Date : 20040520
Dossier : IMM-3600-04
Référence : 2004 CF 750
Calgary (Alberta), le 20 mai 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE
ENTRE :
MAJED AFFAN
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
LE JUGE O'KEEFE
[1] Il s'agit d'une requête que le demandeur, Majed Affan, a présentée pour obtenir un sursis à son renvoi au Yémen, prévu pour le 21 mai 2004. Il demande qu'un sursis lui soit accordé jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la procédure de demande d'autorisation et de contrôle judiciaire qu'il a engagée contre la décision de l'agent d'examen des risques avant renvoi.
[2] Le demandeur est né en Arabie saoudite, mais il est citoyen du Yémen.
[3] Lorsque le demandeur est venu au Canada pour étudier, il détenait un visa de sortie et de rentrée en Arabie saoudite. Mais en raison de circonstances sur lesquelles il n'avait pas prise, il a été incapable de renouveler ce visa avant son expiration et l'Arabie saoudite a refusé de le renouveler. Le demandeur est dans la situation où il lui est impossible de retourner en Arabie saoudite, même si sa famille y réside encore. Il sera expulsé vers le Yémen.
[4] Vers la fin de 2002, le demandeur a été informé par son père que sa vie serait en danger s'il retournait au Yémen, en raison d'une guerre de clans entre la tribu de sa famille (les AlSofi) et une autre tribu (les Al Houmaida), connue aussi sous le nom de Bni Hameed (ci-après appelée l'autre tribu).
[5] Il appert que cette guerre soit une « vendetta » et que le cousin du demandeur, entre autres, y ait déjà perdu la vie.
[6] On avait confié à la police la tâche de résoudre le problème. Mais au lieu d'agir, la police a demandé aux chefs des deux tribus de trouver eux-mêmes une solution. Ils n'y sont pas parvenus, vu que la tuerie et d'autres violences continuent.
[7] Le père du demandeur a donné de l'argent à sa tribu et l'autre tribu l'a accusé de jouer un rôle important dans la motivation des membres de sa tribu. Il s'en est suivi que l'autre tribu a dit qu'elle se vengerait en tuant le père du demandeur et les autres membres de sa famille immédiate.
[8] Ni le père du demandeur ni aucun autre membre de sa famille immédiate ne sont retournés au Yémen depuis la mort du cousin germain du demandeur.
[9] Le demandeur s'appuie sur les éléments de la preuve documentaire qui affirment que la violence tribale continue à être un problème au Yémen et que le gouvernement semble n'avoir guère les moyens de mettre fin à la tuerie. D'autres éléments de la preuve documentaire affirment que si une tribu est décidée à tuer une personne, il n'y a rien qui puisse être fait pour l'en empêcher au Yémen.
[10] En février 2003, le demandeur a présenté une demande d'examen des risques avant renvoi. En octobre 2003, un agent a conclu que le demandeur n'était pas à risque. Le demandeur a été informé de cette décision le 5 avril 2004.
[11] Le demandeur a engagé une procédure de demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.
La question en litige
[12] La Cour devrait-elle accorder le sursis demandé?
Analyse et décision
[13] Pour obtenir un sursis, le demandeur doit satisfaire aux exigences énoncées dans l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), à la page 305 :
Notre Cour, tout comme d'autres tribunaux d'appel, a adopté le critère relatif à une injonction provisoire et énoncé par la Chambre des lords dans l'arrêt American Cyanamid Co. v. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396 [...] Ainsi que l'a déclaré le juge d'appel Kerans dans l'affaire Black précitée :
Le critère à triples volets énoncé dans Cyanamid exige que, pour qu'une telle ordonnance soit accordée, le requérant prouve premièrement qu'il a soulevé une question sérieuse à trancher; deuxièmement qu'il subirait un préjudice irréparable si l'ordonnance n'était pas accordée; et troisièmement que la balance des inconvénients, compte tenu de la situation globale des deux parties, favorise l'octroi de l'ordonnance.
Le demandeur doit satisfaire à chacun des trois volets du critère.
[14] La question sérieuse
Je suis convaincu que le demandeur a soulevé une question sérieuse à trancher, savoir si l'agent d'examen des risques avant renvoi a commis une erreur en décidant que le demandeur pourrait se prévaloir de la protection de l'État.
[15] Le préjudice irréparable
Le demandeur m'a convaincu, au vu de la preuve présentée, qu'il subirait un préjudice irréparable s'il était renvoyé au Yémen. Dans son affidavit, le demandeur affirme que l'autre tribu a proféré des menaces de se venger en tuant son père et d'autres membres de sa famille immédiate. Le demandeur fait partie de cette famille immédiate et s'il devait être tué par l'autre tribu, cela constituerait un préjudice irréparable.
[16] La prépondérance des inconvénients
Je suis convaincu que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de l'octroi d'un sursis. Le défendeur affirme que la loi le force à exécuter les ordonnances de renvoi aussitôt qu'il lui est possible de le faire. Cependant, je lui ferais remarquer que, dans la présente affaire, l'agent d'examen des risques avant renvoi a rendu sa décision en octobre 2003, mais que le demandeur n'en a été informé qu'en avril 2004. Le défendeur pourra toujours exécuter le renvoi du demandeur s'il n'obtient pas gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire. Il n'y a aucune preuve que le demandeur fait courir un risque au public ou qu'il ne se présentera pas aux autorités s'il n'a pas gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire.
[17] La requête du demandeur pour obtenir un sursis à son renvoi du Canada est accueillie et un sursis lui est accordé jusqu'à ce que la Cour lui refuse l'autorisation d'engager la procédure de contrôle judiciaire ou, si cette autorisation lui est accordée, alors, jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la demande de contrôle judiciaire.
ORDONNANCE
[18] LA COUR SURSOIT à l'exécution de l'ordonnance de renvoi décernée contre le demandeur jusqu'à ce que l'autorisation d'engager la procédure de contrôle judiciaire lui soit refusée ou, si cette autorisation lui est accordée, alors, jusqu'à ce que la Cour ait statué sur la demande de contrôle judiciaire.
« John A. O'Keefe »
Juge
Calgary (Alberta),
le 20 mai 2004
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-3600-04
INTITULÉ DE LA CAUSE : MAJED AFFAN
c.
MCI
LIEU DE L'AUDIENCE : CALGARY (ALBERTA)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 19 MAI 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LE JUGE O'KEEFE
DATE DES MOTIFS : LE 20 MAI 2004
COMPARUTIONS :
Michael Sherritt POUR LE DEMANDEUR
Robert Drummond POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Sherritt Greene
Calgary (Alberta) POUR LE DEMANDEUR
Morris A. Rosenberg
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR