Date : 19991123
T-844-99
E n t r e :
MAIN REHABILITATION CO. LTD.
ROBERT TADDEO,
demandeurs,
- et -
MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
JOE TUCCI et SAMARJIT GILL,
défendeurs.
MOTIFS ET DISPOSITIF DE L"ORDONNANCE
LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE
[1] Les demandeurs ont présenté une requête en vue d"obtenir une ordonnance enjoignant à un office fédéral de se conformer aux articles 317 et 318 des Règles de la Cour fédérale (1998). À titre subsidiaire, les demandeurs sollicitent le prononcé d"une ordonnance transformant la présente demande en une action. Les défendeurs ont par la suite présenté une demande reconventionnelle concluant au prononcé d"une ordonnance radiant le seul affidavit que les demandeurs ont déposés à l"appui de leur requête, déboutant les demandeurs de leur requête et radiant l"avis de demande introductif d"instance. Voici les moyens invoqués au soutien de la demande reconventionnelle :
[TRADUCTION] |
a) Les demandeurs n"ont pas contre-interrogé M. Rodrigues au sujet de l"affidavit qu"il a souscrit à l"appui de la requête du 25 juin 1999 des demandeurs ; |
b) Les demandeurs n"ont pas déposé et signifié d"affidavits à l"appui de leur avis de demande, contrairement à l"article 306 des Règles de la Cour fédérale (1998) ; |
c) Les articles 81, 83, 84, 97, 306, 363 et 365 des Règles de la Cour fédérale (1998). |
[2] Comme les questions en litige dans les deux requêtes se recoupent, elles ont été instruites ensemble. À la clôture de l"audience, un ajournement a été accordé pour permettre aux avocats de présenter d"autres observations écrites au sujet des questions qui avaient été soulevées par la Cour au cours des débats.
[3] Après que les parties eurent présenté des observations écrites complémentaires, l"avocat des demandeurs a adressé à la Cour une lettre dans laquelle il me demandait de me récuser et de ne pas statuer sur les deux requêtes au sujet desquelles j"avais reporté le prononcé de ma décision.
[4] L"avocat me reproche en premier lieu d"ignorer les règles de procédure de la Cour. Deuxièmement, il affirme qu"il existe des motifs raisonnables de me soupçonner de partialité en raison de l"" hostilité " et de l"" animosité " dont j"aurais fait preuve envers lui à l"audience, ainsi que la semaine suivante, lorsqu"il a comparu devant moi pour une autre affaire. Troisièmement, il affirme que, dans deux requêtes distinctes dans lesquelles il représentait d"autres clients, j"ai rendu des décisions défavorables à ces clients et que ces décisions étaient motivées par l"antipathie que j"avais pour lui et qu"elles ne reposaient pas sur le bien-fondé de la cause. Bien qu"ils aient reçu une copie de la lettre de l"avocat des demandeurs, les défendeurs n"ont pas pris position au sujet de la demande de récusation.
[5] Les règles de droit relatives aux demandes de récusation ont été analysées à fond par le juge Teitelbaum dans le jugement Buffalo c. Canada (ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), (1997), 141 F.T.R. 109. Dans ce jugement, le juge Teitelbaum fait sienne la conclusion tirée par le juge Hoth dans l"arrêt Blanchard c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 263 et autres, (1991), 113 R. N.-B. (2e) 344, suivant laquelle on ne doit recourir à la récusation qu"avec circonspection et dans les cas les plus patents et les plus exceptionnels.
[6] Dans le jugementMiddelkamp v. Fraser Valley Real Estate Board, ©1993ª B.C.J. No. 2965 (1re inst.), le juge Boyd était saisi d"une demande de récusation fondée sur plusieurs moyens. On l"accusait notamment d"avoir fait preuve d"antipathie ou d"hostilité envers un des avocats. Pour rejeter la demande, le juge a déclaré :
[TRADUCTION] |
Les propos sur lesquels Me Rankin a insisté ont été tenus au cours de deux échanges bien précis avec l"avocat des demandeurs. Je tiens à assurer les demandeurs, M. Middlekamp et la personne morale demanderesse, que ces propos n"ont pas été tenus en préjugeant de l"issue de la présente affaire. Je ne voulais pas non plus faire preuve d"antipathie envers les demandeurs ou leur avocat. Au contraire, en exprimant les réserves que j"ai formulées, je voulais assurer le bon déroulement de l"instance (en surveillant notamment les agissements de l"avocat des demandeurs) et assurer ainsi une audition rapide et sans heurts de ce procès. En tant que juge du fond, j"ai non seulement le droit, mais aussi le devoir d"intervenir en pareil cas. Ces propos ont été tenus dans l"intérêt de toutes les parties à l"instance, y compris des demandeurs eux-mêmes. |
Le dossier ne permettrait pas selon moi à une personne objective et raisonnablement bien informée d"avoir une crainte raisonnable de partialité. |
Finalement, Me Rankin soutient que, même s"il n"y a aucun motif de récusation, je devrais quand même me récuser, étant donné qu"il m"est désormais impossible, en tant que juge du fond, d"entendre la cause des demandeurs avec justice et impartialité. Me Rankin se demande si l"observateur raisonnable pourrait s"attendre à ce que le juge demeure impartial et indépendant alors que la personne qui a dévoilé les renseignements en question est une des parties à l"instance. Il s"agit là, selon Me Cadman d"un argument sans issue. |
Je ne puis retenir cet argument, au risque de créer un dangereux précédent devant nos tribunaux. Agir autrement reviendrait à inviter les plaideurs mécontents et malheureux ou leur avocat à formuler n"importe quelle allégation au soutien de leur demande de récusation d"un juge. Si les allégations ne permettaient pas de conclure à de la partialité ou à une crainte raisonnable de partialité, le plaideur pourrait quand même se consoler en sachant que le simple fait de formuler de telles allégations aurait pour effet de vicier la procédure et de contraindre le juge à se récuser. Le juge en chef McEachern a reconnu ce danger dans l"arrêt G.W.L. Properties Limited v. W.R. Grace & Company of Canada Ltd., (1992), 74 B.C.L.R. (2d) 283 (C.A. C.-B.) dans lequel il déclare : |
[TRADUCTION] |
Il n"y a normalement crainte raisonnable de partialité que lorsqu"il existe des motifs juridiques justifiant la récusation du juge. Les choses ne sont cependant pas toujours aussi simples, parce qu"il faut toujours s"assurer qu"il n"y a aucune apparence d"injustice. Cela ne permet cependant pas au tribunal de céder devant tout reproche véhément qu"on lui adresse au sujet du déroulement de l"instance. Nous entendons tellement de reproches véhéments de nos jours que nous devons prendre garde de ne pas sacrifier de droits importants simplement pour apaiser ceux qui veulent à tout prix que les choses se passent comme ils l"entendent [...] |
[7] La Cour d"appel de la Colombie-Britannique a rejeté l"appel interjeté de ce jugement dans l"arrêt Middelkamp v. Fraser Valley Real Estate Board, (1993) 83 B.C.L.R (2d) 257. Dans les motifs de son arrêt, le juge Southin précise bien que [TRADUCTION] " par impartialité, il faut entendre l"existence d"un parti pris envers l"une ou l"autre partie ". Le juge ajoute :
[TRADUCTION] |
Sur la question du parti pris, Me Rankin a relevé dans son exposé introductif et répété dans sa réponse de nombreux propos que le juge du fond a tenus au cours des 60 jours d"audience en question et que certains pourraient considérer trop cinglants. Tout est une question de tempérament. Certains juges sont, par nature, silencieux. D"autres parlent peut-être plus qu"ils ne le devraient. Je n"ai pas l"intention de discuter de la question de savoir s"il aurait été préférable que certaines de ces paroles ne soient pas dites. Quel n"est pas l"avocat qui n"ait eu à l"occasion le sentiment d"avoir été traité injustement parce qu"il avait fait l"objet de vertes réprimandes de la part d"un juge ? Je me rappelle très bien d"en avoir fait l"expérience moi-même. |
Ainsi que, sauf erreur, le juge en chef de notre Cour l"a rappelé à plusieurs reprises, un procès, ce n"est pas une partie de plaisir. Le juge qui est partial n"est pas celui qui manque de politesse ou d"égards. C"est celui qui a un parti pris pour l"un ou l"autre des plaideurs. On ne peut non plus soupçonner de partialité le juge qui exprime une opinion sur l"affaire en se fondant sur la preuve ou qui fait preuve d"un manque de respect flagrant envers un avocat, si celui-ci a, dans l"esprit du juge, une conduite qui est contraire à l"usage professionnel. |
Les rapports entre le barreau et la magistrature ne sont pas toujours faciles. Pour que le système fonctionne, il faut pouvoir fixer des balises aux plaideurs et il faut que les avocats comprennent bien le processus judiciaire. Un juge ne peut pas faire grand chose face à l"étroitesse d"esprit. |
Il faut par ailleurs éviter d"assimiler le parti pris à ce qui peut s"avérer en fin de compte être un mauvais procès. Le jugement Jones v. National Coal Board n"est pas un jugement fondé sur la partialité ou une crainte de partialité. Il se peut que dans certains cas les concepts de partialité et de procès inéquitable se rapprochent au point de se confondre. Il n"est pas nécessaire que je précise dans quels cas cette situation se produit. |
On ne peut interrompre un mauvais procès pour le contester. Il faut attendre son issue et interjeter appel du jugement. Dans sa réponse, Me Rankin a affirmé que les propos qui ont été tenus suscitaient une crainte de partialité. Je tiens à dire qu"à mon sens, il ne suffit jamais, pour pouvoir obtenir la récusation d"un juge, que celui qui n"est pas au courant de tous les faits ou qui ne comprend pas le processus judiciaire puisse avoir une crainte de partialité. La conclusion que le juge a effectivement fait preuve de partialité doit reposer sur la preuve. Or, les éléments qui ont été porté ma connaissance en l"espèce ne permettent nullement de conclure que le juge du fond avait un parti pris en faveur des défendeurs. On ne m"a présenté aucun élément qui démontre que les propos que le juge a tenus au sujet du bien-fondé de la cause pourraient de quelque façon que ce soit être interprétés comme étant malencontreux. |
[8] Je n"ai pas l"intention de réfuter chacune des allégations que l"avocat des demandeurs a formulées dans sa lettre. Tout d"abord, son opinion personnelle au sujet de ma compétence n"a de toute évidence rien à voir avec la question du parti pris. De plus, j"infère des décisions précitées qu"il n"y a pas de parti pris lorsque le juge " ou, dans le cas qui nous occupe, le protonotaire " demande des éclaircissements à un avocat qui avance des arguments contradictoires ou faibles. Les commentaires que j"ai adressés à l"avocat lors de ses deux comparutions devant moi concernaient uniquement la solidité de ses arguments et non sa propre personne. Finalement, la conclusion défavorable tirée au sujet d"une des parties ne peut être invoquée pour affirmer que le juge avait un parti pris. L"appel est la voie de recours appropriée pour obtenir réparation en cas de présumée iniquité dans la procédure. En conséquence, j"en viens à la conclusion que la demande de récusation devrait être refusée.
[9] Ainsi qu"il a déjà été précisé, les deux requêtes présentées par les parties sont étroitement liées. Les faits suivants ressortent du dossier.
[10] Les demandeurs ont déposé un avis de demande introductif d"instance le 14 mai 1999 en vue de faire annuler la décision prise par certains fonctionnaires de Revenu Canada, en l"occurrence M. Joe Tucci et Mme Samarjit Gill (l"office fédéral). La décision en question visait à compléter la vérification comptable dont la personne morale demanderesse Main Rehabilitation Co. Ltd. (Main Rehabilitation) avait fait l"objet relativement à ses années d"imposition 1996 et 1997 et à entreprendre la vérification de ses documents comptables pour l"année d"imposition 1998. La décision a été communiquée à Main Rehabilitation dans une lettre écrite par Mme Gill le 11 mai 1999.
[11] Dans l"acte introductif d"instance, les demandeurs sommaient les défendeurs de produire une copie des motifs de leur décision ainsi que l"ensemble du dossier se trouvant en leur possession, et plus particulièrement les éléments suivants :
a) toutes les plaintes et/ou appels ou lettres " anonymes " que les défendeurs ont reçus de la part de tiers ; |
b) tous les documents relatifs à la vérification, y compris les " T2020 " ; |
c) tous les autres documents relatifs aux demandeurs qui se trouvent dans le dossier des défendeurs [sic]. |
[12] Le 2 juin 1999, l"avocat du ministère de la Justice s"est opposé à la production des documents réclamés en vertu du paragraphe 318(2) des Règles au motif que cette demande constituait un abus de procédure, étant donné que les défendeurs n"était pas légalement tenus de produire les documents demandés et que le fait pour les demandeurs d"invoquer l"article 317 des Règles priverait les défendeurs de leur droit de contester la demande par bref de mandamus.
[13] Le 4 juin, deux jours plus tard, l"avocat des demandeurs a accusé réception de l"opposition à la production et a répondu en écrivant la lettre suivante :
[TRADUCTION] |
Veuillez me faire savoir par télécopieur aujourd"hui les dates auxquelles vous seriez disponible pour l"audition d"une requête visant à forcer la production de documents ou, à titre subsidiaire, à convertir la présente demande de contrôle judiciaire en une action. Veuillez me préciser les dates auxquelles vous seriez disponible en juillet et en août et m"indiquer celles qui vous conviennent le mieux pour que je puisse préciser la date de présentation de la requête. À défaut par vous de répondre à la présente d"ici mardi, je fixerai cette date unilatéralement en conformité avec les Règles. |
[14] L"avocat des défendeurs a promptement fourni les dates demandées, mais trois semaines se sont écoulées avant que les demandeurs ne déposent et ne signifient la présente requête, ainsi que l"affidavit de Roger Rodrigues. Dans l"intervalle, le délai prescrit à l"article 306 des Règles dans lequel les demandeurs pouvaient déposer et signifier leur affidavit et leurs pièces documentaires à l"appui de la demande de contrôle judiciaire a expiré. Je signale, entre parenthèses, que la requête des demandeurs était présentable plus de deux mois plus tard, le 13 septembre 1999. Nous reviendrons plus loin sur le retard qu"accusait la fixation de la date d"audition de la requête.
[15] Par lettre en date du 22 juillet 1999, l"avocat des défendeurs a informé les demandeurs que les défendeurs retiraient leur opposition à la production fondée sur l"article 317 des Règles et il a joint une copie certifiée conforme des documents qui, selon eux, se rapportaient à la demande. Ces documents ont été transmis au greffe au même moment.
[16] Malgré le fait qu"ils avaient reçu un dossier certifié conforme de l"office fédéral en question, les demandeurs ne se sont pas désistés de leur requête. En conséquence, les défendeurs ont demandé à nouveau de contre-interroger M. Rodrigues au sujet de l"affidavit qu"il avait souscrit pour le compte des demandeurs. Le 3 septembre 1999, ils ont également signifié aux demandeurs l"affidavit souscrit par Samarjit Gill pour s"opposer à leur requête. Les parties ont finalement convenu que les contre-interrogatoires auraient lieu le 10 septembre 1999.
[17] Les demandeurs ont découvert à un moment donné que l"affidavit de Mme Gill n"avait pas encore été déposé devant la Cour. Le jour fixé, l"avocat des demandeurs s"est opposé à ce que M. Rodrigues soit soumis à un contre-interrogatoire au motif que les défendeurs n"avaient pas le droit de procéder au contre-interrogatoire tant que tous les affidavits des défendeurs ne seraient pas déposés. L"avocat a également refusé de contre-interroger Mme Gill, que les défendeurs avaient fait comparaître, parce que son affidavit n"avait pas encore été déposé. Malgré les assurances qu"ils ont reçus de la part de l"avocat des défendeurs, qui affirmait qu"il n"avait pas l"intention de déposer d"autres affidavits et que l"affidavit de Mme Gill serait déposé sous peu, les demandeurs ont maintenu leur refus de soumettre leur déposante à un contre-interrogatoire.
[18] Les défendeurs demandent maintenant la radiation de l"affidavit de M. Rodrigues et le rejet de la requête en raison du refus des demandeurs. L"article 83 des Règles permet de contre-interroger de plein droit l"auteur de l"affidavit qui a été déposé à l"appui d"une requête. L"article 97 énumère une série de sanctions dont est passible la partie qui ne se présente pas à un interrogatoire oral ou qui refuse de prêter serment. Dans le jugement Bayer AG et al. c. Apotex Inc. et al., (1998), 154 F.T.R. 229, le juge Rothstein a radié un affidavit après avoir posé les principes suivants :
Dans les litiges qui touchent la procédure comme c'est le cas dans la présente affaire et où la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour veiller à l'équité et à la rapidité de l'instance, chaque cas est un cas d'espèce. Cependant, il importe de signaler qu'en règle générale les affidavits ne sont radiés que si leur auteur omet de se présenter pour le contre-interrogatoire et que les affidavits de remplacement ne seront autorisés que s'il existe des raisons valables justifiant cette mesure. |
[19] Le refus des demandeurs de soumettre M. Rodrigues à un contre-interrogatoire était fondé sur la présomption erronée que les défendeurs étaient tenus de déposer leurs affidavits avant de pouvoir procéder à un contre-interrogatoire. De fait, le paragraphe 84(1) des Règles prévoit qu"une partie ne peut contre-interroger l"auteur d"un affidavit déposé pour le compte de son adversaire à moins d"avoir signifié ses propres affidavits. Le refus des demandeurs était par conséquent injustifié. En conséquence, l"affidavit de Roger Rodrigues doit à juste titre être radié.
[20] Même si j"étais porté à admettre en preuve l"affidavit de M. Rodrigues, je ne suis pas persuadé qu"il énonce suffisamment de faits pour permettre aux demandeurs de réclamer la production d"autres documents de l"office fédéral. L"obligation de produire vise à garantir que le dossier soumis à l"auteur de la décision est le même que celui qui est porté à la connaissance de la Cour. Il ne vise pas à faciliter la communication préalable de tous les documents qui peuvent se trouver en la possession de l"auteur de la décision [voir Canada (P.G.) c. Canada (Commissaire à l"information), (1998), 135 F.T.R. 254 (C.F. 1re inst.).].
[21] M. Rodrigues se plaint dans son affidavit d"avoir eu à passer en revue une documentation volumineuse qui avait déjà été fournie par Mme Gill. Il s"inscrit ensuite en faux contre le fait que le ministère de la Justice a déposé l"opposition soulevée en vertu du paragraphe 318(2) des Règles pour le compte de l"office fédéral. Il allègue aussi, sans preuve à l"appui, que certains documents sont incomplets. Ces assertions n"aident toutefois pas la Cour à décider si l"office fédéral s"est conformé aux articles 317 et 318 des Règles.
[22] M. Rodrigues déclare en outre dans son affidavit que des " notes d"inspection " ont été refusées. La pertinence de ces documents par rapport aux questions en litige dans la demande n"est pas évidente. Il ressort des éléments de preuve non contestés qui m"ont été soumis que tous les documents pertinents de l"office fédéral ont été produits ou se trouvent en la possession des demandeurs. Je conclus donc, vu l"ensemble de la preuve qui m"a été soumise, que l"office fédéral a respecté les exigences des articles 317 et 318 des Règles. En conséquence, la requête des demandeurs est rejetée.
[23] Les défendeurs ont présenté une demande incidente tendant à faire radier l"avis de requête introductif d"instance au motif que les demandeurs n"ont pas signifié leurs affidavits à l"appui en conformité avec l"article 306 des Règles. Outre les affidavits et les pièces déjà déposés, les défendeurs invoquent l"affidavit souscrit par Mme Donna Dorosh, ainsi que la transcription des observations des avocats qui a été effectuée le 10 septembre 1999. Les demandeurs n"ont déposé aucun document en réponse à la demande incidente et ils n"ont pas contre-interrogé Mme Dorosh au sujet de son affidavit.
[24] Aux termes de l"article 306 des Règles, les affidavits des demandeurs devaient être déposés dans les 30 jours suivant le dépôt de l"avis de demande. L"avocat des demandeurs a fait remarquer que le délai prescrit pour se conformer à l"article 306 des Règles était automatiquement suspendu en attendant qu"une décision soit rendue au sujet de leur requête visant à contraindre les défendeurs à produire le dossier de l"office fédéral. Il cite la décision rendue par le juge Reed dans l"affaire Abaev c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration), IMM-14-99, 9 mars 1999 (C.F. 1re inst.) à l"appui de cette proposition et, plus particulièrement, le passage suivant :
Cette conclusion s'accorde également avec l'économie générale des Règles. |
Les Règles sont manifestement conçues de manière à ce que le demandeur |
puisse consulter les documents pertinents de l'office fédéral avant de |
produire les affidavits qu'il doit déposer, de manière à pouvoir examiner |
les documents en question pour en vérifier la pertinence pour la préparation de ses affidavits. Les Règles prévoient un délai de dix jours entre la transmission des documents et le dépôt des affidavits. La mesure prise en l'espèce ne constitue pas une transmission des documents au demandeur dans le délai prescrit. |
[25] Suivant mon interprétation, l"extrait précité n"appuie pas l"argument de l"avocat suivant lequel une partie est dispensée de se conformer aux contraintes de temps normalement prévues par les Règles du simple fait que le dossier de l"office fédéral n"a pas été transmis ou est incomplet. Je tiens tout d"abord à faire remarquer que l"article 306 des Règles exige le dépôt de l"affidavit à l"appui dans les 30 jours du dépôt de l"avis de demande, et non 10 jours après la production du dossier de l"office fédéral dont il est question aux articles 317 et 318 des Règles. En second lieu, l"affaire Abaev, précitée, portait sur une demande de prorogation de délai présentée par un demandeur qui voulait invoquer le dossier de l"office fédéral avant de produire son affidavit. Il semblerait qu"une demande de prorogation de délai constitue par conséquent la bonne procédure à suivre dans ces circonstances.
[26] Je ne puis ignorer le fait que les demandeurs ont présenté leur requête après l"expiration du délai prescrit à l"article 306. Ils n"ont fourni aucune justification pour expliquer le temps qu"ils ont mis à présenter leur requête. Qui plus est, la requête était présentable plus de trois mois après que l"opposition des défendeurs avait été communiquée aux demandeurs. Le défaut des demandeurs de faire les diligences nécessaires pour faire instruire leur requête interlocutoire demeure injustifié et inacceptable. Il incombe au requérant d"agir promptement, compte tenu surtout des modifications récentes apportées aux Règles de la Cour fédérale, qui exigent que la demande de fixation de la date d"audition soit déposée dans les 180 jours de l"envoi de l"avis de demande.
[27] Dans la décision Delisle c. Canada (Procureur général) et al., (1996), 121 F.T.R. 256, le protonotaire Morneau a formulé les observations suivantes au sujet des conséquences du défaut du demandeur de déposer un dossier de demande conformément avec les anciennes Règles :
Il m'apparaît de la jurisprudence de cette Cour et de l'économie des règles 1600 à 1620 que dès qu'un requérant, face à une situation particulière, n'a pas été autorisé en vertu de la règle 1619 à passer outre à l'exigence de produire un dossier selon la règle 1606, sa demande de contrôle judiciaire est vouée en principe à radiation. |
Il semble en effet que tant les règles que la jurisprudence de cette Cour considèrent le dépôt du dossier d'une partie requérante en vertu de la règle 1606 comme une étape cruciale. Cette étape apparaît comme une condition sine qua non à la mise en place ou au déroulement des autres étapes propres à mettre en état une demande de contrôle judiciaire. Quant aux règles, il ressort de la règle 1607(1) que le dossier de la partie intimée ne peut venir qu'après le dépôt du dossier du requérant. |
[28] Le dépôt de l"affidavit prévu à l"article 306 des Règles constitue une étape qui fait partie intégrante de la procédure. Le défaut des demandeurs de déposer un affidavit à l"appui de leur demande a considérablement retardé le déroulement de l"instance, étant donné que le droit des défendeurs de déposer un affidavit conformément à l"article 307 n"est déclenché que lorsque les demandeurs se sont conformés à l"article 306. Qui plus est, les défendeurs subiraient un grave préjudice si l"on permettait la poursuite de la présente instance. Je dispose d"éléments de preuve non contredits suivant lesquels les demandeurs ont refusé de laisser la vérification comptable suivre son cours en raison du présent procès et suivant lesquels l"année d"imposition 1999 de Main Rehabilitation sera prescrite le 16 décembre 1999.
[29] La requête présentée par les défendeurs en vue d"obtenir le rejet de la demande de contrôle judiciaire des demandeurs en raison du défaut inexcusable de ceux-ci de déposer leur affidavit en conformité avec l"article 306 des Règles est justifiée eu égard aux circonstances de la présente espèce. Les demandeurs ont eu l"occasion d"expliquer de façon satisfaisante la raison pour laquelle ils ont retardé le déroulement de l"instance et se sont vu accorder la possibilité de demander la prorogation du délai qui leur était imparti pour se conformer aux Règles, mais ne se sont prévalus d"aucune de ces deux possibilités. La requête présentée par les défendeurs en vue d"obtenir la radiation de la demande est par conséquent accueillie.
[30] Vu la conclusion qui précède, il n"est pas nécessaire que j"examine la demande présentée par les demandeurs en vue de faire transformer la demande en une action. Il convient toutefois de souligner qu"aucun des arguments soulevés à l"audition de la requête ne portait sur cette question et que les pièces versées au dossier ne justifient pas l"octroi de la réparation sollicitée.
ORDONNANCE
[31] Par ces motifs, l"affidavit souscrit par Roger Rodrigues le 25 juin 1999 est radié, la requête présentée par les demandeurs en vue de forcer l"office fédéral à se conformer aux articles 317 et 318 des Règles est rejetée et la requête présentée par les défendeurs en vue
de faire rejeter la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les dépens des deux requêtes et de la demande sont adjugés aux défendeurs.
" Roger R. Lafrenière "
Protonotaire
TORONTO (ONTARIO)
Le 23 novembre 1999
Traduction certifiée conforme
Laurier Parenteau, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Avocats et procureurs inscrits au dossier
No DU GREFFE : T-844-99 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : MAIN REHABILITATION CO. LTD. |
ROBERT TADDEO
et
MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
JOE TUCCI et SAMARJIT GILL
LIEU DE L"AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO) |
DATE DE L"AUDIENCE : LE LUNDI 18 OCTOBRE 1999 |
MOTIFS ET DISPOSITIF
DE L"ORDONNANCE : LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE |
EN DATE DU MARDI 23 NOVEMBRE 1999
OBSERVATIONS ORALES
ET ÉCRITES : M e Rocco Galati |
pour les demandeurs |
M e John R. Shipley |
pour les défendeurs |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Galati, Rodrigues, & Associates |
Avocats et procureurs
637, rue College, bureau 203 |
Toronto (Ontario) |
M6G 1B5 |
pour les demandeurs |
M e Morris Rosenberg |
Sous-procureur général du Canada
pour les défendeurs |
COUR FÉDÉRALE DUCANADA
Date : 19991123
T-844-99
E n t r e :
MAIN REHABILITATION CO. LTD. |
ROBERT TADDEO,
demandeurs,
et
MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
JOE TUCCI et SAMARJIT GILL,
défendeurs.
MOTIFS ET DISPOSITIF DE L"ORDONNANCE