Date : 20191107
Dossier : IMM-2251-19
Référence : 2019 CF 1397
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador), le 7 novembre 2019
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
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JUN YUAN PAO
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Madame Jun Yuan Pao (la « demanderesse ») sollicite le contrôle judiciaire de la décision de M. Alvin Fell, un agent de soutien aux programmes (l’« agent ») travaillant à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC »), de rejeter sa demande de carte de résidente permanente.
[2]
La demanderesse est née à Shanghai, en Chine, le 28 août 1940. Elle a obtenu le statut de résidente permanente au Canada le 28 mai 1973. Elle possède un logement en copropriété situé au centre‑ville de Vancouver, en Colombie‑Britannique.
[3]
En mars 2016, alors qu’elle voyageait au moyen de son passeport de Hong Kong, elle a été avisée qu’elle avait besoin d’une Autorisation de voyage électronique (« AVE ») pour se rendre au Canada.
[4]
Le 16 mars 2016, la demanderesse a présenté une demande d’AVE. Dans une lettre datée du 17 mars 2016, IRCC l’a informée que sa demande d’AVE avait été approuvée et que celle‑ci était valide jusqu’au 8 août 2017.
[5]
Entre février et avril 2017, alors qu’elle se trouvait à Hong Kong, la demanderesse a présenté six autres demandes d’AVE. IRCC lui a envoyé des lettres pour l’informer de l’état de chacune de ses demandes, sauf pour la demande de mars 2017, qui a été retirée par son agent de voyages. Les lettres se lisent en partie comme suit :
[traduction]
Un examen de votre dossier indique que vous avez déjà été une résidente permanente (RP) du Canada et que vous l’êtes peut-être toujours. Veuillez noter que les RP canadiens ne sont pas autorisés à présenter une demande d’AVE. Avant que nous puissions traiter votre demande d’AVE, votre statut de résidente permanente devra être clarifié.
[…]
Selon la loi, les résidents permanents du Canada, y compris ceux qui sont également citoyens d’un pays dispensé de l’obligation de visa, ne peuvent pas présenter une demande d’AVE. Par conséquent, votre demande d’AVE a été retirée.
Votre dossier de demande est maintenant clos. Vous n’êtes pas titulaire d’une AVE valide.
[Souligné dans l’original.]
[6]
Le 11 mai 2017, la demanderesse a présenté une demande de renonciation à son statut de résidente permanente. Dans un courriel daté du 11 mai 2017, elle a été informée que sa demande avait été acceptée et qu’elle n’était plus une résidente permanente du Canada.
[7]
Dans une lettre datée du 12 décembre 2018, la demanderesse a demandé qu’une carte de résidente permanente lui soit délivrée.
[8]
Selon les notes conservées dans le dossier certifié du tribunal, l’agent a d’abord estimé que la demanderesse devrait recevoir sa carte de résidente permanente. Toutefois, le 26 mars 2019, il a demandé conseil à la Direction générale du règlement des cas au sujet de la demande.
[9]
Le 28 mars 2019, la Direction générale du règlement des cas a répondu par courriel et a déclaré ce qui suit :
[traduction]
La Direction générale du règlement des cas a examiné ce dossier, et il n’existe pas, à l’heure actuelle, de procédure permettant d’infirmer une décision relative à une demande de renonciation au statut de résident permanent. La Direction générale a recommandé que des décisions soient infirmées dans quelques cas exceptionnels où il y avait eu des signes évidents de fraude (par exemple, un tiers ayant contrefait une signature sur les formulaires). Dans le cas qui nous occupe, la demanderesse a volontairement signé la demande et soumis les documents requis.
La loi n’exige pas que les agents évaluent les raisons pour lesquelles un demandeur veut renoncer à son statut lorsqu’ils approuvent sa demande de renonciation. On s’attend à ce que le demandeur ait lu et compris le guide et le formulaire de demande, et à ce qu’il ait demandé des précisions supplémentaires, au besoin.
Dans ce cas précis, la demanderesse a reçu à plusieurs reprises des lettres d’option pour la RP, et elle a eu l’occasion de solliciter des conseils juridiques pour surmonter les barrières linguistiques.
La décision définitive revient à l’agent; toutefois, la Direction générale ne recommande pas d’intervenir dans ce cas.
[10]
Dans une lettre datée du 28 mars 2019, la demanderesse a été informée que sa demande de carte de résidente permanente avait été rejetée parce que sa demande de renonciation au statut de résidente permanente avait été approuvée le 11 mai 2017.
[11]
L’agent a indiqué qu’en raison de cette approbation, la demanderesse avait perdu son statut de résidente permanente au titre de l’alinéa 46(1)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « Loi ») et n’était dès lors plus admissible à une carte de résidente permanente, comme le prévoit l’alinéa 59(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le « Règlement »). Les notes de l’agent se lisent, en partie, comme suit :
[TRADUCTION]
La cliente est devenue une résidente permanente le 28 mai 1973.
La cliente a rempli une Demande de renonciation volontaire au statut de résident permanent (elle a signé la demande le 19 avril 2017).
La Demande de renonciation volontaire au statut de résident permanent (Q000263904) de la cliente, envoyée en ligne, a été reçue par le Centre de soutien des opérations (CSO) le 11 mai 2017.
Le CSO a approuvé la demande de renonciation le 11 mai 2017.
La cliente est une personne visée à l’alinéa 46(1)e) de la Loi : « Emport[e] perte du statut de résident permanent […] l’acceptation par un agent de la demande de renonciation au statut de résident permanent ».
La cliente n’est plus une RP.
La cliente n’est pas admissible à une carte de résidente permanente.
La demande est rejetée.
Remarque : La législation en matière d’immigration ne prévoit pas la prise en compte, lors de l’approbation d’une demande de renonciation, des raisons pour lesquelles le demandeur veut renoncer à son statut. Rien n’indique que la renonciation par la cliente à son statut de résidente permanente soit le résultat d’une fraude.
[12]
La demanderesse soutient maintenant que l’agent a commis une erreur en ne rendant pas une décision qui lui était propre, contrairement au principe selon lequel « celui qui entend l’affaire doit rendre la décision »
. Elle allègue qu’en se ralliant à l’opinion de la Direction générale du règlement des cas, l’agent a indûment entravé son pouvoir discrétionnaire. Elle indique que l’agent a rejeté sa demande le jour même où il a reçu un courriel de la Direction générale, et qu’il a utilisé le même libellé que cette dernière.
[13]
Selon la demanderesse, la question en litige en est une d’équité procédurale; elle soutient que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale en ne rendant pas une décision indépendante après avoir procédé à l’examen de sa demande.
[14]
Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le « défendeur ») soutient que la décision de l’agent est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Il fait valoir que la décision respecte cette norme, et que rien ne justifie l’intervention de la Cour.
[15]
Une question d’équité procédurale peut être contrôlée selon la norme de la décision correcte : voir l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339.
[16]
La décision d’un agent d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de carte de résident permanent est quant à elle susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable : voir la décision Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690, au paragraphe 32.
[17]
Selon l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 RCS 190, la norme de la décision raisonnable exige que la décision soit justifiable, transparente et intelligible et qu’elle appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[18]
Toutefois, la véritable question en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire est moins de savoir de quelle manière l’agent a exercé son pouvoir discrétionnaire que de savoir s’il a rendu une décision indépendante ou s’il s’est simplement rallié à l’opinion d’une tierce partie, à savoir celle de la Direction générale du règlement des cas. À mon avis, la décision ne répond ni à la norme de l’équité procédurale ni à la norme du caractère raisonnable.
[19]
Comme l’a fait observer notre Cour dans l’affaire Calandrini c Canada (Procureur général), 2018 CF 52, le choix de la norme de contrôle n’est pas déterminant.
[20]
La décision est inéquitable sur le plan de la procédure parce qu’il n’est pas manifeste que l’agent a rendu sa « propre »
décision. En outre, la décision est déraisonnable parce qu’il semble que l’agent n’ait pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à l’établissement de la demanderesse au Canada.
[21]
Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision.
[22]
Il n’y a aucune question à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2251-19
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvelle décision. Il n’y a aucune question à certifier.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 20e jour de novembre 2019.
Julie-Marie Bissonnette, traductrice agréée
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑2251‑19
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INTITULÉ :
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JUN YUAN PAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 21 OCTOBRE 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE HENEGHAN
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 7 NOVEMBRE 2019
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COMPARUTIONS :
Robert Leong
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POUR LA DEMANDERESSE
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Brett Nash
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Lowe and Company
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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