Date: 20050117
Dossier : IMM-1858-04
Référence : 2005 CF 40
Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2005
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN
ENTRE :
YOLANDA ROMANO DE ROLDAN
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision en date du 10 février 2004 par laquelle une agente d'immigration a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires (la demande CH) présentée par la demanderesse.
LES FAITS
[2] La demanderesse est une citoyenne de l'Argentine âgée de 65 ans. Elle est arrivée au Canada en qualité de visiteur en juin 1997. Son visa de visiteur a été prorogé à plusieurs reprises jusqu'au mois de novembre 1999. Sa demande de prorogation ultérieure lui a été refusée. En février 2000, la demanderesse a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires. Sa demande était parrainée par son fils, qui détient le statut de résident permanent au Canada.
[3] Pour étayer sa demande CH, la demanderesse a fait valoir qu'elle vivait au Canada avec ses enfants adultes et leurs familles depuis sept ans, que rien ni personne ne l'attendait en Argentine et qu'elle serait incapable de subvenir à ses besoins dans ce pays. Elle a également allégué qu'elle craignait de retourner en Argentine parce que les gens qui avaient assassiné son mari en 1995 pouvaient s'en prendre à elle. La demanderesse a mentionné qu'elle croyait que l'assassinat de son mari avait été orchestré par son ex-gendre, et que sa fille avait obtenu l'asile au Canada parce qu'elle risquait d'être persécutée par son ex-mari.
LA DÉCISION
[4] Le 10 février 2004, une agente d'immigration a rejeté la demande CH de la demanderesse. Dans ses motifs, l'agente a dit que la demanderesse ne s'était pas établie au Canada à un point tel que la nécessité de retourner en Argentine et de demander un visa suivant les formalités ordinaires établies par la loi lui causerait des difficultés inhabituelles et injustifiées. L'agente a mentionné que la demanderesse pouvait faire face à certaines difficultés à l'occasion de son départ du Canada et de son établissement en Argentine, mais qu'elle avait toujours une maison et plusieurs frères et soeurs dans ce pays. En outre, l'agente a conclu que l'examen des risques avant renvoi (ERAR), dont le résultat avait été défavorable à la demanderesse, était raisonnable et que la preuve ne permettait pas d'affirmer que la demanderesse serait exposée à un risque si elle retournait en Argentine.
[5] La demanderesse conteste la décision en alléguant que les conclusions de l'agente n'étaient pas étayées par des motifs logiques et que celle-ci avait omis de tenir compte du caractère anormalement long (environ quatre ans) du délai de traitement de sa demande CH. La demanderesse soutient en outre que l'agente a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en accordant trop d'importance à l'examen des risques mené par l'agent d'ERAR et en omettant d'effectuer une analyse indépendante des risques auxquels la demanderesse allait être exposée à son retour en Argentine.
[6] Le défendeur fait valoir que la demanderesse cherche simplement à amener la Cour à réévaluer la preuve qui a été présentée à l'agente d'immigration, ce qui ne lui est pas permis.
ANALYSE
[7] La norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire d'un agent d'immigration saisi d'une demande CH est la norme de la décision raisonnable simpliciter : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817. Il s'ensuit que la Cour peut modifier une telle décision seulement lorsqu'elle ne peut pas être étayée par un motif capable de résister à un _ examen assez poussé _ : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247.
[8] Voici un passage de la décision de l'agente :
[traduction] [...] Je ne suis pas convaincue qu'elle [la demanderesse] soit maintenant si bien établie qu'elle subirait un préjudice indu si elle devait retourner en Argentine et demander un visa d'immigrant selon la procédure normale prévue par la loi.
J'ai conclu que les motifs de la décision en date du 10 février 2004 qui est en cause en l'espèce ne résistent pas à un _ examen assez poussé _ pour les raisons suivantes :
(i) la demanderesse, qui est née en juin 1939, a presque 66 ans, c.-à-d. elle est une personne âgée;
(ii) elle vit au Canada depuis sept ans avec ses enfants canadiens, qui subviennent à ses besoins;
(iii) ses enfants se sont vu reconnaître la qualité de réfugiés par la Commission de l'immigration;
(iv) la demanderesse serait incapable de subvenir à ses besoins en Argentine si elle était forcée à retourner dans ce pays pour y attendre que la demande de résidence permanente parrainée par son fils soit traitée. Elle n'a ni enfants, ni mari en Argentine. (Son mari a été assassiné en Argentine.);
(v) le défendeur a attendu quatre ans avant de traiter la demande CH de la demanderesse. Si la demande CH avait été tranchée en temps utile, c.-à-d. dans un délai d'un an, la demanderesse aurait pu se voir accorder une exemption fondée sur des considérations humanitaires, et obtenir parallèlement le statut de résidente permanente, à condition de se soumettre à des examens médicaux et à une enquête de sécurité. Le fils de la demanderesse peut la parrainer dans le mesure où il satisfait à certains critères. Le dossier est silencieux sur la question de savoir si le fils de la demanderesse satisfait ou non aux critères en question;
(vi) le stress psychologique causé à une femme âgée qui se trouve dans la situation de la demanderesse est _ inhabituel et démesuré _ par rapport au stress qui serait causé à une personne jeune, ayant une famille dans son pays d'origine.
[9] Le dernier argument de la demanderesse a trait à la façon dont l'agente s'est servie de la décision défavorable rendue à l'issue de l'ERAR. La demanderesse soutient que l'agente a commis une erreur en accordant trop d'importance à la décision relative à l'ERAR, décision qui était déraisonnable. Il ressort clairement de la jurisprudence que les agents d'immigration peuvent s'appuyer sur les conclusions d'un agent d'ERAR ou de la Commission de l'immigration à condition de ne pas affirmer qu'ils sont liés par les conclusions en question : Rahbari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1441. En l'espèce, rien ne donne à penser que l'agente s'estimait liée par la décision relative à l'ERAR. Le libellé de la décision porte en revanche à croire que l'agente a tenu compte de la preuve prise en considération lors de l'ERAR, et qu'elle est arrivée à la même conclusion que l'agent d'examen des risques.
[10] Je suis convaincu que l'agente n'a pas entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne la décision relative à l'ERAR. Toutefois, elle a de toute évidence accordé une grande importance à cette évaluation des risques. Ceci étant, l'examen des risques pourrait être perçu comme faisant partie de la décision de l'agente d'immigration : Khatoon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1408, juge Mosley. Pour ce motif, je suis prêt à me pencher sur le caractère raisonnable de la décision relative à l'ERAR en cause.
[11] L'agent d'ERAR a pris en considération les arguments de la demanderesse; il a mentionné qu'elle avait fourni très peu de renseignements concernant le risque auquel elle craignait d'être exposée en Argentine et qu'elle s'était presque entièrement fiée au récit figurant dans le Formulaire de renseignements personnels de sa fille. L'agent a également mentionné que la demanderesse avait quitté le Canada de son propre gré pour se rendre en Argentine en 1992 (un mois après qu'un membre de sa famille a prétendument été kidnappé), qu'elle avait vécu pendant deux ans en Argentine après l'assassinat de son mari sans qu'on s'en prenne à elle, et qu'elle n'avait pas demandé l'asile à son arrivée au Canada. L'agent a conclu que ce comportement était incompatible avec l'existence d'une crainte subjective de préjudice. Dans les circonstances, il m'est impossible de qualifier de déraisonnable la décision de l'agent d'ERAR sur la question du risque.
[12] Les parties et la Cour conviennent que la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agente d'immigration est annulée, et l'affaire est renvoyée à un autre agent d'immigration pour nouvel examen, avec instruction de régler la demande de parrainage connexe en même temps.
_ Michael A. Kelen _ _______________________________
Juge
Traduction certifiée conforme
Aleksandra Koziorowska, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-1858-04
INTITULÉ : YOLANDA ROMANO DE ROLDAN
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 12 JANVIER 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE KELEN
DATE DES MOTIFS : LE LUNDI 17 JANVIER 2005
COMPARUTIONS:
Patricia Wells POUR LA DEMANDERESSE
Ian Hicks POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Patricia Wells POUR LA DEMANDERESSE
Avocate
Toronto (Ontario)
John H. Sims, c.r. POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
COUR FÉDÉRALE
Date : 20050117
Dossier : IMM-1858-04
ENTRE :
YOLANDO ROMANO DE ROLDAN
demanderesse
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE