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Date : 20031028

Dossier : T-253-01

Référence : 2003 CF 1250

ENTRE :

                                                 GLEN DANIEL GORDON

                                                                                                                              demandeur

                                                                    - et -

                                 LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

           LE COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

                          et LE SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                              défendeurs

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE CAMPBELL


[1]                En mai 1998, un comité d'arbitrage (le Comité d'arbitrage) a conclu que le demandeur, qui avait le grade de gendarme dans la Gendarmerie royale du Canada, s'était conduit d'une façon déshonorante et avait jeté le discrédit sur la GRC, en contravention des dispositions de son code de déontologie établi par règlement en vertu de l'article 38 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10 (la Loi). Par conséquent, conformément à l'alinéa 45.12(3)a) de la Loi, le Comité d'arbitrage a ordonné au demandeur de démissionner de la GRC dans un délai de 14 jours, à défaut de quoi il serait congédié.

[2]                Le demandeur a interjeté appel de la décision du Comité d'arbitrage devant le commissaire de la GRC (le commissaire). Le commissaire a rejeté l'appel interjeté à l'encontre de la conclusion d'inconduite et à l'encontre de la sanction infligée, et, ce faisant, il a conclu que le demandeur s'était conduit d'une façon déshonorante en ayant des relations sexuelles avec un membre du public, Angela Thrasher, alors qu'il avait établi une relation de confiance professionnelle avec elle. Par conséquent, le commissaire a ordonné au demandeur de démissionner, à défaut de quoi il serait congédié de la GRC.

[3]                Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur sollicite l'annulation de la décision du commissaire.

A. Le processus disciplinaire de la GRC

[4]                Le processus disciplinaire officiel prévu aux articles 43 à 45.17 de la Loi comporte trois étapes : d'abord un comité d'arbitrage tient une audience sur une plainte et rend une décision; sur appel interjeté devant le commissaire de la décision du comité d'arbitrage, un comité externe d'examen effectue un examen consultatif de la décision rendue par le comité d'arbitrage; le commissaire statue sur l'appel en se fondant sur l'ensemble du dossier, notamment sur la décision du comité d'arbitrage, le rapport du comité externe d'examen et les recommandations qui y sont exposées.


[5]                Au cours des plaidoiries, l'avocat du demandeur a confirmé que le traitement de la plainte contre le demandeur s'est déroulé sans irrégularité.

B. La décision du Comité d'arbitrage

[6]                Les procédures disciplinaires dont le demandeur a fait l'objet découlent d'une plainte déposée le 12 juin 1997 par Angela Thrasher, alors qu'elle résidait à Inuvik. À la suite de l'audition de la plainte, dans des motifs exposés de vive voix, le Comité d'arbitrage a tiré les conclusions de fait suivantes à partir des allégations initiales :

[traduction]

2.              Au printemps de 1997, Angela Thrasher, vous a rencontré sur rendez-vous au détachement de la GRC à Inuvik, afin de rapporter une agression sexuelle dont elle avait été victime quelque quinze ans auparavant.

4.              Le 24 mai 1997, Angela Thrasher s'est présentée à votre résidence. Vous aviez bu. Alors qu'Angela Thrasher se trouvait dans votre résidence, vous lui avez fait des avances sexuelles en ce sens que vous l'avez tirée vers vous, l'avez embrassée et lui avez dit [Traduction] « suce ma queue » , puis vous avez retiré vos pantalons et l'avez empêchée de s'en aller.

8.              Vous vous êtes emparé d'elle une fois de plus dans la buanderie et l'avez assise sur la sécheuse puis vous avez relevé son chandail et l'avez embrassée. Angela Thrasher a ensuite baissé son chandail, puis elle est descendue de la sécheuse et vous êtes tous les deux retournés dans le salon.

10.            Vous et Angela Thrasher êtes ensuite retournés à l'étage du haut, à votre chambre, après que vous lui ayez demandé d'avoir des relations sexuelles avec vous. Vous avez ensuite eu des relations sexuelles avec Angela Thrasher suite à un consentement obtenu en raison de la crainte que lui inspirait votre position de pouvoir et d'autorité (décision du commissaire, p. 22).

[7]                Contrairement à la dernière conclusion susmentionnée, le demandeur a admis, dans son témoignage, avoir eu des relations sexuelles avec Mme Thrasher à sa résidence mais il a prétendu qu'elle était consentante.

[8]                Dans des motifs écrits subséquemment, malgré que le demandeur eût nié un certain nombre de détails relativement aux événements qui, selon Mme Thrasher, se sont déroulés dans la soirée du 24 mai 1997, le Comité d'arbitrage a précisé les motifs qui l'ont amené à une conclusion favorable quant à la crédibilité de Mme Thrasher.


[9]                En ce qui concerne la sanction, le Comité d'arbitrage a tenu compte des facteurs atténuants suivants : le demandeur a fait bénéficier la GRC de ses connaissances spécialisées; il est respecté par certains de ses collègues et par certains membres de la collectivité; il a manifesté des remords à l'égard de ses actes; il s'est montré coopératif tout au long de l'enquête; il avait des difficultés familiales. Toutefois, les facteurs aggravants suivants ont persuadé le Comité d'arbitrage que le demandeur n'était plus apte à exercer ses fonctions d'agent de la GRC : le demandeur a contrevenu d'une manière grave au code de déontologie; il a omis de corriger son comportement après que, en août 1990, il eut été reconnu coupable et réprimandé par un autre comité d'arbitrage pour de graves contraventions au code de déontologie à savoir des incidents de contacts sexuels non sollicités où la consommation excessive d'alcool avait été un facteur; il n'a pas fait d'efforts suffisants pour régler ses problèmes de consommation d'alcool, même après qu'il se soit soumis à une cure de désintoxication obligatoire après l'incident de 1990; il n'a pas saisi l'importance du rôle qu'a pu jouer sa consommation excessive d'alcool dans l'incident impliquant Mme Thrasher (décision du Comité d'arbitrage, p. 47- 50).

[10]            Compte tenu des conclusions auxquelles il est arrivé, le Comité d'arbitrage a ordonné au demandeur de démissionner de la GRC dans un délai de 14 jours et a recommandé qu'il soit congédié s'il ne s'exécutait pas.

[11]            Le demandeur a interjeté appel devant le commissaire à l'encontre de la conclusion d'inconduite à laquelle est arrivé le Comité d'arbitrage et à l'encontre de la sanction qu'il a infligée.

C. Le rapport du Comité externe d'examen

[12]            L'appel a été renvoyé au comité externe d'examen (le Comité externe) qui a recommandé au commissaire d'accueillir l'appel interjeté à l'encontre de la conclusion du Comité d'arbitrage selon laquelle l'allégation d'inconduite avait été prouvée.


[13]            Le Comité externe a conclu qu'il y avait des lacunes en ce qui a trait à la manière selon laquelle le Comité d'arbitrage a apprécié les témoignages. Dans son rapport, le Comité externe a exprimé l'opinion que le témoignage de Mme Thrasher comportait de nombreuses contradictions importantes et que le Comité d'arbitrage n'en avait pas tenu compte et avait exagéré la mesure dans laquelle le témoignage de Mme Thrasher avait été corroboré par celui d'autres témoins. En conséquence, le Comité externe a conclu qu'on ne pouvait rejeter facilement la possibilité que Mme Thrasher ait librement consenti à avoir des relations sexuelles avec le demandeur. Enfin, le Comité externe s'est demandé s'il y avait un lien entre la conduite du demandeur et son emploi.

[14]            En ce qui concerne l'appel de la sanction, le Comité externe a recommandé ce qui suit :

[Traduction] Si le commissaire conclut que Mme Thrasher a librement consenti à avoir des relations sexuelles avec le demandeur mais que la conduite de ce dernier est néanmoins honteuse et jette le discrédit sur la Gendarmerie, l'imposition d'une sanction moins sévère semblerait justifiée (décision du Comité externe, p. 42).

D. La décision du commissaire

[15]            Après avoir examiné l'ensemble du dossier, le commissaire a conclu que l'allégation de conduite honteuse avait été prouvée et a rejeté l'appel interjeté à l'encontre de cette conclusion et à l'encontre de la décision relative à la sanction.

[16]            Bien que le commissaire ait souscrit à certains aspects des conclusions du Comité externe concernant les témoignages, il a rejeté l'opinion du Comité externe selon laquelle la relation qu'ont entretenue le demandeur et Mme Thrasher n'était pas nécessairement inappropriée. Dans ses motifs, le commissaire a déclaré ce qui suit :


[Traduction] Je souscris aux conclusions du Comité externe selon lesquelles le « témoignage de Mme Thrasher comportait de nombreuses contradictions importantes » .

[...]

Je ne suis pas disposé à ajouter foi au témoignage de Mme Thrasher dans la mesure où il diverge de celui de l'appelant et n'est pas corroboré. Plus particulièrement, je suis d'avis que Mme Thrasher a peut-être consenti à avoir des relations sexuelles avec l'appelant. Cependant, cette conclusion n'est pas déterminante en l'espèce. Dans la présente affaire, l'appelant et Mme Thrasher avaient préalablement établi une relation de confiance car elle avait déclaré à l'appelant qu'elle avait déjà été victime d'agression sexuelle. Le Comité externe a examiné si la rencontre qu'ont eue le demandeur et Mme Thrasher est un genre de relation que la Gendarmerie ne tolère peut-être pas lorsqu'il a déclaré :

[Traduction] Il est important d'examiner la question de savoir si Mme Thrasher doit être considérée comme une cliente de l'appelant, soit parce qu'elle a discuté antérieurement avec lui de la possibilité de déposer une plainte d'infraction criminelle ou simplement parce qu'elle appartient à une collectivité où le demandeur exerçait ses fonctions d'application de la loi. Selon moi, la Gendarmerie n'a pas le droit d'interdire à ses membres d'avoir des relations sexuelles avec les membres de la collectivité au sein de laquelle ils exercent leurs fonctions, peu importe la taille de la collectivité. Toutefois, il serait peut-être davantage légitime que la Gendarmerie interdise à ses membres d'avoir des relations intimes avec des personnes qui font l'objet d'une enquête de la part de la Gendarmerie ou qui sont partie à une enquête. Les membres doivent éviter de se placer en situation de conflit d'intérêts.

Toutefois, Mme Thrasher n'était pas une personne qui fait l'objet d'une enquête et n'était pas non plus partie à une enquête en cours. Le simple fait que l'appelant savait que Mme Thrasher songeait à déposer une plainte concernant une présumée agression ne devrait pas être considéré comme étant suffisant pour rendre inappropriée la relation qu'il a entretenue avec elle.

En toute déférence, je ne partage pas l'opinion du Comité externe sur cette question. En l'espèce, la relation que l'appelant a entretenue avec Mme Thrasher allait au-delà de la simple connaissance qu'elle songeait à déposer une plainte en rapport avec une présumée agression. Le dossier montre que Mme Thrasher avait fait une révélation très intime et très personnelle à l'appelant concernant une agression sexuelle antérieure. Elle avait décidé de discuter de cette affaire avec l'appelant parce qu'elle sentait qu'elle pouvait lui faire confiance et, au moment de cet incident, elle était indécise quant à ce qu'elle devait faire.


Dans ces circonstances, l'appelant avait l'obligation de respecter cette relation de confiance et de s'assurer qu'il ne faisait rien pour en tirer avantage. L'appelant, en ayant des relations sexuelles avec Mme Thrasher alors qu'elle se trouvait dans sa résidence le soir de l'incident en question, s'est trouvé à avoir des relations sexuelles en dehors de son travail avec une personne dont il avait la confiance en raison de ses fonctions. Même si, comme le prétend l'appelant, Mme Thrasher a consenti à avoir des relations sexuelles, je suis d'accord avec le Comité externe que [Traduction] [...] « la question de savoir si l'appelant a contrevenu au code de déontologie ne repose pas entièrement sur la conclusion que l'appelant a agressé sexuellement Mme Thrasher ou, comme l'a déclaré le Comité d'arbitrage, qu'il a eu « des relations sexuelles avec Angela Thrasher dont le consentement a été obtenu parce qu'elle le craignait en raison de [sa] position de pouvoir ou d'autorité » . Par conséquent, je conclus que l'allégation de conduite honteuse est prouvée et je rejette l'appel interjeté à l'encontre de cette conclusion (décision du commissaire, p. 45-46).

[17]            En ce qui concerne la sanction, le commissaire a affirmé ce qui suit :

[Traduction] J'ai conclu que l'appelant s'était conduit d'une manière honteuse en ayant des relations sexuelles avec Angela Thrasher alors qu'il avait sa confiance en raison de ses fonctions. Peu importe que Mme Thrasher ait consenti aux relations sexuelles, l'appelant devait éviter d'avoir des rapports intimes avec une personne qui lui avait récemment révélé avoir été agressée sexuellement dans le passé et qu'elle lui avait demandé conseil sur la meilleure façon de faire face à cette situation très difficile. Au moment de l'incident, l'appelant savait que Mme Thrasher tentait toujours de prendre une décision quant à la meilleure façon de régler la question de l'agression sexuelle. Il aurait dû savoir que Mme Thrasher pouvait se trouver dans un état de vulnérabilité et de confusion et qu'avoir des relations sexuelles avec elle serait inapproprié et créerait à tout le moins un conflit d'intérêt.

Le Comité externe a déclaré que « [...] [s]i le commissaire conclut que Mme Thrasher a librement consenti à avoir des relations sexuelles avec le demandeur mais que la conduite de ce dernier est néanmoins honteuse et jette le discrédit sur la GRC, l'imposition d'une sanction moins sévère [que le congédiement] semblerait justifiée » .

À cette fin, je crois que l'on doit examiner l'ensemble des antécédents professionnels de l'appelant, notamment son dossier disciplinaire. En l'espèce, l'appelant possède un dossier disciplinaire chargé. En 1988, on lui a recommandé de se faire suivre par un spécialiste à la suite du dépôt contre lui d'une plainte publique de violence familiale. En 1990, il a comparu devant un comité d'arbitrage en rapport avec de graves contraventions au code de déontologie. Dans cette affaire, le demandeur était entré, sans excuse légitime, dans deux résidences différentes de Rankin inlet et avait eu des contacts de nature sexuelle non sollicités avec deux femmes différentes. Ce comité d'arbitrage a conclu que le membre avait consommé une grande quantité d'alcool à ce moment-là. Déclaré coupable par une cour criminelle, l'appelant a dû, dans le cadre de sa sanction pénale, suivre une cure de désintoxication et se faire suivre par un spécialiste. La sanction rendue par le comité d'arbitrage consistait en une confiscation de la solde de l'appelant pour une période de cinq jours de travail et une recommandation de le faire bénéficier des conseils d'un spécialiste.

Dans cette affaire le comité d'arbitrage a déclaré ce qui suit à l'appelant :

[Traduction] [...] gendarme supérieur Gordon, vous devez assumer la responsabilité de vos actes; le comité n'approuve pas ces incidents et s'attend à ce que vous preniez les mesures nécessaires pour éviter une récidive car cela pourrait compromettre votre avenir en tant que membre de la GRC.


Le dossier révèle que l'appelant possède de bons antécédents professionnels, qu'il a manifesté des remords pour ses actes et qu'il bénéficie de l'appui de certains de ses collègues et de certains membres de la collectivité. Toutefois, il a également fait l'objet de mesures disciplinaires importantes dans le passé et la question qui m'est soumise est de savoir si, dans ces circonstances, les mesures disciplinaires prises antérieurement suffisent à me convaincre que le congédiement est la mesure appropriée en l'instance. Les membres de la GRC sont tenus de se conformer à nos valeurs organisationnelles et nous sommes responsables de notre conduite. En l'espèce, comme je l'ai déjà mentionné, l'appelant était tenu de respecter la relation de confiance qui existait entre lui et Mme Thrasher et il a manqué à cette obligation.

Le fait que l'alcool ait joué un rôle dans la présente affaire est également, selon moi, un élément dont on doit tenir compte. Bien que j'accepte qu'il n'a pas été clairement démontré que la conduite de l'appelant ait été provoquée par l'intoxication, je signale que l'appelant avait bu au moment de l'incident. Le dossier révèle que l'appelant savait depuis quelque temps qu'il avait un sérieux problème de consommation d'alcool et qu'on lui avait offert de l'aide à cet égard. Bien que l'appelant eût fait des efforts afin de corriger cette situation, ceux-ci n'ont pas été assez soutenus et il ne semble pas qu'il ait réglé le problème.

Je conviens avec l'intimé que le critère établi dans l'arrêt Ennis c. Canadian Imperial Bank of Commerce en matière de congédiement s'applique en l'espèce. Je conclus que [Traduction] « [la] conduite de l'employé et les traits de caractère qui en ressortent sont de nature à miner la confiance que l'employeur a le droit d'avoir envers son employé dans le cadre de [cette] relation particulière » . Compte tenu de l'ensemble des circonstances, je suis convaincu que le congédiement est le remède approprié en l'espèce parce que je crois que l'appelant a démontré par son comportement qu'il n'est pas en mesure de se réhabiliter et de respecter les normes élevées de conduite auxquelles sont astreints les membres de la GRC. L'appelant doit remettre sa démission dans les quatorze jours suivant la réception de la présente décision écrite, à défaut de quoi il sera congédié de la GRC (décision du commissaire, p. 47-48).

E. La présente demande

[18]            À l'audience, les admissions de l'avocat du demandeur ont permis de limiter considérablement les questions de contrôle judiciaires mentionnées dans la plaidoirie écrite.


[19]            Il est convenu que la norme de contrôle de la décision du commissaire est celle de la décision manifestement déraisonnable (Millard c. Canada (Procureur général) (2000), 253 N.R. 187 (C.A.F.); Jaworski c. Canada (Procureur général) (2000), N.R. 167 (C.A.F.); l'autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada est rejetée [2000] C.S.C.R. no 348; Lee c. Canada (Gendarmerie royale du Canada) (2000), 184 F.T.R. 74). Comme l'a affirmé l'avocat du défendeur, tel qu'il est mentionné dans l'arrêt Canada Safeway Ltd. c. Syndicat des détaillants, grossistes et magasins à rayons, section locale 454, [1998] 1 R.C.S. 1079, paragr. 61-63, le critère applicable pour déterminer si une décision est manifestement déraisonnable est le suivant :

Cette norme de contrôle est maintenant bien établie et acceptée. Elle exige que le contrôle judiciaire soit exercé avec retenue. C'est une norme très sévère à laquelle il ne sera pas facile de satisfaire. Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, précité, il est dit, aux p. 963 et 964 :

Ce qui est manifestement déraisonnable pour un juge peut paraître éminemment raisonnable pour un autre. Pourtant, pour définir un critère nous ne disposons que de mots, qui forment, eux, les éléments de base de tous les motifs. Le critère du caractère manifestement déraisonnable représente, de toute évidence, une norme de contrôle sévère. Dans le Grand Larousse de la langue française, l'adjectif manifeste est ainsi défini : « Se dit d'une chose que l'on ne peut contester, qui est tout à fait évidente » . On y trouve pour le terme déraisonnable la définition suivante : « Qui n'est pas conforme à la raison; qui est contraire au bon sens » . Eu égard donc à ces définitions des mots « manifeste » et « déraisonnable » , il appert que si la décision qu'a rendue la Commission, agissant dans le cadre de sa compétence, n'est pas clairement irrationnelle, c'est-à-dire, de toute évidence non conforme à la raison, on ne saurait prétendre qu'il y a eu perte de compétence. Visiblement, il s'agit là d'un critère très strict.

Pour justifier l'intervention des tribunaux, la décision de l'arbitre ne doit pas être simplement déraisonnable. Dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.S.C. 748, au paragr. 57, le juge Iacobucci a exposé la différence entre la décision déraisonnable mais non manifestement déraisonnable :

La différence [ . . .] réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s'il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable mais non manifestement déraisonnable.

La cour de justice qui contrôle la décision ne peut pas intervenir simplement parce qu'elle n'est pas d'accord avec le raisonnement suivi par le conseil d'arbitrage ou qu'elle serait arrivée à une conclusion différente. Ce serait usurper le pouvoir du tribunal administratif et lui interdire d'arriver à des conclusions erronées dans son domaine de connaissances spécialisées.


[20]            Lors de sa plaidoirie, l'avocat du demandeur a admis que le commissaire avait examiné le dossier d'une manière approfondie, et en toute déférence pour les conclusions du commissaire, il a convenu qu'il lui était loisible de conclure à l'existence d'une relation de confiance. Toutefois, l'avocat du demandeur n'a pas convenu qu'il était loisible au commissaire de conclure que cette relation n'avait pas été respectée. Essentiellement, l'avocat du demandeur prétend qu'une conversation de dix à quinze minutes dans le bureau de détachement ne saurait être suffisante pour justifier un congédiement.

[21]            L'avocat du demandeur prétend que, compte tenu des faits, la norme de conduite imposée au demandeur est trop élevée. Il ressort clairement du dossier que, avant que Mme Thrasher ne rencontre le demandeur au bureau de détachement afin de lui demander de discuter avec elle de sa plainte potentielle d'agression sexuelle, ceux-ci avaient déjà fait connaissance dans le contexte du travail. L'avocat du demandeur prétend que l'incident du 24 mai 1997 s'inscrivait tout simplement dans le cadre de cette relation personnelle, c'est-à-dire qu'il n'y avait aucun lien entre l'incident et la relation de confiance créée par la rencontre qui a eu lieu au bureau de détachement. À l'appui de cette prétention, l'avocat a interprété la preuve de manière à démontrer que, afin de poursuivre de son plein gré la relation personnelle qu'elle entretenait avec le demandeur, Mme Thrasher s'est rendue à la résidence de ce dernier le soir en question et a consenti à avoir des relations sexuelles.

[22]            L'argument reposant sur une relation personnelle ne rend aucunement la décision du commissaire manifestement déraisonnable. Je conclus que le commissaire pouvait certainement interpréter la preuve comme il l'a fait.

[23]            En ce qui concerne la question de la sanction, l'avocat du demandeur prétend qu'elle est trop sévère. Je peux comprendre pourquoi le demandeur est de cette opinion, mais la sanction n'est certainement pas « clairement irrationnelle » au sens du critère qui doit être appliqué. Dans sa décision, le commissaire tente de trouver un équilibre entre les intérêts du demandeur et les intérêts de la GRC, comme institution, et, ce faisant, fait un choix politique important. En toute déférence, j'estime que le commissaire a le droit de faire cela (voir : Dr Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia (2003) 223 D.L.R. (4th) 599 (C.S.C.), paragr. 30-32).

ORDONNANCE

Par conséquent, pour les motifs susmentionnés, la présente demande est rejetée.

Comme convenu par le défendeur, je condamne le demandeur à payer les dépens pour une somme de 2 500 $, laquelle somme comprend tous dépens adjugés par ordonnance interlocutoire en matière de dépens.

                                                                      _ Douglas R. Campbell _            

Juge

Vancouver (C.-B.)

Le 28 octobre 2003

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-253-01

INTITULÉ :                                        GLEN DANIEL GORDON

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL            DU CANADA ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :                  EDMONTON (AB)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 20 OCTOBRE 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                       LE 28 OCTOBRE 2003

COMPARUTIONS :

Nancy Pearson                                      POUR LE DEMANDEUR

Barry Benkendorf                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Evans, Pearson, & Co.                          POUR LE DEMANDEUR

Edmonton (AB)                                                

Morris Rosenberg                                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (ON)


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