Ottawa (Ontario), le 2 juin 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN
ENTRE :
et
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La requête de la défenderesse visant à faire radier certains affidavits, en totalité ou en partie, est présentée dans le cadre d’un litige dans lequel une injonction est demandée afin d’empêcher la défenderesse de contrefaire la marque de commerce CAVALIA de la demanderesse en employant la marque AVAIA. La présente requête a été entendue immédiatement avant l’audience portant sur la requête en injonction interlocutoire de la demanderesse.
[2] La requête vise a) l’affidavit d’Alexandra Scott (l’affidavit de Scott), agente de marques de commerce travaillant au cabinet des avocates de la demanderesse, b) des passages de l’affidavit de Steven Nowack (l’affidavit de Nowack), conseiller en affaires de la demanderesse et c) une pièce qui ferait partie de l’affidavit de Chantal Patenaude (l’affidavit de Patenaude), témoin de la demanderesse.
L’affidavit de Scott
[3] Dans son affidavit, Scott, une agente de marques de commerce travaillant au cabinet des avocates de la demanderesse, décrit les recherches effectuées et les résultats obtenus, fait ressortir les éléments importants de ces résultats (du point de vue de la demanderesse) et souligne ensuite ce qui, à son avis, crée de la confusion entre les deux marques.
[traduction]
11. Je constate que les mots AVAIA et CAVALIA :
a) sont très semblables dans le son;
b) ont le même nombre de syllabes;
c) ont les mêmes voyelles et contiennent tous deux la lettre « V ».
12. Je constate aussi que la présentation typographique de la marque non déposée AVAIA et de la marque de commerce CAVALIA :
a) comporte des lettres stylisées avec des contours inégaux;
b) comporte des lettres décorées ou ornées d’un dessin (une tête de cheval dans le cas de CAVALIA et une étoile dans le cas d’AVAIA);
c) comporte des lettres en caractère gras.
[4] La défenderesse affirme que l’affidavit de Scott doit être radié parce qu’il contrevient à l’article 82 des Règles :
82. Sauf avec l’autorisation de la Cour, un avocat ne peut à la fois être l’auteur d’un affidavit et présenter à la Cour des arguments fondés sur cet affidavit. |
82. Except with leave of the Court, a solicitor shall not both depose to an affidavit and present argument to the Court based on that affidavit. |
[5] La défenderesse s’appuie aussi sur l’arrêt Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd. c. Hyundai Auto Canada, une division de Hyundai Motor America, [2006] A.C.F. no 539 (QL), 2006 CAF 133, où la Cour d’appel fédérale a exigé que le cabinet d’avocats nomme un nouvel avocat pour plaider un aspect de la cause dans une affaire où la preuve avait été produite par des employés du cabinet. La Cour a conclu qu’il était contraire aux règles de l’art que des employés d’un cabinet d’avocats agissent comme enquêteurs et formulent des opinions sur le résultat de leurs activités.
[6] La Cour d’appel a aussi reconnu que le recours à des affidavits souscrits par des employés du cabinet d’avocats pouvait être acceptable dans certaines circonstances et elle a énuméré certains des facteurs dont il faut tenir compte pour décider ce qu’il convient de faire dans ces circonstances :
a) l’état de l’instance;
b) la probabilité que le témoin soit appelé à compraître;
c) la bonne foi (ou non) de la partie qui présente la demande;
d) l’importance de la preuve à présenter;
e) l’effet du retrait de l’avocat sur le droit qu’a la partie d’être représentée par un avocat de son choix;
f) la tenue du procès devant un juge seul ou un jury;
g) la probabilité qu’il survienne un conflit réel ou que la preuve soit « entachée »;
h) l’identité de la partie qui appellera le témoin si, par exemple, il est probable que les avocats soient en mesure de contre‑interroger un témoin favorable;
i) le lien ou la relation entre les avocats, le témoin éventuel et les parties au litige.
[7] La procédure deviendrait inutilement compliquée si un employé d’un cabinet d’avocats ne pouvait présenter en preuve des faits purement objectifs ou non contestés. En revanche, comme c’est le cas en l’espèce, lorsqu’il s’agit d’un témoignage d’opinion de la part de l’employée du cabinet d’avocats sur la question précise faisant l’objet du différend, soit la confusion entre deux marques, il n’est pas acceptable de présenter la preuve provenant de cette source. Pour parler franchement, il s’agit d’un témoignage d’opinion non pertinent, peu susceptible de convaincre un juge quant à la confusion, témoignage qui pourrait donner lieu à une remise en cause du privilège du secret professionnel de l'avocat du client et nuire à la cause du client.
[8] En l’espèce, les paragraphes 11 et 12 appartiennent à ce type de preuve inadmissible. Ils seront radiés. La défenderesse s’oppose aussi aux paragraphes 7, 8 et 10 parce qu’ils contiennent des déclarations pas très objectives débutant par [traduction] « je constate » ou « je comprends ». Il s’agit de commentaires pour mettre en contexte la preuve objective, et je ne peux pas conclure qu’ils appartiennent au type de preuve visée par l’arrêt Cross-Canada Auto Body Supply (Windsor) Ltd., précité.
L’affidavit de Nowack
[9] M. Nowack, conseiller en affaires de la demanderesse, a témoigné au sujet des conseils qu’il a donnés à la demanderesse relativement à la présentation d’un spectacle dans la région de Niagara Falls. Au paragraphe 7 de son affidavit, M. Nowack déclare que Sandy Castonguay (qui n’était pas un employé de la demanderesse) [traduction] « lui a indiqué [à M. Nowack] qu’il trouvait curieux que le nom du spectacle ressemble autant à CAVALIA ». Au paragraphe 9 de son affidavit, M. Nowack déclare que sa femme, Melissa Frishling, et Rona Kayback [traduction « […] croyaient toutes les deux que le spectacle était un spectacle de CAVALIA ».
[10] La défenderesse soutient que ces passages de l’affidavit contreviennent au paragraphe 81(1) des Règles parce qu’ils ne contiennent pas de déclaration portant sur ce que le déclarant savait ou croyait être les faits, et qu’ils ne donnent pas les motifs à l’appui de cette croyance. La défenderesse demande donc que ces passages de l’affidavit soient radiés.
[11] La demanderesse affirme que le déclarant croyait manifestement les déclarations puisqu’il a souscrit un affidavit relativement à ces faits et qu’il a dévoilé la source de cette information – la tierce partie. La demanderesse prétend que toute lacune à cet égard touche à la valeur probante de la preuve.
[12] Je ne suis pas convaincu que l’absence de la formule « Je suis informé par X et crois vraiment que… » porte un coup fatal à l’admissibilité de la preuve par ouï-dire. Dans l’arrêt R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915, la Cour suprême du Canada a adopté une approche plus pragmatique relativement à la règle du ouï-dire.
[13] À mon avis, la preuve est admissible, mais il faut tirer une inférence défavorable de l’omission de la demanderesse de produire une preuve directe sur la question cruciale de la confusion. L’incapacité de contester cette preuve par ouï-dire cause un réel préjudice à la défenderesse. La demanderesse doit vivre avec les conséquences découlant de son recours à une preuve par ouï-dire.
[14] Le litige, ou du moins ce qui lui a donné naissance, a commencé en mars 2006. La Cour n’a été saisie d’aucune preuve qui explique de façon satisfaisante pourquoi il a fallu recourir à une preuve par ouï‑dire plutôt qu’à une preuve directe dans la présente procédure interlocutoire.
L’affidavit de Patenaude
[15] Patenaude, une résidente de Québec, a souscrit un affidavit relativement à sa confusion entre CAVALIA et AVAIA lorsqu’elle a pris une brochure d’AVAIA en croyant qu’il s’agissait d’une publicité de CAVALIA. Par inadvertance, l’exemplaire de la brochure n’a pas été joint à son affidavit. Parce que Patenaude vivait à l’extérieur de la ville de Québec et en raison de la longue fin de semaine de la Journée nationale des Patriotes, il n’a été possible de corriger cette omission qu’avec un certain retard. La défenderesse demande que la pièce soit radiée; l’effet de cette radiation est de rendre l’affidavit pour ainsi dire inutile.
[16] Un des affidavits de la défenderesse contenait exactement la même brochure. Même si elle affirme qu’au moment de contre‑interroger Patenaude, elle n’avait pas la brochure à laquelle celle‑ci faisait référence, la défenderesse ne peut pas invoquer un réel préjudice. Elle avait le document et elle devait savoir à quoi la déclarante faisait référence.
[17] Il s’agit d’un argument qui met l’accent sur la forme plutôt que sur le fond et je le rejette.
Conclusion
[18] La Cour rendra donc une ordonnance :
1. radiant les paragraphes 11 et 12 de l’affidavit de Scott;
2. rejetant la requête visant à radier des passages de l’affidavit de Nowack, sous réserve de l’inférence défavorable à tirer en vertu du paragraphe 81(1) des Règles;
3. rejetant la requête visant à radier l’affidavit de Patenaude, en totalité ou en partie, plus particulièrement la pièce A de l’affidavit.
[19] Comme les parties ont chacune eu partiellement gain de cause, les dépens suivront l'issue de la cause.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
1. Les paragraphes 11 et 12 de l’affidavit de Scott seront radiés.
2. La requête visant à radier des passages de l’affidavit de Nowack, sous réserve de l’inférence défavorable à tirer en vertu du paragraphe 81(1) des Règles, sera rejetée.
3. La requête visant à radier l’affidavit de Patenaude, en totalité ou en partie, plus particulièrement la pièce A de l’affidavit, sera rejetée.
4. Les dépens suivront l'issue de la cause.
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-830-06
INTITULÉ : VOLTIGE INC.
c.
CIRQUE X INC.
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 29 MAI 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE PHELAN
DATE DES MOTIFS : LE 2 JUIN 2006
COMPARUTIONS :
Julie Thorburn Emily Larose
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POUR LA DEMANDERESSE |
Henry Lue Sangeetha Punniyamoorthy
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POUR LA DÉFENDERESSE |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
CASSELS BROOK & BLACKWELL LLP Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE |
DIMOCK STRATTON LLP Avocats Toronto (Ontario)
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POUR LA DÉFENDERESSE |