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Date : 20001130


Dossier : T-302-00

ENTRE :

     MARC BORDAGE

     Demandeur


- ET -


DENIS CLOUTIER

et

RICHARD WATKINS

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeurs



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX :


A)      Introduction
[1]      Le 18 février 2000, le demandeur, présentement incarcéré à l'Établissement Leclerc, pénitencier à sécurité moyenne, a déposé une demande de contrôle judiciaire pour contester les décisions rendues le 17 janvier 2000 par le Directeur du Centre Régional de Réception, soit de fixer sa cote de sécurité à moyenne et d'ordonner son transfert à l'Établissement Archambault, pénitencier à sécurité moyenne.
[2]      De plus, dans cette même demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste la décision du Service correctionnel du Canada (ci-après « SCC » ) prise le 24 décembre 1999 qu'il n'était pas admissible à la procédure d'examen expéditif prévue aux articles 125 et 126 de la Loi sur le système correctionnelle et la mise en liberté sous condition (ci-après « la Loi » ).
B)      Les faits
[3]      Le demandeur a été trouvé coupable de trafic de cocaïne et de complot pour trafic de cocaïne et, le 5 novembre 1999, il a été condamné par le juge Louis de Blois de la Cour du Québec à trois ans de pénitencier.
[4]      Conformément à la Directive du Commissaire 500 (Réception et orientation des détenus) et à l'Instruction permanente provisoire 700-04 (Évaluation initiale et planification correctionnelle), le demandeur a été conduit au Centre Régional de Réception (ci-après « CRR » ) pour procéder à son évaluation initiale et sa planification correctionnelle afin d'établir une recommandation quant à sa cote de sécurité et son placement initial.
[5]      Le 14 décembre 1999, Angelo Daneau, agent de libération conditionnelle, recommande une cote de sécurité minimum et un placement au Centre fédéral de formation, pénitencier à sécurité minimum. Le même jour, M. Daneau, n'ayant pas reçu d'avis contraire du gestionnaire des peines au CRR, détermine que le demandeur est admissible à la procédure d'examen expéditif (ci-après « PEE » ).
[6]      Le 20 décembre 1999, monsieur Bernard Van Houtte, le conseiller régional de gestion des peines, après consultation avec le conseiller national de gestion des peines, avise M. Daneau que suite à l'étude du dossier du demandeur par le SCC et plus particulièrement après examen et analyse de la transcription du prononcé de sa sentence par le juge de Blois, le demandeur ne pouvait pas bénéficier de la PEE de la Loi puisqu'il apparaît que les gestes reprochés au demandeur sont reliés à une organisation criminelle.
[7]      Le juge de Blois prononça le 5 novembre 1999 la sentence du demandeur suite au verdict de culpabilité rendu par les jurés. Il dit que la preuve démontre une organisation bien structurée dans la vente de stupéfiants, que la cocaïne provenait d'un groupe de motards, groupe fortement criminalisé et qu'une photographie montre vingt motards dont fait partie le demandeur et tous sauf le demandeur et Pierre Hamilton possèdent des antécédents judiciaires relativement soit à la drogue ou à des crimes de violence. Selon le juge de Blois, le demandeur était un fournisseur de drogue et possédait un niveau élevé dans la hiérarchie de ce trafic organisé, une organisation bien rodée; il était l'une des bases de la hiérarchie criminelle d'un groupe de motards oeuvrant dans la vente de stupéfiants.
[8]      Le demandeur fut avisé le 24 décembre 1999 par le sous-directeur du CRR qu'il ne rencontrait pas les critères d'accès à la PEE au motif que « nous avons obtenu des précisions importantes quant à votre implication au sein d'un groupe criminalisé notoire » . Le sous-directeur ajoute dans sa note du 22 décembre 1999 « considérant ces nouveaux faits ... nous demandons qu'une évaluation en ce qui a trait aux trois risques soit produite » et « avant de nous prononcer à nouveau sur une décision finale de transfèrement, nous attendrons une nouvelle recommandation de placement en fonction de l'évaluation produite concernant la cote de sécurité » .
[9]      La réévaluation de la cote de sécurité du demandeur fut faite par M. Daneau le 23 décembre 1999; le demandeur obtient une cote de sécurité moyenne et son placement à l'établissement Archambault est recommandé.
[10]      Le jour même qu'il fut avisé de la décision sur sa cote de sécurité et de son placement recommandé, le demandeur la conteste et indique qu'il fera des représentations écrites par l'entremise de son avocat.
[11]      Le 10 janvier 2000, les avocats du demandeur font parvenir leurs représentations écrites au directeur du CRR. Le 17 janvier 2000, le directeur du CRR fixe la cote de sécurité du demandeur à moyenne et ordonne son placement à l'établissement Archambault, pénitencier à sécurité moyenne.

C)      Questions en litige

[12]      Les défendeurs soulèvent quatre objections préliminaires: (1) aux termes de la règle 303(2) des Règles de la Cour fédérale (les Règles), seul le Procureur général du Canada doit être désigné comme défendeur; (2) selon la règle 302, une demande de contrôle judiciaire ne doit viser qu'une seule décision. En l'espèce, le demandeur attaque deux décisions très différentes : l'une concernant sa cote de sécurité et son placement, et l'autre visant son admissibilité au PEE; (3) le demandeur est hors délai quant à la décision concernant la PEE et (4) le demandeur ne s'est pas prévalu de la procédure de grief.

D)      Analyse

     (i)      Hors délai quant à la décision concernant le PEE

[13]      La preuve établit que c'est le 24 décembre 1999 que le demandeur a été informé du fait qu'il ne pouvait bénéficier de la procédure d'examen expéditif mais cependant sa demande de contrôle judiciaire n'est déposée que le 18 février 2000.
[14]      L'article 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale dit clairement qu'une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les trente jours qui suivent la première communication par l'office fédéral de sa décision à la partie concernée. Il est vrai que la Cour peut étendre les délais. Cependant, le demandeur n'a pas présenté une requête à cet effet. Dans les circonstances, je n'ai devant moi aucune justification du non respect de cette disposition législative et donc je n'ai d'autre choix que de rejeter la demande de contrôle judiciaire du demandeur visant la décision d'accessibilité au PEE.

     (ii)      Deux décisions visées par la même demande

[15]      Je n'ai pas à statuer sur ce point puisque nous ne sommes plus en présence de deux décisions compte tenu que la demande de contrôle judiciaire visant l'admissibilité au PEE est maintenant rejetée pour motif d'être hors délai.

     (iii)      Le demandeur ne s'est pas prévalu de la procédure de grief

[16]      Le paragraphe 4(g) de la Loi énonce le principe « que les décisions du Service doivent être claires et équitables, les délinquants ayant accès à des mécanismes efficaces de règlement de griefs » . L'article 90 de la Loi établit, conformément aux règlements d'application de l'alinéa 96 u) une procédure de règlement juste et expéditif des griefs sur les questions relevant du commissaire et, selon l'article 91 de cette même Loi, tout délinquant doit, sans crainte de représailles, avoir libre accès à la procédure de règlement des griefs.
[17]      Les articles 74 à 82 du Règlement sur le système correctionnel et de la mise en liberté sous condition (ci-après « le Règlement » ) contiennent les dispositions sur la procédure de règlement des griefs. Trois paliers sont établis : le premier palier -- le Directeur de l'Établissement; le deuxième palier -- le niveau régional; et le troisième palier -- le commissaire. Il existe aussi un comité d'examen de griefs de l'Établissement et un comité externe d'examen des griefs. De plus, la Directive 081 du commissaire -- plaintes et griefs des délinquants vise à l'application de la procédure sur les griefs prescrite par le Règlement.
[18]      À l'appui de sa prétention que la demande de contrôle judiciaire du demandeur devrait être rejetée pour motif qu'il n'a pas eu recours au système de grief, le Procureur général du Canada cite la décision du juge Rothstein dans l'affaire Giesbrecht c. Canada [1998] A.C.F. no 621 et la cause Anderson c. Canada (Forces armées) 1997 1 C.F. 273 (C.A.).
[19]      Dans l'affaire Giesbrecht, précitée, il s'agissait d'une contestation de la part d'un détenu d'une décision approuvant son transfert involontaire au pénitencier à sécurité maximale d'Edmonton. Le demandeur avait déposé un grief; de plus, il avait demandé le contrôle judiciaire. Le juge Rothstein est d'avis qu'il faut trancher la question préliminaire à savoir si la procédure des griefs prévue dans la Loi constitue une autre voie de recours appropriée qui doit être épuisée avant toute demande de contrôle judiciaire.
[20]      Le juge Rothstein examine les dispositions de la Loi et du Règlement ainsi que la Directive du commissaire et au paragraphe 10 de son jugement écrit ceci :
         À première vue, le régime législatif régissant les griefs constitue une autre voie de recours appropriée par rapport au contrôle judiciaire. Les griefs doivent être traités rapidement et les directives du commissaire fixent des délais. Rien ne laisse croire que ce processus est coûteux. Il est probablement même moins coûteux et plus simple qu'une procédure de contrôle judiciaire. Un détenu peut interjeter appel d'une décision sur le fond au moyen de la procédure de grief et un tribunal d'appel peut substituer sa décision à celle du tribunal dont la décision est contestée. Le contrôle judiciaire ne vise pas le fond de la décision et une issue favorable au détenu aurait simplement pour conséquence de renvoyer l'affaire pour que le tribunal dont la décision a été contestée en rendre une nouvelle.

[21]      Le juge Rothstein note que la décision définitive rendue à l'issue de la procédure de règlement des griefs pourrait bien sûr faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire.
[22]      L'arrêt Anderson, précité, traite de la même question de principe à savoir si une demande de contrôle judiciaire peut être maintenue vu l'existence d'un système de redressement de grief prévu dans les Ordonnances et Règlements Royaux applicables aux Forces Armées (ci-après « ORFC » ).
[23]      Le juge Stone examine la question selon les critères identifiés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Harelkin c. Université de Régina 1979, 2 R.C.S. 561 à la page 588 :
         Pour évaluer si le droit d'appel de l'appelant au Comité du sénat constituait un autre recours approprié et même un meilleur recours que de s'adresser aux cours par voie de brefs de prérogative, il aurait fallu tenir compte de plusieurs facteurs dont la procédure d'appel, la composition du Comité du sénat, ses pouvoirs et la façon dont ils seraient probablement exercés par un organisme qui ne constitue pas une véritable cour d'appel et qui n'est pas tenu d'agir comme si elle en était une, ni n'est susceptible de le faire. D'autres facteurs comprennent le fardeau d'une conclusion antérieure, la célérité et les frais.

[24]     

Le juge de première instance dans Anderson, précité, avait décidé que le régime de redressement de griefs prévu ne constituait pas une autre voie de recours appropriée, conclusion fondée sur les délais requis pour poursuivre la plainte à chaque niveau supérieur successif de la chaîne de commandement ainsi que sur le coût et la tension que subirait l'intimé.

[25]      Le juge Stone note que les ORFC prescrivent le devoir d'enquêter sur la plainte « aussi promptement que possible » et qu'un paragraphe de celles-ci prévoit des délais stricts de décisions à chaque palier de décision.
[26]      De plus, le juge Stone ne fut pas convaincu que le coût et la tension liés à la poursuite de la plainte à chaque niveau supérieur de la chaîne de commandement justifiaient l'intervention de la cour dans ce processus. À son avis, les règles de procédure définies dans les ORFC sont simples et faciles à observer. Il a conclu que le processus prescrit prévoit une autre voie de recours appropriée et qu'en conséquence, le recours en contrôle judiciaire n'est pas recevable.
[27]      Le Procureur général du Canada porte à mon attention la décision récente de la Cour d'appel du Québec dans la cause le Procureur général du Canada et autres c. Richard St-Amand (no 200-10-000972-005, 12 juillet 2000). Il s'agissait d'un pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure qui avait accueilli la requête habeas corpus formée par l'intimé, avait annulé la cote de sécurité élevée qui lui avait été attribuée ainsi que son transfert au pénitencier Donnacona et avait ordonné son retour au pénitencier Archambault.
[28]      Les motifs du jugement sont rédigés par le juge Thérèse Rousseau-Houle qui débute son analyse par une discussion sur le principe d'épuisement des autres recours. Comme fut le cas en l'espèce, les autorités carcérales dans la cause St-Amand avaient informé le détenu qu'il pouvait se prévaloir de son droit de contester par voie de grief (Directive du commissaire no 540 et Instructions permanentes 700-14) la cote de sécurité et de son placement par le processus de griefs des détenus.
[29]      Dans la cause St-Amand, le détenu plaide que le recours à la procédure de grief n'aurait rien changé puisque le Directeur du Centre Régional de Réception n'avait pas le pouvoir de modifier la cote de sécurité et que la décision à cet effet, prise afin de permettre le transfèrement était donc devenue finale avant qu'il ait pu exercer le droit d'être entendu. Il soutient que la procédure prévue aux Instructions permanentes 700-14 pour modifier la cote de sécurité ne respectent pas la règle audi alteram partem et est incompatible avec les garanties procédurales incorporées à l'article 27 de la Loi pour son transfèrement d'urgence, ce qui rendait illusoire toute possibilité de répondre aux allégations contenues dans le rapport de transfert.
[30]      Le juge Rousseau-Houle note que la Cour d'appel du Québec, à maintes reprises, a rejeté des demandes en habeas corpus en appliquant la règle de l'épuisement des recours lorsqu'il existe un recours alternatif approprié. Elle conclut de la façon suivante à la page 14, paragraphes 42 et 43 :
         En l'espèce, la hausse de la cote de sécurité de l'intimé était due à son transfèrement immédiat dans un établissement à sécurité maximale. Il pouvait contester cette hausse par la procédure de grief et faire valoir son point de vue et ses éléments de preuve devant les instances décisionnelles. Il bénéficiait en outre des garanties données par l'article 13 du Règlement et l'article 15 de la Directive du commissaire no 540 qui lui permettaient de présenter des observations verbales et écrites au directeur du pénitencier où il était transféré ou à l'agent désigné par ce dernier.
         Comme le dossier ne révèle aucune circonstance exceptionnelle permettant de conclure que la procédure statutaire n'était pas appropriée et que les exigences de la justice fondamentale nécessitaient un recours immédiat à l'habeas corpus, il n'y avait pas lieu d'avoir recours à l'application élargie de la révision par voie d'habeas corpus.


[31]      Le procureur du demandeur riposte en citant la décision du juge Pelletier dans Kevork Marachelian v. The Attorney General for Canada (dossier T-916-99, 11 juillet 2000) et les commentaires du juge Arbour dans son rapport de Commission d'enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston.
[32]      Je n'ai pas à me prononcer sur la contre-attaque du procureur du demandeur parce qu'elle vise principalement la décision du SCC sur l'admissibilité du demandeur au PEE, une décision qui ne fait plus l'objet de cette demande de contrôle judiciaire.
[33]      Je note aussi que le juge Pelletier, dans Marachelian, précitée, endosse le principe de l'épuisement des autres recours mais applique une exception qui ne nous concerne pas en l'espèce.
[34]      Je note aussi que le juge Arbour dans son rapport d'enquête avertit qu'elle ne dispose pas suffisamment d'information lui permettant de formuler des commentaires sur l'ensemble du processus de règlement des plaintes et des griefs au sein du Service correctionnel.
[35]      En espèce, tel que noté, le demandeur Marc Bordage fut informé le 17 janvier 2000 en ces termes :
         Conformément à la Directive du commissaire no 540 et l'Instruction permanente no 740-14, vous avez la possibilité de demander une révision de votre cote de sécurité et de votre placement par processus de griefs des détenus.
[36]      Les arrêts Giesbrecht et St-Amand sont à l'effet que le système de griefs prévu par la Loi, le Règlement, la Directive no 540 du commissaire et ses Instructions permanentes constituent une procédure statutaire appropriée qui doit être épuisée avant de déclencher une demande de contrôle judiciaire lorsqu'il s'agit d'une question afférente à une cote de sécurité ou de placement. Les circonstances de l'arrêt St-Amand sont identiques à celles de l'espèce et j'en viens à la conclusion que la demande de contrôle judiciaire du demandeur, Marc Bordage, doit être rejetée pour non respect du principe de l'épuisement des autres recours.

Dispositif

[37]      Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.


     "François Lemieux"

     Juge

Montréal (Québec)

Le 30 novembre 2000

    

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE



Date : 20001130


Dossier : T-302-00

Entre :

     MARC BORDAGE

     Demandeur

     - ET -

     DENIS CLOUTIER

et

RICHARD WATKINS

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeurs







    



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


    

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES PROCUREURS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :      T-302-00

INTITULÉ :     

     MARC BORDAGE

     Demandeur

     - ET -


DENIS CLOUTIER

et

RICHARD WATKINS

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :      Le 31 octobre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :      30 novembre 2000


COMPARUTIONS :


Me Jacques Normandeau

pour le demandeur

Me Michelle Lavergne et Me Éric Lafrenière

pour le Procureur général du Canada, défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


Montréal (Québec)

pour le demandeur

Ministère de la Justice Canada

Montréal (Québec)

pour le Procureur général du Canada, défendeur

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