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Date : 20191120


Dossier : IMM-1661-19

Référence : 2019 CF 1469

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ANITA BOZIK

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de l’examen des risques avant renvoi [ERAR] du 31 janvier 2019, par lequel un agent principal [l’agent] a conclu que la demanderesse n’était pas exposée à un risque. Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse.

[2]  La demanderesse, âgée de 24 ans, est citoyenne de la Hongrie d’origine rom. Elle est entrée pour la première fois au Canada avec sa famille alors qu’elle était mineure en octobre 2011. La famille (y compris la demanderesse) a fait une demande d’asile, qui a été rejetée. Elle et sa famille sont retournées en Hongrie en décembre 2012. La famille a contesté le rejet de la demande d’asile et s’est vu refuser l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés.

[3]  La demanderesse est revenue au Canada en juillet 2016 accompagnée de sa fille, qui était née dans l’intervalle en Hongrie, et a présenté une autre demande d’asile. Cette fois, la demande d’asile de la demanderesse a été jugée irrecevable, puisqu’elle avait présenté la demande précédente cinq ans plus tôt, et une mesure d’exclusion a été prise contre elle. Toutefois, sa fille mineure a été autorisée à présenter sa demande d’asile, mais celle-ci a finalement été rejetée par la Section d’appel des réfugiés, qui a conclu que les éléments de preuve ne démontraient pas que le seul fait d’être Rom suffit en soi à établir qu’elle serait exposée à plus qu’une simple possibilité de persécution.

[4]  Pour sa part, la demanderesse a présenté une demande d’ERAR [l’ERAR‑I], qui a été rejetée en janvier 2017. En contrôle judiciaire, le juge Campbell de notre Cour a ordonné que l’ERAR‑I soit renvoyé pour nouvel examen par un autre agent (Bozik c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 920 [Bozik]).

[5]  En janvier 2018, un deuxième agent a refusé de procéder au réexamen de l’ERAR [l’ERAR‑II]. La demanderesse a de nouveau demandé le contrôle judiciaire, mais l’instance a fait l’objet d’un désistement avec le consentement des parties. Un autre agent [l’agent] a rendu une décision concernant l’ERAR‑II, ce qui a mené à la troisième décision d’ERAR, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire [l’ERAR‑III]. Dans la présente instance, la demanderesse a dit craindre qu’en tant que Rom, elle sera exposée à la persécution en raison des conditions en matière d’éducation, d’emploi, de soins de santé et de logement auxquelles elle sera confrontée en Hongrie, ainsi qu’à des menaces et des actes de violence de la part de groupes organisés, et que la police ne lui viendra pas en aide en raison de son origine ethnique rom.

[6]  Dans une décision détaillée de 10 pages [la décision], l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas i) fourni suffisamment d’éléments de preuve objectifs pour démontrer qu’elle se verrait refuser un logement, un emploi, le droit à l’instruction ou des soins médicaux en raison de son origine ethnique, ii) démontré qu’elle avait été victime de discrimination ou de persécution par le passé, iii) démontré qu’elle serait exposée à un risque personnalisé en Hongrie, et iv) réfuté la présomption de protection de l’État, puisqu’elle a quitté la Hongrie sans jamais s’adresser aux autorités.

I.  Analyse

[7]  La demanderesse soulève deux questions à l’égard de la décision d’ERAR‑III faisant l’objet du présent contrôle. Premièrement, elle fait valoir que l’agent a commis une erreur en n’évaluant pas correctement le risque de persécution au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], en ce que l’agent i) a fait erreur en rejetant la documentation objective sur la situation dans le pays et en l’obligeant à établir un risque personnalisé, et ii) s’est fondé de façon sélective sur certains éléments de preuve pour analyser la protection de l’État. La norme de contrôle applicable aux décisions d’ERAR, notamment la façon dont l’agent a traité la preuve, est celle de la décision raisonnable (Zarifi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1207, au par. 11).

  (i)  L’évaluation de la persécution (article 96) ou de la question de la personne à protéger (article 97)

[8]  Je ne souscris pas à l’argument de la demanderesse selon lequel l’agent a mal évalué le risque de persécution au sens de l’article 96 ou la protection au sens de l’article 97 de la Loi. Plus précisément, la demanderesse soutient que les documents sur la situation dans le pays n’ont pas à établir un lien avec sa situation personnelle, étant donné la situation difficile des Roms en Hongrie. Je ne suis pas de cet avis. La décision exhaustive faisait référence non seulement aux détails concernant l’expérience personnelle de la demanderesse et la discrimination dont elle a fait l’objet en Hongrie, mais aussi au fait qu’elle ne s’est jamais adressée aux autorités. Malgré certaines difficultés financières, en ce qui concerne l’incident que la demanderesse a souligné relativement au fait que sa fille n’a pas reçu de soins de santé adéquats pour le traitement d’une angine à streptocoque, il s’avère qu’on ne lui a pas refusé de traitement médical et qu’elle a reçu les médicaments dont elle avait besoin une fois que la demanderesse a obtenu les fonds nécessaires. De plus, l’agent a souligné l’absence de documents corroborants concernant la résidence de la demanderesse à Miskolc où, selon elle, elle devra retourner.

[9]  Les conclusions et la décision de l’agent étaient raisonnables compte tenu des éléments de preuve présentés par la demanderesse au sujet de sa situation personnelle, et particulièrement en raison de l’absence d’incidents de persécution (notamment l’absence d’incidents de violence) signalés par la demanderesse dans sa Hongrie natale. Bien que la demanderesse ait certainement été victime de discrimination, il était néanmoins loisible à l’agent de conclure que ses expériences particulières et sa situation future n’atteignaient pas le seuil de persécution et de risque requis pour satisfaire aux exigences des articles 96 et 97 de la Loi.

[10]  J’estime également que les observations de l’agent quant à la disponibilité de la protection de l’État sont raisonnables. Bien que la demanderesse affirme qu’elle serait exposée à un risque de persécution à l’avenir uniquement en raison de son sexe et de son groupe ethnique, l’agent a raisonnablement expliqué pourquoi cette affirmation n’était pas étayée par les documents sur la situation dans le pays ni par les décisions de la Cour. Là encore, j’estime que l’explication de l’agent à cet égard est transparente et se justifie au regard du dossier. Il est certain que la Hongrie connaît des difficultés. L’agent a examiné et abordé ces difficultés, en faisant référence à la preuve [traduction] « contradictoire », notamment les réponses récentes (2017 et 2018) aux demandes d’information de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, ainsi que d’autres rapports pertinents provenant également de sources crédibles comme le Département d’État des États‑Unis.

[11]  La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en exigeant que la preuve documentaire générale renvoie à sa situation. Elle souligne qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’elle a été ciblée personnellement ou persécutée antérieurement pour établir l’existence d’un risque au sens de l’article 96 (Olah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 921, au par. 14). La demanderesse soutient que, même si sa crainte subjective doit avoir un fondement objectif, ce fondement objectif peut se trouver dans l’expérience de personnes se trouvant dans une situation semblable, comme l’a déclaré le juge Campbell après son examen de l’ERAR‑I (Bozik, au par. 7).

[12]  Toutefois, je remarque que l’agent a cité la jurisprudence de notre Cour pour affirmer que, « bien que la preuve documentaire sur les conditions générales des Roms en Hongrie soulève des préoccupations concernant les droits de la personne, le simple fait d’être d’origine rom en Hongrie ne constitue pas, en soi, un élément suffisant pour établir qu’un demandeur fait face à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté à son retour au pays » (Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 426, au par. 19 [Balogh]). Comme le soutient le défendeur, l’agent a compris que la preuve documentaire générale pouvait suffire pour démontrer que la demanderesse serait exposée à un risque si les circonstances le justifiaient. Or, en l’espèce, le fait que la demanderesse n’a jamais été victime de persécution par le passé (par opposition à de la discrimination) signifie qu’elle aurait pu démontrer qu’elle serait exposée à un risque seulement si la preuve documentaire avait indiqué que tous les Roms sont exposés à un risque en Hongrie.

[13]  Dans diverses décisions concernant les Roms en Hongrie rendues au cours de chacune des trois dernières années, notre Cour est parvenue à la même conclusion que dans la décision Balogh susmentionnée (Csoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 651, aux par. 28-30; Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 273, au par. 11 (dans un contexte différent); et Ajtai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 292, au par. 19), à savoir qu’il n’existe aucune preuve de persécution généralisée des Roms.

[14]  L’agent a également conclu que la demanderesse n’avait pas établi de lien entre sa situation précise et la preuve documentaire objective :

[traduction]

On m’a remis une importante preuve documentaire sur les Roms en Hongrie. Bien que j’aie lu et examiné attentivement cette preuve, j’estime qu’elle est de nature générale et qu’elle n’établit pas que la demanderesse, en raison de sa situation, est exposée à un risque personnalisé en Hongrie. Il est important de souligner que la demanderesse n’a pas lié ces éléments de preuve à un risque personnalisé et futur. Il est bien reconnu qu’il ne suffit pas de mentionner simplement les conditions qui règnent dans le pays en général sans établir de lien entre ces conditions et la situation personnelle du demandeur. Le risque que pourrait courir la demanderesse d’être persécutée ou blessée si elle était renvoyée dans son pays doit faire l’objet d’un examen individualisé. Ce n’est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation de la communauté rom est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l’on doit nécessairement en déduire que cela représente un risque pour une personne en particulier. Par conséquent, je conclus que cette preuve n’établit pas que la demanderesse, selon la prépondérance des probabilités, est exposée à un risque en Hongrie pour les motifs mentionnés (décision, à la p. 7).

[15]  Contrairement à ce que fait valoir la demanderesse, l’agent n’a rejeté sa demande ni au motif qu’elle n’avait pas été personnellement ciblée, ni au motif que la preuve de la situation dans le pays n’était pas pertinente à sa demande, mais plutôt au motif que la preuve n’avait pas un lien suffisant avec sa situation. Comme je l’ai déjà expliqué, en l’absence d’une preuve de persécution antérieure d’un point de vue subjectif, la demanderesse devait établir que des personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne seraient exposées à un risque de façon objective. L’agent, citant la jurisprudence de notre Cour, a conclu à juste titre que le simple fait pour la demanderesse d’établir son identité de femme rom ne suffisait pas à démontrer l’existence de persécution d’un point de vue purement objectif.

 (ii)  La protection de l’État

[16]  La demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur dans sa conclusion selon laquelle la présomption de protection adéquate de l’État n’a pas été réfutée en se concentrant à tort sur les efforts mis de l’avant par le gouvernement et d’autres organisations pour améliorer la protection, plutôt que sur la question de savoir si ces efforts se sont traduits par une protection réelle et adéquate, citant la décision Boakye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1394. Je conviens que cet argument est toujours valable aujourd’hui, comme le prévoit, entre autres, la décision Pava c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 FC 1239, au paragraphe 38 [Pava]).

[17]  Toutefois, je souligne également que la présomption sous-jacente demeure valable relativement à toute analyse de la protection de l’État, à savoir celle établie dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, à la page 712 et aux pages 724 et 725, selon laquelle une demande échouera lorsqu’une protection de l’État adéquate est raisonnablement offerte à un demandeur d’asile et qu’il y a présomption qu’une protection de l’État adéquate est offerte dans son pays d’origine, réfutable à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants (voir, par exemple, la décision Pava, au paragraphe 36).

[18]  J’ai deux remarques à formuler à ce sujet. Tout d’abord, la conclusion relative à la protection de l’État n’était pas déterminante en l’espèce. C’est plutôt l’absence de fondement de la crainte de la demanderesse d’être persécutée qui a donné lieu à l’issue de l’ERAR‑III. L’analyse de la protection de l’État, tout comme une remarque incidente dans un jugement, n’a eu aucune incidence sur la conclusion principale de l’agent.

[19]  Ensuite, l’agent a clairement indiqué que la preuve concernant les améliorations en Hongrie est contradictoire. Toutefois, l’agent a conclu que la protection de l’État offerte à la demanderesse, bien que reposant sur la situation mitigée en Hongrie, serait néanmoins adéquate si la demanderesse était exposée à un danger dans le futur. Bien entendu, l’agent ne pouvait pas commenter l’expérience antérieure de la demanderesse en matière de demande de protection de l’État, parce que i) ni elle ni sa fille n’avaient été victimes d’agression et ii) elle n’avait pas cherché à obtenir la protection de l’État. L’agent a donc raisonnablement conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée du fardeau qui lui incombait de réfuter la présomption de protection de l’État au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants.

[20]  Ayant tiré cette conclusion, je conviens avec la demanderesse que, à au moins un endroit dans la décision de 10 pages, l’agent a fait erreur, comme c’est le cas immédiatement après qu’il a conclu à l’existence d’une protection adéquate de l’État pour les Roms victimes d’actes criminels, de discrimination et de persécution, et qu’il a souligné que la Hongrie fait de [traduction] « sérieux efforts » pour régler ces problèmes. De sérieux efforts, comme le fait remarquer la demanderesse, ne suffisent pas. Toutefois, très peu de décisions sont parfaites. Elles n’ont pas non plus à l’être : la perfection n’est pas la norme applicable en contrôle judiciaire (voir la dissidence du juge Evans dans l’arrêt Alliance de la fonction publique du Canada c Société canadienne des postes, 2010 CAF 56, au paragraphe 163, conf. par 2011 CSC 57, au paragraphe 1). L’espèce ne fait pas exception.

[21]  Mis à part cette observation, je ne suis toujours pas convaincu, malgré les efforts admirables déployés par l’avocate de la demanderesse, qu’il soit opportun de renvoyer l’affaire pour une troisième fois en vue d’un nouvel examen au motif que l’évaluation était déraisonnable. Rien ne justifie que je le fasse, compte tenu des conclusions qui précèdent. L’erreur signalée dans l’ERAR‑I par le juge Campbell dans la décision Bozik, ainsi que la faiblesse de l’ERAR‑II, à savoir que le dossier a été renvoyé pour nouvel examen par suite d’un désistement plutôt que d’une ordonnance de la Cour, de sorte que la Cour ne disposait d’aucune preuve dans cette décision, ont été abordées directement dans l’ERAR‑III. Quoi qu’il en soit, en l’espèce, la Cour ne dispose tout simplement d’aucun fondement au regard des faits ou du droit pour accueillir la présente demande, étant donné que les conclusions de l’agent étaient raisonnables.

II.  Conclusion

[22]  Puisque l’agent a rendu une décision raisonnable pour tous les motifs susmentionnés, je rejette la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-1661-19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question à certifier n’a été soulevée, et je conviens qu’il ne s’en pose aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de décembre 2019.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1661‑19

 

INTITULÉ :

ANITA BOZIK C LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 NovembRE 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 20 NovembRE 2019

COMPARUTIONS :

Cemone Marlese

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Daniel Engel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Grice and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

For The Applicant

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

For The Respondent

 

 

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