Date : 20051208
Dossier : IMM-1769-05
Référence : 2005 CF 1671
Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EN CHEF
ENTRE :
WEN CHIN CHIU, YU CHUAN WANG,
YA LING CHIU et SHIAO LING CHIU
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] En mars 2001, les demandeurs ont obtenu le droit d'établissement au Canada en tant que résidents permanents du fait de l'admission de Wen Chin Chiu à titre d'immigrant entrepreneur. Les autres demandeurs en cause dans la présente demande de contrôle judiciaire sont la femme de M. Chiu et les deux filles cadettes du couple.
[2] M. Chiu a d'abord investi dans un établissement d'enseignement situéen Colombie-Britannique. Les affaires étant difficiles, les activités de l'école ont commencé à décliner en 2002 pour finalement cesser au début de 2003.
[3] Peu de temps après, les fonctionnaires du défendeur ont commencé leur enquête sur les conditions que M. Chiu devait avoir remplies en vertu des dispositions législatives et réglementaires applicables en matière d'immigration. Par suite de cette enquête, des mesures de renvoi ont été prises contre les demandeurs en octobre 2003.
[4] À la fin de 2003, M. Chiu a mis sur pied une entreprise de rénovation domiciliaire.
[5] Les demandeurs ont interjeté appel des mesures de renvoi devant la Section d'appel de l'immigration (la SAI) en invoquant des motifs d'ordre humanitaire. Il s'agit en l'espèce de la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la SAI a rejeté l'appel des demandeurs.
[6] La fille aînée de M. Chiu - Shan Ling Chiu - est arrivée au Canada en 1999 munie d'un visa d'étudiant. La SAI ayant fait droit à son appel de la mesure de renvoi pour des motifs d'ordre humanitaire, elle n'est donc pas partie à la présente instance.
[7] Le premier argument des demandeurs est que la SAI n'a pas été « réceptive, attentive et sensible » à l'intérêt des deux filles cadettes en refusant de recevoir le témoignage de leur mère, Yu Chuan Wang. L'avocat représentant les demandeurs devant la Cour a préféré qu'on appelle cette dernière « Mme Chiu » .
[8] Le dossier n'étaye pas les observations des demandeurs sur cette question. Dans la fiche de renseignements sur l'audience, les demandeurs ont indiqué que les témoins à l'audience seraient les deux parents et leur fille aînée, Shan Ling Chiu.
[9] L'audience de la SAI a eu lieu à Vancouver, en juillet 2004. La fille aînée devait reprendre ses études à l'Université de Western Ontario au mois de septembre suivant. Pour composer avec les engagements que l'aînée avait dans la région centrale du Canada, l'avocat qui représentait alors les demandeurs a suggéré judicieusement que la SAI entende son témoignage avant celui de sa mère au cas où l'audience ne puisse prendre fin ce jour-là :
[Traduction] ... J'espère que nous pourrons terminer l'audience aujourd'hui; toutefois, au cas où il faudrait la reprendre, il se pourrait que je doive inverser l'ordre de comparution des témoins, mais la fille [...] étudie en Ontario et comme je crains que l'audience reprenne après septembre, il serait peut-être bon de la faire comparaître en premier.
Le membre du tribunal a souscrit à cet arrangement.
[10] Vers la fin de l'audience, après le témoignage de M. Chiu et de sa fille aînée, le membre du tribunal et l'avocat des demandeurs ont eu l'échange suivant au sujet de l'opportunité de faire témoigner Mme Chiu :
[Traduction] PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : ... Comme je l'ai dit, je suis au courant de l'heure; maintenant [avocat], avez-vous toujours l'intention de faire témoigner l'autre appelante, Mme Wang? Ma question est la suivante : sur quoi devait porter sa déposition? Était-ce [...] c'est là ma question.
[AVOCAT] : Du même ordre que celui de la fille. Essentiellement, vous savez, depuis qu'ils se trouvent au Canada, ce qu'ils apprécient à propos du Canada, comment... ce qu'il adviendrait essentiellement de la famille s'ils étaient renvoyés à Taïwan.
PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Je crois, dans les circonstances, je ne crois pas qu'il sera nécessaire d'entendre ce témoin, mais je pense qu'il est un peu tard pour faire des observations et ma question -ce serait -c'était là la totalitéde votre preuve, n'est-ce pas?
[AVOCAT] : Ce sera tout.
[Non souligné dans l'original.]
Après cet échange, le tribunal a reçu des observations orales de l'avocate du ministre. Une dizaine de jours plus tard, l'avocat des demandeurs a produit des observations écrites sans faire état de la question du témoignage de Mme Chiu.
[11] L'avocat représentant les demandeurs devant la SAI a souscrit à la suggestion du tribunal selon laquelle il n'était pas nécessaire que Mme Chiu témoigne. Rien dans le dossier ne permet de penser que si l'avocat avait insisté pour que Mme Chiu témoigne, sa demande aurait été rejetée. Même après un certain temps de réflexion, il n'a pas soulevé la question dans ses observations écrites.
[12] En outre, M. Chiu a parlé directement des difficultés auxquelles devraient faire face ses deux filles cadettes si elles retournaient à Taïwan. De même, la fille aînée a exprimé son inquiétude pour ses deux soeurs s'il fallait qu'elles retournent dans le pays dont elles ont la citoyenneté. La SAI avait en main des éléments de preuve qui permettaient de prendre en considération des motifs d'ordre humanitaire au sujet des filles cadettes. Dans ces circonstances, je suis persuadé que le tribunal n'a commis aucun manquement à la justice naturelle ou à l'équité procédurale parce que Mme Chiu n'a pas témoigné.
[13] L'avocat représentant les demandeurs devant la SAI n'a pas fait état de son intention, avant ou pendant l'audition de l'appel, de faire témoigner les deux filles cadettes, qui sont aujourd'hui âgées de 20 ans et de 16 ans, respectivement.
[14] À mon avis, les conclusions que la SAI a tirées en rejetant les appels des quatre demandeurs n'étaient pas manifestement déraisonnables (voir Khosa c. Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, 2005 CF 1218, aux paragraphes 24 à 31). Il ressort de mon analyse du dossier que le tribunal n'a commis aucune erreur susceptible de contrôle en décidant qu'avant d'engager des procédures de renvoi, les fonctionnaires de l'immigration avaient accordé [Traduction] « amplement de temps » à M. Chiu pour s'acquitter des conditions imposées. M. Chiu a reconnu qu'il n'avait aucune expérience professionnelle antérieure dans le domaine de l'éducation ou dans celui de la rénovation domiciliaire.
[15] Les demandeurs font aussi valoir que la décision de la SAI doit être annulée parce que le tribunal aurait omis de motiver son refus d'accorder des sursis aux deux filles cadettes du couple Chiu en application du paragraphe 68(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).
[16] En vertu de l'article 66 de la Loi, la SAI peut faire droit à l'appel ou rejeter ce dernier, ou alors surseoir à l'exécution de la mesure de renvoi :
66. Il est statué sur l'appel comme il suit :
a) il y fait droit conformément à l'article 67;
b) il est sursis à la mesure de renvoi conformément à l'article 68;
c) il est rejeté conformément à l'article 69.
66. After considering the appeal of a decision, the Immigration Appeal Division shall
(a) allow the appeal in accordance with section 67;
(b) stay the removal order in accordance with section 68; or
(c) dismiss the appeal in accordance with section 69.
[17] L'alinéa 67(1)c) de la Loi autorise la SAI à faire droit à un appel si elle est convaincue que :
... il y a - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - des motifs d'ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l'affaire, la prise de mesures spéciales.
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. . . taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.
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Le paragraphe 68(1) de la Loi autorise la SAI à surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi pour la même raison.
[18] Les demandeurs font valoir que la SAI, ayant décidé de rejeter les appels en vertu de l'alinéa 67(1)c) de la Loi, a omis d'effectuer l'analyse que requiert le paragraphe 68(1) pour ce qui est de savoir s'il conviendrait d'accorder un sursis aux deux filles cadettes pour des motifs d'ordre humanitaire.
[19] Les demandeurs ne contestent pas la justesse des motifs pour lesquels la SAI a rejeté les appels en vertu de l'alinéa 67(1)c) :
[Traduction]
[25] J'ai tenu précisément compte des difficultés que causerait le renvoi aux appelantes mineures, ainsi que de leur intérêt supérieur [...] Je conclus qu'il est dans l'intérêt supérieur des enfants mineures qu'elles continuent de constituer une unitéfamiliale avec leurs parents[...]
[...]
[26] ... Je ne considère pas que les circonstances justifient en l'espèce un sursis à l'exécution des mesures de renvoi à cause du défaut persistant [de M. Chiu] de se conformer aux conditions après avoir obtenu le droit d'établissement au Canada.
[Non souligné dans l'original.]
[20] Au début de sa décision, la SAI a noté les facteurs pertinents dont elle devait tenir compte dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, dont l'intérêt supérieur des enfants directement touchés par sa décision. Ayant examiné dans ce contexte les extraits de la décision cités plus tôt, je suis convaincu que la SAI a tenu compte de l'intérêt supérieur des deux filles cadettes du couple Chiu au moment de déterminer s'il convenait de leur accorder un sursis ou pas. Sa conclusion selon laquelle il faudrait que les deux filles [TRADUCTION] « continuent de constituer une unité familiale avec leurs parents » serait incompatible avec la constatation qu'il faudrait leur accorder un sursis au moment de l'expulsion de leurs parents.
[21] Selon moi, la décision de la SAI n'est pas manifestement déraisonnable et je ne suis pas convaincu qu'il convient de l'annuler pour cause d'insuffisance des motifs.
[22] L'avocat des demandeurs a retiré - à juste titre selon moi - la contestation constitutionnelle durant les observations qu'il a faites de vive voix devant la Cour. La contestation proposée des dispositions législatives sur lesquelles étaient fondées les mesures de renvoi aurait été vaine à cause de la position adoptée par les demandeurs devant la SAI, savoir que la validité juridique des mesures de renvoi n'était pas en litige. Les demandeurs ont produit leur avis d'une question constitutionnelle environ trois semaines avant la date de l'audience. Je suis conscient des inconvénients qu'a causés à l'avocate du défendeur le fait d'avoir à préparer à bref délai des documents supplémentaires, mais je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une situation qui justifie une ordonnance concernant les dépens.
[23] En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Aucune des parties n'a suggéré la certification d'une question grave.
ORDONNANCE
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Allan Lutfy »
JUGE EN CHEF
Traduction certifiée conforme
Suzanne Bolduc, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1769-05
INTITULÉ : WEN CHIN CHIU, YU CHUAN WANG, YA LING CHIU et SHIAO LING CHIU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 7 NOVEMBRE 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE EN CHEF LUTFY
DATE DES MOTIFS : LE 8 DÉCEMBRE 2005
COMPARUTIONS :
Lawrence Wong POUR LES DEMANDEURS
Banafsheh Sokhansanj POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Wong Pederson Law Offices POUR LES DEMANDEURS
Vancouver (Colombie-Britannique)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada