Date : 20030214
Dossier : IMM-824-02
Référence neutre : 2003 CFPI 170
Ottawa (Ontario), le 14 février 2003
PRÉSENTE : MADAME LA JUGE SNIDER
ENTRE :
CARLOS MANUEL MALICIA
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision rendue par l'agente de Citoyenneté et Immigration (l'agente d'immigration) le 6 février 2002 et transmise au demandeur autour du 8 février 2002. Dans le cadre de cette décision, l'agente d'immigration a conclu que les raisons d'ordre humanitaire étaient insuffisantes pour justifier que le traitement de la demande de résidence permanente de M. Carlos Manual Malicia (le demandeur) se fasse à partir du Canada.
Les faits
[2] Le demandeur a immigré au Canada avec sa famille en avril 1975 et il s'est alors vu accorder le statut de résident permanent. En raison de l'activité criminelle considérable qu'il a menée pendant longtemps et parce qu'il a omis de se présenter à une enquête en février 1992, une ordonnance d'expulsion a été rendue à son endroit le 7 juin 1994.
[3] Le demandeur a fait une demande de prise en considération de raisons d'ordre humanitaire aux termes du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, qui stipule que le ministre peut, pour des raisons d'ordre humanitaire, accorder une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou faciliter l'admission de toute autre manière. Plus particulièrement, le demandeur a demandé à être exempté de l'application du paragraphe 9(1), lequel exige que les immigrants demandent et obtiennent un visa avant de venir au Canada.
[4] L'agente d'immigration a décidé de ne pas accorder une exemption de l'application du paragraphe 9(1).
La décision de l'agente d'immigration
[5] Pour arriver à sa décision, l'agente d'immigration disposait d'une quantité considérable de documents, y compris de nombreuses lettres de membres de la famille et d'amis du demandeur, ainsi que du rapport d'un psychologue.
[6] Dans une lettre du 27 novembre 2001, l'agente d'immigration a demandé à M. Malicia de fournir des renseignements supplémentaires, y compris une lettre des Alcooliques Anonymes et des Narcotiques Anonymes, pour corroborer sa déclaration. Dans sa lettre, l'agente d'immigration lui a également posé la question suivante :
[traduction]
À part le fait que vous n'avez pas fait l'objet de déclarations de culpabilité depuis 1997, comment pouvez-vous prouver autrement que vous êtes réhabilité?
De plus, l'agente d'immigration a demandé au demandeur s'il avait fait l'objet d'autres chefs d'accusation ou d'autres arrestations depuis 1997.
[7] Des renseignements qui répondaient au moins en partie à cette demande ont été adressés à l'agente d'immigration. Sans qu'il y ait faute de la part du défendeur, l'information ne s'est pas rendue à destination. L'agente d'immigration a donc pris sa décision en se basant sur l'information dont elle disposait.
[8] L'agente d'immigration a décidé que les raisons d'ordre humanitaire ne suffisaient pas pour justifier une exemption de l'application des exigences du paragraphe 9(1).
[9] L'agente d'immigration a fait remarquer que le demandeur avait passé la plus grande partie de sa vie au Canada avec toute sa famille, qu'il n'avait pas de famille au Portugal et que quitter sa famille ne serait pas facile, ni pour lui, ni pour sa famille. Elle estime cependant [traduction] « qu'elle n'est pas convaincue qu'il s'agit de difficultés indues et excessives » .
[10] Elle conclut que :
[traduction]
Le demandeur a un dossier d'arrestation qui remonte à 1983. Il a été inculpé de plus de 45 infractions et a été déclaré coupable 21 fois. Compte tenu de l'ampleur de ses antécédents criminels, je ne suis pas convaincue que le fait « qu'aucune déclaration de culpabilité n'ait été prononcée contre lui » depuis 1997 indique nécessairement qu'il soit réhabilité, et je ne suis pas convaincue non plus que le passage du temps soit synonyme de réhabilitation.
[11] Elle a finalement pris la décision suivante :
[traduction]
J'ai examiné soigneusement l'impact que la présente décision aura sur le demandeur et sur sa famille. J'ai lu leurs lettres d'appui et leurs supplications m'exhortant à accorder une deuxième chance au demandeur. Je peux comprendre la détresse que sa famille ressent à l'idée qu'il pourrait retourner au Portugal. Nul doute que ces personnes seraient déçues s'il était éventuellement renvoyé au Portugal. Il est vrai qu'il y a des raisons d'ordre humanitaire impérieuses, mais je ne suis pas convaincue qu'elles suffisent à compenser pour les facteurs négatifs en l'espèce. Le demandeur a fait des déclarations sur sa situation personnelle et sur sa réhabilitation, mais il n'a pas fourni de preuves suffisantes pour appuyer ses allégations.
Argumentation
(a) Observations du demandeur
[12] Dans ses observations écrites, le demandeur s'est interrogé à savoir si l'agente d'immigration aurait dû tenir compte de l'information qu'il lui a envoyée mais qu'elle n'a pas reçue; cependant, dans ses observations orales, le demandeur a donné à entendre qu'il n'insisterait pas sur cette question.
[13] Le demandeur a fait valoir que l'agente d'immigration disposait de preuves convaincantes selon lesquelles il était réhabilité, notamment les lettres fournies par sa famille et ses amis. Il était également question de réhabilitation dans le rapport du psychologue. Les preuves péremptoires comprennaient également le fait que le demandeur n'avait commis aucune infraction criminelle depuis plus de quatre ans.
[14] Dans ses motifs, l'agente d'immigration a omis d'expliquer pourquoi elle a conclu que les « raisons d'ordre humanitaire impérieuses [...] [ne] suffisent [pas] à compenser pour les facteurs négatifs » .
(b) Les observations du défendeur
[15] Le défendeur a fait valoir que la décision de l'agente d'immigration n'est pas déraisonnable et qu'elle n'a pas erré, mais que le demandeur demande seulement que la Cour réévalue les éléments de preuve. Il incombe au demandeur de convaincre l'agente d'immigration que des raisons d'ordre humanitaire justifient une recommandation favorable. Le demandeur doit soumettre à l'agente d'immigration un dossier complet, avec tous les éléments de preuve à l'appui. Si le demandeur omet de le faire, cela n'engendre pas une erreur.
[16] L'agente d'immigration n'est pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve dont elle s'est servie pour rendre ses motifs. Il appert que le contenu du dossier va à l'encontre des observations du demandeur voulant que l'agente d'immigration n'ait pas tenu compte de la question de la réhabilitation. Elle a demandé que des éléments de preuve supplémentaires lui soient fournis et elle ne les a pas reçus.
[17] Selon les observations écrites du défendeur, l'agente d'immigration a mentionné tous les facteurs qui penchaient en faveur des raisons d'ordre humanitaire dans la présente affaire. Elle a soupesé ces facteurs et les lourds antécédents criminels du demandeur et a conclu que les raisons d'ordre humanitaire ne suffisaient pas à justifier une exemption.
Analyse
[18] Pour les motifs suivants, je suis d'avis que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie.
[19] La question en l'espèce est liée à l'opinion de l'agente d'immigration sur le degré de réhabilitation. Il est clair, d'après sa décision, qu'elle n'entretenait aucun doute quant aux [traduction] « raisons d'ordre humanitaire impérieuses » qui jouent en faveur du demandeur. Dans sa décision, elle déclare ce qui suit :
[traduction]
[...] [J]e ne suis pas convaincue qu'elles suffisent à compenser pour les facteurs négatifs en l'espèce. Le demandeur a fait des déclarations sur sa situation personnelle et sur sa réhabilitation, mais il n'a pas fourni de preuves suffisantes pour appuyer ses allégations.
Donc, la question de la réhabilitation était déterminante dans l'esprit de l'agente d'immigration.
[20] Pour ce qui est de la réhabilitation, même sans l'information sollicitée par l'agente d'immigration, les éléments de preuve devant elle étaient considérables. Les lettres de parents et d'amis, en plus d'être des « lettres d'appui [et de] supplications [l]'exhortant à accorder une deuxième chance au demandeur » , en disent long sur ce qu'ils pensent du degré de réhabilitation du demandeur. Une de ces lettres provenait d'une personne rencontrée dans le cadre d'Alcooliques Anonymes. Le rapport du psychologue fait également référence à la réhabilitation du demandeur. Nulle part dans sa décision, l'agente d'immigration n'a mentionné cet important élément de preuve.
[21] Dans sa décision, la seule référence aux éléments de preuve de la réhabilitation dont elle était saisie est la déclaration suivante : [traduction] « [...] de plus, sauf le fait qu'il n'a pas fait l'objet de déclaration de culpabilité depuis 1997, il n'a pas suffisamment prouvé qu'il s'était réhabilité » . À première vue, cette déclaration prouve que l'agente d'immigration a omis de prendre en considération tout autre élément de preuve ayant trait à la question de la réhabilitation. Elle aurait pu faire référence aux diverses affirmations relatives à la réhabilitation du demandeur que contenaient les lettres et le rapport du psychologue, puis les écarter. Ce n'est pas ce qu'elle a fait.
[22] J'estime que l'agent d'immigration se doit de faire plus qu'une simple affirmation qu'il a examiné tous les éléments de preuve, quand ceux-ci renferment de l'information portant sur une question déterminante pour l'issue de la demande. À cet égard, j'invoque diverses décisions de la Cour (voir, par exemple, Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 332 (1re inst.) (QL); Tse c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 633 (1re inst.)).
[23] Il ne s'agit pas seulement de la mesure dans laquelle l'agente d'immigration a accordé de l'importance à la réhabilitation. Le fait est que l'agente d'immigration a omis de tenir compte de la preuve dont elle était saisie. À mon avis, il s'agit d'une erreur susceptible de révision.
[24] Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE QUE la présente demande soit accueillie. L'espèce ne soulève aucune question grave de portée générale.
« Judith A. Snider »
JUGE
Traduction certifiée conforme
Josette Noreau, B.Tra.
COUR FÉDÉ RALE
DE PREMIÈRE INSTANCE
Avocats inscrits au dossier
DOSSIER : IMM-824-02
INTITULÉ : CARLOS MANUEL MALICIA
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
DATE : LE JEUDI 6 FÉVRIER 2003
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : MADAME LA JUGE SNIDER
DATE : LE VENDREDI 14 FÉVRIER 2003
ONT COMPARU: M. Lorne Waldman
pour le demandeur
M. John Loncar
pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lorne Waldman
Avocat
281, avenue Eglinton Est
Toronto (Ontario)
M49 1L3
pour le demandeur
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
pour le défendeur
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20030214
Dossier : IMM-824-02
ENTRE :
CARLOS MANUEL MALICIA
demandeur
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE