Date : 20001130
Dossier : IMM-256-00
OTTAWA (ONTARIO), LE 30 NOVEMBRE 2000.
DEVANT : MONSIEUR LE JUGE ROULEAU
ENTRE :
RIGOBERTO VANENCIA SORIANO
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
P. Rouleau
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.
Date : 20001130
Dossier : IMM-256-00
ENTRE :
RIGOBERTO VANENCIA SORIANO
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE ROULEAU
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle le ministre a conclu, conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada.
[2] Le demandeur est né au Salvador en 1962. Il a quitté son pays pour se rendre aux États-Unis et il est entré au Canada en 1988.
[3] Au mois de septembre 1992, la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Néanmoins, grâce au parrainage de sa conjointe, le demandeur est devenu un immigrant ayant obtenu le droit d'établissement au Canada le 18 novembre 1997.
[4] De 1989 à 1999, le demandeur a été reconnu coupable de nombreuses infractions criminelles, à savoir : introduction par effraction dans un dessein criminel en violation de l'alinéa 348(1)a) du Code criminel, méfait en violation du paragraphe 430(4) du Code criminel, omission de se conformer à une ordonnance de probation et voies de fait en violation de l'article 266 du Code criminel.
[5] On a demandé au ministre de délivrer un avis. Le 21 décembre 1999, le représentant du ministre a décidé qu'à son avis, le demandeur constituait un danger pour le public au Canada.
[6] Il s'agit de savoir si le ministre a omis de tenir compte de toutes les considérations pertinentes, s'il a tenu compte de considérations non pertinentes ou s'il a omis de tenir compte de tous les éléments de preuve, et s'il a omis d'observer un principe d'équité procédurale.
[7] Le demandeur soutient qu'à l'exception des déclarations de culpabilité, le ministre ne disposait d'aucun élément de preuve montrant qu'il constituait un danger, que ce soit à l'heure actuelle ou dans l'avenir. De fait, le seul rapport dans lequel cette question était abordée, soit le rapport du docteur Zoffman, renfermait une conclusion selon laquelle si le demandeur demeurait sobre, le risque de récidive était minime. Le demandeur soutient que le rapport du docteur Zoffman renferme une analyse exacte du risque qu'il présente pour la société.
[8] Le demandeur soutient que les principales victimes des crimes qu'il a commis veulent maintenant communiquer avec lui et qu'il entretient des relations cordiales, sobres et paisibles avec elles. Il affirme qu'il est peu probable qu'il constitue un danger pour le public étant donné a) qu'il a plaidé coupable aux accusations qui avaient été portées au criminel contre lui et qu'il a assumé la responsabilité de ses actions; b) qu'il a profité du temps qu'il a passé en prison pour remédier à son problème d'abus de l'alcool en assistant à des réunions des Alcooliques Anonymes et en participant au programme « Beyond Blame » ; c) qu'il a pris des dispositions en vue de s'inscrire dans un programme rigoureux de réadaptation lors de sa mise en liberté et que, grâce à ce programme, il a fait des progrès; d) que les progrès qu'il a faits se manifestent par les contacts paisibles continus qu'il a maintenant avec la victime des crimes qu'il a commis par le passé et avec leur fille; e) qu'un arbitre l'a mis en liberté à certaines conditions étant donné qu'à son avis, il était peu probable qu'il constitue un danger pour le public.
[9] Le demandeur soutient que le ministre a commis une erreur en concluant qu'il constituait un danger pour le public alors que, à l'exception de son casier judiciaire, tous les facteurs montraient que le risque de récidive était minime. Il affirme également que le ministre a interprété le mot « public » d'une façon erronée. C'étaient son ex-conjointe et son ancienne conjointe de fait qui avaient été victimes de tous les crimes qu'il avait commis.
[10] Le demandeur affirme également que le ministre n'a pas observé les principes d'équité procédurale en ce sens qu'il ne lui a pas remis et qu'il n'a pas remis à son avocat la [TRADUCTION] « Demande visant à l'obtention d'un avis ministériel » et le [TRADUCTION] « Rapport ministériel de danger pour le public » , alors que ces documents avaient été envoyés au décideur avant que la décision soit prise.
[11] Le demandeur fait remarquer que, dans le rapport de danger ou dans la demande d'avis ministériel, il n'est pas fait mention de la névrose post-traumatique dont il est atteint ou du rapport du médecin. La seule mention des arguments que le demandeur a invoqués en ce qui concerne les raisons d'ordre humanitaire se trouve dans la phase suivante de la demande d'avis ministériel : [TRADUCTION] « L'avocat déclare que l'intéressé craint fort de retourner au Salvador. » Le demandeur maintient qu'un résumé aussi inadéquat de ses préoccupations renforce l'argument selon lequel il aurait fallu lui fournir les deux documents sommaires avant que la décision soit prise. Le fait que les facteurs d'ordre humanitaire n'ont pas été examinés dans les deux documents sommaires montre que le représentant du ministre n'y a pas accordé une attention suffisante.
[12] Le défendeur déclare qu'il faut faire preuve d'énormément de retenue à l'égard de l'exercice par le ministre de son pouvoir discrétionnaire et lorsqu'il s'agit de déterminer l'étendue de la compétence du ministre. Le demandeur doit démontrer que l'avis était fondé sur la mauvaise foi ou sur des critères ou des éléments de preuve non pertinents, sans qu'il soit tenu compte des éléments disponibles, ou que le représentant du ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une façon abusive ou arbitraire.
[13] Le demandeur cherche maintenant à faire annuler l'avis du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et à faire renvoyer l'affaire à celui-ci pour réexamen conformément aux motifs prononcés par la Cour.
[14] Comme je l'ai récemment dit dans la décision Edouard Bakchiev c. MCI, IMM-4923-99, selon la procédure qui est maintenant suivie dans les affaires de ce genre, un avis de l'intention de demander un avis ministériel de danger est en général délivré à la personne concernée. On remet ensuite à la personne concernée certains documents qui seront soumis au ministre et on lui donne la possibilité de présenter des observations. Par la suite, un rapport renfermant une recommandation est préparé par les agents de réexamen et envoyé au ministre pour décision. En pareil cas, les individus en cause se plaignent essentiellement de ne jamais avoir la possibilité de présenter des observations ou des commentaires au sujet des rapports qui sont envoyés au ministre avant que ce dernier prenne une décision. Les individus en question n'ont donc la possibilité de présenter des observations au sujet des rapports qui servent de fondement à la décision du ministre que s'ils présentent une demande d'autorisation en vue du contrôle judiciaire.
[15] En l'espèce, le demandeur maintient qu'il n'a jamais vu la demande en vue de la préparation d'un rapport d'avis ministériel ou le rapport concernant l'avis ministériel de danger ou qu'il n'en a jamais reçu signification. Il est soutenu que cela constitue une violation de l'obligation d'équité, selon laquelle on doit fournir au demandeur les deux rapports et lui donner la possibilité de répondre avant que le ministre prenne sa décision.
[16] Le défendeur affirme qu'en ce qui concerne l'avis délivré par le ministre conformément au paragraphe 53(1) de la Loi, des motifs doivent être énoncés et que ces motifs figurent dans la demande d'avis ministériel. Il est soutenu que le représentant du ministre s'est acquitté de l'obligation qui lui incombait de fournir au demandeur une possibilité réelle de présenter sa preuve au complet, même si le rapport concernant l'avis ministériel et la demande d'avis ministériel ne lui ont pas été communiqués. Il est soutenu que ces deux documents résument simplement les documents qui ont été communiqués au demandeur et sur lesquels le représentant du ministre pourrait se fonder pour arriver à son avis.
[17] Toutefois, à ma connaissance, ces rapports manquent souvent d'objectivité et n'accordent pas l'importance voulue à la preuve présentée par les demandeurs. D'habitude, il est évident que s'ils avaient été mis à sa disposition avant que la décision soit prise, le demandeur aurait certainement fait des commentaires à leur sujet. Le fait que de nombreuses demandes de contrôle judiciaire sont accueillies à cause de l'insuffisance de ces rapports, qui constituent les motifs de la décision, le montre bien. Mes collègues ne semblent pas avoir mentionné un aspect pratique précieux de cette obligation de donner aux demandeurs la possibilité de faire des commentaires au sujet des rapports, mais il me semble que la chose a énormément d'importance. Lorsqu'on lui demande de statuer sur une requête visant à l'obtention de l'autorisation en vue d'un contrôle judiciaire de l'avis délivré par le ministre, le juge n'a peut-être pas à sa disposition les rapports qui constituent les motifs de la décision. Il est donc probable qu'il ne soit pas en mesure d'apprécier d'une façon appropriée les positions respectives des parties, de sorte que le risque d'injustice augmente. En exigeant que les rapports soient communiqués avant que la décision soit prise, on met fin à ces préoccupations.
[18] En outre, une procédure aussi ouverte et transparente est davantage conforme à la jurisprudence établie en ce qui concerne l'obligation d'équité qui incombe au décideur administratif. Je crois qu'il est tout à fait clair que la jurisprudence de cette cour appuie maintenant l'exigence selon laquelle les rapports sur lesquels le représentant du ministre fonde son avis doivent être remis à la personne concernée de façon qu'elle ait la possibilité de présenter des observations additionnelles. Dans l'arrêt Haghighi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 1 C.F. 854, la Cour d'appel fédérale a statué que l'obligation d'équité exige que ceux qui présentent de l'intérieur du pays une demande de droit d'établissement fondée sur des raisons d'ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi soient informés de l'ensemble du contenu du rapport d'évaluation des risques de l'agent de révision et qu'il leur soit permis de faire des observations au sujet de ce rapport, même dans les cas où le rapport est fondé sur des renseignements qui sont fournis par le demandeur ou qui lui sont raisonnablement accessibles (voir le paragraphe 37 de la décision). Le moyen procédural qui a été utilisé dans l'affaire Haghighi est différent de celui qui est utilisé en l'espèce, mais je crois que les mêmes principes devraient ici s'appliquer.
[19] Dans l'arrêt Baker c. Canada (MCI) (1999), 174 D.L.R. (4th) 193, la Cour suprême du Canada a donné des directives claires au sujet du contenu de l'obligation d'équité qui incombe au décideur administratif. Voici ce que le juge L'Heureux-Dubé a dit, aux pages 211 et 212 :
Bien que l'obligation d'équité soit souple et variable et qu'elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il est utile d'examiner les critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l'obligation d'équité dans des circonstances données. Je souligne que l'idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l'obligation d'équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d'une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu'ils soient considérés par le décideur.
[...]
[...] Le rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, et d'autres indications qui s'y rapportent dans la loi, aident à définir la nature de l'obligation d'équité dans le cadre d'une décision administrative précise. Par exemple, des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d'appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu'il n'est plus possible de présenter d'autres demandes [...]
Le troisième facteur permettant de définir la nature et l'étendue de l'obligation d'équité est l'importance de la décision pour les personnes visées. Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses. [...] L'importance d'une décision pour les personnes visées a donc une incidence significative sur la nature de l'obligation d'équité procédurale.
[20] En l'espèce, il est certain que la délivrance d'un avis ministériel a énormément d'importance pour la personne concernée, étant donné que le ministre peut alors renvoyer cette personne dans un pays où elle craint avec raison d'être persécutée. En outre, il n'existe aucun droit d'en appeler de la décision; la personne concernée peut tout au plus obtenir le contrôle judiciaire, mais uniquement si l'autorisation est d'abord accordée. Dans la décision Qazi c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (26 juillet 2000, IMM-5317-99), le juge Hugessen a fait les remarques suivantes à ce sujet :
J'estime qu'il est dorénavant très clair, compte tenu de l'arrêt Baker et du message très clair que la Cour suprême nous a envoyé au sujet de la nature de l'obligation d'agir équitablement relativement à des décisions qui étaient jadis considérées comme étant purement discrétionnaires et comme n'ayant qu'un très faible, voire aucun contenu d'équité, que nous devons considérer que l'avis sur le danger a de graves conséquences pour la personne qui en fait l'objet. En effet, il retire à cette personne un droit légal illimité d'interjeter appel devant un organisme indépendant, autonome et quasi-judiciaire. Il remplace ce droit, s'il en est, par le droit de présenter une demande de contrôle judiciaire pour des motifs limités, et le droit de chercher à obtenir, en s'adressant au pouvoir exécutif, une réparation strictement discrétionnaire pour des motifs d'ordre humanitaire.
[21] Étant donné les conséquences que comporte la décision et le droit restreint d'examen y afférent, il semblerait être davantage conforme aux principes d'équité et de justice naturelle de fournir à la personne en cause la possibilité de présenter des observations au sujet des rapports sur lesquels le représentant du ministre fonde son avis. Le fait qu'il est possible, à l'aide du résumé, de faire des inférences que la personne concernée n'a pas la possibilité de réfuter va à l'encontre du principe de justice naturelle. À mon avis, pour que l'obligation d'équité ait un contenu utile dans les affaires de ce genre, il faut fournir aux personnes en question la demande d'avis ministériel et le rapport concernant l'avis ministériel de danger et leur donner la possibilité de présenter des observations au sujet de ces documents cruciaux qui, de fait, servent de fondement à la décision du ministre, et ce, avant qu'une décision soit prise.
[22] À ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision que le ministre a prise conformément au paragraphe 70(5) de la Loi est infirmée.
P. Rouleau
Juge
OTTAWA (ONTARIO)
Le 30 novembre 2000
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE LA PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU DOSSIER : IMM-256-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : RIGOBERTO VALENCIA SORIANO
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 17 OCTOBRE 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU EN DATE DU 30 NOVEMBRE 2000.
ONT COMPARU :
Adrian D. Huzel POUR LE DEMANDEUR
Emilia Pech POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Larson Boulton Sohn Stockholder POUR LE DEMANDEUR
Vancouver (C.-B.)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada