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Date : 20191112


Dossier : IMM-4017-18

Référence : 2019 CF 1414

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 12 novembre 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

JAMES ALAN COX

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle un délégué du ministre a pris une mesure d’exclusion contre M. Cox, alors que celui-ci tentait de rentrer au Canada, au motif qu’il est interdit de territoire pour manquement à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[2]  Au début de 2018, M. Cox, un citoyen américain de 56 ans parrainé par son épouse canadienne, a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Il a également présenté une demande de permis de travail.

[3]  En août 2018, M. Cox et son épouse ont quitté la maison de cette dernière à Ottawa pour un court séjour aux États‑Unis afin d’assister aux funérailles d’un ami de la famille. Lorsqu’il a tenté de rentrer au Canada au point d’entrée de Prescott, en Ontario, M. Cox a été envoyé à une inspection secondaire. Deux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] ont ensuite fouillé sa voiture. Ils ont découvert une petite quantité de ce qu’ils ont allégué être de la marijuana et ont brièvement arrêté M. Cox.

[4]  Après la courte détention, le premier agent a demandé à M. Cox de déverrouiller son téléphone cellulaire, où il a trouvé plusieurs courriels et messages texte qu’il a pris pour preuve écrite que M. Cox avait effectué un travail non autorisé au Canada.

[5]  À la suite de son enquête, le premier agent a établi deux rapports d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi – le premier portant sur la criminalité (entrée au pays avec de la marijuana) et le second sur le manquement à la Loi. Dans le premier rapport, l’agent a allégué que M. Cox avait tenté d’introduire clandestinement de la marijuana non déclarée au Canada et a recommandé que M. Cox soit déféré à une enquête devant la Section de l’immigration [la SI]. Dans le deuxième rapport, l’agent a conclu que M. Cox travaillait au Canada en tant que résident temporaire, sans autorisation de travail. Il a recommandé que le délégué du ministre, s’il décidait de donner suite au rapport, prenne une mesure d’exclusion d’une durée d’un an contre M. Cox, conformément au sous‑alinéa 228(1)c)(iii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement].

[6]  Le deuxième agent – qui agissait à titre de délégué du ministre aux fins de l’examen visé au paragraphe 44(2) – était présent lorsque le premier agent a rédigé ses rapports en vertu du paragraphe 44(1). Le délégué du ministre a refusé de donner suite au premier rapport concernant la marijuana, mais a souscrit au second. Dans son examen au titre du paragraphe 44(2) [la décision contestée], le délégué du ministre a pris une mesure d’exclusion d’un an.

[7]  La demande de résidence permanente de M. Cox a par la suite été rejetée en raison de la mesure d’exclusion. M. Cox a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision relative à la résidence permanente, demande qui a été mise en suspens en attendant l’issue de la présente affaire.

[8]  Les deux parties – M. Cox et les deux agents – ont présenté des affidavits dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Aucun des déposants n’a été contre-interrogé sur ces affidavits, et il n’y a eu aucune contestation procédurale à l’égard des affidavits, si ce n’est la préoccupation générale de l’avocat de M. Cox selon laquelle les agents tentaient d’étoffer leur décision. Toutefois, les trois affidavits, lus collectivement, n’apportent pas de précisions aux incohérences entre les versions des deux parties à propos de ce qui s’est passé pendant l’interrogatoire de M. Cox lors de l’inspection secondaire.

[9]  M. Cox soutient que les agents ne lui ont pas demandé s’il avait l’intention de travailler après son retour au Canada. Il fournit plutôt de nombreuses explications pour les messages textes et les courriels trouvés sur son téléphone cellulaire.

[10]  Les agents, pour leur part, racontent une autre version des événements qui se sont déroulés au point d’entrée. Plus particulièrement, le délégué du ministre déclare dans son affidavit que lorsqu’il a été question des conversations indiquant qu’il avait encore du travail à terminer au Canada, M. Cox [traduction] « n’a pas été en mesure d’expliquer ces conversations ».

[11]  L’exposé conjoint des faits déposé par les parties, reproduit à l’annexe A des présents motifs, contient une description plus complète du contexte.

II.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[12]  M. Cox soulève deux questions. Tout d’abord, il soutient que le délégué du ministre a commis une erreur en prenant la mesure d’exclusion au lieu de renvoyer l’affaire à la SI afin qu’elle rende une décision. Deuxièmement, il prétend que le délégué du ministre n’était pas impartial, puisqu’il a passé la majeure partie de la soirée avec le premier agent et qu’il a participé à certaines parties du processus.

[13]  M. Cox exhorte la Cour à examiner la première question (la prise de la mesure d’exclusion par le délégué du ministre) selon la norme de la décision correcte. Comme le reconnaît M. Cox, lorsqu’un décideur administratif interprète et applique sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat, la norme de contrôle applicable est présumée être celle de la décision raisonnable (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, au par. 22). Toutefois, M. Cox soutient que la présente affaire relève de l’exception énoncée dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], pour les questions concernant « la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents » (au par. 61).

[14]  Je ne suis pas d’accord. La question en l’espèce porte sur l’interprétation de dispositions particulières des lois constitutives du délégué du ministre, y compris le sous-alinéa 228(1)c)(iii) du Règlement. Cette disposition autorise le délégué du ministre à prendre une mesure d’exclusion lorsque l’étranger a manqué à « l’obligation prévue à l’article 20 de la Loi de prouver qu’il détient les visa et autres documents réglementaires ». Pour le texte intégral des dispositions législatives mentionnées dans les présents motifs, voir l’annexe B.

[15]  Je ne suis pas non plus persuadé que l’exception prévue dans l’arrêt Dunsmuir concernant la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents s’applique, car elle vise les situations où l’intervention des tribunaux est nécessaire pour délimiter les compétences. En l’espèce, il n’y a pas de chevauchement ou de confusion entre les compétences du délégué du ministre et celles de la SI. Il ne fait aucun doute que le délégué du ministre avait le pouvoir de déterminer si la Loi et le Règlement étaient respectés, de sorte qu’une mesure d’exclusion pouvait être prise.

[16]  Ma conclusion sur ce point est conforme à la jurisprudence de la Cour selon laquelle la décision de prendre une mesure d’exclusion en vertu de l’article 228 du Règlement est examinée selon la norme de la décision raisonnable. L’analyse la plus récente sur ce point a été effectuée par le juge Norris, qui a conclu qu’il faut faire preuve de retenue en raison de la nature essentiellement factuelle de la décision (Marcusa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 1092, au par. 15).

[17]  L’examen de la décision contestée selon la norme de la décision raisonnable est également conforme à la mise en garde répétée de la Cour suprême contre le fait de qualifier un point de « question de compétence » lorsqu’il existe un doute à cet égard (p. ex. Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au par. 33). Il est toutefois important de faire remarquer, comme il a été souligné dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au par. 44, que même lorsqu’une norme de retenue s’applique, l’éventail des interprétations raisonnables d’une loi constitutive peut encore être très limité.

[18]  Les deux parties conviennent que la deuxième question, à savoir l’allégation de partialité, soulève une question d’équité procédurale et devrait être examinée selon la norme de la décision correcte (Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1126, au par. 58).

III.  Analyse

A.  Le caractère raisonnable de la mesure d’exclusion

[19]  M. Cox soutient que le délégué du ministre a commis une erreur en prenant une mesure d’exclusion au titre du paragraphe 44(2), pour deux motifs :

  1. Le délégué du ministre a outrepassé sa compétence en prenant la mesure d’exclusion. Seule la SI pouvait prendre une telle mesure parce que le délégué du ministre a fondé sa décision au moins en partie sur du travail antérieur. Tant les dispositions législatives applicables que la jurisprudence exigent qu’une telle décision soit prise par la SI et non par un agent principal à la frontière.

  2. M. Cox n’était pas tenu, aux termes de l’article 20 de la Loi, de prouver qu’il détenait un permis de travail, puisqu’il n’entrait au Canada qu’à titre de visiteur. Le délégué du ministre ne pouvait donc avoir compétence en vertu du sous-alinéa 228(1)c)(iii).

[20]  Bien que je sois d’accord avec certaines des observations présentées par M. Cox dans ses arguments, je ne crois pas que la décision contestée est déraisonnable. Autrement dit, je ne crois pas que, dans son ensemble, la décision n’appartient pas aux issues possibles ou acceptables, compte tenu des faits sous-jacents et du droit applicable.

[21]  S’agissant du premier motif, M. Cox soutient que le délégué du ministre a outrepassé sa compétence en prenant la mesure d’exclusion, parce que l’un des deux rapports rédigés en vertu du paragraphe 44(1) ne relevait pas de sa compétence. Le chapitre ENF 5 du manuel des politiques, intitulé « Rédaction des rapports en vertu du paragraphe 44(1) », précise ce qui suit à la section 12.1 :

Rapports contenant des allégations dépassant la compétence du ministre

Si le rapport contient une ou plusieurs allégations d’interdiction de territoire et si le délégué du ministre a compétence pour toutes les allégations d’interdiction de territoire contenues dans ce rapport, ce dernier peut prendre une décision concernant ce rapport.

Toutefois, s’il y a plusieurs allégations d’interdiction de territoire dans le rapport et que le délégué du ministre a compétence en certaines de ces questions seulement, alors ce dernier n’est pas autorisé à prendre une décision concernant ce rapport et toutes les allégations doivent être déférées à la Section de l’immigration.

[22]  S’agissant du deuxième motif, M. Cox soutient que le délégué du ministre n’a jamais conclu qu’il entrait au Canada pour y travailler. M. Cox prétend plutôt que l’examen et la décision portaient tous deux sur sa conduite passée, et non sur ses plans futurs. Il ne cherchait à entrer qu’en tant que visiteur, pas en tant que travailleur. M. Cox soutient que selon la jurisprudence, cette situation va à l’encontre de ce qu’un délégué du ministre peut décider de manière éclairée à un point d’entrée : le délégué du ministre a outrepassé sa compétence, et l’affaire aurait dû être déférée à la SI afin qu’elle rende une décision finale.

[23]  Je ne peux souscrire à la position de M. Cox pour l’un ou l’autre des motifs qu’il a invoqués. En ce qui concerne le premier argument relatif à la compétence – selon lequel le délégué du ministre a invoqué deux motifs d’interdiction de territoire –, bien que le premier agent ait rédigé deux rapports en vertu du paragraphe 44(1), chacun contenait un seul motif d’interdiction de territoire. Le premier rapport rédigé en vertu de l’article 44 faisait état d’une interdiction de territoire pour criminalité. Le deuxième rapport rédigé en vertu de l’article 44 alléguait une tentative d’entrée au Canada sans les documents appropriés. De toute évidence, le délégué du ministre n’a examiné que le deuxième rapport et n’a pas examiné le rapport relatif à la contrebande. Ainsi, le délégué du ministre a clairement évité toute question de compétence énoncée dans le chapitre ENF 5 concernant « plusieurs allégations d’interdiction de territoire ». Autrement dit, le délégué du ministre n’a pas fait « plusieurs allégations d’interdiction de territoire » dans la décision contestée.

[24]  Sur le deuxième point concernant l’allégation d’avoir tenté d’entrer au Canada pour y travailler sans autorisation, bien que le délégué du ministre se soit penché sur le passé du demandeur, il s’est aussi manifestement tourné vers l’avenir. À mon avis, tant que le délégué du ministre n’a pas tenu compte uniquement du travail effectué dans le passé, mais aussi du travail futur, il a agi dans les limites de sa compétence. Plusieurs passages clés de la décision illustrent cette analyse. Ces passages clés, dans l’ordre où ils apparaissent dans la décision, sont cités textuellement ci-dessous :

[traduction]

L’origine de l’interdiction de territoire de M. COX constatée dans le rapport N302266300 découle du fait que M. COX a résidé au Canada sans autre statut que celui de résident temporaire (visiteur). Les éléments probants recueillis lors d’un examen secondaire qui comprenait l’examen d’un support électronique (téléphone cellulaire) indiquaient que M. COX a travaillé au Canada sans être en possession des documents requis, à savoir un document l’autorisant à travailler. Au cours du processus d’examen, M. COX a eu plusieurs occasions de dire la vérité sur son travail au Canada et, bien qu’on lui ait présenté des saisies d’écran de messages texte de nature professionnelle, il n’a pas assumé la responsabilité de ses actes et a plutôt essayé de trouver des excuses.

M. COX ne possède aucun document approuvé qui lui permettrait d’entrer au Canada dans le but de participer au marché du travail canadien. Pour que M. COX soit un résident temporaire autorisé à travailler au Canada, l’agent doit être convaincu qu’il a demandé et reçu les documents requis conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et à son Règlement. D’après les éléments de preuve présentés dans le rapport rédigé en vertu du paragraphe L44(1), l’agent examinateur et moi-même, à titre de délégué du ministre chargé de l’examen, ne sommes pas convaincus qu’il possède les documents requis l’autorisant à travailler.

[25]  Il est vrai que le délégué du ministre commence par mentionner la conduite passée de M. Cox, mais ce regard en arrière est un prélude à ses commentaires sur l’avenir, à savoir que M. Cox n’a pas les documents nécessaires pour [traduction« entrer au Canada dans le but de participer au marché du travail canadien ». Essentiellement, le délégué du ministre dit que M. Cox a besoin d’un permis de travail, mais qu’il n’en a pas. Un peu plus loin, il fait remarquer que M. Cox a en fait demandé un permis de travail, mais que les notes de l’ordinateur reflètent que celui-ci lui a été refusé (comme il est indiqué ci‑dessous). Le délégué du ministre cite le rapport du premier agent rédigé en vertu du paragraphe 44(1) (en lettres majuscules), qui fournit une explication plus complète des éléments de preuve auxquels le délégué fait référence :

[traduction]

D’APRÈS LES PREUVES RECUEILLIES AU COURS D’UN EXAMEN ÉLECTRONIQUE DE SON TÉLÉPHONE CELLULAIRE, LE SUJET A TRAVAILLÉ AU CANADA SANS AUTORISATION AUPRÈS D’UN ENTREPRENEUR À OTTAWA, ET A MÊME MIS SUR PIED UNE ENTREPRISE CONSTITUÉE EN SOCIÉTÉ CANADIENNE À NUMÉRO POUR LAQUELLE IL A REÇU DES DÉPÔTS DIRECTS POUR DES TRAVAUX EN VOIE D’ACHÈVEMENT.

PLUSIEURS MESSAGES TEXTE SUR SON TÉLÉPHONE CELLULAIRE MONTRENT QU’IL ACCOMPLIT DES TRAVAUX POUR PLUSIEURS PERSONNES ET QU’IL EMBAUCHE DES TRAVAILLEURS. IL S’OCCUPE AUSSI DE LA COORDINATION DES TRAVAUX DANS LA RÉGION D’OTTAWA.

LES MESSAGES TEXTES COMME PREUVE ONT ÉTÉ CONFIRMÉS DÈS LE DÉBUT, ÉTANT DONNÉ QU’IL EST SOUVENT APPELÉ JIM, COMME IL EST INDIQUÉ DANS LES PREUVES TIRÉES DE L’EXAMEN DU TÉLÉPHONE CELLULAIRE DU SUJET ET PAR LA VÉRIFICATION DE L’ADRESSE DE COURRIEL QUI EST CONFIRMÉE DANS SES COORDONNÉES FIGURANT DANS LE SYSTÈME MONDIAL DE GESTION DES CAS (SMGC).

SI LE SUJET AVAIT ÉTÉ PRIS PLUS TÔT À TRAVAILLER AU CANADA SANS AUTORISATION, IL N’AURAIT PAS ÉTÉ JUGÉ ADMISSIBLE À PRÉSENTER UNE DEMANDE DE RÉSIDENCE PERMANENTE AU CANADA ET AURAIT POSSIBLEMENT ÉTÉ FRAPPÉ D’UNE MESURE DE RENVOI.

LE SUJET A EFFECTUÉ UN TRAVAIL AU CANADA QUI NÉCESSITE UN PERMIS DE TRAVAIL, ET IL N’EST PAS EN POSSESSION D’UN PERMIS DE TRAVAIL VALIDE OU DE TOUT AUTRE DOCUMENT QUI L’AUTORISERAIT À TRAVAILLER AU CANADA.

LE SUJET A EFFECTUÉ UN TRAVAIL AU CANADA QUI NÉCESSITE SOIT UNE ÉVALUATION DE L’IMPACT SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL, SOIT UNE EXEMPTION DE CETTE ÉVALUATION. LE SUJET N’EST EN POSSESSION D’AUCUN DE CES DOCUMENTS.

[26]  Je pourrais souscrire à la position de M. Cox selon laquelle la décision contestée et la mesure d’exclusion qui en découle traitent uniquement du passé si le passage qui précède représentait l’intégralité de la décision. Mais ce n’est pas le cas. Ce passage ne représente qu’une partie de la décision, à savoir l’évaluation et la recommandation du premier agent. Le délégué du ministre fait ensuite remarquer, dans sa propre analyse indépendante, qu’il est conscient de la possibilité de déférer l’affaire à la SI, et explique pourquoi il a décidé de ne pas le faire :

[traduction]

En vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de son règlement d’application, renvoyer M. COX à une enquête pour avoir commis une infraction à la frontière en recommandant la prise d’une mesure d’expulsion serait conforme à la politique actuelle établie à l’article 229 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.

Toutefois, après une longue entrevue menée à la fois par moi‑même, à titre de délégué du ministre, et par l’agent examinateur; je ne crois pas que l’utilisation des ressources gouvernementales ou le maintien en détention de M. COX en raison de son manque de sincérité en attendant son renvoi pour enquête constitue une utilisation appropriée des ressources gouvernementales ou la façon la plus efficace de maintenir l’intégrité de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés dans ce cas précis.

M. COX aura maintenant le temps de s’assurer qu’il comprend la nécessité d’avoir une autorisation pour travailler au Canada et comment demander cette autorisation avant de commencer à travailler au Canada.

[27]  Le délégué du ministre examine ensuite ce qui, selon lui, constitue une preuve d’un travail antérieur, de même que les conséquences que cela aurait pu avoir sur la demande de résidence permanente de M. Cox :

[traduction]

M. COX n’a présenté aucune preuve qui l’emporte sur son interdiction de territoire. M. COX a tenté de demander un permis de travail plus tôt cette année, mais selon le Système mondial de gestion des cas (SMGC), il semble que celui-ci sera refusé puisqu’il n’est pas admissible à un permis de travail dans la catégorie pour laquelle il a fait sa demande. Le fait que M. COX savait qu’il avait besoin d’un permis de travail me démontre qu’il savait qu’il ne pouvait pas travailler au Canada sans autorisation préalable.

Au cours du processus d’examen, il est devenu évident que M. COX occupait un emploi non autorisé au Canada depuis quelques années. S’il avait été arrêté plus tôt, sa demande de résidence permanente n’aurait pas suivi son cours, car il aurait fait l’objet d’une mesure de renvoi pour manquement à la loi.

[28]  Il était loisible au délégué du ministre de faire ces observations. Il préparait simplement le terrain pour ses conclusions sur ce qu’une autorisation de séjour signifierait pour l’avenir, constatant que M. Cox continuerait à travailler :

[traduction]

Après avoir examiné cette affaire, je ne crois pas que le simple fait de permettre à M. COX de retirer sa demande d’entrée au Canada constitue une issue appropriée au présent contrôle. M. COX a eu plusieurs occasions d’être au Canada en tant que visiteur et, bien qu’on lui ait présenté des preuves tangibles, il n’a pas voulu prendre la responsabilité de ses actes. Je crois que, si M. COX était admis au Canada, il continuerait à travailler sans autorisation. M. COX a mis sur pied une entreprise canadienne à numéro croyant qu’il devrait être autorisé à travailler et à embaucher d’autres personnes sans autorisation préalable. Il n’a pas reconnu qu’il avait enfreint la Loi et le Règlement et a plutôt cherché à jeter le blâme sur d’autres ou à trouver des excuses.

M. COX n’était pas d’accord avec certains points mineurs des allégations formulées contre lui dans le rapport rédigé en vertu du paragraphe L44(1), mais il n’a pu présenter aucune preuve qui expliquerait ou excuserait les preuves tangibles trouvées au cours du processus d’examen.

M. COX doit avoir l’autorisation de travailler au Canada et doit au moins être en possession des documents requis pour présenter cette demande au point d’entrée.

[Non souligné dans l’original.]

[29]  Encore une fois, bien qu’une certaine partie de la décision traite de la conduite passée, le délégué du ministre tire une conclusion quant au caractère inapproprié de cette conduite. Sa conclusion, à mon avis, sanctionne M. Cox pour ce qu’il va faire, plutôt que ce qu’il a fait. L’agent empêche son entrée au pays en raison de ce qui, selon lui, s’ensuivra, compte tenu de la conduite passée de M. Cox (comme la création d’une entreprise) et de messages texte que l’agent interprète comme indiquant un travail futur. Encore une fois, il était loisible au délégué du ministre de tirer ces inférences et conclusions d’après l’ensemble des éléments de preuve.

[30]  Enfin, dans la section « Motifs et décision » à la fin de son rapport rédigé en vertu du paragraphe 44(2), le délégué du ministre écrit :

[traduction]

M. COX a une épouse au Canada et plusieurs amis qui, selon lui, font partie des personnes pour qui il a travaillé sans autorisation.

[…]

Bien qu’un étranger puisse avoir une double intention comme elle est définie dans la loi, celle-ci indique expressément que l’agent des services frontaliers doit être convaincu que l’étranger quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée et qu’il ne travaillera pas sans autorisation. Cependant, sur la base des renseignements et des éléments de preuve, je ne suis pas convaincu que ce soit le cas.

Je conclus que le rapport rédigé en vertu du paragraphe L44(1) pour non-conformité est bien fondé (N302266300) et je suis d’accord avec la recommandation de l’agent examinateur, à savoir qu’une mesure d’exclusion d’une durée d’un an soit prise en vertu de la Loi.

[Non souligné dans l’original.]

[31]  Comme dans ses observations antérieures, le délégué du ministre s’est de nouveau penché sur la conduite future du demandeur. Je ne peux donc pas accepter les arguments de M. Cox selon lesquels le délégué du ministre s’est prononcé à tort sur sa conduite passée et l’a déclaré interdit de territoire pour manquement à la Loi.

[32]  Je conclus en outre que les conclusions du délégué du ministre étaient raisonnables à la lumière de la preuve versée au dossier, à savoir des copies de messages texte échangés avec diverses personnes, notamment :

  • 1) Des messages texte envoyés par M. Cox pour trouver de l’aide en vue de l’exécution de certains travaux. Par exemple, M. Cox a écrit : [traduction] « Je cherche quelqu’un pour travailler avec moi à Ottawa à différents travaux »; « Je suis […] un entrepreneur et j’effectue tous les travaux qui se présentent à moi. Je travaille actuellement à la réparation d’une grande piscine creusée et à la construction d’une terrasse pour un client à Barrhaven [...] »; « Je dois installer et repeindre le plancher dans une maison ».

  • 2) Des messages texte reçus par M. Cox pour lui demander des services et des messages texte de M. Cox en réponse à ces demandes de service, par exemple :

  • § Une femme a écrit à M. Cox : [traduction] « J’ai dîné avec une amie de votre femme [...] elle m’a dit que vous rénovez des cuisines. Je me demandais si vous êtes intéressé ou disponible pour nous donner un prix », demande à laquelle M. Cox a répondu [traduction] « Désolé de ne pas vous avoir répondu plus tôt, mais j’étais en dehors de la ville avec ma femme. Voudriez‑vous que je passe cette semaine pour voir ce que vous avez en tête? »

  • § Puis, M. Cox a écrit à une femme : [traduction] « J’ai visité la maison cet après-midi [...] Il semble qu’il y ait beaucoup de ménage à faire : j’aurais dû parler de choses comme le shampooing pour tapis, les fenêtres et les moustiquaires, les rails de porte, le périmètre du sous-sol »; ce à quoi M. Cox a répondu : [traduction] « J’ai vu la marque sur le plancher et ça semblait être une tache de rouille. J’ai un produit qui devrait aider à enlever ou faire pâlir la tache. »

  • § M. Cox a ensuite écrit à une femme : [traduction] « J’ai remplacé la pompe et augmenté la taille du tuyau d’évacuation. J’ai aussi vaporisé une solution contre les moisissures à deux reprises sur le périmètre de la pièce. Les fenêtres ont été ouvertes et un grand ventilateur a été utilisé pour sécher le plancher. Une fois que tout était relativement sec, j’ai fermé les fenêtres et fait fonctionner le ventilateur et le déshumidificateur. Je suis sûr que nous n’aurons pas de problèmes. Je dois assister à des funérailles à New York mercredi et je travaillerai pendant la fin de semaine pour préparer votre propriété pour les locataires. Je vais préparer une facture pour le travail et je vous l’enverrai. »

  • 3) Des messages texte établissant que des dépôts ont été effectués dans le compte bancaire de M. Cox, y compris un transfert électronique de la femme dont il est question au point 2 ci‑dessus.

[33]  Le moment où les messages ont été transmis correspond au départ de M. Cox pour les funérailles aux États-Unis et à son retour au Canada. J’estime que l’argument de M. Cox, selon lequel la décision était déraisonnable par rapport à l’absence de documents nécessaires à l’obtention d’un permis de travail n’est pas convaincant à la lumière de cette preuve. J’estime également que la jurisprudence sur laquelle M. Cox s’appuie n’est pas convaincante : il cite une série de décisions dans lesquelles les mesures d’expulsion prises aux points d’entrée ont été annulées par des délégués du ministre au moyen de rapports rédigés en vertu du paragraphe 44(2). En fait, la jurisprudence de la Cour est claire : les allégations portant uniquement sur le travail antérieur au Canada en violation du statut doivent être déférées à la SI afin que celle-ci détermine si une mesure d’exclusion doit être prise. Cependant, toutes les décisions auxquelles M. Cox renvoie peuvent être distinguées sur le plan des faits et de l’application du droit.

[34]  Plus précisément, M. Cox cite la décision Paranych c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 158 [Paranych], dans laquelle le juge Zinn a adopté le raisonnement énoncé par le juge Locke dans la décision antérieure Gupta c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 1086 [Gupta], selon lequel le fait d’avoir exercé un travail antérieur non autorisé constitue une violation de la loi et le délégué du ministre doit dans ce cas déférer l’affaire à la SI et non prendre une mesure de renvoi. Par ailleurs, la décision Paranych cite également la décision du juge Harrington dans l’affaire Yang c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 383.

[35]  Toutefois, dans les affaires Gupta, Paranych et Yang, les demandeurs se sont rendus aux points d’entrée respectifs expressément pour demander un permis de travail pour lequel ils avaient soit une apparence de droit en fonction de leur statut d’étudiant antérieur (Yang, Paranych), soit une approbation préalable (Gupta). Aucun des trois demandeurs dans ces affaires n’a cherché à entrer au Canada à titre de visiteur. En outre, dans aucune de ces décisions le délégué du ministre n’a trouvé de preuve d’un travail futur et n’a refusé l’autorisation de séjour en raison de l’absence de documents autorisant ce travail.

[36]  M. Gupta, M. Paranych et Mme Yang se sont plutôt tous présentés au point d’entrée pour demander un permis de travail afin de pouvoir travailler à l’avenir. Dans chaque affaire, la Cour a conclu que le délégué du ministre avait rendu une décision déraisonnable en se fondant uniquement sur la conduite passée et en reprochant aux demandeurs d’avoir travaillé sans documents ou de façon irrégulière au Canada. Par conséquent, la Cour a jugé que les analyses des délégués du ministre dans chacune de ces trois situations étaient inappropriées en raison de leur orientation uniquement rétrospective, sur laquelle ils ne pouvaient se fonder pour prendre une mesure d’exclusion. Dans chacune de ces affaires, la Cour a soutenu que le délégué du ministre aurait plutôt dû renvoyer la décision d’interdiction de territoire à la SI pour qu’elle rende une décision finale. Et pour cette raison même, j’estime que chacune de ces affaires diffère du cas d’espèce.

[37]  Je constate également que dans une autre affaire récente qui s’appuyait sur la décision Paranych, le juge Shore a annulé une mesure d’exclusion prise par un délégué du ministre au titre du paragraphe 44(2) et fondée encore une fois sur une allégation de manquement à l’article 41 pour défaut de détenir un document requis pour entrer au Canada (c’est-à-dire un permis de travail), même si le permis de travail de la demanderesse avait été préalablement approuvé par le bureau des visas de Los Angeles (Fivaz c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 764 [Fivaz]). Comme dans les autres affaires, le délégué du ministre a conclu que la demanderesse était interdite de territoire pour avoir travaillé au Canada sans autorisation de travail (c.-à-d. alors qu’elle n’avait qu’un statut de visiteur).

[38]  En l’espèce, contrairement aux affaires Fivaz, Paranych, Gupta et Yang, M. Cox ne s’est pas présenté au point d’entrée pour demander un permis de travail. Il a plutôt déclaré et maintenu au cours de son interrogatoire qu’il entrait au pays en tant que visiteur. Le délégué du ministre a conclu que cette affirmation n’était pas conforme à la preuve et n’a pas été convaincu par les réponses de M. Cox. Bien que je convienne avec M. Cox que les rapports des agents mentionnent à plusieurs reprises le travail antérieur, la décision fait néanmoins référence au travail à venir.

B.  La crainte de partialité

[39]  M. Cox prétend que le processus suivi par les deux agents au point d’entrée de Prescott soulève une crainte raisonnable de partialité, en ce sens que le délégué du ministre a aidé le premier agent à l’égard de certaines parties du rapport rédigé en vertu du paragraphe 44(1), parties qu’il a finalement examinées et intégrées à son rapport rédigé en vertu du paragraphe 44(2).

[40]  Je fais remarquer que les deux parties ont fourni des affidavits à l’appui de la présente demande. Évidemment, le demandeur était tenu de fournir un affidavit dans le cadre du contrôle judiciaire; il s’agit d’un document requis. Par contre, les décideurs, comme les agents d’immigration, ne produisent habituellement pas d’affidavits. Les affidavits des décideurs ne sont normalement pas admissibles – ou du moins se voient attribuer peu de poids – parce qu’ils sont perçus comme une tentative d’« étoffement » de la part des décideurs, c’est-à-dire l’introduction d’une justification subséquente pour appuyer une décision ou ses motifs (voir, par exemple, Stemijon Investments Ltd. c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, au par. 41).

[41]  L’une des exceptions à l’admissibilité de la preuve par affidavit déposée par les décideurs dans le cadre d’un contrôle judiciaire est lorsque le demandeur invoque un manquement à l’équité procédurale, ce qui sous-tend une allégation de partialité. C’est ce que M. Cox affirme en l’espèce. Par conséquent, j’ai lu les affidavits des agents uniquement dans le but de comprendre ce qui s’est passé au point d’entrée. Après avoir examiné le contenu des divers affidavits, je conclus qu’il n’y avait aucune crainte raisonnable de partialité : une personne renseignée (c.‑à‑d. raisonnable), qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas qu’il est plus probable qu’improbable que le délégué du ministre n’était pas en mesure de rendre une décision juste (Committee for Justice and Liberty c. L’Office national de l’énergie, [1978] 1 RCS 369).

[42]  Le critère permettant de conclure à l’existence de partialité, réelle ou perçue, est élevé. Les motifs permettant de conclure à l’existence d’une crainte raisonnable de partialité doivent être sérieux; le critère n’est pas celui d’une « une personne de nature scrupuleuse et tatillonne » (Bande indienne Wewaykum c Canada, 2003 CSC 45, au par. 76). Les agents n’ont pas franchi ce seuil élevé au point d’entrée de Prescott lorsqu’ils se sont rendus ensemble au véhicule de M. Cox, conformément aux protocoles de sécurité, et qu’ils ont arrêté M. Cox sur le fondement de soupçons de contrebande.

[43]  D’après le témoignage des agents, le premier agent a ensuite procédé à un examen. En tant que nouvel agent, il n’avait aucune expérience de la base de données de l’ASFC, et il a eu des problèmes avec celle‑ci. Il a consulté le délégué du ministre, l’autre agent présent ce soir‑là, et lui a demandé de l’aide en ce qui concerne les éléments de la procédure d’examen et la saisie des renseignements dans le système informatique.

[44]  M. Cox soutient toutefois que l’équité procédurale exige que les agents s’abstiennent d’évaluer leurs propres rapports. Il prétend avoir été privé de ce droit à la justice naturelle, car le premier agent – celui qui a rédigé le rapport en vertu du paragraphe 44(1) – n’était pas suffisamment indépendant par rapport au délégué du ministre, qui s’est prononcé sur le rapport et a rendu la décision en vertu du paragraphe 44(2).

[45]  M. Cox allègue avoir surtout interagi avec le délégué du ministre au cours de l’examen et que ce dernier a donné au premier agent des instructions importantes sur ce qu’il fallait inclure dans le rapport établi en vertu du paragraphe 44(1). En d’autres termes, M. Cox soutient que le délégué du ministre a participé trop activement à la rédaction du rapport rédigé en vertu du paragraphe 44(1), ce qui a brouillé les rôles des deux agents.

[46]  Les affirmations de M. Cox ne me convainquent pas. J’estime que les affidavits des agents sont crédibles en ce qui concerne la procédure qu’ils ont suivie ce soir-là et j’ai peu de raisons de douter de l’explication des faits et des raisons pour lesquelles le premier agent a eu besoin de l’aide du délégué du ministre. J’estime donc que je peux accorder du poids à cette preuve par affidavit dans l’évaluation du manquement allégué à l’équité procédurale. En outre, je constate qu’au vu du rapport et de la décision contestée, bien que le délégué du ministre ait fait référence au rapport du premier agent rédigé en vertu du paragraphe 44(1), il a analysé les faits et les éléments de preuve de façon indépendante et a exercé son propre jugement pour arriver à ses conclusions. Je ne vois aucune preuve d’impartialité ou d’injustice, si ce n’est les affirmations de M. Cox, qui ne tiennent pas lorsqu’on les compare à l’explication des agents ou aux éléments de preuve provenant du téléphone cellulaire.

[47]  Le processus n’était pas parfait. Je conviens qu’il aurait été préférable que les agents ne communiquent pas entre eux ce soir-là, mais c’était le mieux qu’ils pouvaient faire compte tenu de la situation et du manque de personnel. Leur conduite n’a pas dépassé la limite; le délégué du ministre n’a pas manifesté un degré de partialité tel qu’il y a lieu de craindre raisonnablement qu’il n’a pas tenu compte des éléments de preuve et des arguments présentés (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Jaballah, 2006 CF 180, au par. 13). Les agents ont agi de façon pratique et il n’y a aucune preuve d’injustice dans les circonstances.

IV.  Conclusion

[48]  Malgré les arguments très pertinents et les efforts courageux de M. Blakey au nom de M. Cox, je ne suis pas convaincu que la décision était déraisonnable ou injuste. La présente demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4017-18

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 9e jour de décembre 2019.

Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.


Annexe A

[traduction]

Exposé conjoint des faits

  1. Le demandeur est un citoyen américain. En 2014, il a épousé Carolyn Doyle‑Cox. Elle est citoyenne américaine de naissance et citoyenne canadienne naturalisée. Mme Doyle‑Cox vit au Canada. Le demandeur habite aux États-Unis.

  2. Après son mariage en 2014, le demandeur a passé beaucoup de temps dans la région d’Ottawa. Au début de l’année 2018, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente fondée sur le parrainage d’un époux. Il a également présenté une demande de permis de travail ouvert.

  3. Dans la soirée du 4 août 2018, le demandeur et son épouse sont arrivés au point d’entrée de Prescott. Ils s’en retournaient chez Mme Doyle‑Cox, dans la région d’Ottawa, après un voyage de quatre jours aux États-Unis pour assister aux funérailles d’un ami de la famille.

  4. À leur arrivée au point d’entrée, le demandeur et son épouse ont été interrogés lors de l’inspection primaire. L’agent les a envoyés à l’inspection secondaire.

  5. Lors de l’inspection secondaire, le demandeur a surtout interagi avec deux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) – ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| [l’agent 1] et ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| [l’agent 2].

  6. L’ASFC a inspecté le véhicule du demandeur. Les deux agents ont participé à l’examen. Ils ont découvert dans le véhicule du demandeur ce qu’ils ont allégué être de la marijuana. Le demandeur a été arrêté par ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| [l’agent 1] pour contrebande de marijuana. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| [l’agent 2] était également présent lors de l’arrestation.

  7. Le demandeur a été menotté, fouillé et placé dans une pièce pour être interrogé. Le demandeur a été informé de ses droits garantis par la Charte et de son droit de communiquer avec les autorités consulaires américaines. Le demandeur a communiqué avec le personnel de l’ambassade. Le personnel l’a dirigé vers une ligne d’aide juridique. Le demandeur a appelé la ligne d’assistance téléphonique.

  8. L’ASFC a interrogé le demandeur au sujet de la prétendue marijuana. Le demandeur a nié qu’elle lui appartenait. L’ASFC l’a confisquée.

  9. Quelque temps plus tard, l’ASFC a informé le demandeur qu’il était mis fin à l’arrestation.

  10. Une fois qu’il a été mis fin à l’arrestation, l’ASFC a demandé au demandeur de déverrouiller son téléphone mobile pour inspection. Le demandeur a obtempéré. L’inspection a révélé des courriels et des échanges de messages texte entre le demandeur et d’autres personnes, que l’ASFC a considérés comme une preuve que le demandeur avait effectué un travail non autorisé, et qui semblaient indiquer qu’il y avait des travaux en cours.

  11. Aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR, s’il « estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre ». Le paragraphe 44(2) exige du ministre qu’il évalue le bien-fondé du rapport. Le paragraphe 44(2) autorise normalement le ministre à déférer un rapport qu’il estime bien fondé à la Section de l’immigration pour décision et, s’il y a lieu, il peut prendre une mesure de renvoi. Toutefois, dans certains cas mettant en cause des étrangers qui ne sont pas résidents permanents, le paragraphe 44(2) exige du ministre qu’il se prononce directement sur un rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) lorsque certaines « circonstances visées par les règlements » sont présentes. Dans ces cas, le ministre « peut alors prendre une mesure de renvoi ». Ces circonstances sont établies à l’article 228 du Règlement. La décision prévue au paragraphe 44(2) est prise par un agent d’immigration de niveau plus élevé connu sous le nom de délégué du ministre. Dans l’affaire qui nous occupe, l’agent qui a signé le rapport était |||||||||||||||||||||||||||||||||| [l’agent1] et le délégué qui a rendu la décision était ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| [l’agent 2].

  12. L’ASFC a produit deux rapports au titre du paragraphe 44(1) alléguant que le demandeur était interdit de territoire au Canada. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| [l’agent 1] a signé les deux rapports. ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| [l’agent 2] était présent au moment de la rédaction des rapports. Le premier rapport concernait la contrebande de marijuana. Le deuxième concernait le travail du demandeur au Canada.

  13. Les rapports établis en vertu du paragraphe 44(1) ont été présentés au demandeur. Le demandeur a indiqué qu’il n’était pas d’accord avec les rapports. On a demandé au demandeur de signer les rapports. Il a d’abord refusé de les signer, déclarant qu’ils n’étaient pas exacts. Toutefois, le demandeur a fini par signer les deux rapports, indiquant qu’il les avait reçus.

  14. Le délégué du ministre a refusé de donner suite au rapport établi en vertu du paragraphe 44(1) concernant la contrebande alléguée de marijuana. ||||||||||||||||| [l’agent 2] a toutefois donné suite au deuxième rapport. Comme il est indiqué dans la mesure de renvoi, le délégué a conclu que le rapport était bien fondé et que le demandeur était interdit de territoire pour manquement à la Loi. Il a également conclu que le pouvoir de prendre directement une mesure de renvoi contre le demandeur, conféré au ministre en vertu de l’article 228, s’appliquait. Le délégué a conclu que, conformément à l’alinéa 228(1)c), le demandeur était interdit de territoire au Canada parce qu’il ne s’était pas acquitté de « l’obligation prévue à l’article 20 de la Loi de prouver qu’il détient les visa et autres documents réglementaires ».

  15. Le délégué a pris une mesure d’exclusion d’un an à l’encontre du demandeur en date du 5 août 2018. Le demandeur a ensuite été sommé de retourner aux États-Unis. Il a obtempéré. L’épouse du demandeur a été autorisée à entrer au Canada.

  16. À la suite du renvoi du demandeur du Canada, sa demande de résidence permanente a été rejetée. Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision dans le dossier IMM-907-19. Avec le consentement du défendeur, le demandeur a présenté une requête demandant que cette affaire soit mise en suspens jusqu’à ce qu’il soit statué sur le dossier IMM-4017-18. Le 23 avril 2019, le protonotaire Aalto a accueilli la requête.


Annexe B

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27

 

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

Obligation à l’entrée au Canada

 

Obligation on entry

 

20 (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

20 (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

 

a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence; and

 

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

 

Déclaration

Declaration

 

(1.1) L’étranger qui fait l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) ne peut chercher à entrer au Canada ou à y séjourner à titre de résident temporaire.

(1.1) A foreign national who is the subject of a declaration made under subsection 22.1(1) must not seek to enter or remain in Canada as a temporary resident.

 

Critères provinciaux

Provincial criteria

 

(2) L’étranger visé au paragraphe 9(1) est tenu en outre, pour devenir résident permanent, de prouver qu’il détient le document délivré par la province en cause attestant que l’autorité compétente de celle-ci est d’avis qu’il répond à ses critères de sélection.

(2) A foreign national referred to in subsection 9(1) must also establish, to become a permanent resident, that they hold a document issued by the province indicating that the competent authority of the province is of the opinion that the foreign national complies with the province’s selection criteria.

 

Manquement à la loi

Non-compliance with Act

 

41 S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

 

41 A person is inadmissible for failing to comply with this Act

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

 

Rapport d’interdiction de territoire

 

Preparation of report

44 (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

44 (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

Suivi

Referral or removal order

 

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227


Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

Application du paragraphe 44(2) de la Loi : étrangers

Subsection 44(2) of the Act — foreign nationals

 

228 (1) Pour l’application du paragraphe 44(2) de la Loi, mais sous réserve des paragraphes (3) et (4), dans le cas où elle ne comporte pas de motif d’interdiction de territoire autre que ceux prévus dans l’une des circonstances ci-après, l’affaire n’est pas déférée à la Section de l’immigration et la mesure de renvoi à prendre est celle indiquée en regard du motif en cause :

 

228 (1) For the purposes of subsection 44(2) of the Act, and subject to subsections (3) and (4), if a report in respect of a foreign national does not include any grounds of inadmissibility other than those set out in the following circumstances, the report shall not be referred to the Immigration Division and any removal order made shall be

 

a) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger pour grande criminalité ou criminalité au titre des alinéas 36(1)a) ou (2)a) de la Loi, l’expulsion;

 

(a) if the foreign national is inadmissible under paragraph 36(1)(a) or (2)(a) of the Act on grounds of serious criminality or criminality, a deportation order;

 

b) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger pour fausses déclarations au titre de l’alinéa 40(1)c) de la Loi, l’expulsion;

 

(b) if the foreign national is inadmissible under paragraph 40(1)(c) of the Act on grounds of misrepresentation, a deportation order;

b.1) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre du paragraphe 40.1(1) de la Loi pour perte de l’asile, l’interdiction de séjour;

(b.1) if the foreign national is inadmissible under subsection 40.1(1) of the Act on grounds of the cessation of refugee protection, a departure order;

c) en cas d’interdiction de territoire de l’étranger au titre de l’article 41 de la Loi pour manquement à :

 

(c) if the foreign national is inadmissible under section 41 of the Act on grounds of

 

(i) l’obligation prévue à la partie 1 de la Loi de se présenter au contrôle complémentaire ou à l’enquête, l’exclusion,

 

(i) failing to appear for further examination or an admissibility hearing under Part 1 of the Act, an exclusion order,

 

(ii) l’obligation d’obtenir l’autorisation de l’agent aux termes du paragraphe 52(1) de la Loi, l’expulsion,

 

(ii) failing to obtain the authorization of an officer required by subsection 52(1) of the Act, a deportation order,

 

(iii) l’obligation prévue à l’article 20 de la Loi de prouver qu’il détient les visa et autres documents réglementaires, l’exclusion,

 

(iii) failing to establish that they hold the visa or other document as required under section 20 of the Act, an exclusion order,

 

(iv) l’obligation prévue au paragraphe 29(2) de la Loi de quitter le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, l’exclusion,

 

(iv) failing to leave Canada by the end of the period authorized for their stay as required by subsection 29(2) of the Act, an exclusion order,

 

(v) l’une des obligations prévues au paragraphe 29(2) de la Loi pour non-respect de toute condition prévue à l’article 184 ou au paragraphe 220.1(1), l’exclusion,

 

(v) failing to comply with subsection 29(2) of the Act as a result of non-compliance with any condition set out in section 184 or subsection 220.1(1), an exclusion order, or

 

(vi) l’obligation prévue au paragraphe 20(1.1) de la Loi de ne pas chercher à entrer au Canada ou à y séjourner à titre de résident temporaire pendant qu’il faisait l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) de la Loi, l’exclusion;

(vi) failing to comply with the requirement under subsection 20(1.1) of the Act to not seek to enter or remain in Canada as a temporary resident while being the subject of a declaration made under subsection 22.1(1) of the Act, an exclusion order;


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4017-18

 

INTITULÉ :

JAMES ALAN COX c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Kingston (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 septembre 2019

 

JUGEMENT et MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 12 novembre 2019

 

COMPARUTIONS :

Steven Blakey

 

Pour le demandeur

 

Nadine Silverman

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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