Date : 19981204
Dossier : IMM-4869-97
Entre :
INTHIRANY PATHMANATHAN,
demanderesse,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE NADON
[1] La demanderesse demande que soit infirmée la décision de la section du statut de réfugié au sens de la Convention (section du statut) en date du 24 octobre 1997, dans laquelle il a été décidé qu'elle n'était pas une réfugiée au sens de la Convention.
[2] Voici les faits pertinents allégués par la demanderesse : il s'agit d'une Tamoule de 53 ans originaire de la province de Jaffna (Sri Lanka) qui a souffert de la poliomyélite. En janvier 1992, des bombardements ont détruit sa maison. En août 1992, son mari et elle-même ont fui leur ville qui était attaquée par l'armée. Ils se sont installés dans une autre ville dans la région de Jaffna où les forces armées se livraient à de constants bombardements. En avril 1996, la demanderesse a dû s'enfuir dans une autre ville pour échapper à une attaque des forces armées. À cette époque, son mari avait disparu, probablement arrêté par l'armée, et depuis ce temps elle ne sait pas où il se trouve. Sa santé s'étant détériorée, elle a été admise dans un hôpital relevant du contrôle du gouvernement où un ami lui a dit que les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE) voulaient l'arrêter parce qu'ils soupçonnaient que son mari avait donné des informations à l'armée au sujet des LTTE. Un ami l'a aidée à se rendre illégalement à Colombo et ensuite à quitter le pays. La demanderesse déclare qu'elle n'aurait pas pu résider à Colombo parce qu'elle craint les abus de la police sri lankaise, du fait qu'elle est Tamoule, et parce qu'elle croit qu'on ne lui aurait pas permis de se réinstaller à Colombo.
[3] La première question soulevée par la demanderesse est de savoir si la section du statut a commis une erreur en concluant qu'elle serait en sécurité à Colombo, en raison de son âge. Les parties pertinentes de la décision de la section du statut sont les suivantes :
[TRADUCTION] |
Les autorités cinghalaises ont mis en place certaines mesures de sécurité en réponse aux bombardements et aux assassinats terroristes à Colombo, qui sont l'oeuvre des LTTE, afin de protéger la population en général. Ainsi, des contrôles et des descentes sont effectués par l'État pour maintenir la sécurité et le contrôle dans un État déchiré par les conflits civils. |
La demanderesse a quitté Vavuniya pour Colombo sans que les autorités lui fassent de difficulté. Elle n'a eu aucun contact avec les autorités pendant son bref séjour de trois jours à Colombo avant son départ du Sri Lanka le 21 juin 1996. |
La formation est consciente que la reconnaissance du statut de réfugié vaut pour l'avenir. Si la demanderesse devait retourner au Sri Lanka, il est probable qu'elle serait questionnée au point d'entrée quant à son identité et à ses antécédents. Elle n'a pas de photocopie de sa carte d'identité (NIC) ni de son certificat de mariage pour établir son identité, et la preuve documentaire indique que les Sri Lankais qui vivent à l'étranger, y compris les revendicateurs du statut de réfugié, peuvent obtenir des passeports sri lankais valides en s'adressant à la mission cinghalaise dans le pays hôte. |
Il est important de noter que le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCNUR) est d'avis que certaines personnes peuvent retourner au Sri Lanka de façon tout à fait sécuritaire si, après un examen équitable, on conclut qu'il n'est pas justifié de leur accorder l'asile. Le HCNUR a de plus supprimé la mise en garde qu'il avait faite il y a deux ans selon laquelle les demandeurs d'asile ne devaient être renvoyés au Sri Lanka que s'ils avaient des parents ou des amis établis en permanence à Colombo. La formation estime que la position du HCNUR à cet égard a une grande valeur persuasive. |
En outre, la demanderesse n'est pas un " jeune homme ou une jeune femme tamoule " qui semblent être les cibles des vérifications d'identité effectuées par la police. Par conséquent, la formation ne croit pas que la demanderesse a des motifs raisonnables de craindre d'être persécutée si elle retournait à Colombo. |
La formation s'est aussi demandée si la demanderesse pouvait raisonnablement vivre à Colombo. En se guidant sur la décision Thirunavukkarasu, la formation ne croit pas que l'absence de parents ou d'amis à Colombo soit un obstacle à son retour dans cette région, étant donné que, comme il ressort très clairement de cette décision, " il ne leur suffit pas de dire [...] qu'ils [les demandeurs de statut] n'ont ni amis ni parents ou qu'ils risquent de ne pas y trouver du travail qui leur convient ". S'il est objectivement raisonnable dans ces derniers cas de vivre dans une telle partie du pays sans craindre d'être persécuté, alors la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays existe et le demandeur de statut n'est pas un réfugié. |
[...]
La preuve documentaire démontre qu'il y a une importante communauté tamoule à Colombo (plus de 350 000 personnes, dont approximativement 150 000 sont des réfugiés du Nord), les services sociaux et de santé sont disponibles, et il y a également des journaux publiés et des émissions de radio et de télévision diffusées en langue tamoule. La demanderesse sera donc en mesure de chercher de l'aide auprès de cette communauté tamoule particulière. Il ne semble pas qu'il soit nécessaire de connaître le cinghalais pour vivre à Colombo. |
Par conséquent, la formation conclut qu'il ne serait pas indûment difficile pour la demanderesse de chercher refuge à Colombo. La formation conclut donc que Colombo constitue une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays pour la demanderesse. " |
[4] La section du statut était saisie d'éléments de preuve suffisants pour appuyer sa conclusion selon laquelle la demanderesse serait en sécurité à Colombo. La preuve documentaire1 indique que le gouvernement du Sri Lanka a indiqué clairement qu'il est en guerre contre les LTTE et non pas contre les Tamouls. La preuve documentaire indique également que les personnes qui risquent d'être harcelées à Colombo sont principalement de jeunes hommes Tamouls soupçonnés d'entretenir des liens avec les LTTE.
[5] La section du statut s'est également appuyée sur le fait que le HCNUR a supprimé la mise en garde indiquant que les demandeurs d'asile ne devaient être retournés à Colombo que s'ils y avaient des parents ou des amis établis en permanence. Cette preuve, et non l'âge seulement de la demanderesse, explique la conclusion à laquelle est parvenue la section du statut.
[6] La demanderesse prétend de plus que la section du statut a commis une erreur en concluant qu'elle pourrait se réétablir à Colombo. La section du statut s'est appuyée sur le rapport de 1996 du Haut-commissariat canadien et sur le rapport du HCNUR en date du 9 septembre 1996. Le HCNUR indique ceci dans une " mise à jour des renseignements sur le Sri Lanka " :
[TRADUCTION] |
" [Les Tamouls de Jaffna qui se trouvent à Colombo] n'éprouvent habituellement pas de problèmes majeurs une fois qu'ils ont obtenu l'autorisation de se rendre à Colombo, étant donné que les vérifications de sécurité ont été faites auparavant et qu'ils ont un laisser-passer indiquant qu'ils ont l'autorisation de se rendre à Colombo [...] et il a également été confirmé que, particulièrement à Colombo, le traitement des détenus reste adéquat et que la police et les organes de sécurité ne pratiquent pas la torture ni d'autres formes de mauvais traitements. " |
[7] La demanderesse soutient que la section du statut était saisie d'une preuve qui contredit la " mise à jour des renseignements du Sri Lanka " du 9 septembre 1996. Plus précisément, la demanderesse fait référence au rapport du HCNUR en date de mars 1997. Ce rapport indique en partie ce qui suit :
[TRADUCTION] |
" Compte tenu de la poursuite des hostilités dans le Nord et l'Est du Sri Lanka, la question des régions sécuritaires ou des possibilités de refuge à l'intérieur du même pays pour les Sri Lankais qui ont été déplacés continue de préoccuper les gouvernements et les organismes internationaux et locaux de protection des droits de la personne et des réfugiés (HCNUR , 26 mai 1994). Selon les rapports sur la situation relative aux droits de la personne dans le pays et la jurisprudence internationale qui a été élaborée à ce sujet, il peut être difficile de trouver une possibilité de refuge ailleurs dans le même pays et, dans de nombreux cas, cela peut être impossible dans le contexte de la situation qui règne au Sri Lanka, particulièrement pour des réfugiés seuls ou de petites familles (la catégorie de réfugiés et de demandeurs d'asile la plus fréquente en Europe) (The British Refugee Council, février 1997). La jurisprudence a également établi qu'une possibilité de refuge à l'intérieur du même pays n'existe pas si une personne est tenue de vivre dans un camp de réfugiés (Goodwin-Gill, 1996, 74). |
Compte tenu des récents débats politiques aux Pays-Bas concernant le traitement des demandes d'asile déposées par les ressortissants du Sri Lanka, le HCNUR souligne que les demandes d'asile doivent être jugées individuellement d'après leur bien-fondé, en tenant compte des circonstances particulières entourant chaque demande (19 mars 1997). Bien que le HCNUR apprécie toutes les initiatives qui ont pour but d'améliorer la situation des droits de la personne au Sri Lanka, l'organisme considère que la sécurité dans le Nord-est du pays est toujours précaire, en raison du maintien des conflits armés. Un demandeur d'asile provenant du Sri Lanka peut donc craindre avec raison d'être persécuté et avoir besoin de la protection internationale [...] ". |
[8] Le fait que la section du statut n'a pas fait mention expresse de ce rapport ne signifie pas, à mon avis, qu'elle n'en a pas tenu compte. La section du statut était saisie du rapport du HCNUR de mars 1997, du rapport du HCNUR du 9 septembre 1996 et du rapport de 1996 du Haut-commissariat canadien. En s'appuyant sur cette preuve, la section du statut a conclu que la demanderesse pouvait se réétablir à Colombo. À mon avis, cette conclusion n'est ni arbitraire ni déraisonnable.
[9] La demanderesse cherche également à faire déterminer si la section du statut a commis une erreur en concluant qu'elle ne savait pas si son mari avait été arrêté par l'armée. Dans son affidavit, la demanderesse indique ce qui suit :
[TRADUCTION] |
Mon mari n'était pas à la maison de mes amis quand l'armée s'est installée à Chavakachcheri et j'ai cru qu'il avait dû être arrêté par l'armée parce que j'ai appris par d'autres voisins qui se sont également rendus à Kilinochchi que mon mari avait été arrêté par l'armée et que certaines personnes en avaient été témoins. Pendant que nous nous trouvions à Kilinochchi, mes amis et moi avons pris plusieurs mesures pour retrouver mon mari, mais malheureusement je n'ai pas réussi à savoir où il était. " |
La section du statut a caractérisé ces mêmes faits dans sa décision dans les termes suivants :
[TRADUCTION] |
" [La demanderesse] a découvert que son mari avait été arrêté. À ce jour, elle ne sait pas où il se trouve. [...] Elle croit que son mari a été arrêté par l'armée. Il n'y a pas de preuve concrète pour établir ce fait. En fait, la demanderesse ne sait pas avec certitude ce qui est arrivé à son mari. " |
Il ressort clairement des passages précités que la section du statut n'a pas mal caractérisé la connaissance qu'avait la demanderesse concernant la situation de son mari.
[10] La dernière question soulevée par la demanderesse est de savoir si certaines observations faites par la section du statut dans sa décision soulèvent une crainte raisonnable de partialité contre elle. Aux pages 6 et 7 de sa décision, la section du statut déclare ceci :
[TRADUCTION] |
" La demanderesse a fréquenté l'école pendant 10 ans et elle n'a pas d'expérience de travail. Elle a de la difficulté à se déplacer à cause des séquelles de la poliomyélite. Toutefois, il y a de nombreux emplois sédentaires que cette personne intelligente et instruite pourrait occuper. |
La formation s'est laissée guider par les observations suivantes du juge Muldoon : |
Maintenant, il n'est certainement pas pertinent sur le plan juridique de penser que, si elle doit avoir recours à la sécurité sociale parce qu'elle ne peut se trouver un emploi, elle pourrait tout aussi bien le faire dans son propre pays plutôt qu'au Canada. Il semble que ses possibilités d'emploi ne soient pas meilleures au Canada qu'au Sri Lanka ; en fait, au Canada, à cause de l'évolution technologique de la société, elle aurait de moins bonnes possibilités d'emploi qu'au Sri Lanka où elle a fait ses études. Donc, même si cela ne semble pas pertinent sur le plan juridique, c'est ce que le bon sens nous dicte et il n'est pas inconcevable de penser de cette façon. Si elle doit avoir recours à la sécurité sociale elle peut aussi bien le faire dans son propre pays que dans notre pays. " |
À mon avis, les observations faites par la section du statut ne soulèvent pas de crainte raisonnable de partialité. En outre, je ne vois pas comment la demanderesse peut laisser entendre que la section du statut a fait de la discrimination contre elle à cause de son handicap. La section du statut a fait ses observations en cherchant à déterminer si la demanderesse pouvait raisonnablement vivre à Colombo. À mon avis, il est clair que la revendication de la demanderesse n'a pas été refusée parce qu'elle était invalide. Aucune personne raisonnablement informée ne pourrait en venir à cette conclusion.
[11] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est refusée.
(Signature) " Marc Nadon "
Juge
Vancouver (C.-B.)
le 4 décembre 1998
Traduction certifiée conforme
Laurier Parenteau, LL.L.
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
DATE DE L'AUDIENCE : le 28 août 1998 |
NE DU GREFFE : IMM-4869-97 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : INTHIRANY PATHMANATHAN |
c. |
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario) |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE NADON
date : le 4 décembre 1998
ONT COMPARU :
Raoul Boulakia pour la demanderesse |
Kevin Lunney pour le défendeur |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Raoul Boulakia |
Avocat et procureur |
Toronto (Ontario) pour la demanderesse |
Morris Rosenberg pour le défendeur |
Sous-procureur général |
du Canada |
1 Pièce R-1, Human Rights Information Package, onglet 2.2, United States Department of State, Country Reports on Human Rights Practices for 1995, le 14 mars 1996.