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Date : 20191120


Dossier : IMM-717-19

Référence : 2019 CF 1468

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 20 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

JIAN PING ZHANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rejetant l’appel interjeté par le demandeur à l’encontre du refus de sa deuxième demande de parrainage au titre de la catégorie des époux. Dans cette décision, la Section d’appel de l’immigration [la SAI] a appliqué le principe de la chose jugée, parce que la même question avait été tranchée lorsque le demandeur avait présenté sa première demande de parrainage au titre de la catégorie des époux en 2012. Je conclus que la décision de la SAI est raisonnable et je rejette donc la demande de contrôle judiciaire.

[2]  Brièvement, et à titre contextuel, M. Zhang est né en Chine. C’est là qu’il a rencontré son ex-épouse, une Canadienne, en 2002. Après leur mariage en 2005, elle l’a parrainé afin qu’il obtienne la résidence permanente au Canada; M. Zhang a ensuite été admis au Canada en octobre 2006. Ils ont divorcé en juin 2008.

[3]  M. Zhang a rencontré son épouse actuelle en Chine en 2002 et ils ont commencé à se fréquenter l’année suivante. Il affirme que la relation a pris fin en 2004, date à laquelle elle l’a informé qu’elle était enceinte de son enfant. Il ne l’a pas crue, et ils ont coupé les ponts. Elle a donné naissance à leur première fille en 2005. M. Zhang affirme qu’il ignorait l’existence de sa fille jusqu’à ce qu’une connaissance mutuelle l’informe de sa naissance en 2008. Peu de temps après, son épouse actuelle et lui ont ravivé leur relation. Le couple s’est marié plus tard dans l’année. Ils ont eu une deuxième fille en 2011.

[4]  M. Zhang a d’abord cherché à parrainer son épouse actuelle depuis la Chine en 2009. Cette première demande a été refusée par un agent des visas. Ils ont interjeté appel, sans succès, de la décision de la SAI [la décision de 2012] selon laquelle, aux termes de l’article 4.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, le premier mariage avait été dissous principalement pour que son épouse actuelle puisse acquérir un statut ou un privilège dans le système canadien de l’immigration. M. Zhang n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision.

[5]  En 2016, 10 mois après avoir acquis la citoyenneté canadienne, M. Zhang a présenté une deuxième demande de parrainage pour son épouse actuelle. L’année suivante, cette deuxième demande a elle aussi été refusée par un agent des visas. M. Zhang a interjeté appel sans succès devant la SAI, mais cette fois-ci, il a demandé le contrôle judiciaire de la décision [la décision de 2018] – qui fait l’objet des présents motifs.

[6]  Avant de rendre sa décision de 2018, la SAI a demandé aux parties, avant l’audience, de présenter des observations écrites sur la question de la chose jugée. Cette question s’est avérée déterminante, car la SAI a conclu qu’elle avait en effet déjà tranché la question dans la décision de 2012. Elle n’avait donc pas compétence pour entendre à nouveau l’appel. Dans sa décision de 2018, la SAI a décrit les trois conditions préalables à l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée – un volet du principe de la chose jugée – et a conclu que ces trois conditions préalables étaient remplies.

[7]  La SAI a ensuite examiné son pouvoir discrétionnaire de dispenser M. Zhang de l’application du principe de l’autorité de la chose jugée – à savoir si des circonstances particulières justifiaient de ne pas appliquer le principe. En particulier, M. Zhang a soutenu qu’il avait présenté de nouveaux éléments de preuve décisifs sous la forme d’une déclaration solennelle faite par son ex-épouse à l’appui de sa version des événements entourant l’échec du mariage et le second parrainage. La SAI n’était pas d’accord, concluant que la déclaration solennelle n’appuyait que partiellement son témoignage « modifié » à l’audience devant la SAI en 2012 et ne corroborait pas d’importantes questions relatives à la crédibilité. En conséquence, dans la décision de 2018, la SAI a jugé que cette déclaration ne constituait pas un élément de preuve nouveau ou décisif susceptible d’invalider les conclusions antérieures concernant la crédibilité de M. Zhang.

[8]  La décision de 2018 traite également de trois questions soulevées par M. Zhang au sujet du manquement aux principes de justice naturelle qui, selon lui, s’est produit lors de la deuxième entrevue au bureau des visas en 2017. La SAI a estimé que les questions avaient déjà été abordées dans la décision de 2012, soulignant qu’elle était définitive, car M. Zhang n’avait pas présenté de demande de contrôle judiciaire. La SAI a estimé qu’il serait contraire à l’intérêt public de donner suite à l’appel.

II.  Analyse

[9]  Le principe de l’autorité de la chose jugée est un moyen d’assurer le caractère définitif des instances, et son volet de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée empêche les parties de réexaminer les questions tranchées dans le cadre d’une procédure antérieure. Elle comprend deux étapes. Premièrement, l’autorité de la chose jugée s’applique si trois critères sont remplis, à savoir (1) la même question a déjà été tranchée; (2) la décision judiciaire antérieure était définitive, et (3) les parties à la procédure antérieure et à la présente instance sont les mêmes (Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, au par. 25 [Danyluk]).

[10]  Deuxièmement, même si les critères sont remplis, le décideur peut exercer son pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer le principe de la chose jugée lorsqu’une injustice en résulterait (Danyluk, aux par. 33, 62 à 67 et 80). Pour cette deuxième étape discrétionnaire de l’analyse, le décideur juge s’il existe des circonstances particulières qui justifient l’exercice du pouvoir discrétionnaire de refuser l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (Tuccaro c Canada, 2016 CAF 259, au par. 30) et où la remise en cause pourra servir l’intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice (Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63, au par. 52). De nouveaux éléments de preuve – c’est-à-dire, des éléments de preuve qui n’auraient pu être découverts par l’exercice d’une diligence raisonnable lors d’instance précédente – peuvent constituer des « circonstances particulières ». Toutefois, la barre est haute pour que la deuxième étape (pouvoir discrétionnaire en faveur du demandeur) soit appliquée – les éléments de preuve doivent être « pour ainsi dire déterminants dans l’affaire » (Vo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 230, au par. 27 [Vo]). Une autre façon pour que l’exception fondée sur les « circonstances particulières » prévue à la deuxième étape du critère de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée serait d’invoquer le manquement aux règles de justice naturelle (Danyluk, aux par. 75-76), comme la fraude ou la faute commise dans le cadre de la procédure antérieure (Punia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1078, au par. 8; Vo, aux par. 16-17).

[11]  Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, M. Zhang conteste la décision de 2018 pour deux motifs, à savoir (i) que la SAI aurait dû, d’après les nouveaux éléments de preuve, exercer son pouvoir discrétionnaire pour permettre la tenue de l’audience malgré l’autorité de la chose jugée (c.-à-d. la deuxième étape de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée) et (ii) qu’elle a commis une erreur dans son évaluation des questions de justice naturelle alléguées à l’entrevue au bureau des visas en 2017. Je conviens avec les parties que les deux questions devraient être examinées selon la norme de la décision raisonnable (Vo, par. 12), reconnaissant que M. Zhang ne conteste que la deuxième étape du principe de la préclusion découlant d’une question déjà devant la Cour, et qu’il existe une jurisprudence selon laquelle la première étape de la doctrine peut être examinée selon une norme différente (voir Chotai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1335, au par. 15 [Chotai]).

[12]  En l’espèce, la SAI a raisonnablement conclu que (i) les nouveaux éléments de preuve de M. Zhang et (ii) ses arguments relatifs à la justice naturelle ne justifiaient pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour invalider son évaluation de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. En ce qui concerne les nouveaux éléments de preuve, le tribunal a conclu à juste titre que la déclaration solennelle de l’ex-épouse ne constituait pas un nouvel élément de preuve décisif. Au contraire, la très courte déclaration a simplement fourni une chronologie de leur relation, confirmant principalement que le couple avait commencé à vivre ensemble en octobre 2006, mais qu’il avait éclaté en janvier 2007 pour cause d’incompatibilité, et qu’elle était revenue à Hong Kong où elle a maintenant une famille. M. Zhang soutient que c’était une erreur de rejeter cette déclaration sans se pencher sur le poids à lui accorder ou sur la question de savoir si elle était digne de foi, étant donné que son auteure n’a jamais été qualifiée de menteuse. L’avocat a déclaré que cette preuve était au cœur même de la décision de 2012.

[13]  Je ne suis pas d’accord. La décision de 2012 reposait en grande partie sur les diverses modifications au témoignage du couple et sur les incohérences qui en ressortaient, notamment en ce qui concerne la cause et le moment de leur rupture. Dans la décision de 2018, il a été conclu que la déclaration solennelle n’appuyait que partiellement la modification du témoignage de M. Zhang et qu’elle était donc insuffisante pour dissiper les préoccupations quant à la crédibilité. Essentiellement, la SAI a conclu que, si elle jugeait la déclaration digne de foi, celle-ci ne serait pas suffisante pour combler les nombreuses lacunes qui subsistaient dans le récit de M. Zhang.

[14]  Cette conclusion de la SAI était raisonnable compte tenu des circonstances. La question à laquelle il faut répondre est de savoir si les nouveaux éléments de preuve sont suffisants pour répondre à la première décision et s’ils auraient pu en changer l’issue (Chotai, au par. 21). La SAI a conclu à juste titre que la déclaration solennelle n’était pas suffisante. La déclaration ne comporte que neuf phrases qui, selon la SAI, fournissent « peu d’explications sur cette relation à l’exception de certains faits comme leur première rencontre, la date de leur mariage et la durée de leur cohabitation au Canada ». En fin de compte, les faits affirmés dans la déclaration, même s’ils sont vrais, ne prouvent pas que le premier mariage était authentique. Il était loisible pour la SAI de conclure que la déclaration ne satisfaisait pas au seuil élevé nécessaire pour constituer de nouveaux éléments de preuve.

[15]  Relativement à la deuxième question soulevée par M. Zhang, celui-ci affirme que la SAI a également agi de façon déraisonnable en négligeant les questions de justice naturelle découlant de l’entrevue précédente au bureau des visas en 2017. Cet argument pose deux problèmes.

[16]  D’abord et avant tout, c’est la décision de 2018 de la SAI qui fait l’objet d’un contrôle aujourd’hui, et non la décision de 2017 de l’agent des visas. Il est certain que le manquement à la justice naturelle dans le cadre du processus de la SAI donnerait lieu à des motifs d’intervention. En effet, le fait que le demandeur me demande d’examiner la décision de 2018 sous l’angle de la violation des principes de justice naturelle signifie que la violation alléguée se produit [traduction« après coup », et donc que la norme de la décision raisonnable s’applique dans cette situation particulière. Autrement dit, si l’on demandait à la Cour d’examiner un manquement à la justice naturelle allégué dans l’instance immédiatement inférieure, la norme de la décision correcte s’appliquerait.

[17]  Deuxièmement, pour trouver un fondement à la préclusion découlant d’une question déjà tranchée en cas de fraude ou de faute commise devant la SAI, il faudrait se reporter à la décision de 2012. Rien de tel n’est allégué, et rien de tel n’a été commis. M. Zhang soutient plutôt que la SAI a commis une erreur dans sa décision de 2018 lorsqu’elle s’est concentrée sur la décision de 2012 et sur la façon dont elle avait examiné l’entrevue au bureau des visas, mais les questions ont été soulevées au bureau des visas en 2017. Toutefois, comme l’a admis l’avocat, il s’agit là d’un argument circulaire, car pour en arriver là, il faudrait rejeter la doctrine de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée dans le cadre du premier ou deuxième volet du critère mentionné ci-dessus. Or, ce n’est pas ce qui s’est produit en l’espèce.

[18]  En conclusion, la question de savoir si l’épouse de M. Zhang a la qualité d’« époux » a déjà fait l’objet d’un litige et a finalement été tranchée par la SAI dans la décision de 2012. C’était à ce moment qu’il convenait de demander le contrôle judiciaire de cette décision. Le demandeur aurait dû faire de son mieux à ce moment-là, et non six ans plus tard. La SAI a décidé que le demandeur n’avait pas satisfait à la norme des nouveaux éléments de preuve « décisifs » pour invalider les conclusions antérieures. Je conviens que la déclaration n’a pas satisfait au critère nécessaire. L’évaluation qu’a faite la SAI de l’autorité de la chose jugée dans la décision de 2018 était justifiée et transparente, appartenant manifestement aux issues raisonnables au regard des faits et du droit, et je rejette donc la demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT dans le dossier IMM-717-19

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été soumise aux fins de la certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour de novembre 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-717-19

 

INTITULÉ :

JIAN PING ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 novembre 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 novembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

 

Pour le demandeur

 

Suzanne Bruce

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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