Date : 20040705
Dossier : IMM-4406-03
Référence : 2004 CF 956
Edmonton (Alberta), le 5 juillet 2004
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN
ENTRE :
MUSTAFA ACAR
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Mustafa Acar (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 26 mai 2003. Dans sa décision, la Commission a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et ses modifications (la Loi).
[2] Le demandeur est un citoyen de la Turquie appartenant à la minorité kurde. Il était membre du Parti de la Démocratie du Peuple (le HADEP), qui défend les droits des Kurdes. Il a prétendu avoir été victime de persécution, et notamment avoir été arrêté, détenu et torturé, en 1998, 2000 et 2001, du fait de son appartenance à ce parti et de ses activités connexes. En février 2002, il a été arrêté, détenu pendant plusieurs jours et torturé, et on lui a ordonné de devenir informateur de police relativement aux activités du HADEP, faute de quoi il serait tué.
[3] Après cet incident, le demandeur s'est caché et a quitté la Turquie au mois d'août 2002. Il est arrivé au Canada le 27 août 2002, date à laquelle il a présenté sa demande d'asile.
[4] La Commission a conclu que le demandeur était un Kurde qui avait adhéré au HADEP après avoir obtenu son diplôme universitaire. Cependant, à son avis, le demandeur n'avait jamais été arrêté, détenu ni torturé. Elle a jugé qu'on ne lui avait pas demandé d'espionner le HADEP.
[5] La Commission a conclu également que le demandeur avait légitimement obtenu son passeport et que, lorsqu'il avait quitté la Turquie, les autorités ne s'intéressaient pas à lui.
[6] La Commission a jugé également que le fait que le demandeur n'ait pas quitté la Turquie après l'incident de mai 2001, au cours duquel il avait été arrêté et torturé, et qu'il ait attendu jusqu'au mois août 2002 pour le faire, mettait en doute l'élément subjectif de sa crainte de persécution et minait la crédibilité générale de sa demande. En outre, la Commission a estimé qu'il était raisonnable de croire que le demandeur aurait tenté de quitter la Turquie après sa libération en mai 2001 afin d'éviter le service militaire, parce que, selon ses prétentions, il aurait été un objecteur de conscience.
[7] La Commission a dit que, puisque le demandeur était en âge de faire son service militaire, elle se demanderait si celui-ci serait victime de persécution ou de peines cruelles ou inusitées s'il devait servir dans l'armée turque ou s'il était arrêté en tant qu'insoumis.
[8] La Commission a conclu que la situation avait changé en Turquie et qu'il n'y avait aucun élément de preuve documentaire fiable qui indiquait que le demandeur serait obligé de tuer ses frères kurdes alors qu'il servirait dans l'armée turque ou que les militaires kurdes étaient traités différemment des autres militaires. En conséquence, la Commission a conclu que le demandeur ne craignait pas avec raison d'être persécuté pour l'un des motifs énumérés et qu'il n'était pas une personne à protéger.
[9] La décision de la Commission s'appuie apparemment sur ses conclusions quant à la crédibilité et sur son appréciation de la preuve documentaire. D'une façon générale, les conclusions que tire la Commission quant à la crédibilité appellent une grande retenue judiciaire. Le critère est de savoir si ces conclusions s'appuient raisonnablement sur la preuve soumise à la Commission.
[10] En l'espèce, il n'est pas certain que les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité s'appuient raisonnablement sur la preuve. À mon avis, la Commission a fondé ses conclusions relatives à la crédibilité en partie sur des conjectures. À cet égard, je renvoie à la conclusion de la Commission suivant laquelle, comme le HADEP est maintenant interdit, il est peu probable qu'il existe plus qu'une simple possibilité que le demandeur soit persécuté du fait de son appartenance à ce parti.
[11] Cette conclusion, à mon avis, ne s'appuie pas raisonnablement sur la preuve dont était saisie la Commission. Il y avait une preuve documentaire, y compris un rapport d'Amnesty International, portant sur les risques que couraient les ex-membres de l'HADEP. Cette preuve était pertinente. La Commission ne s'est pas penchée sur cette preuve et, à mon avis, cela constitue une erreur.
[12] En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu'il rende une nouvelle décision. Il n'y a aucune question à certifier.
ORDONNANCE
La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu'il rende une nouvelle décision. Il n'y a aucune question à certifier.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Julie Boulanger, LL.M.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4406-03
INTITULÉ : MUSTAFA ACAR
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 24 MARS 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE HENEGHAN
DATE DES MOTIFS : LE 5 JUILLET 2004
COMPARUTIONS :
Raoul Boulakia POUR LE DEMANDEUR
John Loncar POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Raoul Boulakia POUR LE DEMANDEUR
45, rue Saint Nicholas
Toronto (Ontario)
M4Y 1W6
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE
Date : 20040705
Dossier : IMM-4406-03
ENTRE :
MUSTAFA ACAR
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE