Date : 20020517
Dossier : T-2212-01
Référence neutre : 2002 CFPI 581
Ottawa (Ontario), le 17 mai 2002
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD
ENTRE :
DORA DUNCAN et JENNIFER DUNCAN
demanderesses
et
LE CONSEIL DE BANDE DE LA PREMIÈRE NATION BEHDZI AHDA,
LA SETTLEMENT CORPORATION OF COLVILLE LAKE,
SHARON TUTCHO, J.B. GULLY,
ROLAND CODZI et SARAH KOCHON
défendeurs
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
a. Au moyen de cette requête, les demanderesses sollicitent la réparation ci-après énoncée :
(1) une injonction interlocutoire empêchant le conseil de bande de la Première nation Behdzi Ahda (le conseil de la bande) de tenir des élections complémentaires le mardi 21 mai 2002;
(2) une injonction interlocutoire empêchant le conseil de la bande de tenir des élections complémentaires afin de combler les postes de chef et de conseiller de la bande jusqu'à ce que soit tranchée la demande de contrôle judiciaire au moyen d'une ordonnance de la Cour;
(3) toute autre réparation que cette cour estime juste; et
(4) les dépens de cette requête sur la base avocat-client.
Les faits
b. Le conseil de la bande a annoncé la tenue d'élections complémentaires afin de combler les postes de chef et de conseiller de la bande, lesquelles doivent avoir lieu le mardi 21 mai 2002. Les élections complémentaires ont été déclenchées parce que les demanderesses avaient été destituées de leurs fonctions en vertu de la résolution 1119011 du conseil de la bande (la résolution).
c. Le 8 août 2001, les demanderesses ont été élues au conseil de la bande. La demanderesse Dora Duncan a été élue chef du conseil de la bande et la demanderesse Jennifer Duncan a été élue conseillère.
d. Le 19 novembre 2001, le conseil de la bande a adopté une résolution en vue de destituer le chef Dora Duncan et la conseillère Jennifer Duncan. La résolution a été adoptée parce que les demanderesses, en leurs qualités respectives, s'étaient censément absentées lors de plus de trois séances de la bande [TRADUCTION] « convoquées de la façon appropriée » comme le prévoit la Loi sur l'établissement de localités, LRTNO 1988, ch. S-9.
e. Les demanderesses allèguent que les conseillers de la bande qui ont assisté à la séance du conseil du 19 novembre 2001 étaient des membres de la famille de l'ancien chef Richard Kochon, qui avait été défait par le chef Duncan le 8 août 2001. Les demanderesses soutiennent que la résolution est nulle puisqu'elles n'ont pas reçu de préavis les informant de la séance qui devait avoir lieu le 19 novembre 2001 et qu'on ne leur a pas fait savoir que la question de leur destitution serait examinée à cette séance. Les demanderesses soutiennent en outre qu'elles ne se sont pas absentées des trois séances consécutives du conseil de la bande [TRADUCTION] « convoquées de la façon appropriée » dont elles avaient été avisées.
f. Le 14 décembre 2001, les demanderesses ont présenté une demande de contrôle judiciaire au sujet de la légalité de la résolution pour le motif que le conseil de la bande ne les avait pas avisées de la façon appropriée du projet de résolution visant à les destituer de leurs fonctions et qu'il ne leur avait pas donné la possibilité de se faire entendre au sujet du bien-fondé de la résolution.
g. Dans leur demande de contrôle judiciaire, les demanderesses soutiennent que le conseil de la bande a violé les règles de justice naturelle, les règles d'équité procédurale, la Loi sur l'établissement de localités et la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.
h. Afin d'avoir gain de cause dans leur requête, les demanderesses doivent établir que la contestation de la résolution soulève une question sérieuse, que la prépondérance des inconvénients favorise l'ajournement des élections et qu'un préjudice irréparable serait subi si les élections complémentaires étaient tenues avant le règlement de la question de la légalité de la résolution les démettant de la charge à laquelle elles avaient été élues.
L'existence d'une question sérieuse
i. À mon avis, la demande soulève une question pertinente sérieuse, à savoir si le conseil de la bande a omis d'aviser les demanderesses de la façon appropriée du projet de résolution et s'il les a empêchées de se faire entendre au sujet du bien-fondé de la résolution visant à les démettre de la charge à laquelle elles avaient été élues.
j. La preuve relative à l'avis est contradictoire. Les demanderesses nient avoir été avisées de certaines séances et soutiennent que, dans le cas de la demanderesse Jennifer Duncan, un numéro de téléphone cellulaire avait été laissé aux bureaux du conseil de la bande et que, malgré tout, cette dernière n'avait pas été avisée des séances du conseil de la bande auxquelles elle n'aurait censément pas assisté. Les demanderesses affirment en outre qu'elles n'ont jamais été informées de la nature du projet de résolution et qu'elles n'ont pas eu la possibilité de se faire entendre au fond.
k. Les défendeurs soutiennent que l'avis des séances du conseil de la bande a été affiché et, dans le cas du chef Dora Duncan, que l'on a communiqué directement avec celle-ci. Les défendeurs soutiennent que même si les demanderesses ont été avisées, le chef Dora Duncan a décidé de ne pas assister aux séances. Ils affirment en outre qu'étant donné qu'un avis a été donné, les demanderesses ont eu la possibilité de présenter leur preuve.
l. De toute évidence, le caractère adéquat de l'avis est une question pertinente qui est soulevée dans le cadre de la demande; la chose a été concédée à l'audience par l'avocat des défendeurs. Compte tenu de la preuve dont je dispose et du but de cette requête, je suis convaincu que la demande de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse.
La prépondérance des inconvénients
m. En appréciant la prépondérance des inconvénients, la Cour doit tenir compte de l'intérêt public qui, en l'espèce, doit être apprécié compte tenu des besoins et de l'intérêt de la Première nation Behdzi Ahda. Ce faisant, je m'inspire de la décision rendue par Monsieur le juge Noël (tel était alors son titre) dans l'affaire Francis c. Conseil mohawk d'Akwesasne, [1993] A.C.F. no 369, en direct : QL. Les faits de cette affaire-là étaient à peu près semblables à ceux de l'affaire dont je suis ici saisi. La Cour était saisie d'une requête visant l'obtention d'une ordonnance provisoire interdisant au Conseil mohawk d'Akwesasne de tenir des élections. La demande sous-jacente visait la contestation de la décision qu'avait prise le conseil de tenir les élections complémentaires.
n. Dans l'affaire Francis, la Cour a accueilli la requête et a interdit la tenue des élections tant que leur légalité n'était pas confirmée. Dans sa décision, le juge Noël a expliqué pourquoi il était important selon lui de maintenir le statu quo; voici ce qu'il a dit à la page 3 de ses motifs :
[...] Le Conseil à qui incombe la responsabilité de gouverner cette collectivité se trouve déjà dans une situation incertaine et quelque peu choatique, situation qu'il faut, à mon avis, éviter d'exacerber.
Selon l'intimé, accorder une ordonnance provisoire interdisant la tenue d'élections complémentaires jusqu'à ce que soit tranchée la question de leur légalité équivaudrait à suspendre temporairement la tenue d'élections validement déclenchées. Par contre, si j'accorde l'ordonnance provisoire, je maintiendrai le statu quo jusqu'à ce que la question de la légalité des élections complémentaires soit réglée. Bien que la situation actuelle n'ait rien d'enviable, je pense que si une élection est tenue et qu'elle est par la suite déclarée invalide, il en résultera une situation infiniment plus désastreuse.
Advenant l'annulation d'élections, par ailleurs valides et démocratiquement tenues, en raison de l'absence d'un texte en autorisant régulièrement la tenue, les perturbations au sein de la communauté d'Akwesasne risquent d'être très importantes. Les personnes élues conformément au désir perçu de la population seraient forcées d'abandonner leur siège au Conseil au profit de membres qui ne jouissent plus de la confiance de la communauté. Un tel résultat ne ferait qu'envenimer une situation déjà difficile.
Par contre, interdire la tenue des élections jusqu'à ce que leur légalité soit confirmée empêchera le règlement immédiat de l'impasse, sans toutefois verser plus d'huile sur le feu.
o. Je crois que le raisonnement que le juge Noël a fait dans la décision Francis, précitée, s'applique en l'espèce. Je suis convaincu que si l'on permettait la tenue d'élections complémentaires, cela entraînerait une situation beaucoup moins enviable que dans le cas où l'on reporterait pareilles élections jusqu'à ce que soit tranchée la question de la légalité de la résolution.
p. Si les élections complémentaires étaient tenues comme elles doivent l'être le mardi 21 mai 2002, et si les demanderesses avaient gain de cause dans la demande de contrôle judiciaire de la légalité de la résolution, la communauté ferait face à une situation dans laquelle des personnes élues par suite de ces élections complémentaires, jouissant de la confiance du peuple, seraient contraintes à abandonner leur siège au conseil en faveur des demanderesses. À mon avis, une telle situation serait beaucoup moins enviable que ne le serait le statu quo et ne ferait qu'exacerber une situation déjà difficile. Le statu quo permettrait de trancher la question de la légalité de la résolution et de déclencher des élections au besoin. La communauté n'aurait pas à faire face à la possibilité que des personnes dûment élues aient à quitter leur poste. Je suis d'avis que l'intérêt public et l'intérêt de la Première nation Behdzi Ahda seraient mieux servis si les élections complémentaires étaient ajournées. La prépondérance des inconvénients favorise donc cette solution.
L'existence d'un préjudice irréparable
q. Étant donné les questions qui se posent en l'espèce, je suis convaincu que les considérations pertinentes sous-tendant l'appréciation de la prépondérance des inconvénients s'appliquent également à la question du préjudice irréparable.
r. Eu égard aux faits de la présente affaire, je suis convaincu que les demanderesses et la Première nation Behdzi Ahda subiraient un préjudice irréparable si l'injonction interlocutoire n'était pas accordée. Le fait que le système d'administration et les dirigeants de la bande risquent de perdre la confiance des membres ne peut pas être autrement compensé. Je suis d'avis qu'il s'agit d'un risque réel si les élections complémentaires sont tenues et si les personnes élues doivent par la suite quitter leur poste parce que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les attentes de la communauté, en ce qui concerne la confirmation du résultat d'élections par ailleurs valides et démocratiquement tenues, seraient à mon avis compromises.
s. Pour les motifs susmentionnés, la requête sera accueillie.
ORDONNANCE
CETTE COUR ACCORDE :
1. Une injonction interlocutoire empêchant le conseil de bande de la Première nation Behdzi Ahda de tenir des élections complémentaires le mardi 21 mai 2002;
2. Une injonction interlocutoire empêchant le conseil de la bande de tenir des élections complémentaires afin de combler les postes de chef et de conseiller de la bande jusqu'à ce que soit tranchée la demande de contrôle judiciaire au moyen d'une ordonnance de la Cour;
3. Les dépens de cette requête sont adjugés aux demanderesses.
« Edmond P. Blanchard »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2212-01
INTITULÉ : Dora Duncan et Jennifer Duncan
demanderesses
et
Le Conseil de bande de la Première nation Behdzi Ahda, la Settlement Corporation of Colville Lake, Sharon Tutcho J.B. Gully, Roland Codzi et Sarah Kochon
défendeurs
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 17 mai 2002 par téléconférence
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Monsieur le juge Blanchard
DATE DES MOTIFS : le 17 mai 2002
COMPARUTIONS :
M. Craig S. Haynes POUR LES DEMANDERESSES
M. Jack Williams POUR LES DÉFENDEURS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Gullberg Wiest Macpherson & Kay POUR LES DEMANDERESSES
C.P. 818, 4908 -- 49e Rue
Yellowknife (T.N.-O.) X1A 2N6
Field Atkinson Perraton POUR LES DÉFENDEURS
Bureau 203 Scotia Centre
203 -- 5102, avenue Franklin
Yellowknife (T.N.-O.) X1A 3S8