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                                                                                                                              Date : 20010510

                                                                                                                 Dossier : IMM-3694-00

                                                                                              Référence neutre : 2001 CFPI 465

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

KHAN MOHAMMAD TARIQ

                                                                                                                                        demandeur

et

LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                         défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande présentée en vertu du paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, (la Loi) en vue du contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section du statut) a conclu, le 13 avril 2000, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


[2]                 Le demandeur, M. Mohammad Tariq Khan, est un citoyen pakistanais qui a revendiqué le statut de réfugié au Canada en affirmant craindre avec raison d'être persécuté du fait de ses opinions politiques et de son appartenance au Parti du peuple du Pakistan (le PPP). Le PPP est un parti d'opposition, au Pakistan; le demandeur a travaillé pour le PPP pendant une dizaine d'années. Le demandeur allègue qu'entre 1992 et 1998, il a été persécuté par la police et par les membres de la Ligue musulmane (la LM), qui était alors au pouvoir. Le demandeur allègue avoir été attaqué, arrêté, détenu, battu et torturé au cours de la période de dix ans qui a précédé sa fuite au Canada.

[3]                 La Section du statut a conclu que le demandeur n'avait pas raison de craindre d'être persécuté; à cet égard, elle s'est fondée sur la crédibilité du demandeur, sur le fait que la situation au Pakistan avait changé et sur le fait que l'État était en mesure de fournir une protection. La Section du statut a fait les remarques suivantes au sujet de la question de la crédibilité :

J'aborde maintenant la question de la crédibilité. Beaucoup de points qui ont été signalés par l'ACR avaient déjà soulevé dans mon esprit des interrogations, certaines moins graves que d'autres. Le détail qui m'a réellement frappé a été ce qui semblait d'abord être une allégation, dans le formulaire de renseignements personnels (FRP), voulant qu'il ait été détenu pendant une semaine. Dans son témoignage de vive voix, le revendicateur a dit qu'il avait été détenu seulement une journée.

[...]

Pendant la majeure partie de l'audience, j'ai eu du mal à obtenir des réponses, entre autres parce que certaines me semblaient évasives. Également, des réponses multiples n'étaient pas claires.


La Section du statut a ensuite noté que la situation avait changé au Pakistan en disant ce qui suit :

Je dois toutefois me rappeler qu'il lui incombe d'établir que tous les éléments de la définition de réfugié au sens de la Convention sont réunis. Il doit établir la preuve claire et convaincante que, à la prépondérance des probabilités, s'il retournait aujourd'hui au Pakistan, l'État ne pourrait pas le protéger. C'est là que le changement de circonstances devient essentiel.

Cela est difficile à établir car ni lui ni moi ne se trouve là-bas. Il est compréhensible que les personnes qui ont vécu cette situation pensent que les choses n'ont pas changé. Je dois prendre en compte la pièce R-5 et les rapports médiatiques qu'elle contient; j'ai relu attentivement ces articles qui indiquent qu'il pourrait y avoir un certain rapprochement entre les sympathisants de Nawaz (c'est-à-dire la Ligue musulmane qui appuyait Nawaz Sharif) et le parti de Mme Bhutto en vue de tisser un lien, selon un article du 24 janvier, [TRADUCTION] « vers l'instauration d'une campagne commune de retour vers la démocratie » .

Je note que l'article suivant date du lendemain et constitue, en fait, une dénégation et affirme qu'aucune décision n'a encore été prise et que tous les projets sont très fragiles.

À mon sens, la preuve montre clairement que les structures qui existent depuis longtemps ne sont pas susceptibles d'exister encore lorsque le revendicateur retournera au Pakistan.

[...]

La grande question porte sur l'identité des agents de persécution? Est-ce que les partisans de la Ligue musulmane, qui lui ont fait des misères, continueraient de le harceler pour quelque raison? Je conclus par la négative, ni maintenant ni dans l'avenir.

Enfin, en ce qui concerne la question de la protection assurée par la police, la Section du statut dit ce qui suit :

Est-ce que la police le protégerait? La police ne prendrait pas de mesures extraordinaires pour le protéger; toutefois, je crois que le revendicateur a été passablement franc quand il a dit que la police essayerait, ce qui est déjà mieux que ce qu'il pouvait attendre en 1998, quand il a quitté le pays. Nous ne pouvons que demander à la police qu'elle tente de lui assurer la protection de tout citoyen du Pakistan qui éprouve des problèmes.

La définition de réfugié au sens de la Convention soulève deux interrogations. Premièrement, je ne puis conclure, à la prépondérance des probabilités, que les agents de persécution seront là pour le persécuter s'il rentre dans son pays; deuxièmement, je conclus que l'État tenterait effectivement de lui fournir un certain soutien. Je l'ai trouvé franc quand il l'a lui-même avoué au cours de son témoignage.


[4]                 Le demandeur soulève un certain nombre de questions dans le cadre du contrôle judiciaire. Premièrement, le demandeur affirme que la Section du statut a tiré une conclusion déraisonnable en disant qu'il n'était pas tout à fait crédible parce que, dans son affidavit, il avait déclaré que son état physique et émotionnel, au cours de l'audience, influait sur son témoignage. Deuxièmement, le demandeur soutient que la Section du statut a commis une erreur en concluant qu'il n'avait pas raison de craindre d'être persécuté. Le demandeur affirme qu'il doit craindre « avec raison » d'être persécuté ou qu'il doit y avoir une « possibilité raisonnable » [1] de persécution. Il déclare que compte tenu du degré de violence politique, dans la vie quotidienne au Pakistan, il risque davantage, en sa qualité de militant et de membre d'un parti d'opposition, d'être persécuté. Selon le demandeur, le nouveau gouvernement militaire au Pakistan persécute tant les membres du PPP que ceux de la LM. Enfin, le demandeur affirme qu'il ne peut pas compter sur la protection de l'État compte tenu de la situation explosive qui existe au Pakistan sur le plan politique.

[5]                 En ce qui concerne la question de la crédibilité, la présente Cour a statué qu'il faut faire preuve d'une grande retenue à l'égard des conclusions tirées par la Section du statut au sujet de la crédibilité. C'est la Section du statut qui a l'avantage d'observer les témoins directement et qui est la mieux placée pour déterminer la crédibilité. Comme la Cour d'appel fédérale l'a dit dans l'arrêt Aguebor c. Canada (MCI)[2] :


Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la Section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

[6]                 À mon avis, la conclusion que la Section du statut a tirée au sujet de la crédibilité ne peut pas être considérée comme manifestement déraisonnable. La Section du statut a signalé les réponses peu précises que le demandeur avaient données, les incohérences figurant dans le témoignage écrit et dans le témoignage oral et les lettres de soutien fournies par le PPP, dans lesquelles il n'est pas mentionné que le demandeur a été détenu à plusieurs reprises à cause de son appartenance au PPP. L'inférence que la Section du statut a faite à partir de cet élément de preuve, à savoir que le demandeur n'était pas entièrement crédible, n'est pas déraisonnable au point d'attirer l'intervention de la présente Cour.

[7]                 Quant à la question de la possibilité pour l'État de fournir une protection, il incombe au demandeur de présenter une « preuve claire et convaincante » [3] du fait que l'État ne veut pas ou ne peut pas le protéger. La Section du statut a conclu que le demandeur n'avait pas satisfait à cette obligation, en se fondant en partie sur le propre témoignage du demandeur, selon lequel la police tenterait de le protéger. La transcription de l'audience révèle ce qui suit à la page 171 :

[TRADUCTION]

L'AVOCAT :          Si vous vous adressiez à la police au Pakistan aujourd'hui, croyez-vous qu'ils pourraient vous protéger contre les membres de la Ligue musulmane que vous craignez?


L'INTÉRESSÉ :       Comment la police peut-elle me protéger? J'habite dans ma propre maison. Ils peuvent venir chez moi et me tuer et les policiers viendraient ensuite.

M. COOKE :           Cela arrive également au Canada.

L'INTÉRESSÉ :       Mais il faut faire quelque chose pour sauver sa vie.

L'AVOCAT :          Croyez-vous que la police au Pakistan aujourd'hui veut essayer de vous aider?

L'INTÉRESSÉ :       La police aimerait m'aider, mais elle m'aidera uniquement une fois que je serai mort.

La Section du statut a noté, en particulier, que le demandeur avait lui-même avoué que la police aimerait le protéger, mais qu'elle ne pouvait peut-être pas le faire. La Section du statut a également fait remarquer que le groupe que l'intéressé craint, la LM, n'est plus au pouvoir au Pakistan. La Section du statut a conclu, en se fondant sur cet élément de preuve et sur la preuve documentaire, que la police tenterait de protéger le demandeur comme elle le ferait pour tout autre citoyen du Pakistan. À mon avis, cette conclusion est étayée par certains éléments de preuve; elle n'est pas déraisonnable au point d'attirer l'intervention de la présente Cour.


[8]                 Enfin, la Section du statut a conclu que la LM ne persécuterait pas le demandeur s'il retournait au Pakistan. En tirant cette conclusion, la Section du statut a noté certains aspects de la preuve documentaire, y compris les rapports médiatiques, selon lesquels il existait des rumeurs voulant que le PPP et la LM se rapprochent afin de faire campagne pour la démocratie au Pakistan. Le demandeur a nié que pareil rapprochement aurait lieu, mais la Section du statut a retenu les articles des journaux à ce sujet. Encore une fois, je ne puis considérer cette conclusion comme manifestement déraisonnable. L'appréciation de faits de cette nature relève clairement de l'expertise de la Section du statut, qui a fondé la conclusion selon laquelle la LM ne persécuterait pas le demandeur sur la preuve documentaire dont elle disposait. Cette conclusion n'était pas déraisonnable au point d'attirer l'intervention de la Cour.

[9]                 Il n'y a pas de question de portée générale qui doive être certifiée.

[10]            Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

ORDONNANCE

LA PRÉSENTE COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire de la décision que la Section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rendue le 13 avril 2000 est rejetée.

« Edmond P. Blanchard »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad.a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER :                                                         IMM-3694-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                       KHAN MOHAMMAD TARIQ

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 3 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                  Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                                                  le 10 mai 2001

ONT COMPARU

M. Guoba                                                                          POUR LE DEMANDEUR

M. George                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

M. Wuebbolt                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]              Ponniah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1991), 132 N.R. 32.

[2]              (1993), 160 N.R. 315.

[3]            Ward c. le procureur général du Canada, [1993] 2 R.C.S. 689.

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