T-803-85
Entre
EDITH HEINZE,
demanderesse,
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE,
défenderesse.
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE ROTHSTEIN
Il s’agit d’un appel formé contre une décision de la Cour canadienne de l’impôt. Alors que le juge de la Cour de l’impôt a eu un certain nombre de questions à trancher, les parties ont convenu lors de leur comparution devant moi que la seule question à trancher est celle de savoir si les intérêts payés sur l’hypothèque et les impôts fonciers se rapportant à une certaine terre agricole acquise par les demandeurs peuvent être déduits par ceux‑ci dans le calcul de leur revenu pour les années d’imposition 1978, 1979 et 1980. La disposition pertinente est le par. 18(2) de la Loi de l’impôt sur le revenu :
RESTRICTION RELATIVE À CERTAINS INTÉRÊTS ET À CERTAINS IMPÔTS FONCIERS
(2) Nonobstant l’alinéa 20(1)(c), lors du calcul du revenu d’un contribuable tiré, pour une année d’imposition, d’une entreprise ou d’un bien, aucune déduction ne peut être effectuée relativement à toute somme payée ou payable par le contribuable dans l’année et après 1971, au titre ou en paiement intégral ou partiel
(a) d’intérêts sur de l’argent emprunté et utilisé pour acquérir un fonds de terre ou sur une somme payable par lui relativement à un fonds de terre, ou
(b) d’impôts fonciers (non compris l’impôt sur le revenu ou sur les bénéfices ni l’impôt afférent au transfert de biens) payés ou payables par lui à une province ou à une municipalité canadienne, relativement à un fonds de terre,
si, compte tenu de toutes les circonstances, y compris le prix que le contribuable a payé pour le fonds de terre par rapport au revenu brut, si revenu brut il y a, qu’il en a tiré dans cette année ou dans toute autre année antérieure, le fonds de terre ne peut pas raisonnablement être considéré comme ayant été, dans l’année
(c) utilisé dans l’exploitation ou détenu dans le cadre d’une entreprise exploitée dans l’année par le contribuable, ou
(d) [Abrogé.]
(e) détenu par le contribuable principalement pour que ce dernier tire de ce fonds de terre ou lui fasse produire un revenu dans cette année,
sauf dans la mesure où le revenu brut, si revenu brut il y a, tiré du fonds de terre dans cette année par le contribuable dépasse le total de toutes les autres sommes déduites lors du calcul du revenu qu’il a tiré du fonds de terre dans cette année[1].
Les faits sont simples. Les demandeurs ont acquis une terre agricole et des bâtiments en 1978 au prix de 130 000 $. Il leur a fallu contracter une hypothèque de 80 000 $ pour financer cet achat. La terre et les bâtiments faisaient l’objet d’un bail en vertu duquel le locataire payait un loyer annuel de 2 500 $. Bien que le bail conclu avec le locataire de 1978 n’ait pas été renouvelé, un nouveau bail a été passé avec un autre locataire pour le même loyer annuel. Les demandeurs disent qu’ils n’avaient pas l’intention d’exploiter la ferme à ce moment‑là parce qu’ils ne voulaient pas engager des dépenses pour acheter de la machinerie et de équipement agricoles tant que l’hypothèque grevant la ferme ne serait pas entièrement payée. Cela ne pouvait pas se faire avant trois ans environ, car les fonds nécessaires étaient immobilisés dans un autre investissement pendant ce laps de temps.
Lorsqu’on a demandé aux demandeurs pourquoi ils voulaient investir la somme de 130 000 $ dans une terre agricole pour en tirer un revenu brut de 2 500 $ par année seulement, M. Heinze a déclaré qu'ils craignaient que le prix des fonds de terre n'augmente et que, d’après eux, il était préférable de subir des pertes pendant quelques années en détenant la terre agricole que de devoir payer un prix exagéré en l’achetant plus tard.
Rien ne prouve que la terre agricole ait été utilisée dans l’exploitation ou détenue dans le cadre d’une entreprise exploitée dans les années en cause par les demandeurs. En effet, ceux‑ci soutiennent qu’ils ont acquis le fonds de terre parce qu’ils étaient préoccupés par l’inflation et qu’ils n’avaient pas l’intention de l’exploiter tant que l'hypothèque ne serait pas remboursée et qu’ils ne pourraient pas acquérir de machinerie agricole. Dans la décision Daley v. Minister of National Revenue 50 D.T.C. 877 (C. de l'É.), le président Thorson dit, à la p. 880 :
[traduction] Il semble clair que les débours ou les dépenses comme ceux qui sont effectués ou celles qui sont engagées non pas dans le cadre des opérations, des transactions ou des services dont le contribuable a tiré son revenu mais à une époque antérieure à leur commencement et au moyen de dispositions prises en vue de leur réalisation ne sont pas le genre de débours ou de dépenses qui pourraient être déduits à juste titre dans la vérification ou l’évaluation de son «gain ou profit net annuel».
Dans la décision McLachlen v. Minister of National Revenue (1973), 74 D.T.C. 1035, (Commission de révision de l'impôt) le président adjoint Lucien Cardin a déclaré, à la page 1037 :
[traduction] Le point important à examiner dans le présent appel est le moment où l’étape de la préparation ou de la planification du projet de l’appelant a pris fin et où les véritables opérations d’exploitation agricole ont commencé. Je ne crois pas que l’on puisse considérer que les opérations d’exploitation agricole ont commencé au moment où a été conçue l’idée ou l’intention d’exploiter la ferme, ni à une étape antérieure à l'exploitation véritable de la ferme.
Je pense que ces précédents peuvent s’appliquer à la présente affaire. Les demandeurs n’exploitaient pas une ferme dans les années en cause.
On ne pourrait pas non plus considérer qu’ils faisaient la location de terres. Compte tenu du coût du fonds de terre et des bâtiments de 130 000 $ et du revenu brut de 2 500 $ par année avant les autre dépenses, il est évident que la location du fonds de terre et des bâtiments ne constituait pas une entreprise. Le loyer était perçu afin de réduire les pertes que les demandeurs étaient en train de subir en attendant de rembourser l’hypothèque, d’acquérir de la machinerie et de l’équipement agricoles et de commencer l’exploitation de la ferme.
Le fonds de terre était‑il détenu dans le but de tirer un revenu durant les années en cause? Les demandeurs ont reconnu que le seul but qu’ils visaient en détenant le fonds de terre était de l’utiliser à l’exploitation d’une ferme une fois que l’hypothèque serait remboursée et qu’il leur serait possible d’acquérir de la machinerie agricole. Il appert du revenu brut minimal que les demandeurs ont obtenu dans les années en cause que le fonds de terre n’était pas détenu durant ces années dans le but de gagner ou de produire du revenu. Par conséquent, on ne peut pas dire que les intérêts et les impôts fonciers ont été payés dans le but de tirer un revenu au cours de ces années (voir par exemple Sous‑ministre du Revenu du Québec c. Lipson, [1979] C.T.C. 250 (R.C.S.)).
L’appel doit être rejeté.
«Marshall E. Rothstein»
Juge
Toronto, Ontario
21 avril 1997
Traduction certifiée conforme
Yvan Tardif, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats et procureurs inscrits au dossier
NO DU GREFFE: T-803-85
INTITULÉ DE LA CAUSE: EDITH HEINZE
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
DATE DE L’AUDIENCE LE 7 AVRIL 1997
LIEU DE L’AUDIENCE: TORONTO, ONTARIO
MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE ROTHSTEIN
EN DATE DU 21 AVRIL 1997
ONT COMPARU:
Edith Heinze
Pour la demanderesse
Eric A. Noble
Pour la défenderesse
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:
Edith Heinze
49 Doon Road
Kitchener, Ontario
N2G 3C9
Pour la demanderesse
George Thomson
Sous-procureur général
du Canada
Pour la défenderesse
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
NO DU GREFFE: T-803-85
Entre:
EDITH HEINZE
demanderesse
- et -
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
MOTIFS DU JUGEMENT
1 Jusqu’au 16 novembre 1978, l’alinéa 18(2)(c) se lisait comme suit:
(c) utilisé dans l’exploitation ou détenu dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise exploitée par le contribuable qui n’est pas une entreprise dans le cours normal de laquelle un fonds de terre est détenu principalement pour la revente ou la mise en valeur, ou
Les mots qui ont été supprimés de l’alinéa 18(2)(c) par la suite n’ont aucun rapport avec la présente affaire.