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Date : 20191029

Dossier : T-2148‑18

Référence : 2019 CF 1342

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 octobre 2019

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

YING CHAU

demanderesse

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La demanderesse, Ying Chau, a demandé le contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent de l’Agence du revenu du Canada refusant de lui accorder un allègement des intérêts accumulés sur sa dette fiscale. Ying Chau s’est représentée elle‑même. Elle a indiqué qu’elle n’avait pas besoin d’un interprète et qu’elle comprenait ce qui était dit à l’audience.

II.  Questions préliminaires

[2]  Les deux parties ont déposé des affidavits. La Cour n’accordera aucune importance aux renseignements qui n’étaient pas à la disposition du décideur. J’accepterai les affidavits pour les renseignements généraux qu’ils contiennent, et non à titre de complément aux observations présentées au décideur ou aux motifs du défendeur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22, au paragraphe 20).

III.  Faits

A.  Fraude commise par un comptable et nouvelle cotisation

[3]  La demanderesse était administratrice et actionnaire à 50 % de 994820 Ontario Inc. (la société), tout comme son époux aujourd’hui décédé. La société a fait l’objet d’une fraude commise par un ancien comptable, à l’insu de la demanderesse. La fraude a amené l’ARC à établir une nouvelle cotisation le 11 mars 2009 concernant les déclarations de revenus de 2003 et de 2004 de la société. Le solde total dû par la société, à la suite de la nouvelle cotisation, s’élevait à 40 609,51 $.

B.  Demandes d’allègement présentées par la société

[4]  Après que l’ARC a établi le 11 mars 2009 une nouvelle cotisation à l’égard de la société, cette dernière a demandé un allègement relativement à l’impôt, aux intérêts et aux pénalités s’y rattachant. Le ministre a accordé à la société un allègement relativement aux 13 532,81 $ d’intérêts accumulés jusqu’au 17 février 2010. Il est important de mentionner que l’ARC a envoyé, le 14 octobre 2009, une lettre à la société l’avisant [traduction] « que des intérêts sur arriérés continueront de s’accumuler sur tout solde impayé ». Même après qu’un allègement fut accordé relativement aux intérêts d’un montant de 13 532,81 $, la société n’a jamais remboursé sa dette fiscale. Il est important de mentionner que l’ARC a envoyé, le 14 octobre 2009, une lettre à la société l’avisant, avant que l’allègement lui soit accordé, [traduction] « que des intérêts sur les arriérés continueront de s’accumuler sur tout solde impayé ».

[5]  Pourtant, entre le 1er juillet 2008 et le 30 juin 2010, la demanderesse s’est versée à elle‑même 70 000 $ en dividendes de la société. Comme la demanderesse a reçu des dividendes d’une société dans le cadre d’un transfert avec lien de dépendance alors que la société avait une dette fiscale, elle était tenue conjointement et solidairement responsable du montant transféré en application du paragraphe 160(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi). L’époux de la demanderesse (aujourd’hui décédé) était également tenu conjointement et solidairement responsable en tant qu’administrateur de la société, mais il n’est pas en cause dans cette affaire.

[6]  Après avoir appliqué les paiements en trop précédents de la demanderesse à ses dettes fiscales impayées, l’ARC a établi une nouvelle cotisation le 3 octobre 2012. Le montant total de cette cotisation était de 33 147,13 $. Entre le 17 février 2010 (date à laquelle les intérêts ont commencé à s’accumuler comme il est indiqué dans la lettre de l’ARC datée du 14 octobre 2009) et le 3 octobre 2012 (date de la cotisation), 3 941,66 $ d’intérêts se sont accumulés, puisque la dette fiscale continuait de subsister alors qu’elle recevait des dividendes de la société.

[7]  La demanderesse a déposé un avis d’opposition le 9 novembre 2012, et l’ARC lui a envoyé un avis de confirmation le 3 octobre 2013. La contribuable a présenté une demande à la Cour canadienne de l’impôt le 29 décembre 2013.

C.  Première demande d’allègement pour les contribuables présentée par la demanderesse en juin 2015

[8]  La demanderesse a présenté, en sa capacité personnelle d’administratrice, sa première demande officielle d’allègement pour les contribuables en juin 2015. La demanderesse a demandé au ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi afin qu’il renonce aux 3 941,66 $ d’intérêts sur arriérés qui se sont accumulés durant la période du 17 février 2010 au 3 octobre 2012.

[9]  Quelques semaines après avoir présenté la première demande d’allègement, la demanderesse a réglé la demande sous‑jacente un jour avant que l’affaire soit entendue par la Cour de l’impôt. Ce règlement consistait entre autres à établir un plan de paiement afin de rembourser la dette de 33 147,13 $. La Cour de l’impôt a reçu un avis de désistement le 14 juillet 2015. Le premier agent d’examen a rejeté la demande d’allègement des intérêts le 9 février 2016.

D.  Seconde demande d’allègement pour les contribuables présentée par la demanderesse en mars 2018

[10]  Le 31 mars 2018, la demanderesse a demandé un deuxième examen de sa demande d’allègement à l’égard des intérêts dont elle est redevable. Cette demande contestait à nouveau les 3 941,66 $ d’intérêts sur arriérés accumulés de 2010 à 2012. La demande de la demanderesse était fondée sur une erreur de l’ARC, un retard causé par l’ARC ainsi que sur des circonstances exceptionnelles. De plus, elle a demandé à l’agent de tenir compte du règlement de la dette fiscale à titre de nouveau renseignement.

IV.  Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[11]  Le 15 octobre 2018, l’ARC a rejeté la seconde demande d’allègement de la demanderesse. La décision du délégué du ministre tient compte des avis d’oppositions de la demanderesse fondés sur un retard attribuable à l’ARC, son impression que l’ARC l’avait induit en erreur en lui faisant croire que ses dettes avaient été réglées, ainsi que sur des circonstances exceptionnelles. La lettre était accompagnée d’une fiche d’information élaborée par un agent de l’ARC expliquant la décision de refuser d’accorder un allègement au titre du paragraphe 220(3.1).

[12]  Bien que la demanderesse ait maintenant payé la dette fiscale et les intérêts, elle continue de faire valoir que les intérêts au montant de 3 941,66 $ auraient dû faire l’objet d’une renonciation en application du paragraphe 220(3.1).

[13]  Seule cette seconde demande d’allègement pour les contribuables est à l’examen en l’espèce, puisque la première décision relative à l’allègement dépasse la portée de la présente demande de contrôle judiciaire (Toastmaster Inc. c Canada (MRN), 2011 CF 1309, au paragraphe 22, conf. dans 2012 CAF 317).

V.  Questions à trancher

  1. Le retard de l’ARC dans l’établissement d’une cotisation a‑t‑il rendu déraisonnable la décision de l’agent de refuser d’accorder un allègement?
  2. Une erreur dans la cotisation établie par l’ARC a‑t‑elle rendu déraisonnable la décision de l’agent de refuser d’accorder un allègement relativement aux intérêts à payer?
  3. Des circonstances exceptionnelles ont‑elles rendu déraisonnable la décision de l’agent de refuser d’accorder un allègement relativement aux intérêts à payer?

VI.  Analyse

[14]  La norme de contrôle applicable à une décision discrétionnaire rendue en vertu du paragraphe 220(3.1) de la Loi est celle du caractère raisonnable (Agence du revenu du Canada c Telfer, 2009 CAF 23, aux paragraphes 24 et 25). La « nature non définie » du pouvoir conféré au ministre au paragraphe 220(3.1) d’accorder ou non un allègement « plaide contre un examen judiciaire minutieux du processus de décision » (Telfer, au paragraphe 40).

A.  Retard de l’ARC dans l’établissement d’une cotisation

[15]  La demanderesse affirme que même si des intérêts se sont accumulés du 17 février 2010 au 3 octobre 2012, elle a téléphoné à l’ARC afin de comprendre ses options, mais qu’elle [traduction] « n’[a] jamais reçu de réponse directe de l’ARC ». Elle a également reçu une aide fiscale professionnelle pour écrire à l’ARC. Il semble que ce n’est que le 3 octobre 2012, lorsqu’elle a reçu l’avis de cotisation, qu’elle s’est rendu compte qu’elle devait des intérêts. Elle affirme que l’agent a commis une erreur en concluant qu’elle avait ignoré ses obligations fiscales de février 2010 à octobre 2012 alors qu’elle et ses représentants [traduction] « ont suivi l’affaire de près et ont agi de manière raisonnable dans les circonstances », puisque c’est l’ARC qui n’a pas répondu à son appel.

[16]  Le paragraphe 220(3.1) permet au ministre de « renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi » (voir l’Annexe A pour le libellé complet du paragraphe 220(3.1)).

[17]  Un délégué qui exerce le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 220(3.1) est guidé par la Circulaire d’information en matière d’impôt sur le revenu IC07‑1R1 intitulée : « Dispositions d’allègement pour les contribuables » (consulter l’Annexe B pour les articles pertinents de la circulaire). La circulaire fournit les « lignes directrices administratives qui servent de base à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre » (Martel c Canada (Procureur général), 2019 CF 840, au paragraphe 19). Les paragraphes 25 et 26 de la circulaire indiquent que les intérêts accumulés « peuvent faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation en tout ou en partie » s’ils découlent « de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable ». Les intérêts peuvent également faire l’objet d’une renonciation s’ils « découlent principalement d’actions de l’ARC, telles que des [...] renseignements fournis en retard, comme lorsqu’un contribuable n’a pas pu faire les paiements adéquats d’acomptes provisionnels ou d’arriérés parce que les renseignements nécessaires n’étaient pas disponibles ».

[18]  Le paragraphe 33 de la circulaire énumère quatre facteurs dont il faut tenir compte pour décider si des circonstances telles qu’un retard justifient de renoncer aux intérêts. Ces facteurs exigent que le décideur évalue si le contribuable a :

a) respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

b) en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c) fait des efforts raisonnables et géré de façon responsable ses affaires selon le régime d’autocotisation;

d) agi rapidement pour remédier à tout retard ou à toute omission.

[19]  La fiche de renseignements sur l’allègement pour les contribuables fournie par l’agent passait ces aspects en revue un après l’autre. Premièrement, les antécédents de conformité de la contribuable démontrent que les paiements étaient généralement faits à temps, à l’exception de cinq périodes de production au cours desquelles des versements étaient en retard. Ce facteur ne semble pas avoir influencé la décision.

[20]  Deuxièmement, les motifs de l’agent démontrent que la contribuable a, en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance alors que celui‑ci engendrait des intérêts sur arriérés. L’ARC n’avait reçu aucun versement de la société à la suite de la nouvelle cotisation établie en mars 2009 jusqu’à ce qu’un plan de paiement ait été mis en place dans le cadre d’un règlement proposé par la Cour de l’impôt. Je tiens à faire remarquer que la société s’était déjà vu accorder un généreux allègement discrétionnaire relativement aux 13 532,81 $ d’intérêts sur arriérés dont elle était redevable en février 2010, alors que sa dette fiscale est demeurée impayée, et ce, même si la demanderesse a reçu, en tant qu’actionnaire à 50 %, un dividende de 70 000 $ de la société. La demanderesse a finalement commencé à faire des versements en 2015 conformément au règlement en lien avec l’affaire de la Cour canadienne de l’impôt.

[21]  Troisièmement, l’agent estime dans sa décision que la demanderesse n’a pas fait preuve de diligence raisonnable dans la gestion de ses affaires selon le régime d’autocotisation. La décision souligne que la dette fiscale impayée de la société n’avait pas été remboursée à la suite de la cotisation établie en mars 2009. Pourtant, la demanderesse avait reçu des dividendes, et était donc tenue responsable de la dette et des intérêts dont la société était redevable en raison de ce transfert avec lien de dépendance. Elle soutient qu’elle ne pouvait pas prévoir le montant des intérêts à rembourser en 2012 (quand l’ARC a envoyé un avis de cotisation à la demanderesse, et exigé le paiement des intérêts), et que payer les intérêts en avance aurait été coûteux. J’éprouve de la sympathie pour la situation de la demanderesse, mais la société a été avisée en 2009 que des intérêts continueraient de s’accumuler et elle a choisi de ne pas payer le solde impayé de la dette fiscale et des intérêts. En 2012, la demanderesse a de nouveau été avisée que des intérêts continuaient de s’accumuler, et pourtant, elle n’a pas agi. D’autres décisions de la Cour ont confirmé des décisions refusant des demandes d’allègement pour les contribuables fondées sur un retard perçu lorsque le demandeur avait été explicitement averti que des intérêts continueraient de s’accumuler sur les soldes impayés si aucun paiement n’était effectué de façon volontaire (p. ex., Martel c Canada (Procureur général), 2019 CF 840, au paragraphe 28; Pathak c Canada (Ministre du revenu national), 2019 CF 252, au paragraphe 55).

[22]  Enfin, le fait que la demanderesse n’a pas agi rapidement pour remédier à tout retard milite également contre la décision de lui accorder un allègement relativement aux intérêts. Les motifs indiquent qu’en mai 2012, la demanderesse a reçu une lettre l’avisant de la possibilité qu’une cotisation soit établie à son égard relativement à la dette. Elle ne semble pas avoir agi avant août 2012, quand le comptable de la demanderesse a téléphoné à l’ARC pour protester contre le paiement des intérêts. Le comptable s’est fait dire que les intérêts continuaient de s’accumuler, et que la demanderesse n’avait pas rien fait pour empêcher cela avant qu’elle n’ait reçu la cotisation en octobre 2012.

[23]  Évidemment, comme la circulaire n’a pas force de loi, il faut évaluer la situation de la contribuable en se fondant sur bien plus que ces quatre facteurs. Cela dit, le fait qu’elle n’a pas été informée avant octobre 2012 des intérêts dus en raison des transferts avec lien de dépendance qu’elle a effectués et reçus entre 2008 et 2010 ne justifie pas de renoncer aux intérêts dont elle est redevable.

[24]  La durée du délai entre les transferts et la cotisation d’octobre 2012 concernant les intérêts n’était pas suffisamment longue pour rendre le délai déraisonnable – après tout, « chaque affaire est factuellement différente, de sorte que le temps que le ministre met à établir une cotisation doit être raisonnable au regard des faits particuliers de chaque affaire » (Shea c Canada (Procureur général), 2019 CF 787, au paragraphe 65). Dans le contexte de la présente affaire, la demanderesse a reçu des dividendes dans le cadre d’un transfert avec lien de dépendance, puis au cours des deux années suivantes, l’ARC a établi une cotisation à son égard et lui a ordonné de payer le montant dont elle était tenue responsable au titre de l’article 160 ainsi que les intérêts habituels. Aucun délai de prescription n’est applicable aux cotisations établies au titre de l’article 160 à l’égard de transferts avec lien de dépendance, puisqu’une telle cotisation peut être établie « en tout temps » (comme il l’a été souligné dans l’arrêt Canada c Addison & Leyen Ltd., 2007 CSC 33, aux paragraphes 9 et 10). Ces ordonnances sont généralement assorties d’intérêts, comme je l’expliquerai ci‑dessous. En l’espèce, la description que la demanderesse fait de la situation (les intérêts sur arriérés courus de 2010 à 2012 sur la dette fiscale découlant de dividendes versés dans le cadre de transferts avec lien de dépendance entre 2008 et 2010), à savoir, une sorte de retard inacceptable attribuable à l’ARC, est trompeuse.

[25]  La demanderesse aurait dû savoir que des intérêts s’accumuleraient, car la société a été informée (en octobre 2009), tout comme elle a été personnellement informée (en mai 2012), de la possibilité que des intérêts s’accumulent, et pourtant, elle a choisi de ne pas faire de versements. Au sein d’un régime d’autocotisation, il revient au contribuable de connaître la loi et de mener ses affaires financières conformément à la Loi (Easton c Canada (Agence du revenu), 2017 CF 113, au paragraphe 55). Le caractère raisonnable de la décision est d’autant plus soutenu du fait qu’un allègement pour les contribuables avait déjà été accordé à la société pour la même fraude fiscale. C’est grâce à cet allègement que la demanderesse a appris qu’elle devait encore des intérêts. L’agent a mentionné ce point dans son analyse et celui‑ci milite sans aucun doute contre le fait d’accorder un autre allègement des intérêts à la demanderesse.

[26]  De plus, les retards dans le traitement des avis d’opposition et des demandes d’allègement ne sont pas pertinents à la présente demande puisqu’aucun intérêt n’a été exigé pour ces périodes. La seconde lettre de décision confirme que [traduction] « bien que le traitement des avis d’opposition a été long et a connu des retards, nos dossiers indiquent qu’aucun intérêt sur arriérés ne s’est accumulé sur le montant de 33 147,13 $. Par conséquent, aucun intérêt supplémentaire n’a été exigé par l’ARC » après l’émission de la cotisation en 2012. Tout retard survenu à la suite de la cotisation relative aux transferts avec lien de dépendance n’a pas causé de préjudice à la demanderesse, puisqu’aucun intérêt supplémentaire n’a été exigé au cours de ces périodes d’opposition.

[27]  La façon dont le décideur a géré le retard ne rend pas la décision déraisonnable.

B.  Erreur dans la cotisation de l’ARC

[28]  La demanderesse affirme que l’ARC a fourni des renseignements inexacts, puisque [traduction] « [l]e paiement exigé a été revu plusieurs fois en six ans, une fois que la contribuable a fourni une preuve de paiement et que l’ARC a retracé les paiements ». Elle semble sous‑entendre que l’ARC aurait dû lui fournir le solde dû exact plutôt que de l’induire en erreur en lui disant que ses dettes avaient été réglées.

[29]  La Cour de l’impôt ne s’occupe pas des intérêts et les documents du règlement indiquent clairement que les intérêts n’ont pas été payés et qu’ils doivent toujours être remboursés.

[30]  Selon la circulaire IC07‑1R1, s’il y a des « erreurs de traitement » attribuables aux actions de l’ARC, les intérêts peuvent faire l’objet d’une renonciation. L’erreur alléguée semble être que la demanderesse s’est fait dire qu’elle ne devait aucune somme, mais qu’elle a appris par la suite qu’elle devait rembourser une dette fiscale ainsi que les intérêts afférents à cette dette qui se sont accumulés en raison d’une fraude commise par son comptable. Elle laisse entendre que cette erreur signifie qu’elle ne devrait pas payer les intérêts.

[31]  Je ne crois pas qu’il y ait réellement eu une erreur de la part de l’ARC. L’objectif même de l’article 160 est d’aborder les transferts avec lien de dépendance comme ceux dont il est question en l’espèce, et si nous n’avions pas la capacité d’exiger des paiements d’intérêts, les contribuables pourraient avoir accès à ce que le défendeur appelle un [traduction] « prêt sans intérêt » par l’entremise de leurs sociétés. Selon la loi, si des dividendes sont émis dans le cadre d’un transfert avec lien de dépendance, la personne qui reçoit le transfert sera par la suite informée qu’elle est responsable du montant dû plus les intérêts.

[32]  Si l’ARC a commis une erreur, celle‑ci n’a pas été expliquée clairement, et comme je l’ai mentionné plus tôt, les quatre facteurs énoncés dans la circulaire ne justifient généralement pas de renoncer aux intérêts. Au moment où la demande d’allègement de la société a été déposée, la société a été avisée par écrit que des intérêts sur arriérés s’accumuleraient sur tout solde impayé. Pourtant, la demanderesse a décidé de se verser à elle‑même des dividendes discrétionnaires de la société plutôt que de rembourser la dette fiscale de la société. Bien entendu, la demanderesse n’a pas immédiatement reçu une cotisation pour ces transferts provenant de la société à numéro, mais il ne s’agissait pas d’une erreur.

C.  Circonstances exceptionnelles

[33]  Les « circonstances exceptionnelles » invoquées par la demanderesse ne sont pas clairement énoncées dans son mémoire. Cependant, l’avis de demande laisse entendre que les circonstances exceptionnelles sont la fraude ainsi que le manque de contrôle de la demanderesse sur la situation.

[traduction]

Selon l’article 35 de la circulaire IC07‑1R1, le contribuable est responsable de veiller à ce que ses obligations fiscales soient respectées. Cependant, dans certaines situations exceptionnelles, il pourrait être indiqué d’accorder un allègement à un contribuable en raison d’erreurs ou de retards attribuables à un tiers. Selon les articles 26 et 36, il peut aussi être adéquat d’envisager d’accorder un allègement lorsqu’une situation exceptionnelle indépendante de la volonté du représentant du contribuable ou encore des actions de l’ARC, telles que des renseignements inexacts fournis au contribuable, ont empêché le contribuable de respecter une obligation ou une exigence de la Loi

La contribuable a été victime d’une fraude. Alex Chan, un tiers, a commis la fraude, mais l’ARC a émis des avis dans les délais prescrits avec aucun solde dû à 994820 Ontario Inc. De 2003, lorsque la fraude a été commise, à 2009, lorsque l’ARC a apporté des correctifs au dossier d’impôt de la contribuable, l’auteur de la fraude a eu suffisamment de temps pour transférer les fonds à l’étranger. La contribuable a signalé le crime à la GRC après avoir appris ce qui s’était passé, mais il était trop tard.

[34]  Les circonstances exceptionnelles entourant la fraude ne suffisent pas à rendre la décision de l’agent de refuser l’allègement déraisonnable. La société s’était déjà vu accorder un premier allègement pour les contribuables relativement aux intérêts sur arriérés d’un montant de 13 532,81 $ le 17 février 2010 en raison de la fraude. La demanderesse a reçu des transferts avec lien de dépendance en juin 2009 et en juin 2010. C’était après que la fraude fut découverte et signalée aux autorités, et après qu’une cotisation eut été établie à l’égard de la société en mars 2009. Les circonstances liées à la fraude ne justifient pas de renoncer aux intérêts et la décision du décideur était raisonnable.

[35]  Pour ce qui est du manque de connaissances de la demanderesse à l’égard de la situation, je sympathise avec elle, mais j’estime que son argument n’est pas pertinent. Dans ses réponses à l’interrogatoire écrit du 2 avril 2019, elle fait valoir que [traduction] « le système n’est pas intuitif et peut être déconcertant pour les non‑initiés ». Toutefois, ces préoccupations quant au fait de ne pas savoir quelle voie d’appel suivre ne sont pas pertinentes, car les intérêts ont cessé de s’accumuler lorsqu’elle s’est empressée de déposer son premier avis d’opposition en 2012.

[36]  Le 8 août 2012, le comptable de la demanderesse a téléphoné à l’ARC. Il a dit qu’il ne croyait pas que des intérêts devraient s’accumuler puisqu’un allègement pour les contribuables avait été accordé, ce à quoi on lui a répondu [traduction] « que des intérêts continuaient de s’accumuler sur la dette même si le montant est moindre depuis qu’un l’allègement a été accordé pour les intérêts accumulés jusqu’en février 2010 ». La demanderesse a attendu la cotisation pendant deux autres mois et elle a ensuite affirmé qu’elle ne savait pas que des intérêts s’accumuleraient.

[37]  La demanderesse soutient également que le montant exigé était [traduction] « considérable » et que le payer en avance [traduction] « aurait entraîné des dépenses et des pertes de liquidation bien plus importantes que les intérêts faisant l’objet de la cotisation ». Bien que la demanderesse ait brièvement mentionné les « frais de liquidation » et les « dépenses » dans sa demande d’allègement de mars 2018, elle n’a fourni aucun détail à ce sujet. J’estime que les circonstances ne rendent pas la décision déraisonnable, surtout parce que la demanderesse a choisi de recevoir 70 000 $ en dividendes alors que cet argent aurait pu servir à rembourser la dette fiscale et aider la société.

[38]  Enfin, comme je l’ai mentionné ci‑dessus, même si le traitement des avis d’opposition a été long, aucun intérêt sur arriérés ne s’est accumulé sur le solde dû durant le processus d’opposition. Dans l’ensemble, j’estime que la demanderesse n’a pas réussi à démontrer qu’il existe des circonstances si exceptionnelles qu’elles justifieraient qu’un allègement lui soit accordé.

VII.  Conclusion

[39]  Le retard perçu, l’erreur alléguée et les circonstances exceptionnelles, pris en compte seuls ou dans leur ensemble, n’appuient pas la décision de renoncer aux intérêts. La demanderesse a fait preuve de diligence pour rembourser les dettes impayées, mais je ne peux pas conclure que le décideur a commis une erreur en refusant de lui accorder un second allègement pour les contribuables.

[40]  En examinant l’analyse de la Cour d’appel dans l’arrêt Telfer au sujet du pouvoir discrétionnaire conféré au décideur au paragraphe 220(3.1), il devient manifeste que cette demande devrait être rejetée, car la décision examinée est justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9).

[41]  Par conséquent, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

VIII.  Dépens

[42]  Le défendeur a demandé des dépens d’un montant forfaitaire de 500 $. Même si le défendeur a obtenu gain de cause, aucuns dépens ne seront adjugés, car les documents du défendeur manquaient de clarté et que la Cour a dû exiger plus d’information à l’audience. Pour cette raison, la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et n’adjuge pas de dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑2148‑18

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de novembre 2019.

Claude Leclerc, traducteur


Annexe A – Loi relative

Annex A – Relevant legislation

Loi de l’impôt sur le revenu (L.R.C. (1985), ch. 1 (5e suppl.))

Transfert de biens entre personnes ayant un lien de dépendance

160 (1) Lorsqu’une personne a, depuis le 1er mai 1951, transféré des biens, directement ou indirectement, au moyen d’une fiducie ou de toute autre façon à l’une des personnes suivantes :

a) son époux ou conjoint de fait ou une personne devenue depuis son époux ou conjoint de fait;

b) une personne qui était âgée de moins de 18 ans;

c) une personne avec laquelle elle avait un lien de dépendance,

les règles suivantes s’appliquent :

d) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement d’une partie de l’impôt de l’auteur du transfert en vertu de la présente partie pour chaque année d’imposition égale à l’excédent de l’impôt pour l’année sur ce que cet impôt aurait été sans l’application des articles 74.1 à 75.1 de la présente loi et de l’article 74 de la Loi de l’impôt sur le revenu, chapitre 148 des Statuts revisés du Canada de 1952, à l’égard de tout revenu tiré des biens ainsi transférés ou des biens y substitués ou à l’égard de tout gain tiré de la disposition de tels biens;

e) le bénéficiaire et l’auteur du transfert sont solidairement responsables du paiement en vertu de la présente loi d’un montant égal au moins élevé des montants suivants :

(i) l’excédent éventuel de la juste valeur marchande des biens au moment du transfert sur la juste valeur marchande à ce moment de la contrepartie donnée pour le bien,

 

(ii) le total des montants représentant chacun un montant que l’auteur du transfert doit payer en vertu de la présente loi (notamment un montant ayant ou non fait l’objet d’une cotisation en application du paragraphe (2) qu’il doit payer en vertu du présent article) au cours de l’année d’imposition où les biens ont été transférés ou d’une année d’imposition antérieure ou pour une de ces années.

Toutefois, le présent paragraphe n’a pas pour effet de limiter la responsabilité de l’auteur du transfert en vertu de quelque autre disposition de la présente loi ni celle du bénéficiaire du transfert quant aux intérêts dont il est redevable en vertu de la présente loi sur une cotisation établie à l’égard du montant qu’il doit payer par l’effet du présent paragraphe.

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

220(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour‑là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

Circulaire d’Information en matière d’impôt sur le revenu IC07‑1R1 Dispositions d’allègement pour les contribuables

Circonstances exceptionnelles

25. Les pénalités et les intérêts peuvent faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation, en tout ou en partie, si elles découlent de circonstances indépendantes de la volonté du contribuable. Les circonstances exceptionnelles qui peuvent avoir empêché un contribuable d’effectuer un paiement lorsqu’il était dû, de produire une déclaration à temps ou de s’acquitter de toute autre obligation que lui impose la Loi comprennent, sans en exclure d’autres, les suivantes :

a)  Catastrophes naturelles ou d’origine humaine, telles qu’une inondation ou un incendie.

b)  Troubles publics ou interruptions de services, tels qu’une grève des postes.

c)  Maladies ou accidents graves.

d)  Troubles émotifs sévères ou souffrances morales graves, tels qu’un décès dans la famille immédiate.

Actions de l’ARC

26. Les pénalités et les intérêts peuvent également faire l’objet d’une renonciation ou d’une annulation s’ils découlent principalement d’actions de l’ARC, telles que des :

a)  retards de traitement, qui ont fait en sorte que le contribuable n’a pas été informé d’une somme due dans un délai raisonnable;

b)  erreurs dans la documentation mise à la disposition du public qui a amené des contribuables à soumettre des déclarations ou à faire des paiements en se fondant sur des renseignements inexacts;

c)  renseignements inexacts fournis à un contribuable;

d)  erreurs de traitement;

e)  renseignements fournis en retard, comme lorsqu’un contribuable n’a pas pu faire les paiements adéquats d’acomptes provisionnels ou d’arriérés parce que les renseignements nécessaires n’étaient pas disponibles;

f)  retards excessifs pour régler une opposition ou un appel ou pour faire une vérification.

Facteurs de décision

33. Lorsque des circonstances indépendantes de la volonté du contribuable, des actions de l’ARC, une incapacité de payer ou des difficultés financières ont empêché un contribuable de respecter la Loi, les facteurs suivants serviront à déterminer si un fonctionnaire délégué du ministre du Revenu national annulera les pénalités et les intérêts ou y renoncera. On évaluera si le contribuable a :

a)  respecté, par le passé, ses obligations fiscales;

b)  en connaissance de cause, laissé subsister un solde en souffrance qui a engendré des intérêts sur arriérés;

c)  fait des efforts raisonnables et géré de façon responsable ses affaires selon le régime d’autocotisation;

d)  agi rapidement pour remédier à tout retard ou à toute omission.

Income Tax Act, RSC 1985 c 1 (5th Supp)

Tax liability re property transferred not at arm’s length

160 (1) Where a person has, on or after May 1, 1951, transferred property, either directly or indirectly, by means of a trust or by any other means whatever, to

(a) the person’s spouse or common‑law partner or a person who has since become the person’s spouse or common‑ law partner,

(b) a person who was under 18 years of age, or

(c) a person with whom the person was not dealing at arm’s length,

the following rules apply:

(d) the transferee and transferor are jointly and severally, or solidarily, liable to pay a part of the transferor’s tax under this Part for each taxation year equal to the amount by which the tax for the year is greater than it would have been if it were not for the operation of sections 74.1 to 75.1 of this Act and section 74 of the Income Tax Act, chapter 148 of the Revised Statutes of Canada, 1952, in respect of any income from, or gain from the disposition of, the property so transferred or property substituted for it, and

(e) the transferee and transferor are jointly and severally, or solidarily, liable to pay under this Act an amount equal to the lesser of

(i) the amount, if any, by which the fair market value of the property at the time it was transferred exceeds the fair market value at that time of the consideration given for the property,

(ii) the total of all amounts each of which is an amount that the transferor is liable to pay under this Act (including, for greater certainty, an amount that the transferor is liable to pay under this section, regardless of whether the Minister has made an assessment under subsection (2) for that amount) in or in respect of the taxation year in which the property was transferred or any preceding taxation year,

but nothing in this subsection limits the liability of the transferor under any other provision of this Act or of the transferee for the interest that the transferee is liable to pay under this Act on an assessment in respect of the amount that the transferee is liable to pay because of this subsection.

Waiver of penalty or interest

220(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

Annex B ‑ Income Tax Information Circular IC07‑1R1 “Taxpayer Relief Provisions”

Extraordinary circumstances

25. Penalties and interest may be waived or cancelled in whole or in part, if they result from circumstances beyond a taxpayer’s control. Extraordinary circumstances that may have prevented a taxpayer from making a payment when due, filing a return on time, or otherwise complying with an obligation under the act include, but are not limited to, the following examples:

a)  natural or human‑made disasters, such as flood or fire

b)  civil disturbances or disruptions in services, such as a postal strike

c)  serious illness or accident

d:  serious emotional or mental distress, such as death in the immediate family.

Actions of the CRA

26. Penalties and interest may also be waived or cancelled if they resulted mainly because of actions of the CRA, such as:
a)  processing delays that result in the taxpayer not being informed, within a reasonable time, that an amount was owing

b)  errors in material available to the public, which led taxpayers to file returns or make payments based on incorrect information

c)  incorrect information provided to a taxpayer

d)  errors in processing

e)  delays in providing information, such as when a taxpayer could not make the appropriate instalment or arrears payments because the necessary information was not available

f)  undue delays in resolving an objection or an appeal, or in completing an audit
Factors used in arriving at the decision

33. Where circumstances beyond a taxpayer’s control, actions of the CRA, inability to pay, or financial hardship has prevented the taxpayer from complying with the act, the following factors will be considered when determining if the minister’s delegate will cancel or waive penalties and interest:

a)  whether the taxpayer has a history of compliance with tax obligations

b)  whether the taxpayer has knowingly allowed a balance to exist on which arrears interest has accrued

c)  whether the taxpayer has exercised a reasonable amount of care and has not been negligent or careless in conducting their affairs under the self‑assessment system

d)  whether the taxpayer has acted quickly to remedy any delay or omission.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑2148‑18

 

INTITULÉ :

CHAU c. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 octobre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 29 octobre 2019

COMPARUTIONS :

Ying Chau

la demanderesse

 

Andrew Stuart

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ying Chau

la demanderesse

 

Andrew Stuart

Ministère de la Justice

Pour le défendeur

 

 

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