Date : 20031204
Dossier : IMM-6211-02
Référence : 2003 CF 1409
Entre :
Ala Ben Tahar BLIDI
Demandeur
- et -
LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION
ET DE LA CITOYENNETÉ
Défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE PINARD :
[1] Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un agent d'examen des risques avant renvoi ( « ERAR » ), Vicky Hajdamacha, datée du 28 octobre 2002, statuant que le demandeur n'est ni un « réfugié » au sens de la Convention ni une « personne à protéger » suivant les définitions données aux articles 96 et 97 respectivement de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27.
[2] Le demandeur, Ala Ben Tahar Blidi, est un citoyen de la Tunisie âgé de 24 ans. Il est arrivé au Canada le 13 septembre 2000 avec un visa de visiteur qui a expiré le 21 septembre 2000.
[3] Le demandeur a revendiqué le statut de réfugié le 19 janvier 2001, alléguant une crainte bien fondée de persécution en raison de l'absence de la liberté d'expression et de conditions de vie misérables en Tunisie.
[4] L'agent ERAR a conclu que le demandeur ne risquait pas d'être persécuté ou de subir la torture, une menace à sa vie ou un risque de traitements ou de peines cruels et inusités s'il était renvoyé vers la Tunisie. Selon l'agent, la crainte subjective du demandeur n'était pas crédible.
[5] L'évaluation de la crédibilité est une question de fait et il n'appartient pas à cette Cour de se substituer à la décision de l'agent ERAR à moins que le demandeur puisse démontrer que sa décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. 1985, c. F-7). L'agent ERAR possède une connaissance spécialisée et elle a le pouvoir d'apprécier la preuve dans la mesure oùses inférences ne sont pas déraisonnables (voir Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)) et ses motifs sont énoncés de façon claire et compréhensible (Hilo c. Canada (M.E.I.) (1991), 15 Imm.L.R. (2d) 199 (C.A.F.)).
[6] Le demandeur soutient que l'agent ERAR a erré en considérant que sa crainte de persécution est une crainte généralisée. Selon la définition de « réfugié » au sens de la Convention, la persécution alléguée par le demandeur doit être liée à un motif énoncé dans la Convention et ne peut être simplement fondée sur une crainte générale. La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, a aussi précisé, à la page 732 :
. . . la communautéinternationale n'avait pas l'intention d'offrir un refuge à toutes les personnes qui souffrent. Par exemple, la « persécution » nécessaire pour justifier la protection internationale entraîne l'exclusion de suppliques comme celles des migrants économiques, c'est-à -dire des personnes à la recherche de meilleures conditions de vie, ou des victimes de catastrophes naturelles, même si l'État d'origine ne peut pas les aider, . . .
[7] En l'espèce, le demandeur n'a pas démontré, ni dans son Formulaire de renseignements personnels ( « FRP » ), ni dans sa demande d'ERAR, qu'il avait lui-même critiquéle gouvernement tunisien ou qu'il avait fait défaut de dénoncer des contestataires aux autorités tunisiennes. Il est bien établi qu'un revendicateur comme le demandeur doit démontrer qu'il existe une possibilité raisonnable ou même sérieuse qu'il soit persécuté (Adjei c. Canada (M.E.I.), [1989] 2 C.F. 680 (C.A.)). Ici, aucune preuve n'a été présentée afin d'établir que le demandeur serait persécuté pour un des motifs énoncés dans la Convention.
[8] De plus, un réfugié au sens de la Convention doit avoir une crainte subjective de persécution. Dans l'arrêt Kamana c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 1695 (C.F. 1re inst.), ma collègue, la juge Tremblay-Lamer, a conclu que l'absence de preuve « quant à l'élément subjectif de la revendication constitue une lacune fatale qui justifie à elle seule le rejet de la revendication puisque les deux éléments de la définition de réfugié, subjectif et objectif, doivent être rencontrés » . En l'espèce, le demandeur n'a présenté aucune preuve pour soutenir son allégation de crainte subjective de persécution advenant son retour en Tunisie. Ce dernier semble alléguer qu'il sera persécuté par le gouvernement tunisien en raison des propos qui se trouvent dans son FRP qui aurait été volé. Toutefois, il n'a apporté aucune preuve pour appuyer cette allégation; de fait, selon sa demande ERAR, ses documents auraient été simplement perdus. L'agent ERAR n'a donc pas eu tort de conclure que le vol du FRP du demandeur et la dénonciation de ce dernier auprès du gouvernement ne sont que pure spéculation.
[9] Enfin, le retard à présenter une revendication peut avoir un effet néfaste dans l'évaluation de la crédibilité de la crainte subjective d'un demandeur, puisqu'une personne qui craint véritablement d'être persécutée demanderait le statut de réfugié à la première occasion. En l'espèce, le demandeur a attendu quatre mois avant de présenter sa revendication et l'agent ERAR était tout à fait justifiée de considérer ce retard dans son évaluation de la crainte subjective.
[10] Pour tous ces motifs, l'intervention de cette Cour n'est pas appropriée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGE
OTTAWA (ONTARIO)
Le 4 décembre 2003
COUR FÉDÉRALE
NOMS DES AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-6211-02
INTITULÉ : Ala Ben Tahar BLIDI c. LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 12 novembre 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE : L'honorable juge Pinard
EN DATE DU : 4 décembre 2003
ONT COMPARU :
Me Jean Baillargeon POUR LE DEMANDEUR
Me Jocelyne Murphy POUR LE DÉFENDEUR
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Jean Baillargeon POUR LE DEMANDEUR
Sillery (Québec)
Morris Rosenberg POUR LE DÉFENDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)