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Date: 20191031


Dossier : IMM-1572-19

Référence 2019 CF 1365

Montréal (Québec), le 31 octobre, 2019

En présence de madame la juge St-Louis

ENTRE :

RANI ABDULAHAD ISSA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  M. Rani Abdulahad Issa demande le contrôle judiciaire de la décision rendue le 16 janvier 2019 par un Officier de migration internationale [Officier] de l’Ambassade du Canada au Liban, refusant sa demande de résidence permanente dans la catégorie des Réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières prévue à l’article 138 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement]. Pour les raisons exposées ci-après, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.  CONTEXTE

[2]  En 2017, M. Issa dépose une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie précitée de réfugiés, dûment parrainé par un groupe au Canada. Dans les différents formulaires qu’il complète dans le cadre de sa demande, M. Issa confirme n’avoir jamais été marié et n’indique pas avoir voyagé ou séjourné en Grèce.

[3]  Or, un officier note que des vérifications préliminaires du système de données canadien révèlent que M. Issa a, en 2010, présenté une demande de Visa de résident temporaire auprès du bureau des visas de Rome, à titre de résident de la Grèce.

[4]  Selon les notes de cet officier, la convocation à l’entrevue contient une demande pour M. Issa d’apporter la documentation en lien avec son statut en Grèce. Le 7 novembre 2018, l’officier rencontre M. Issa en entrevue. Toujours selon les notes de l’officier, M. Issa confirme alors, notamment, avoir été marié à une citoyenne grecque, et avoir résidé en Grèce en 2008 et 2010, mais être retourné au Liban et en Syrie subséquemment. Il indique être convaincu que sa femme l’a depuis divorcé, mais n’a pas d’informations ou de documents à ce sujet. M. Issa indique avoir perdu son ancien passeport, mais il remet à l’officier une carte de résidence de la Grèce valide de 2009 à 2014. M. Issa indique ne pas avoir déclaré cette situation de fait sur les conseils de proches qui lui auraient indiqué que ces informations pouvaient nuire à sa demande de réfugié. L’Officier lui signale alors ses préoccupations et le 30 novembre 2018, l’officier transmet une lettre d’équité procédurale à M. Issa, référant spécifiquement aux sous-alinéas 139(1) (d) (i) et (ii) du Règlement, énonçant ses préoccupations en lien avec le statut de M. Issa en Grèce et lui accordant une période de 30 jours pour répondre. Rien n’indique que le courriel n’est pas délivré à l’adresse que M. Issa a confirmée, ni qu’il ne l’a pas reçu.

[5]  M. Issa ne répond pas à la lettre d’équité procédurale, et le 16 janvier 2016, l’Officier refuse sa demande de résidence permanente, ayant déterminé que M. Issa ne satisfait pas les exigences prévues au sous-alinéa 139(1) (d) (ii) du Règlement puisqu’il pourrait se prévaloir de la protection en Grèce considérant les éléments factuels. L’Officier indique ne pas avoir pu vérifier si le statut de M. Issa en Grèce est toujours valide, puisque ce dernier n’a pas remis son passeport précédent.

[6]  Le 10 février 2019, M. Issa transmet un courriel à l’Ambassade aux fins de fournir des informations et demander si l’Officier lui permettra d’entrer au Canada si une preuve de divorce et de l’expiration de son statut en Grève sont transmises. L’Officier ne donne pas suite à cette demande.

[7]  La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est présentée le 7 mars 2019. Afin de soutenir sa demande de contrôle judiciaire, M. Issa dépose un affidavit, la copie d’un document de divorce et sa traduction, ainsi que des éléments de la loi grecque, documents qui n’étaient pas devant l’Officier. Il ne mentionne alors pas ne pas avoir reçu le courriel du 30 novembre précité.

III.  POSITION DES PARTIES

A.  Position de M. Issa

[8]  M. Issa soumet que l’Officier a erré en décidant qu’il a la possibilité d’obtenir la protection de la Grèce et que sa décision est en conséquence déraisonnable et il s’appuie sur les documents additionnels pour soutenir qu’il était bien divorcé et que sa résidence en Grèce était expirée.

[9]  En réplique au Ministre, M. Issa prétend que les documents joints à son affidavit ne constituent pas de la nouvelle preuve, puisque d’une part l’Officier pouvait et devait vérifier la loi par une recherche internet sur le sujet, et puisque d’autre part, M. Issa a confirmé lors de l’entrevue être divorcé et que sa crédibilité ne devait être mise en doute.

[10]  Ainsi, la conclusion selon laquelle il pouvait obtenir un statut en Grèce, en se basant sur son mariage, n’appartenait pas aux issues possibles et raisonnables ouvertes à l’Officier.

B.  Position du Ministre

[11]  Le Ministre soumet que la preuve dans le dossier démontre qu’il existe une possibilité raisonnable qu’il y ait une solution durable pour M. Issa en Grèce et qu’en conséquence, la décision est raisonnable.

[12]  Le Ministre ajoute que la preuve de la législation grecque et le certificat de divorce sont des nouvelles preuves inadmissibles en contrôle judiciaire, et qu’il n’existe que deux exceptions pour lesquelles des nouvelles preuves peuvent être présentées: «la preuve nouvelle vise à établir une erreur de compétence ou à montrer que la conclusion a été tirée à l’encontre de la justice naturelle ou de l’équité procédurale» (Nyoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 568 au para 17). Le Ministre soumet que ces preuves ne tombent pas dans les deux exceptions.

[13]  Finalement, le Ministre soumet que les conditions de l’article 139 du Règlement sont cumulatives (Alfaka Alharazim v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1044 au para 27), que le fardeau de preuve repose sur le demandeur d’asile (Hassan v Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 531 au para 18) et que les conditions ne sont pas satisfaites.

[14]  Le Ministre soumet aussi que M. Issa a eu l’opportunité de soumettre de nouvelles preuves à l’agent d’immigration suite à l’envoi de la lettre d’équité procédurale, mais que cela n’a pas été fait. Le Ministre ajoute qu’au moment de l’entrevue, il n’y avait aucune preuve du divorce de M. Issa.

[15]  Le Ministre prétend donc que la décision de l’agent d’immigration doit être maintenue.

IV.  DISCUSSION

[16]  La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer en l’instance est celle de la décision raisonnable (Hassan c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2019 CF 531 para 12). Cette norme en est une de déférence et la Cour doit alors vérifier la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que «l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit» (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12).

[17]  La Cour souscrit à la position du Ministre en ce qui concerne les documents additionnels qui n’étaient pas devant le décideur, et ne les considèrera donc pas. De plus, il importe de noter que «La jurisprudence applicable nous dit, en fait, que le risque d’un défaut de communication repose sur les épaules du demandeur si le défendeur est en mesure de montrer que, selon la prépondérance des probabilités, la communication a été envoyée et, deuxièmement, si le défendeur n’avait aucune raison de croire que la communication avait échoué» (Halder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1346 au para 48). Rien n’indique que M. Issa n’a pas reçu le courriel précité du 30 novembre 2018 et il n’a invoqué cet argument ni dans son affidavit ni dans son mémoire.

[18]  L’article 139 du Règlement prévoit que:

139 (1) Un visa de résident permanent est délivré à l’étranger qui a besoin de protection et aux membres de sa famille qui l’accompagnent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis (..)

d) aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est, à son égard, réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada, à savoir :

(i) soit le rapatriement volontaire ou la réinstallation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle,

(ii) soit la réinstallation ou une offre de réinstallation dans un autre pays;

139 (1) A permanent resident visa shall be issued to a foreign national in need of refugee protection, and their accompanying family members, if following an examination it is established that

(d) the foreign national is a person in respect of whom there is no reasonable prospect, within a reasonable period, of a durable solution in a country other than Canada, namely

(i) voluntary repatriation or resettlement in their country of nationality or habitual residence, or

(ii) resettlement or an offer of resettlement in another country;

[19]  Il ressort clairement de la jurisprudence que, compte tenu du cadre légal du paragraphe 139(1) du Règlement, le demandeur a seul l’obligation de démontrer qu’«aucune possibilité raisonnable de solution durable n’est [à leur égard] réalisable dans un délai raisonnable dans un pays autre que le Canada» (Salimi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 872 au para7; Qurbani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 127 au para 18); (Karimzada c Canada (Citoyenneté et  Immigration), 2012 CF 152 au para 25). M. Issa avait la charge de démontrer que son statut en Grèce ne constituait pas une solution durable aux termes de l’article 139 du Règlement, ce qu’il n’a malheureusement pas fait, en dépit de l’opportunité qui lui a été offerte.

[20]  La décision de l’officier est raisonnable et la demande de contrôle judiciaire sera conséquemment rejetée.


JUGEMENT au dossier IMM-1572-19

LA COUR STATUE que:

  • 1) La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  • 2) Aucune question n’est certifiée.

« Martine St-Louis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1572-19

INTITULÉ :

RANI ABDULAHAD ISSA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MontrÉal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 octobre 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST-LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 31 octobre 2019

COMPARUTIONS

Jean-Pierre Chamoun

Pour le demandeur

Annie Flamand

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Chamoun, Constantin – Avocats

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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