Date : 20011106
Dossier : IMM-4289-00
Référence neutre : 2001 CFPI 1209
ENTRE :
TIBOR LAKATOS, DEBREI ILDIKO GONCZOLNE,
RENATA GONCZOL et BETTINA BAKATOS
demandeurs
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
INTRODUCTION
[1] M. Tibor Lakatos, Debrei Ildiko Gonczolne, Renata Gonczol et Bettina Bakatos (les demandeurs) réclament le contrôle judiciaire de la décision prise par la Section du statut de réfugié au sens de la Convention de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 27 juillet 2000, par laquelle la Commission a décidé que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.
LES FAITS
[2] M. Lakatos est l'époux de Mme Gonczolne. C'est le demandeur principal. Son épouse est la représentante désignée des enfants mineurs et elle a adopté, en son propre nom et au nom de ses enfants, la preuve présentée au nom de son mari.
[3] Tous les demandeurs sont citoyens hongrois et réclament le statut de réfugié au sens de la Convention au motif qu'ils craignent d'être persécutés en raison de leur origine ethnique et de leur appartenance à un groupe social particulier, c'est-à-dire le groupe Roma et du fait qu'ils sont membres de la famille des Roma.
[4] Dans sa preuve, le demandeur principal a relaté des incidents de harcèlement, d'humiliation et de ségrégation. Il a raconté les problèmes qu'il a eus avec ses voisins, qu'il attribue à l'origine ethnique roma de sa famille. Il a également relaté dans son témoignage des incidents malveillants dirigés contre ses enfants, notamment la mort du chien de la famille. Il prétend que sa famille et lui-même ont fait l'objet d'agressions physiques de la part des skinheads et de la police et que l'effet cumulatif des menaces proférées contre eux, des dommages causés à leur propriété et des agressions physiques perpétrées par leurs voisins les a forcés à quitter le quartier.
[5] La Commission a tiré des conclusions négatives sur la crédibilité du demandeur. La première conclusion se rapporte au fait que le demandeur a attendu deux jours avant de réclamer le statut de réfugié au sens de la Convention après son arrivée au Canada en compagnie de sa famille. La Commission a jugé que ce délai de deux jours entachait sa crainte subjective d'être persécuté.
[6] La Commission a également jugé que le fait que le demandeur et sa famille n'aient pas demandé le statut de réfugié au sens de la Convention pendant leurs voyages en Autriche et en Grèce, entre 1994 et 1996 entachait davantage la crainte subjective d'être persécuté du demandeur.
[7] La Commission a statué que le demandeur et sa famille avaient fait l'objet de harcèlement, mais que cela n'équivalait pas à de la persécution. Elle a noté que des actes de vandalisme avaient été commis contre la maison et la voiture du demandeur principal, que le chien de la famille avait été empoisonné, que la police n'avait pas répondu à ses plaintes et que les voisins avaient réussi à obtenir une ordonnance judiciaire pour l'empêcher de faire certaines réparations à sa maison. Toutefois, la Commission n'a pas jugé que ces incidents étaient de la persécution.
[8] La Commission a décidé que le demandeur principal n'avait pas produit une preuve digne de foi pour appuyer ses allégations voulant qu'il ait fait l'objet de harcèlement et d'abus de la part de la police. La Commission a tiré une conclusion négative contre le demandeur sur la question de la crédibilité de même qu'une inférence négative de la preuve se rapportant à ses réponses aux questions sur les skinheads et la police; d'après la Commission, les réponses ont été vagues et non probantes.
[9] Finalement, la Commission a jugé que le demandeur pouvait demander la protection de l'État même s'il avait de nouveau maille à partir avec des skinheads ou s'il faisait de nouveau l'objet de harcèlement. La Commission s'est appuyée sur la preuve documentaire qui indique que les incidents ou les attaques par des skinheads ont diminué depuis 1992 et a conclu qu'il n'y a maintenant même pas « une simple possibilité que les demandeurs fassent aujourd'hui l'objet d'attaques semblables de la part des skinheads » .
Motifs de la Commission, dossier du tribunal, page 9
LES MOYENS DU DEMANDEUR
[10] Les demandeurs prétendent que la Commission a commis une erreur en tirant une inférence négative du délai de deux jours qui s'est écoulé avant leur revendication du statut de réfugié au sens de la Convention après leur arrivée au Canada. Ils prétendent également que la Commission a commis une autre erreur en reliant ce délai à leur omission de revendiquer le statut de réfugié en Autriche ou en Grèce. Les demandeurs prétendent que la Commission n'a pas tenu compte de la preuve indiquant que la décision de quitter la Hongrie a été prise uniquement après les visites en Autriche et en Grèce et que le retour en Hongrie après ces visites ne peut être pris en compte dans l'évaluation de leur crainte subjective d'être persécutés.
[11] Les demandeurs soutiennent également que la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions défavorables sur la crédibilité du demandeur principal. Plus particulièrement, ils soutiennent que la Commission a commis une erreur en mettant l'accent sur le fait qu'il n'a pas fait mention des incidents avec la police et les skinheads dans son formulaire de renseignements personnels (FRP) puisque ce formulaire n'exige que le récit des incidents qui amènent un demandeur à quitter son pays d'origine. Les demandeurs soutiennent que les incidents en question n'étaient pas les plus récents et qu'ils n'étaient pas la raison de leur départ. C'est pour cette raison qu'ils ne les ont pas inclus dans leur FRP.
[12] De même, les demandeurs soutiennent que la Commission a commis une erreur de droit en interprétant mal la définition de l'expression « protection de l'État » quand elle dit que [TRADUCTION] « aucun gouvernement [...] ne peut garantir la protection de tous ses citoyens en tout temps » . Pour les demandeurs, il s'agit d'une mauvaise interprétation de la décision Canada c. Villafranca (1992), 150 N.R. 232. Les demandeurs font valoir qu'ils ne s'attendaient pas à une « protection garantie » , mais simplement à une protection efficace.
[13] Enfin, les demandeurs soutiennent que la Commission a préjugé du résultat de l'audition en s'appuyant à tort sur les « décisions principales » à l'exclusion de toute autre preuve fiable et contraire, et que cette façon d'agir contrevient aux principes de justice naturelle.
LES MOYENS DU DÉFENDEUR
[14] Le défendeur fait valoir que c'est la Commission qui est la mieux placée pour évaluer la crédibilité des demandeurs et pour tirer de la preuve les inférences nécessaires. Tant et aussi longtemps qu'il y a un fondement dans la preuve pour justifier ces inférences, la Cour ne devrait pas intervenir.
[15] Le défendeur prétend également que la Commission n'a pas fait d'erreur dans son interprétation de l'expression « protection de l'État » énoncée dans la décision Canada c. Villafranca, précitée. Au contraire, la Commission s'est à bon droit appuyée sur cette décision en estimant que le risque identifié par les demandeurs n'était pas le fait des représentants de l'État et qu'il n'est pas possible pour un État d'assurer une protection contre une forme de risque aussi aléatoire.
[16] Le défendeur soutient de plus que les arguments des demandeurs concernant leur crédibilité et la protection de l'État font ressortir que ces derniers ne sont pas d'accord avec la manière dont la Commission a pondéré la preuve, dont elle est parvenue à ses conclusions et dont elle a jugé de leur crédibilité. Puisque ces questions sont manifestement du ressort de la Commission, qui est le juge des faits, celle-ci a agi dans le cadre de sa compétence en se prononçant sur la question de la protection de l'État.
[17] Finalement, le défendeur soutient qu'il n'y a pas de fondement factuel dans le dossier ou dans la décision pour soutenir que la Commission s'est appuyée à tort sur les désisions principales. La Commission n'a pas fait référence à ces décisions ni à la preuve appuyant ces dernières dans ses motifs. Le défendeur soutient que les demandeurs n'ont pas prouvé que la Commission n'avait pas abordé cette affaire avec un esprit ouvert.
ANALYSE
[18] La décision concernant la présente demande de contrôle judiciaire dépendra de la norme de contrôle applicable. Cette norme a été énoncée par le juge Pelletier dans la décision Conkova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 300, au paragraphe 5, de la manière suivante :
La norme de contrôle qu'il convient d'appliquer aux décisions de la SSR est, de façon générale, celle de la décision manifestement déraisonnable, sauf pour ce qui est des questions portant sur l'interprétation d'une loi, auquel cas la norme qu'il convient d'appliquer est celle de la décision correcte. Sivasamboo c. Canada [1995] 1 C.F. 741 (1re inst.), (1994) 87 F.T.R. 46, Pushpanathan c. Canada [1998] 1 R.C.S. 982, (1998) 160 D.L.R. (4th) 193. La question litigieuse en l'espèce porte sur l'appréciation que la SSR a faite de la preuve, un aspect de l'affaire qui relevait manifestement de son mandat et de son champ d'expertise.
[19] À mon avis, l'argument des demandeurs se fonde sur la manière dont la Commission a évalué la preuve et a tiré ses conclusions, y compris ses conclusions sur la crédibilité. L'évaluation de la crédibilité relève manifestement du mandat de la Commission : Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 160 N.R. 315 (C.A.F.).
[20] Les conclusions de la Commission en l'espèce étaient appuyées par la preuve. Les conclusions ayant trait au retard à revendiquer le statut de réfugié en Autriche ou en Grèce, en tant que facteur entachant l'élément subjectif de la crainte du demandeur d'être persécuté, était une conclusion raisonnable.
[21] À mon avis, la Commission n'a pas examiné le retard de deux jours à revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention au Canada, après l'arrivée du demandeur dans ce pays, sans tenir compte des autres éléments de preuve dont elle était saisie. La conclusion de la Commission sur ce point, selon laquelle cette attitude entache davantage la crainte subjective d'être persécuté, est raisonnable.
[22] La Commission a tiré des conclusions de fait et procédé à des évaluations sur la crédibilité qui sont appuyées par la preuve. Il n'y a pas de raison que le tribunal intervienne.
[23] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[24] Les avocats ont indiqué qu'il n'y a pas de question à faire certifier.
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« E. Heneghan »
Ottawa (Ontario)
le 6 novembre 2001
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4289-00
INTITULÉ : Tibor Lakatos et autres c. M.C.I.
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 24 octobre 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
MADAME LE JUGE HENEGHAN
DATE : le 6 novembre 2001
COMPARUTIONS :
Shane M. Watson POUR LES DEMANDEURS
Claire leRiche POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Shane M. Watson POUR LES DEMANDEURS
Burlington (Ontario)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada