Ottawa (Ontario), le 26 avril 2006
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DE L’ORDONNANCE
LE JUGE GIBSON
[1] La demanderesse allègue qu’elle est une citoyenne de la République populaire de Chine (RPC). Elle aurait quitté Hong Kong et serait arrivée au Canada le 20 août 2004. Quelques jours plus tard, elle aurait déposé une demande du statut de réfugié ou de protection semblable au Canada fondée sur l’allégation qu’elle craignait la persécution ou un traitement semblable si elle retournait en République populaire de Chine du fait de ses opinions politiques et de sa religion chrétienne.
[2] Dans une décision rendue le 10 juin 2005, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n’avait pas droit au statut de réfugié ou à une protection semblable. La demanderesse a demandé le contrôle judiciaire de cette décision. Les présents motifs font suite à l’audition de la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse.
LE CONTEXTE
[3] La demanderesse allègue qu’elle a toujours résidé dans la région de Guangxi en République populaire de Chine. Elle soutient qu’elle a une éducation très limitée et qu’elle a eu un mode de vie rural dans cette région où elle a acquis une grande expérience de l’agriculture. Elle était mariée, mais est maintenant divorcée. Elle a deux fils, un né en 1992 et l’autre né le 9 avril 2005, après l’arrivée de la demanderesse au Canada.
[4] La demanderesse est arrivée au Canada apparemment accompagnée par un passeur de clandestins qui s’est fait passer pour son partenaire, et elle a présenté un faux passeport canadien. Sa photo se trouvait sur le passeport, mais le nom qui y était inscrit n’était pas le sien. Elle allègue qu’elle est passée par Hong Kong pour venir au Canada et qu’elle a pris l’autobus pour se rendre à Hong Kong. Elle a témoigné que, tout au long de ses déplacements, elle s’était fiée entièrement sur le passeur de clandestins qui l’accompagnait. Elle allègue qu’il ne lui avait donné aucun conseil au sujet de sa fausse identité et qu’elle n’avait pas été en mesure de présenter à la SPR des preuves de ses déplacements, comme des cartes d’embarquement, des porte-adresses, des billets d’autobus ou d’avion. Bien qu’elle ait été capable de présenter à la SPR sa carte d’identité de résidante et son hukou, ou certificat de résidence, elle n’avait aucun certificat de naissance parce qu’elle l’aurait eu donné aux autorités pour obtenir son certificat de résidence.
LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[5] Au début de ses motifs de décision, la SPR a noté :
Les principales questions à trancher sont l’identité et le pays de nationalité de la demandeure d’asile [la demanderesse en l’espèce], puisqu’elle est entrée au Canada supposément à l’aide d’un faux passeport délivré par le Canada.
[6] Sous l’en-tête « Décision », la SPR a poursuivi :
Ayant pris connaissance de l'ensemble de la preuve, des observations, des documents pertinents, des dispositions législatives et de la jurisprudence, le tribunal conclut que la demandeure d’asile n'a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédible ou digne de foi permettant d’établir son identité et de démontrer qu’elle a de bons motifs de craindre la persécution et qu’il existe une possibilité sérieuse de persécution si elle retourne en RPC.
En outre, la demandeure d’asile n’a pas réussi à démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, elle serait exposée à une menace à sa vie ou à un risque de traitement ou peine cruels et inusités et qu’il existe une preuve crédible ou digne de foi permettant de croire qu’il est plus que probable qu’elle soit soumise à la torture au sens de l'article 1 de la Convention contre la torture si elle retourne en RPC.
[renvois omis]
[7] La SPR a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’avait pas réussi à établir son identité ni à prouver qu’elle était une ressortissante de la République populaire de Chine. La SPR a rendu les motifs suivants à l’appui de sa conclusion :
Dans ce cas, la demandeure d’asile n’a pas soumis de documents acceptables établissant son identité. Les preuves fournies contenaient des incohérences, des invraisemblances et des omissions importantes. La demandeure d’asile n’a pas réussi à fournir d’explications raisonnables ou convaincantes, ce qui jette un sérieux doute quant à l’admissibilité des documents.
[8] Bien qu’elle ait noté l’absence de documents à l’appui des allégations de la demanderesse au sujet de ses déplacements pour venir au Canada, la SPR a examiné en détail les problèmes soulevés par le hukou, ou certificat de résidence, et la carte d’identité de résidente de la demanderesse. La SPR a conclu que tous les documents que la demanderesse avait présentés étaient des faux. Par conséquent, elle n’a accordé aucune importance aux documents présentés. Elle a conclu :
Par conséquent, le tribunal conclut que la demandeure d’asile n’a pas fourni suffisamment de documents et d’éléments de preuve crédibles pour établir son identité en tant que ressortissante de la RPC. Le tribunal reconnaît que la demandeure d’asile parle le cantonnais; toutefois, cette langue est parlée dans plusieurs pays. Le tribunal ne peut pas tirer de conclusion quant au pays de nationalité de la demandeure d’asile en se fondant sur ce seul fait. Étant donné que la demandeure d’asile n’a pu établir son identité, ce qui est la première étape pour un demandeur d’asile, le tribunal n’examinera pas davantage si elle risque d’être persécutée ou est une personne à protéger du fait de sa religion et de ses opinions politiques présumées.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[9] Bien que, dans l’exposé des faits et du droit déposé pour la demanderesse, son avocat soulève huit (8) questions, je suis convaincu que l’essentiel de ces questions se résume à la suivante : la SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de révision en tirant ses conclusions au sujet de l’identité de la demanderesse et en appliquant à la demanderesse, une personne censément peu informée qui vient d’un milieu rural et qui est très peu éduquée, un fardeau qui serait plutôt approprié pour une personne beaucoup plus informée?
[10] Dans un exposé des arguments supplémentaire, présenté après que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire eut été accordée, l’avocat de la demanderesse a soulevé pour le compte de sa cliente la question suivante : la SPR a-t-elle omis de respecter les règles d’équité procédurale ou de justice naturelle envers la demanderesse en utilisant « l’ordre inversé des interrogatoires » au cours de l’audience, dans lequel la SPR a commencé l’interrogatoire et l’avocat de la demanderesse n’a eu la chance d’interroger la demanderesse que lorsque la SPR a eu terminé son interrogatoire?
ANALYSE
[11] Je traiterai d’abord, brièvement, de la question de l’ordre inversé des interrogatoires.
[12] Il n’a pas été contesté qu’aucune objection n’a été soulevée à l’avance, au début ou au cours de l’audience de la SPR, au sujet de l’ordre des interrogatoires. En effet, comme je l’ai fait remarquer, la question n’a même pas été soulevée devant la Cour dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, ni dans l’exposé des arguments qui a été présenté à mon collègue qui a autorisé le contrôle judiciaire.
[13] Dans l’affaire Benitez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration[1], mon collègue le juge Mosley a tiré la conclusion suivante, au sujet de « l’ordre inversé des interrogatoires » ou la question des Directives no 7 du président, au paragraphe 235 de ses motifs :
[…] Si la question des Directives no 7 n’est soulevée que dans un mémoire des faits et du droit complémentaire déposé après l’octroi de l’autorisation, il y a renonciation implicite, et les demandeurs doivent s’en tenir aux questions cernées dans la première demande et le premier mémoire.
Bien que la jurisprudence de la Cour soit divisée à ce sujet, je fais mienne la conclusion précitée.
[14] Le juge Mosley a certifié la question suivante au sujet de sa conclusion précitée :
Quand un demandeur doit-il soulever une objection à l'application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?
[15] Compte tenu de la jurisprudence divisée de la Cour, je certifierai la même question en l’espèce.
[16] Je traiterai maintenant des questions de l’identité et de la crédibilité. Bien qu’il n’ait pas été contesté que la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR au sujet de la crédibilité est la décision manifestement déraisonnable, il existe une divergence d’opinion au sein de la Cour au sujet des questions d’identité. Dans l’affaire Niyongabo c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration[2], mon collègue le juge Beaudry a noté aux paragraphes 21 et 22 :
La jurisprudence de la Cour n’est pas unanime sur la question de la norme de contrôle qui est applicable aux conclusions de la Commission relatives à l’identité d’un demandeur d’asile.
Dans la décision Mayuma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) […], j’ai appliqué comme norme la décision manifestement déraisonnable. Dans la décision Rasheed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) […], mon collègue le juge Martineau a appliqué la décision raisonnable simpliciter.
[renvois omis]
De plus, très récemment, mon collègue le juge Phelan a adopté, avec réserve, la norme de la décision manifestement déraisonnable comme norme dans l’affaire Li c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[3]. Au paragraphe 5 de ses motifs, le juge Phelan a noté :
Pour décider de la norme de contrôle applicable, la Cour doit d'abord se demander quel aspect de la décision est contesté. S'agit-il de la crédibilité du récit du demandeur ou bien de la validité ou, subsidiairement, de l'authenticité des documents? Je souscris à l'analyse du juge O'Reilly faite dans Bouyaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) […] selon laquelle c'est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui s'applique aux volets de la décision ayant trait à l'identité d'un demandeur et à l'authenticité des documents, le volet relatif à la validité de documents étrangers étant quant à lui assujetti à une norme moins stricte.
[renvois omis, non souligné dans l’original]
Que la norme de contrôle appropriée soit la décision manifestement déraisonnable, ce qui est sans aucun doute le cas en ce qui a trait à la crédibilité de la demanderesse, ou la décision raisonnable simpliciter, au sujet de l’identité lorsque l’authenticité de documents étrangers est mise en doute, comme en l’espèce, je suis convaincu que le résultat en l’espèce est le même.
[17] L’avocat de la demanderesse a fait remarquer que la SPR a scruté de près et de façon trop critique les documents de la demanderesse délivrés à l’étranger. Je ne suis pas d’accord avec lui. Dans les cas où le demandeur, comme en l’espèce, arrive au Canada avec un faux passeport canadien, sous la direction, sinon la domination, d’un passeur de clandestins, je suis convaincu qu’il revient à la SPR d’examiner de manière critique les autres documents au sujet de l’identité du demandeur et ses réponses à des questions au sujet de ces documents. Il ne fait aucun doute que la SPR a effectué cet examen. En se fondant sur cet examen critique, la SPR a conclu que les documents d’identité de la demanderesse n’étaient pas fiables. Je suis convaincu que la SPR pouvait tirer cette conclusion et que son interrogation de la demanderesse à l’audience était entièrement raisonnable, même si la demanderesse est censément peu éduquée et qu’elle a vécu en région rurale. Un examen attentif de la transcription me porte à conclure que la SPR a été patiente et compréhensive pendant qu’elle interrogeait la demanderesse.
CONCLUSION
[18] Pour les brefs motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
CERTIFICATION D’UNE QUESTION
[19] Comme je l’ai souligné, je certifierai une question au sujet de « l’ordre inversé des interrogatoires », ou la question des Directives no 7. L’avocat de la demanderesse a demandé que la question suivante soit aussi certifiée :
[traduction]
À la lumière de la conclusion de la Cour dans les affaires Ramalingam c. M.C.I., IMM‑1298‑97, et Chidambaram c. M.C.I., [2003] A.C.F. no 81, 2003 CFPI 66, selon laquelle l’authenticité des documents ne fait pas partie des connaissances spécialisées de la Section de la protection des réfugiés (SPR), la SPR peut-elle conclure qu’une pièce d’identité délivrée par un État n’est pas authentique, en fonction de l’aspect physique du document, sans avoir recours à un rapport d’expert ou s’appuyer sur une preuve directe extrinsèque attestant que ces anomalies physiques apparentes indiquent ou sont la preuve qu’il y a eu un méfait?
Lorsqu’une question est certifiée, il n’est pas nécessaire de certifier une deuxième question. La Cour d’appel fédérale peut examiner tous les points soulevés par la décision que la Cour rend lors d’un contrôle judiciaire[4]. Dans les circonstances, je ne certifierai pas la question supplémentaire qui a été énoncée pour la demanderesse.
Ottawa (Ontario).
Le 26 avril 2006
Traduction certifiée conforme
Evelyne Swenne, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-4127-05
INTITULÉ : ZHIYING WU
c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Toronto (Ontario)
DATE DE L’AUDIENCE : Le 19 avril 2006
MOTIFS DE L’ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON
DATE DES MOTIFS : Le 26 avril 2006
COMPARUTIONS :
Marvin Moses |
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Vanita Goela |
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Marvin Moses Law Office Toronto (Ontario)
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John H. Sims, c.r., Sous-procureur général du Canada Toronto (Ontario)
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