Dossier : IMM-5647-03
Référence : 2003 CF 953
Winnipeg (Manitoba), le 6 août 2003
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER
ENTRE :
JAIRO GUERRERO BUCHTING
demandeur
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] M. Jairo Guerrero Buchting (le demandeur), un citoyen du Nicaragua, a présenté une requête en sursis d'exécution de son renvoi du Canada vers les États-Unis. La demande sous-jacente dans cette affaire est une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision en date du 11 juillet 2003 de l'agent chargé du renvoi, Robert Fontaine, de ne pas reporter le renvoi du demandeur. En février 2003, le renvoi du demandeur avait été reporté afin de lui donner le temps de présenter sa demande de résidence permanente en tant que membre de la famille d'une personne protégée. Cette demande a été déposée en mai 2003. Le 11 juillet 2003, le demandeur a été informé que sa mesure d'expulsion devait être exécutée immédiatement. Le motif avancé était qu'une enquête sur la participation du demandeur à des crimes contre l'humanité serait requise pour sa demande de résidence permanente. Cette enquête prendrait au moins un à trois ans. Pour l'examen de la présente requête en sursis d'exécution, j'ai appliqué le critère en trois volets énoncé dans Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. no 587 (C.A.) (QL).
Question sérieuse
[2] Le demandeur soutient que sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision soulève les questions suivantes :
1. L'agent avait-il l'obligation de tenir compte de l'intérêt supérieur de l'enfant Jairo?
2. Le demandeur était-il tenu de présenter une demande de report vu que la décision du 11 juillet était une annulation d'une décision antérieure, rendue en février, de reporter le renvoi?
3. Les motifs du renvoi _ selon lesquels l'enquête concernant le demandeur, sur les crimes contre l'humanité, prendrait plus de temps que prévu _ étaient-ils abusifs?
4. La doctrine de l'attente légitime s'applique-t-elle dans la présente situation de façon à empêcher une annulation de la décision de février de reporter le renvoi?
[3] Dans l'examen d'une requête en sursis d'exécution de la décision d'un agent chargé du renvoi, la Cour devrait examiner non seulement la question de savoir si une question sérieuse est soulevée, mais aussi le fond de la demande et la vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie (Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682).
[4] Dans la présente affaire, je ne suis pas convaincue, pour les raisons suivantes, de la vraisemblance que la demande sous-jacente soit accueillie :
1. L'agent chargé du renvoi n'était pas tenu de prendre en considération l'intérêt supérieur de l'enfant dans la présente affaire. Son pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi est restreint. L'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, ne s'applique pas à mon avis, au pouvoir discrétionnaire de l'agent chargé du renvoi, en particulier lorsque l'agent ne dispose d'aucune preuve manifeste quant aux conséquences du renvoi sur l'enfant (Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 936 (1re inst.) (QL); John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 420, [2003] A.C.F. 583 (QL)). En l'espèce, même si je présume qu'aucune demande précise n'était requise, l'agent ne disposait d'aucune autre preuve que celle de l'existence d'un enfant et d'une famille.
2. La décision de ne pas reporter le renvoi n'était pas abusive. Dans les circonstances, il était raisonnablement loisible à l'agent chargé du renvoi de décider qu'il ne devrait pas y avoir d'autre report.
3. En ce qui concerne la doctrine de l'attente légitime, une personne qui s'appuie sur cette doctrine doit à mon avis démontrer qu'elle a agi à son désavantage en se fondant sur les observations. Il n'y a aucune preuve en ce sens. Par ailleurs, je doute que la doctrine s'applique à la présente situation de toute façon.
[5] En conséquence, le demandeur n'a pas satisfait au premier volet du critère. Vu que le critère est conjonctif, cela est fatal à la demande.
Préjudice irréparable
[6] Toutefois, même si une question sérieuse avait été soulevée, je ne suis pas convaincue que le demandeur a prouvé un préjudice irréparable supérieur à celui qui est inhérent à la notion d'expulsion. La séparation des membres d'une famille est pénible mais elle ne constitue pas un préjudice irréparable à moins qu'il n'y ait quelque chose qui soit plus grave que les problèmes habituels.
[7] Compte tenu de ces faits, je conclus que l'analyse faite dans Ryan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1413, [2001] A.C.F. no 1939 (QL), est plus directement applicable que celle faite dans Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 403 (1re inst.) (QL). Je ne conclus pas que le renvoi résulterait en une perte du bénéfice de la demande de contrôle judiciaire; la demande peut continuer malgré le renvoi.
[8] En ce qui a trait au délai qui peut être requis pour l'examen de la demande de résidence permanente du demandeur, je constate que le délai est, en partie, attribuable au demandeur lui-même. Il aurait pu présenter une demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire plus tôt qu'il ne l'a fait.
[9] Finalement, je remarque une absence de preuve quant à savoir si l'enfant ou la famille pourraient accompagner le demandeur, ce qui permettrait ainsi à la famille de demeurer ensemble.
Prépondérance des inconvénients
[10] Dans ces circonstances spéciales, je suis d'avis que la prépondérance des inconvénients est favorable au défendeur. Le demandeur a, dans le passé, fait l'objet d'un mandat d'arrestation lorsqu'il ne s'est pas présenté pour son renvoi en mai 2000. Il fait également l'objet d'une enquête pour des allégations de violations des droits de la personne. Je constate également que le demandeur n'a fait aucune tentative pour régulariser son statut au Canada entre l'année 2000 et le 8 mai 2003 lorsqu'il a finalement présenté au Canada sa demande de droit d'établissement. L'examen de la demande sous-jacente continuera malgré le renvoi du demandeur. Tous ces éléments sont défavorables au demandeur.
[11] D'autre part, le public a intérêt à l'exécution de cette mesure exécutoire qui était pendante depuis mai 2000. Des mécanismes efficaces d'exécution et le règlement final des mesures d'exécution sont dans l'intérêt supérieur des Canadiens. Autoriser un sursis d'exécution dans ces circonstances spéciales, c'est introduire un niveau inacceptable de confusion et d'incertitude dans les renvois ordonnés en application de l'article 48 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Ainsi, la prépondérance des inconvénients est favorable au défendeur.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée.
_ Judith A. Snider _
Juge
Traduction certifiée conforme
Jean Maurice Djossou, LL.D.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5647-03
INTITULÉ : Jairo Guerrero Buchting
c.
Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Winnipeg (Manitoba)
DATE DE L'AUDIENCE : le 5 août 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : la juge Snider
DATE DES MOTIFS : le 6 août 2003
COMPARUTIONS :
David Matas pour le demandeur
Nalini Reddy pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Matas pour le demandeur
Avocat
225, rue Vaughan, bureau 602
Winnipeg (Manitoba) R3C 1T7
Ministère de la Justice pour le défendeur
310 Broadway, bureau 301
Winnipeg (Manitoba) R3C 0S6