Date : 20191112
Dossier : IMM-5135-18
Référence : 2019 CF 1410
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 12 novembre 2019
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
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DEMILADE KAYODE OLADELE
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
M. Demilade Kayode Oladele (le « demandeur ») sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle un délégué (le « délégué ») du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le « défendeur ») a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’il a présentée au titre du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « Loi »).
[2]
Le demandeur est citoyen du Nigéria. Il est entré au Canada le 24 octobre 2005 et a demandé l’asile. Il a par la suite été déclaré interdit de territoire par la Section de l’immigration (la « SI ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en application des alinéas 35(1)a) et 37(1)a) de la Loi. L’interdiction de territoire était fondée sur sa participation aux activités du Nouveau mouvement noir d’Afrique (le « NMNA »).
[3]
Au fil des ans, le demandeur a exercé divers recours en vertu de la Loi. Il a notamment présenté une demande de résident permanent à titre de conjoint au Canada, qui a été rejetée.
[4]
Le demandeur a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire en 2011. Cette demande a été rejetée en 2016, mais, à la suite d’un contrôle judiciaire, la décision défavorable a été annulée; voir la décision Oladele c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 851.
[5]
Au final, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée en 2011 a été examinée de nouveau et rejetée dans une décision rendue le 11 octobre 2018. Cette décision défavorable fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
[6]
Le délégué a examiné la conclusion d’interdiction de territoire à la lumière de l’arrêt Ezokola c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2013] 2 RCS 678, rendu subséquemment par la Cour suprême du Canada, et a jugé que les conclusions précédentes de la SI ne permettraient pas de conclure à l’interdiction de territoire en vertu du critère énoncé dans l’arrêt Ezokola, précité. Toutefois, il a conclu qu’il n’y avait aucune raison d’infirmer la conclusion d’interdiction de territoire.
[7]
Le délégué a affirmé que les facteurs d’ordre humanitaire avaient été pris en compte, y compris l’intérêt des enfants du demandeur, son établissement antérieur au Canada, les difficultés physiques et émotionnelles auxquelles serait confrontée son épouse, ainsi que les difficultés financières de la famille.
[8]
Le demandeur soulève trois arguments principaux. Premièrement, il soutient que le délégué a entravé à tort l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en accordant trop d’importance aux choix faits par la famille du demandeur, qui ont contribué à ses difficultés financières, plutôt qu’en examinant de façon équitable les facteurs d’ordre humanitaire.
[9]
Le demandeur soutient en outre que le délégué n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve présentée, y compris la preuve sur la situation au Nigéria. De plus, il affirme qu’il était déraisonnable pour le délégué de demander des éléments de preuve corroborants supplémentaires, y compris des dossiers médicaux, des détails récents sur son mode de vie et des dossiers de communication.
[10]
Le défendeur, quant à lui, soutient que le délégué a évalué de façon raisonnable les éléments de preuve présentés et qu’il a rendu une décision raisonnable.
[11]
La première question à examiner concerne la norme de contrôle applicable.
[12]
L’exercice d’un pouvoir discrétionnaire est habituellement assujetti à la norme de la décision raisonnable; voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 53.
[13]
Sur le fond, une décision relative à une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable; voir la décision Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2010] 1 RCF 360 (CAF).
[14]
Selon l’arrêt Dunsmuir, précité, la norme de la décision raisonnable exige que la décision soit justifiable, que le processus décisionnel soit transparent et intelligible et que la décision appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[15]
Après avoir examiné les documents présentés au délégué et les observations des parties, je ne suis pas convaincue que la décision satisfait à la norme de la décision raisonnable applicable.
[16]
À mon avis, le délégué n’a pas raisonnablement tenu compte de la preuve relative à la situation dans le pays qui a été présentée par le demandeur. Cette preuve était volumineuse et comptait plus de mille pages. Le délégué l’a traitée de façon superficielle.
[17]
Je conviens avec le demandeur que la demande de preuve corroborante était déraisonnable. À cet égard, je renvoie aux commentaires du juge Brown dans la décision Navaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 244, au paragraphe 9 :
[9] L’agent a toutefois conclu que les nouveaux éléments de preuve que le demandeur a produits pour l’ERAR, soit un rapport de police et une lettre de son père au sujet de menaces proférées à la suite de son départ pour le Canada, ne menaient pas à une conclusion différente de celle de la SPR. Il a rejeté à la fois la lettre du père et le rapport de police du Sri Lanka et en a ensuite fait abstraction. Il a donné trois raisons pour rejeter ces deux documents. Les commentaires de la Cour suivent chacune de ces raisons :
1) La lettre a été rejetée à cause de plusieurs questions à propos desquelles l’agent voulait obtenir des informations, dont les progrès de la police dans l’affaire, l’absence de visites menaçantes depuis la date de la lettre, la raison pour laquelle, hormis le fait de ne pas avoir payé une rançon, les responsables des visites menaçantes s’intéressent au demandeur, l’absence de corroboration des visites en question, le fait que la lettre n’identifie pas expressément les responsables, de même qu’une explication de ce que les auteurs des menaces auraient pu faire pour tuer le demandeur s’ils ignoraient où il se trouvait.
Commentaires de la Cour : Plusieurs erreurs ont été commises dans l’évaluation de la lettre et du rapport de police. Il est bien établi qu’une demande de corroboration documentaire n’est pas justifiée s’il n’y a pas de motifs valables pour le faire, lesquels sont absents en l’espèce : Ahortor c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 705; Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] ACF no 1267. Il est erroné de mettre exclusivement l’accent sur ce qui n’est pas présenté dans des documents et de ne pas analyser de manière sérieuse un témoignage écrit, comme cela s’est passé ici : Botros c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2013] ACF no 1124 [Botros], ainsi que les décisions qui y sont citées. Il est également erroné d’écarter une preuve (comme l’agent semble l’avoir fait) en s’appuyant sur le fait que d’autres éléments auraient été plus souhaitables : Botros; Mui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1020 […]
[Souligné dans l’original.]
[18]
Il n’est pas nécessaire d’examiner les autres arguments soulevés par le demandeur.
[19]
Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre délégué pour nouvelle décision.
[20]
Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-5135-18
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du délégué est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre délégué pour nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 22e jour de novembre 2019.
Julie Blain McIntosh, LL.B., trad. a.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-5135-18
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INTITULÉ :
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DEMILADE KAYODE OLADELE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 12 JUIN 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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La juge HENEGHAN
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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Le 12 novembre 2019
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COMPARUTIONS :
Tara McElroy
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Pour le demandeur
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John Provart
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Waldman & Associates
Avocats
Toronto (Ontario)
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Pour le demandeur
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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Pour le défendeur
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