Date : 20010727
Référence neutre : 2001 CFPI 839
Vancouver (Colombie-Britannique), le vendredi 27 juillet 2001
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN
ENTRE :
RABEND SINGH, ANITA SINGH,
RONIL SINGH et ARTI DEVI
demandeurs
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
INTRODUCTION
[1] Rabend Singh, Anita Singh, Ronil Singh et Arti Devi (les demandeurs) sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue le 23 août 2000 par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission). Dans sa décision, la Commission avait refusé aux demandeurs le statut de réfugiés au sens de la Convention.
LES FAITS
[2] Les demandeurs résident aux Fidji. Ils revendiquent le statut de réfugiés au sens de la Convention en invoquant des motifs raciaux, c'est-à-dire parce qu'ils sont des Indo-Fidjiens. Ils ont quitté les Fidji le 15 octobre 1999 et sont arrivés au Canada à cette date. Ils ont demandé le statut de réfugiés au sens de la Convention le 2 novembre 1999, en alléguant une crainte qu'ils imputaient à la violence grandissante exercée aux Fidji contre les personnes d'ascendance indienne. Le 19 mai 2000, le gouvernement fidjien était renversé par un coup d'État.
[3] La Commission a estimé que, même si les demandeurs avaient fait l'objet d'une discrimination et d'actes criminels aux Fidji, ils n'étaient soumis à aucune persécution politique. La Commission a conclu que, si les demandeurs retournaient aux Fidji, ils ne souffriraient pas de l'instabilité persistante qui frappait ce pays.
QUESTIONS
[4] Les demandeurs soulèvent deux questions :
a) La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n'avaient pas une crainte fondée de persécution pouvant être attribuée à un motif prévu par la Convention?
b) Les commentaires de l'un des membres de la Commission ont-ils suscité une crainte de partialité?
Conclusions des demandeurs
[5] Les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur parce qu'elle ne s'est pas demandé si l'effet cumulatif des actes discriminatoires et des actes criminels commis contre eux équivaut à persécution. Sur ce point, les demandeurs affirment que la Commission est arrivée à la conclusion qu'ils faisaient l'objet d'une discrimination raciale. La Commission a aussi estimé que les demandeurs avaient été les victimes d'actes criminels. Toutefois, ils disent que la Commission n'a pas cherché à savoir si les agissements en question pouvaient équivaloir à persécution. Au soutien de cet argument, les demandeurs invoquent l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Rajudeen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1985), 55 N.R. 129 (C.A.F.). Les demandeurs avancent également que la Commission n'a pas pris en compte un changement survenu dans la situation du pays, plus précisément le coup d'État qui s'est produit aux Fidji après leur départ du pays.
[6] L'argument secondaire avancé par les demandeurs procède de certains commentaires faits par M. Leonardo Cunanan, un membre de la Commission, au cours de l'audience. Il s'était exprimé ainsi :
[TRADUCTION] Ce que je sais des Fidji provient essentiellement de ce que j'ai lu dans les brochures touristiques. On y va pour les vacances. Cela me semble un magnifique pays pour passer des vacances.
[7] Selon les demandeurs, cette remarque d'un membre de la Commission, laquelle est un tribunal spécialisé censé détenir une connaissance spécialisée, révèle un déficit de connaissances et un manque de compréhension de ce que sont les questions relatives aux droits de la personne et les revendications du statut de réfugié. Les demandeurs, s'autorisant de l'arrêt Committee for Justice and Liberty et al. c. Office national de l'énergie et al. [1978] 1 R.C.S. 369, affirment qu'il ne leur est pas nécessaire de prouver que l'arbitre a manifesté un parti pris si les commentaires contestés peuvent conduire une personne raisonnablement bien informée à perdre confiance dans la procédure engagée.
Conclusions du défendeur
[8] Le défendeur soutient que la décision de la Commission montre qu'elle a compris que le fondement de la revendication des demandeurs était la question raciale, même si elle a employé les mots « persécution politique » . Par ailleurs, le défendeur affirme que la Commission a considéré à la fois les incidents discriminatoires dont les demandeurs ont été victimes et la situation actuelle aux Fidji, c'est-à-dire postérieure au coup d'État de mai 2000, pour conclure que les demandeurs n'avaient pas réussi à rattacher leur crainte de persécution avec le statut de réfugié au sens de la Convention.
[9] Finalement, le défendeur affirme que les commentaires susmentionnés du membre Cunanan n'étaient rien d'autre qu'une remarque introductive précédant une série de questions qu'il voulait poser à propos de l'ordre public aux Fidji.
ANALYSE
[10] Il est bien établi que les juridictions de contrôle doivent montrer un niveau élevé de retenue à l'égard des décisions de la Commission et qu'elles n'interviendront qu'exceptionnellement pour les modifier. Sur ce point, voir l'affaire Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 87 F.T.R. 46.
[11] Les demandeurs s'appuient considérablement sur l'argument selon lequel la Commission ne s'est pas demandé si l'effet cumulatif des actes discriminatoires et criminels commis contre eux équivalait à persécution. Ils affirment que cette omission constitue une erreur de droit. Cependant, à mon avis, cet argument ne saurait réussir.
[12] D'après les motifs exposés par la Commission, la question de la persécution fondée sur la race a été examinée. La Commission s'est exprimée ainsi :
Le tribunal ne croit pas que les revendicateurs aient été persécutés du fait de leurs opinions politiques. Il reconnaît qu'ils ont fait l'objet de discrimination pendant de nombreuses années en raison de leur race, parce qu'ils sont Indo-Fidjiens. Les seuls incidents précis de violence perpétrés contre eux se sont produits il y a environ dix ans. Le tribunal croit qu'ils ont été victimes de discrimination raciale et d'actes criminels. Il n'admet pas que leur crainte d'être persécutés pour l'un ou l'autre des motifs énoncés dans la Convention soit fondée.
(Dossier du tribunal, paragraphe 9)
[13] La preuve dont disposait la Commission autorise cette conclusion. Les demandeurs voudraient en fait que la Cour procède elle-même à une évaluation de la preuve et en arrive à une conclusion différente. Cela n'est pas permis dans une demande de contrôle judiciaire.
[14] Quant à l'argument secondaire avancé par les demandeurs, je ne suis pas persuadée que les commentaires gratuits de l'un des membres de la Commission aient vicié l'audience au point de conduire une personne raisonnablement informée à mettre en doute l'intégrité de la procédure engagée.
[15] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[16] Les avocats ont indiqué qu'il n'y a aucune question à certifier par suite de cette demande.
ORDONNANCE
[17] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« Elizabeth Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-5122-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : Rabend Singh, Anita Singh, Ronil Singh et Arti Devi c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L'AUDIENCE : le 24 juillet 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : le juge Heneghan
DATE DES MOTIFS : le 27 juillet 2001
ONT COMPARU :
Mishal Abrahams POUR LES DEMANDEURS
Peter Bell POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kang Abrahams Chahal POUR LES DEMANDEURS
Vancouver (Colombie-Britannique)
Sous-procureur général du Canada POUR LE DÉFENDEUR
Vancouver (Colombie-Britannique)