Date : 20010308
Dossier : IMM-6081-99
Référence neutre : 2001 CFPI 150
E n t r e :
DRAGO DARDIC
demandeur
- et -
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
Les faits
[1] M. Drago Dardic (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision en date du 15 novembre 1999 par laquelle l'agente des visas Kate Eede (l'agente des visas) a refusé la demande présentée par le demandeur en vue d'être admis au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention financièrement autonome.
[2] La demande a été refusée au motif que le demandeur n'avait pas soumis les pièces nécessaires pour démontrer qu'il était suffisamment autonome sur le plan financier pour pouvoir se réétablir avec sa famille au Canada. L'agente des visas n'a pas abordé la question de savoir si le demandeur était admissible au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention après avoir conclu qu'il n'avait pas produit des éléments de preuve fiables au sujet de ses ressources financières.
[3] Le demandeur est un Serbe originaire de Bosnie-Herzégovine. Il est allé vivre en Allemagne en 1991 pour éviter de participer à la guerre dans son pays d'origine. Il demeure en Allemagne depuis 1991 avec un statut temporaire.
[4] Le demandeur a présenté sa demande d'admission au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention à l'ambassade canadienne à Bonn, par l'intermédiaire d'un conseiller en immigration. Sa demande, qui est datée du 1er juin 1999, a été transmise à l'ambassade avec une lettre d'accompagnement datée du 9 juillet 1999. L'ambassade a accusé réception de la demande par lettre en date du 14 septembre 1999. Cette lettre précisait également les pièces qui devaient être produites à l'appui de la demande, notamment une preuve de solvabilité. La lettre contenait également la note suivante :
[TRADUCTION]
VEUILLEZ FOURNIR ENSEMBLE TOUS LES DOCUMENTS DEMANDÉS D'ICI 45 JOURS, À DÉFAUT DE QUOI NOUS PRÉSUMERONS QUE VOUS N'ÊTES PLUS INTÉRESSÉ À IMMIGRER AU CANADA ET VOTRE DEMANDE SERA REFUSÉE POUR DÉFAUT DE SE CONFORMER AU PARAGRAPHE 9(3) DE LA LOI SUR L'IMMIGRATION[1].
[5] Par lettre datée du 10 octobre 1999, le conseiller en immigration qui agissait pour le compte du demandeur a soumis d'autres renseignements et documents, dont des copies de relevés bancaires, ainsi que l'avis suivant du conseiller :
[TRADUCTION]
Preuve de solvabilité. Veuillez prendre note de ce qui suit :
· Le compte no 316419446 est un compte actif, mais M. et Mme Dardic ont effectué des retraits dans ce compte lorsqu'on les a interrogés au sujet du fait qu'ils résidaient toujours en Allemagne. Le solde actuel de ce compte est de 88,66 DM, mais les demandeurs ont en mains le solde de ce compte en argent liquide.
· Le compte no 335521860 a été fermé le 7 mai 1999 et les demandeurs ont retiré de l'argent de ce compte pour la même raison. Les demandeurs ont toujours en mains de l'argent retiré de ce compte sous forme d'argent liquide.
· Le compte no 53013325 est un compte actif dans lequel plus de 4 500 DM ont été déposés.
· Le compte no 530111999est un compte actif dans lequel plus de 4 100 DM ont été déposés.
· Le compte no 53013326 est un compte actif dans lequel plus de 4 500 DM ont été déposés.
· Le compte no 53013325 est un compte actif dans lequel plus de 3 600 DM ont été déposés[2].
[6] Ces renseignements ont été communiqués à titre de « preuve de solvabilité » en réponse à la demande de l'ambassade qui les exigeait pour examiner la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, ainsi que l'ambassade l'a précisé dans sa lettre du 14 septembre 1999.
[7] L'agente des visas a refusé les documents et les renseignements soumis à titre de preuve de solvabilité. Voici ce qu'elle a déclaré dans sa lettre :
[TRADUCTION]
J'ai bien reçu votre demande le 13 octobre 1999. Toutefois, les pièces relatives à votre solvabilité ne sont pas en votre nom et ne proviennent pas d'une institution financière ainsi que nous l'avions précisé dans notre demande. Ainsi que nous vous l'avons précisé dans notre accusé de réception du 14 septembre 1999, les pièces établissant votre solvabilité doivent absolument être examinées en fonction de la catégorie des réfugiés autonomes (CR4)[3].
Questions en litige
[8] Le demandeur soulève les quatre points litigieux suivants dans la présente demande de contrôle judiciaire :
A. L'agente des visas a commis une erreur de droit en ne se prononçant pas sur l'admissibilité de la revendication du statut de réfugié, contrairement à ce que prévoit le Guide de l'immigration du ministre.
B. L'agente des visas a commis une erreur de droit en exigeant une preuve de solvabilité à un autre moment que celui de la délivrance du visa et elle a commis une erreur en affirmant qu'une « preuve de solvabilité irréfutable » était nécessaire.
C. L'agente des visas a commis une erreur de droit dans son application du paragraphe 9(3) et de l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration, compte tenu des faits de l'espèce.
D. L'agente des visas a commis une erreur de droit et manqué à son obligation d'équité procédurale envers le demandeur en n'accordant pas d'entrevue à celui-ci.
Thèse du demandeur
[9] Le demandeur soutient que l'agente des visas a commis une erreur de droit justifiant l'intervention de notre Cour en ne se prononçant pas sur son admissibilité en tant que réfugié au sens de la Convention avant d'évaluer la suffisance des pièces qu'il nous a soumises au sujet de ses ressources financières.
[10] Deuxièmement, le demandeur affirme que l'agente des visas a commis une erreur de droit en exigeant une preuve de solvabilité avant de délivrer un visa. L'agente des visas a aggravé son erreur en exigeant une « preuve de solvabilité irréfutable » , imposant ainsi la norme de preuve au-delà de tout doute raisonnable qui s'applique en matière criminelle au lieu de la norme de la prépondérance de la preuve applicable en matière civile.
[11] Dans le cadre de son argument sur la deuxième question en litige, le demandeur soutient que l'agente des visas a mal interprété les éléments de preuve relatifs à l'autonomie financière du demandeur, car il ressortait de la preuve qu'il disposait d'environ 16 788 DM, ce qui équivaut à peu près à 12 000 $ CAN. Cette somme est supérieure à la somme recommandée de 10 000 $ par famille.
[12] Troisièmement, le demandeur affirme que l'agent des visas a commis une erreur en se fondant sur le paragraphe 9(3) et sur l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) pour apprécier sa demande. L'agente des visas a commis une erreur parce qu'elle a exigé à tort une preuve de solvabilité au moment où le demandeur a présenté sa demande d'admission au Canada, au lieu d'attendre la délivrance du visa pour le faire.
[13] Finalement, le demandeur affirme qu'en ne le recevant pas en entrevue et en ne lui offrant pas l'occasion de répondre à ses préoccupations, l'agente des visas a manqué à l'obligation d'agir avec équité envers lui à laquelle elle était soumise.
Thèse du défendeur
[14] Le défendeur affirme que l'agente des visas a régulièrement exercé son pouvoir discrétionnaire en rendant la décision en question et il soutient que cette décision devrait être confirmée.
[15] Le défendeur ajoute qu'aux termes du paragraphe 8(1) de la Loi, il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il respecte les conditions applicables. La personne qui ne produit pas les pièces qu'exige l'agent des visas s'expose au rejet de sa demande comme le prévoit le paragraphe 9(3) de la Loi. En l'espèce, l'agente des visas a conclu que le demandeur n'avait pas soumis la preuve de solvabilité exigée. L'agent des visas a apprécié équitablement la demande du demandeur, avec un résultat négatif pour ce dernier.
Analyse
[16] La décision en litige dans la présente demande est la décision discrétionnaire contenue dans la lettre du 15 novembre 1999 de l'agente des visas. La norme de contrôle applicable à l'auteur d'une décision discrétionnaire a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada et autres, [1982] 2 R.C.S. 3, (1982), 137 D.L.R. (3d) 558 (C.S.C.), dans lequel le juge McIntyre déclare à la page 562 [aux pages 8 et 9 R.C.S.] :
En interprétant des lois semblables à celles qui sont visées en l'espèce et qui mettent en place des arrangements administratifs souvent compliqués et importants, les tribunaux devraient, pour autant que les textes législatifs le permettent, donner effet à ces dispositions de manière à permettre aux organismes administratifs ainsi créés de fonctionner efficacement comme les textes le veulent. À mon avis, lorsqu'elles examinent des textes de ce genre, les cours devraient, si c'est possible, éviter les interprétations strictes et formalistes et essayer de donner effet à l'intention du législateur appliquée à l'arrangement administratif en cause. C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.
[17] Mon examen du dossier certifié du tribunal en l'espèce m'a convaincue que la conclusion de l'agente des visas au sujet du caractère suffisant de la preuve de solvabilité du demandeur était raisonnable. Le demandeur n'a produit aucun relevé d'une banque allemande ou de déclaration solennelle concernant sa situation financière. Il était loisible à l'agente des visas de conclure que les pièces produites étaient insuffisantes. La preuve ne permet pas de penser qu'elle a tenu compte d'éléments étrangers pour en arriver à cette conclusion.
[18] Quant aux arguments du demandeur suivant lesquels l'agente des visas a manqué à son obligation d'agir avec équité envers lui en ne le recevant pas en entrevue et en ne lui donnant pas l'occasion de répondre à ses préoccupations, je me reporte à la décision du juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Tahir c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1998), 159 F.T.R. 109, à la page 110 où la Cour déclare :
Le demandeur soutient que lorsqu'une demande est incomplète, il incombe à l'agent des visas de demander des documents justificatifs ou encore d'accorder une entrevue à la personne visée afin de permettre à cette dernière d'appuyer sa demande. Je ne suis pas d'accord. Il incombe au demandeur de déposer une demande accompagnée de tout document justificatif pertinent. L'agent des visas n'a aucune obligation de s'efforcer de parfaire une demande incomplète. De toute évidence, l'agent des visas peut faire enquête lorsque cela est justifié, mais lorsque le demandeur se contente de fournir un simple titre de poste et ne se donne même pas la peine de fournir l'un ou l'autre des documents justificatifs disponibles, je trouve qu'il est choquant de laisser entendre que le fardeau est renversé et de prétendre qu'en l'espèce, l'agente des visas aurait dû faire davantage.
[19] Eu égard aux circonstances de la présente espèce, je conclus que l'agent des visas a régulièrement exercé son pouvoir discrétionnaire lorsqu'elle a apprécié la demande présentée par le demandeur en vue d'être admis au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention, notamment lorsqu'elle a apprécié les pièces soumises par le demandeur. L'agente des visas n'était pas obligée d'examiner si le demandeur pouvait être admis au Canada en tant que réfugié au sens de la Convention une fois qu'elle avait conclu que la preuve de solvabilité requise n'avait pas été fournie. L'agente des visas n'a pas manqué à son obligation d'agir équité envers le demandeur.
[20] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
[21] Bien que l'avocat du demandeur ait soumis deux questions à certifier en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi, la présente décision repose sur l'application de principes généraux aux faits de l'espèce. Aucune question ne sera donc certifiée.
« E. Heneghan »
J.C.F.C.
Ottawa (Ontario)
Le 8 mars 2001.
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : IMM-6081-99
INTITULÉ DE LA CAUSE : Drago Dardic
c.
Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 27 février 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Heneghan le 8 mars 2001
ONT COMPARU :
Me Mary Lam pour le demandeur
Me Marianne Zoric pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Mary Lam pour le demandeur
Toronto (Ontario)
Me Morris Rosenberg pour le défendeur
Sous-procureur général du Canada
Date : 20010308
Dossier :IMM-6081-99
OTTAWA (ONTARIO), LE 8 MARS 2001
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN
E n t r e :
DRAGO DARDIC
demandeur
- et -
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
défendeur
ORDONNANCE
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« E. Heneghan »
J.C.F.C.
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad. a.