission pouvait d'une certaine façon être réparée, il était toujours loisible à la Commission d'adopter une vue globale des éléments de preuve pour conclure que le requérant n'était pas crédible. La Commission a effectivement donné des raisons pour expliquer pourquoi elle n'a pas accepté la version des événements donnée par le requérant après qu'elle eut entendu le témoin et apprécié son comportement. Une analyse détaillée de plusieurs questions et réponses figurant dans la transcription peut conduire à différentes interprétations de la part de différents lecteurs, mais en matière d'appréciation des faits et de crédibilité, c'est l'interprétation du juge des faits qui doit être acceptée, à moins que ses conclusions ne soient déraisonnables.[je souligne]
[21] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[22] Les parties n'ont pas proposé la certification d'une question grave de portée générale. Donc, aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que:
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
2. Aucune question grave de porté générale n'est certifiée.
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Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4393-02
INTITULÉ :
VUSUMUZI SIBANDA
Demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
Défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATES DE L'AUDIENCE : le 19 novembre 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE DE: L'HONORABLE JUGE MICHEL BEAUDRY
EN DATE DU : le 1er décembre 2003
COMPARUTIONS :
Eveline Fiset POUR LE DEMANDEUR
Caroline Cloutier POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Eveline Fiset
Montréal (Québec) POUR LE DEMANDEUR
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec)