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Date : 20010821

Dossier : IMM-4516-00

Référence neutre: 2001 CFPI 928

Entre :

                                                      VOSLAEV VLADIMIR

                                                                                                       Partie demanderesse

                                                                    - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                           Partie défenderesse

                                              MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

Introduction

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la part de Vladimir Voslaev, citoyen de la Russie, dont la revendication du statut de réfugié fut refusée par la Section du statut de réfugié (le « tribunal » ] le 7 août 2000, au motif qu'il n'avait pas établi sa nationalité juive, élément essentiel de sa crainte de persécution.

[2]                La revendication du demandeur fut étudiée par le tribunal le 24 février 2000; l'étude s'est continuée le 24 mars 2000 et le 27 avril 2000.


[3]                Le tribunal est d'avis qu'habituellement, un revendicateur russe fait preuve de sa nationalité juive en présentant son passeport interne et son certificat de naissance, puisque dans le certificat de naissance l'on retrouve la nationalité des parents, et dans le passeport interne celle du possesseur du passeport.

[4]                Lors de la première audience, le tribunal a insisté sur l'importance pour le revendicateur d'obtenir un document officiel corroborant la naissance de sa mère. Le tribunal a conclu de la façon suivante sur ce point:

[...] Or, dans le présent cas, le revendicateur a déposé l'original de son passeport interne émis par l'État qui l'identifie comme étant de nationalité « tartare » , donc aucun lien avec sa prétendue nationalité juive.

En ce qui concerne son certificat de naissance, le revendicateur a soumis non pas l'original dudit certificat ou celui de sa mère, mais plutôt deux documents étrangers, soit des attestations de naissance (R-17), un imprimé rempli à la main sur lequel est apposé un tampon que le tribunal qualifie de document fort peu officiel, et une copie d'un fax (R-18) qui serait une transcription d'un registre des naissances, un document douteux avec entête du même caractère que le texte. [Je souligne]

[5]    Le tribunal invoque sa connaissance spécialisée,

[...] qui lui indique que la grande majorité des revendications alléguant d'être de nationalité juive ne produisent pas de documents originaux attestant de cette nationalité. Généralement, ces derniers se contentent de soumettre en preuve des duplicata ou des photocopies de leur acte de naissance pour fins d'identité. En effet, il y a quelques années, la CISR a commencé à envoyer ces documents pour expertise à la GRC, la grande majorité de ces documents se sont avérés être des faux documents ou des documents falsifiés.


[6]                Selon le demandeur, c'est à la séance du 27 avril 2000 que le tribunal avise sa procureure que la pièce R-18, concernant son certificat de naissance indiquant la nationalité juive de sa mère et la nationalité tartare de son père, est insuffisante pour établir sa nationalité juive. Le tribunal exige la production d'un duplicata du certificat et, pour ceci, lui accorde un délai jusqu'au 9 juin 2000.

[7]                Le 6 juin 2000, la procureure du demandeur écrit au tribunal afin de faire état des démarches entreprises pour obtenir le duplicata. Elle détaille les procédures complexes nécessitant une procuration authentifiée qui permettra à l'épouse du demandeur, qui est en Russie, d'obtenir le duplicata. La procureure demande un délai supplémentaire, ce qui lui est refusé.

Analyse - La question préliminaire

[8]                Dans un Mémoire supplémentaire, la partie demanderesse soulève une question préliminaire découlant du fait que le tribunal est incapable de fournir, à cause d'une défaillance technique, une transcription des audiences du 24 mars et du 27 avril 2000.

[9]                La procureure du demandeur avait soulevé dans son premier Mémoire plusieurs erreurs de droit et violations des principes de justice naturelle à l'égard de ces deux séances du tribunal.


[10]            C'est à la séance du 24 mars 2000 que le demandeur a produit les pièces R-16 à R-25. Je souligne que dans sa décision du 7 août 2000, le tribunal a rejeté les pièces R-17 et R-18 aux motifs cités plus haut. Je reproduis textuellement les reproches faites par le demandeur, aux paragraphes 11 et 12 de son Mémoire, à l'égard de la séance du 24 mars 2000:

11.           Lors de l'audience finalisée de [sic] 24 mars 2000, le conseil du demandeur avait annoncé aux commissaires que si les documents ne sont pas à leur satisfaction, il ne procédera pas et il insista pour un ajournement. Malgré cela les commissaires se sont déclarés satisfait [sic] et les parties ont présenté leurs observations oralement. La cause a été prise en délibéré.

12.           Malgré les observations présentées oralement par le conseil du revendicateur, celui-ci a dû présenter à la demande des commissaires dans un délai imposé jusqu'au 31 mars 2000, les mêmes observations par écrit.

[11]            Voici ce que la procureure du demandeur écrit au sujet de la séance du 27 avril 2000, aux paragraphes 14, 15, 16 et 18 de son Mémoire:

14.           Malgré l'objection de son conseil, le revendicateur a été invité le 27 avril 2000 à 13h00, à une vérification des copies déposées au dossier avec les originaux. Cette vérification devait selon les commissaires durait [sic] 15 minutes. Or, cette vérification s'est transformée en une vraie audience d'une durée de 1h30.

15.           Le défaut de procéder à une convocation par avis de réouverture d'audience pour donner au revendicateur la possibilité de bien préparer cette audience constitue une violation claire du droit à une audience plein [sic] et équitable.

16.           À cette « audition improvisée » du 27 avril 2000, l'agent chargé de la revendication qui n'a jamais participé aux audiences du 24 février et 24 mars 2000 (audience finalisée) a indiqué les connaissances spécialisées du tribunal; [...]

18.           En procédant de la manière dont l'audience du 27 avril 2000 a été tenue, la section du statut de réfugié a agir [sic] de façon contraire aux dispositions obligatoires de ce paragraphe de la Loi sur l'immigration.


[12]            Dans son Mémoire supplémentaire, la procureure du demandeur plaide que l'absence de la transcription des audiences l'empêche d'établir les circonstances dans lesquelles elle a voulu faire valoir ses objections et ses commentaires, y inclus ceux relatifs aux documents produits. Elle ajoute que la transcription des deuxième et troisième audiences était importante parce que le demandeur a été interrogé et contre-interrogé sur sa nationalité juive, sur les documents produits et sur le fondement de sa crainte de persécution.

[13]            La procureure du demandeur plaide que la non-disponibilité de la transcription des deuxième et troisième audiences ne permettrait jamais au tribunal de vérifier l'attitude inadmissible de l'agent chargé de la revendication lors de l'audience, et surtout les objections formulées par elle et l'impossibilité pour celle-ci de présenter ses observations lors de la dernière audience. De plus, elle avance que l'absence de l'enregistrement de ces deux dernières audiences ne donne pas la possibilité au tribunal de savoir si la Section du statut a respecté ses obligations en vertu du paragraphe 68(5) de la Loi sur l'immigration.


[14]            Le procureur du défendeur a aussi déposé un Mémoire supplémentaire, faisant valoir que le défaut d'avoir les transcriptions ne constitue pas « un déni de justice naturelle qui empêche la cour de trancher la demande de contrôle judiciaire du demandeur » . Selon le défendeur, la coeur du litige porte sur le défaut d'avoir produit une preuve documentaire en temps utile plutôt que, à titre d'exemple, sur le témoignage du demandeur qui n'était pas en cause.

[15]            Le défendeur soutien que le demandeur ne nie pas qu'il n'a pas transmis les documents requis, mais allègue toutefois que le tribunal aurait dû accepter ses explications et lui donner du temps supplémentaire pour quérir ses documents. Le défendeur prétend que la présence de la transcription n'est pas essentielle dans le présent dossier, et que la Cour peut trancher le présent litige. Il n'est pas question ici, selon le défendeur, de vérifier les invraisemblances, les incohérences et les contradictions du témoignage d'un demandeur.

[16]            L'arrêt clé dans ce domaine est celui de la Cour suprême du Canada dans Syndicat canadien de la fonction publique, Section locale 301 c. Ville de Montréal, [1997] 1 R.C.S. 793. Le jugement de la Cour suprême a été rendu par le juge L'Heureux-Dubé qui, aux pages 841 et 842, s'exprime comme suit:

À mon avis, les arrêts Kandiah et Hayes, pré-cités, fournissent un excellent énoncé des principes de justice naturelle applicables à l'enregistrement des délibérations d'un tribunal administratif. Dans le cas où l'enregistrement est incomplet, le déni de justice découlerait de l'insuffisance de l'information sur laquelle la cour siégeant en révision peut fonder sa décision. Par conséquent, l'appelant peut se voir nier ses moyens d'appel ou de révision. Les règles énoncées dans ces arrêts empêchent que ce résultat malheureux ne se produise. [...]

En l'absence d'un droit à un enregistrement expressément reconnu par la loi, les cours de justice doivent déterminer si le dossier dont elles disposent leur permet de statuer convenablement sur la demande d'appel ou de révision. Si c'est le cas, l'absence d'une transcription ne violera pas les règles de justice naturelle. [...]

La question à résoudre en l'espèce est donc de savoir si l'intimé s'est vu nier un moyen de révision en raison de l'absence d'enregistrement de l'audition tenue par le Conseil. [...]

[17]            Le procureur du défendeur, à juste titre, souligne qu'en l'espèce, la crédibilité du demandeur n'est pas en jeu, tel était le cas devant le juge Tremblay-Lamer dans Likele c. Canada (M.C.I.) (1999), 175 F.T.R. 281.

[18]            Cependant, le principe d'intervention énoncé par le juge L'Heureux-Dubé dans Syndicat canadien de la fonction publique, Section locale 301, pré-cité, ne se limite pas au cas où la crédibilité du revendicateur est engagée. Par exemple, le juge Dawson, dans Ahmed c. Canada (M.C.I.), dossier de la Cour IMM-1654-99, en date du 26 mai 2000, s'exprime ainsi:

Je conclus qu'en l'absence d'une transcription d'une audience, il ne m'est pas possible d'examiner la conclusion apportant sur la crédibilité en général. Je ne peux pas non plus savoir si la Commission a fourni la possibilité au demandeur de répondre à ses inquiétudes, ou si elle a respecté ses obligations en vertu du paragraphe 68(5) de la Loi sur l'immigration.

[19]            Comme l'a exprimé le juge L'Heureux-Dubé dans Syndicat canadien de la fonction publique, Section locale 301, pré-cité, la question à résoudre est de savoir si le demandeur s'est vu nier un moyen de révision en raison de l'absence de l'enregistrement des deux séances du 24 mars 2000 et du 27 avril 2000. Je suis d'avis que oui. Sans la transcription de ces deux séances, je ne puis vérifier:

1. si le tribunal a respecté ses obligations en vertu du paragraphe 68(5) de la Loi: voir Ahmed, pré-cité;


2. si le tribunal a enfreint aux principes de justice naturelle quant aux objections formulées par la procureure du demandeur et l'impossibilité pour celle-ci de présenter ses observations;

3. si le tribunal s'est déclaré satisfait de la preuve produite le 24 mars 2000 pour ensuite conclure son enquête, mais l'a reprise illégalement le 27 avril 2000;

4. si la conclusion du tribunal quant à la valeur probante des autres documents déposés par le demandeur était manifestement déraisonnable.

Dispositifs

[20]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision du tribunal est annulée et le dossier est retourné pour re-détermination par une formation différente. Aucune question à certifier n'a été soulevée.

                                                                              J. François Lemieux

                                                                                                     Juge

OTTAWA, Ontario

le 21 août 2001

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